J-03-230
LETTRE DE GARANTIE – CONDITIONS D’EXISTENCE ET DE VALIDITE – NON RESPECT DU FORMALISME DE L’ARTICLE 30 AUS – NULLITE DE LA LETTRE DE GARANTIE.
Une caution de paiement à fournisseur par laquelle une banque se porte caution et s’engage à payer une somme d’argent à première demande écrite à concurrence de son cautionnement contre remise par le bénéficiaire d’une lettre spécifiant que le débiteur n’a pas respecté son engagement est une lettre de garantie. Un tel acte qui ne comporte cependant pas l’intitulé « lettre de garantie » doit être déclarée nul pour non-respect des dispositions de l’article 30 de l’acte uniforme sur les sûretés.
Article 30 AUS
Article 35 AUS
(Cour d’Appel d’Abidjan, arrêt n°184 du 21 Février 2003, SIB c/ Société CORECA).
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs demandes, fins, conclusions s
EXPOSE DE LA PROCEDURE, DES FAITS ET PRETENTIONS DES PATRIES
Suivant exploit en date du 22 juillet 2002, la Société Ivoirienne de Banque dite SIB ayant pour conseils Maître AMADOU FADIKA et associés, Avocats à la Cour, a relevé appel du jugement n°43/2002 du 28/02/2002 rendu par le tribunal Première Instance d'Abidjan-Plateau qui a :
– Déclaré la société CORECA partiellement fondée en son action;
– Condamné la SIB à lui payer la somme de 100 millions de francs;
– Débouté CORECA du surplus;
– Condamné la SIB aux dépens;
Au soutien de son action à travers l'acte d’appel, la SIB réclame in limine litis l'annulation du jugement pour défaut de conclusion du Ministère Public
Subsidiairement au fond, elle explique que dans le cadre de leurs relations d'affaires, la société CORECA a conclu en 1999 avec la société SMB, un contrat portant sur la fourniture de café et pour la bonne exécution de leur contrat, la société CORECA, titulaire d'un compte SIB lui a adressé le 15 décembre 1999 une demande de caution à hauteur de 100 Millions de francs au profit de la société ZMB;
Que, le 13 avril 2000, cette dernière a dénoncé la convention d'approvisionnement la liant à CORECA, pour non respect des engagements;
En réponse, poursuit la SIB, le 11 avri1 2000, elle a crédité le compte ZMB de la somme de 100 millions de francs; avant de se faire payer à son tour par le compte-garant, le crédit lyonnais suisse;
Qu'ainsi, allègue la SIB, le compte de la société CORECA n'ayant subi aucun débit, elle conclut à l'infirmation du jugement;
Relevant appel incident par voie de conclusion de ses conseils Maîtres SORO et BAKO, en date du 17/09/2002, la société CORECA fait remarquer que le Ministère Public a versé au dossier ses conclusions du 09 janvier 2002 et demande à la Cour de rejeter le moyen tiré de la violation de l'article 106 du code de procédure civile;
E1le articule sur le fond que la SIB n'ignore pas que le payement effectué par le contre-garant a été répercuté sur elle, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle a fait un mauvais paiement en violation des articles 3 et 4, 13 et 19 de l’acte uniforme sur les sûretés;
Sur sa demande de dommages-intérêts, elle expose qu’évoluant dans le négoce de café-cacao, que l'on sait très spéculatif, la privation de la somme de cent millions de francs lui a fait perdre le gain qu'il aurait pu tirer de l'investissement de cette somme et demande à la Cour, par réformation du jugement de lui allouer 10.000.000 FCFA à ce poste;
Par voie de conclusion en réplique de ses conseils, en date du 08 octobre 2002, la SIB allègue qu'elle n'a commis aucune faute en effectuant le décaissement au profit de la société ZMB et qu’elle pense que seul le crédit lyonnais suisse a qualité pour exercer l'action en remboursement. Par voie de conclusion en date du 06 février 2003, le Ministère Public a demandé à la Cour de reformer le jugement entrepris, en allouant la somme de 5 millions de francs à titre de dommages-intérêts à la société CORECA;
DES MOTIFS
I) Sur l'annulation du jugement
Il ressort des productions et des termes mêmes du jugement entrepris, que les conclusions écrites du Ministère Public en date du 09/01/2002 ont été versées au débat;
Il échet donc de rejeter le moyen tiré de la violation de l'article 106 du code de procédure civile;
Il) Sur la nature juridique de la « caution de paiement fournisseur du 17/12/1999 »
Cet acte unilatéralement établi par la SIB, dispose en effet que « la SIB s'est portée caution solidaire en faveur de la société ZMB international pour le compte de la société CORECA;
« Qu'elle s'est aussi engagée à régler à première demande écrite, toute somme jusqu'à concurrence de son cautionnement contre remise par le bénéficiaire d'une lettre spécifiant que CORECA n’a pas respecté ses engagements… »
Il ressort clairement de cet écrit que nous sommes en présence d’une lettre de garantie prévue par le traité OHADA sur les sûretés dont l’article 28 est (ainsi) conçu;
« La lettre de garantie est une convention par laquelle à la requête ou sur instruction du donneur d'ordre, le garant s'engage à payer une somme déterminée au bénéficiaire sur première demande de la part de ce dernier… »
