J-03-233
DROIT COMMERCIAL GENERAL – VOIES D’EXECUTION – VENTE COMMERCIALE – NON PAIEMENT DU PRIX – SAISIE REVENDICATION DE LA CHOSE VENDUE – SAISIE PRATIQUEE PLUS DE HUIT JOURS APRES LA LIVRAISON – SAISIE NULLE – MAINLEVEE.
La vente commerciale, outre les dispositions de l’acte uniforme demeure soumise aux règles de droit commun. Ainsi la saisie revendication par le vendeur d’un bien meuble vendu dont le prix n’a pas été payé par l’acheteur doit intervenir selon l’article 2102, 4ème alinéa 2 dans la huitaine de la livraison et si la chose se trouve dans le même état qu’au moment où livraison a été faite.
La saisie revendication pratiquée bien plus de 8 jours après la livraison ne peut prospérer et mainlevée doit en être donnée.
Article 206–7 DU CODE IVOIRIEN DE PROCEDURE CIVILE, COMMERCIALE ET ADMINISTRATIVE
Article 227 AUPSRVE
Article 205 AUDCG
(Cour Suprême, Chambre Judiciaire, arrêt N°57 du 06 février 2003, El Achkar Hadife Jean-Claude c/ Abdallah Nawfla).
LA COUR
Vu les pièces du dossier,
Sur le deuxième moyen de cassation pris de l'omission de statuer;
Vu l'article 206-7 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative.
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Bouaké 02 mai 2001° qu'ayant vendu à EL Achkar Hadife Jean-Claude une chambre froide, Abdallah Nawfla tirant motif du non paiement du prix de la vente tel que convenu, pratiquait une saisie-revendication sur cette chambre froide entre les mains du susnommé afin d'en obtenir restitution; que le Tribunal Civil de Bouaké, après avoir validé cette saisie, ordonnait la restitution de la chambre froide au profit de Abdallah Nawfla et condamnait par ailleurs El Achkar Hadife Jean-Claude à lui payer des sommes à titre de location de la chambre froide; que sur appel principal de El Achkar Hadife Jean-Claude et incident de Abdallah Nawfla, la Cour d'Appel de Bouaké infirmait cette décision et, statuant à nouveau, ordonnait la mainlevée de la saisie pratiquée par Abdallah Nawfla et condamnait El Achkar Hadife Jean-Claude à payer, outre le reliquat du prix de vente de la chambre froide, des dommages-intérêts pour résistance abusive et vexatoire, aux termes de l'arrêt attaqué;
Attendu cependant qu'il résulte des pièces du dossier et notamment des conclusions en date du 12 février 2001 déposées après la mise en état par l'appelant principal que celui-ci, relativement aux dommages-intérêts réclamés par Abdallah Nawfla, avait observé que formée pour la première fois en cause d'appel, cette demande ne pouvait être accueillie; que l'arrêt attaqué, bien qu'ayant exposé ce moyen n'y a pas répondu; que la Cour d'Appel ayant ainsi omis de statuer sur chose demandée, il s'ensuit que le moyen est fondé; qu'il convient de casser et d'annuler l'arrêt attaqué et d'évoquer conformément à l'article 28 de la loi n° 97-243 du 25 Avril 1997;
Sur l'évocation;
Attendu qu'il est constant comme résultant des pièces du dossier et reconnu par toutes les parties que ABDALLAH Nawfla a, courant 1998, vendu à El Achkar Hadife Jean-Claude, une chambre froide container dont il est propriétaire; que sur le prix convenu d'un montant global de 8.000.000 de francs, El Achkar Hadife Jean- Claude a payé un acompte de 4.000.000 de francs CFA; que Abdallah Nawfla, tirant motif du non-paiement du prix de la vente tel que convenu, a, suivant exploit en date du 04 AOUT 2001 comportant assignation en validité, pratiqué une saisie-revendication sur la chambre froide;
Attendu que Abdallah Nawfla sollicite la validation de cette saisie et, conséquemment, que la restitution de la chambre froide litigieuse soit ordonnée à son profit, et El Achkar Hadife condamné à lui payer des loyers d'un montant global de 18.000.000 de francs pour l'exploitation de la chambre froide pendant trois années;
Attendu, cependant, qu'il convient de relever que s'il est exact que le vendeur du meuble impayé bénéficie d'un droit dit de revendication lui permettant de reprendre le meuble vendu, toutefois selon l'article 2102 4è alinéa 2 du code civil, la revendication doit être faite dans la huitaine de la livraison et si la chose vendue se trouve dans le même état dans lequel cette livraison a été faite; que les articles 227 et suivants de l'Acte Uniforme relatif aux voies d'exécution qui organisent la saisie-revendication ne dérogent pas à ces conditions surtout que l'article 205 de l'Acte Uniforme relatif au droit commercial général dispose que « outre les dispositions du présent livre la vente commerciale est soumise aux règles du droit commun ».