Qu’ainsi nous ne sommes pas en présence d'un cautionnement au sens des articles 3 et suivants dudit traité (sic);
De la validité de cette lettre de garantie
Suivant l’article 30 de l'acte uniforme sur les sûretés, « les conventions à garantie et de contre garantie ne se présument pas. Elles doivent être constatées par un écrit, mentionnant à peine de nullité :
"La dénomination de « lettre de garantie » ou de contre garantie à première demande";
En l’espèce, au lieu de « lettre de garantie » à première demande, la société Ivoirienne de Banque a préféré la dénomination : « caution de paiement fournisseur »;
S’agissant de la violation d'une disposition d'ordre public, prescrite à peine de nullité, la Cour déclare donc nul ce document
Du paiement par la SIB
Suivant l’article 35 alinéa 2 dudit traité (sic) , « avant tout paiement, le garant doit transmettre sans retard la demande du bénéficiaire et tous documents accompagnant celle-ci, au donneur d'ordre pour information… »
Il s’infère de cette loi, qu'en remettant immédiatement les fonds à la société ZMB, dès réception de sa lettre de dénonciation de ses relations avec CORECA sans même en aviser cette dernière, la SIB a transgressé ladite loi et fait un mauvais paiement qui entraîne nécessairement le remboursement des sommes prélevées auprès du crédit lyonnais, contre garant constitué par la société CORECA au profit de la SIB.
Des dommages intérêts
Il ressort des productions que les mauvais agissements de la SIB ont privé la société CORECA de ses cent millions de francs, somme dont l’investissement dans ses activités de café-cacao, lui aurait procuré des gains;
Il convient donc de condamner la SIB à lui payer la somme de cinq millions de francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice souffert
L’appelante succombe ainsi en la cause, il échet de mettre les dépens à sa charge;
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort;
Reçoit tant la SIB que la société CORECA en leurs appels et incident interjetés du jugement n°43 du 28 février 2002 rendu par le tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau;
AU FOND
– Déboute la SIB de son appel principal mal fondé;
– Déclare la société CORECA, partiellement fondé en son appel entrepris.
Reformant le jugement entrepris,
– Condamne la SIB à payer à CORECA la somme de 5.000.000 FCF A à titre de dommages-intérêt.
– Confirme le paiement entrepris en ses autres dispositions par substitution de motifs;
– Condamne la SIB aux dépens.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Un banquier (la SIB) garantit un de ses clients à travers un document dénommé lettre de garantie mais ne contenant pas la dénomination expresse exigée par l’article 30 AUS, à savoir la formule « lettre de garantie à première demande », à peine de nullité.
La cour d’appel estime que cette garantie est nulle même en tant que cautionnement (« caution de paiement fournisseur »), ce que prétendait la SIB. Celle-ci ayant payé le créancier à première demande de ce dernier sans recevoir les documents indiqués par l’article 35 AUS, la cour d’appel estime qu’elle a commis une faute en faisant un mauvais paiement et la condamne à payer des dommages-intérêts au débiteur garanti.
Cette décision contient l’illustration de la méconnaissance de la lettre garantie par la juridiction et les banquiers.
A supposer que les parties aient voulu créer une lettre de garantie entre elles et qu’ait été méconnue la formule de la dénomination expresse « lettre de garantie » (ce qui est le comble pour un banquier qui oublie de lire les textes qui régissent cette sûreté), c’est la lettre de garantie qui est ainsi annulée mais il est possible de la qualifier en une autre garantie telle que la caution ou la lettre de confort. On regrette que la cour d’appel n’ait pas converti par réduction une sûreté en une autre comme cela s fait pour les effets de commerce, par exemple. Il est vrai que l’on ne relève pas, dans la décision, de la part des avocats de la SIB une telle demande.
A supposer que la lettre de garantie soit annulée, on peut s’étonner que la cour d’appel la fasse revivre à travers l’article 35 AUS en reprochant à la SIB d’avoir payé sans avoir reçu les documents indiqués dans ce texte. Ce n’est pas l’article 35 AUS qui aurait dû être invoqué mais l’article 19 AUS qui oblige la caution à aviser le débiteur garanti ou le mettre en cause avant de payer la dette au créancier poursuivant pour savoir si, en payant, il fait un paiement utile. Il y a donc, effectivement, violation des règles de la lettre de garantie ou du cautionnement. Mais on reste confondu devant l’inertie des défenseurs de la SIB sui auraient pu se transporter sur le terrain de la gestion d’affaires pour invoquer la question, essentielle, à savoir : le paiement de la SIB a-t-il été utile ou non ? Si oui, le débiteur garanti ou bénéficiaire de la gestion d’affaires doit rembourser, si non il y a faute et la SIB est responsable du dommage qu’elle cause ainsi au débiteur pour lequel elle est intervenu.