Qu'ainsi, en application de l'article 2102-4ème alinéa susvisé, Abdallah Nawfla qui a vendu la chambre litigieuse depuis 1998 ne pouvait plus en août 2001, en requérir la restitution par la voie de la revendication; que dès lors la saisie pratiquée par ces soins à. cette fin est sans fondement; Qu'il convient donc, tout en ordonnant la main­levée de cette saisie, de rejeter conséquemment la demande subséquente tendant à la restitution de la chambre froide;
Attendu, en ce qui concerne la demande en paiement de loyers, qu'il y a lieu d'indiquer que l'acheteur n'est tenu à l'obligation de restituer la chose qui lui a été livrée ainsi que les fruits perçus, qu'en cas de résolution de la vente; que tel n'est pas le cas en l'espèce, ABDALLAH Nawfla n'ayant obtenu ni même demandé la résolution de la vente en cause; que, dans ces conditions, celui-ci n'est pas davantage fondé à réclamer des sommes à titre de loyer; qu'il convient donc de le débouter également de cette demande;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule l'arrêt n°65 rendu le 02 MAI 2001 par la Cour d'Appel de Bouaké, Chambre Civile;
EVOQUANT,
– Déclare ABDALLAH NAWFLA non fondé en ses demandes;
– Le déboute desdites demandes;
– Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
1. Voilà un exemple (et un exercice) intéressant de combinaison des règles du droit uniforme des affaires de l’Ohada avec celles, non contraires, du droit national ivoirien. Si le principe est correctement énoncé et conforme à l’avis n° 1/2001 du 30 avril 2001 de la CCJA (Ohadata J-02-04), son application ne l’est pas pour deux raisons.
La première réside dans le fait que l’article 2104-4° du code civil dont il est fait état est une disposition relative à l’exercice du privilège mobilier spécial du vendeur de meuble qui permet au vendeur impayé de réclamer la restitution de son bien pour exercer son droit de rétention (Michel CABRILLAC et Christian MOULY, Droit des sûretés, Litec, 5ème éd., n° 648); elle n’a pas été reprise par l’Acte uniforme sur les sûretés et doit donc être considérée comme abrogée. La saisie revendication de l’article 2104-4° du code civil a donc disparu du paysage juridique uniforme et, de ce fait, du droit ivoirien.
La seconde se trouve dans l’article 227 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution qui dispose « Toute personne apparemment fondée à requérir la délivrance ou la restitution d’un bien meuble corporel peut, en attendant sa remise, le rendre indisponible au moyen d’une saisie revendication ». Cette procédure est générale et concerne toute situation où un bien meuble doit vraisemblablement revenir au saisissant en exécution d’une obligation de livrer ou de restituer; elle est à la procédure d’injonction de délivrer ce que la saisie conservatoire est à la procédure d’injonction de payer. C’est dans la perspective et dans l’espoir d’une résolution de la vente de la chambre froide pour non paiement que le créancier avait pratiqué la saisie revendication et non en vue d’exercer son privilège de vendeur de meuble.
2. On peut tirer un autre enseignement de cet arrêt. La violation d’une combinaison des règles du droit uniforme et du droit interne (à tort pour ce dernier, mais le problème demeure posé) a été jugée par la Cour suprême ivoirienne comme ressortissant à sa compétence. On retrouve là les dangers d’un tel empiètement sur la compétence de la Cour commune de justice et d’arbitrage (Voir Ohadata J-03-232 et Ohadata J-02-28).