J-03-245
VOIES D’EXECUTION – SAISIE CONSERVATOIRE – SURVIVANCE DE LA PROCEDURE DE VALLIDATION ET DE TRANSFORMATION EN SAISIE-EXECUTION.
DETTE ANTERIEURE A LA DEVALUATION DU FRANC CFA – DETTE EXPRIMEE EN FRANCS CFA – DOUBLEMENT DU MONTANT DE LA CREANCE POUR PAIEMENT POSTERIEUR A LA DEVALUATION (NON).
La procédure de validation et de transformation d’une saisie conservatoire en saisie exécution n’a pas été expressément prohibée par l’acte uniforme sur les voies d’exécution. Cet acte uniforme impose, d’ailleurs, lorsque la saisie a été pratiquée sans titre exécutoire que le créancier en poursuive l’obtention devant le juge ou en accomplisse les formalités nécessaires à cet effet.
Une dette échue avant la dévaluation du franc CFA en janvier 1994 et exprimée en cette monnaie n’autorise pas le créancier à en réclamer le double lorsque le paiement intervient après la dévaluation.
(COUR D’APPEL D’ABIDJAN, ARRET N° 448 DU 11 AVRIL 2003, (SEAE-LV C/ SODECI).
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Par exploit en date du 26 Décembre 2002 de Maître ADOU-MELESS AMBROISE, Huissier de Justice à Abidjan, la société SOLUTION EURO AFRICAINE D'ENTREPRISE LOUIS VALLEGRA dite SEAE-LV agissant par son gérant LOUIS VALLEGRA et ayant pour conseil, Maître TRAORE MOUSSA, Avocat à la cour, a relevé appel du jugement n°220/GIV3 rendu le 20 Février 2002 par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan qui a déclaré son action en validité de saisie conservatoire de créance du 25 MARS 2001, irrecevable;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Des énonciations de la décision attaquée et des pièces de la procédure, il ressort que la société SEAE-LV autorisée par ordonnance N°1266/2001 de la Juridiction Présidentielle du Tribunal d'Abidjan du 15 MARS 2001 pratiquait le 25 MARS 2001 une saisie conservatoire de créance au préjudice de la société de Distribution d'eau-en Côte d'Ivoire dite SODECI entre les mains de la société Ivoirienne de Banque dite SIB pour un montant de 8.324.379 francs auquel elle estimait ses droits;
Ensuite, le 10 Avril 2001 elle saisissait le Tribunal susvisé pour obtenir la validation de ladite saisie et sa conversion en saisie-attribution après avoir condamné la SODECI à payer les sommes saisies; ladite juridiction rendait la décision querellée aux motifs que la procédure de validation de saisie conservatoire n'était pas prévue par l'acte Uniforme relatif aux voies d'exécution;
En relevant appel de cette décision, la SEAE-LV rappelle d’abord que sa créance résultait de ce qu'après exécution des travaux qu'elle a livrés à la SODECI, cette dernière, en payant le prix lui a amputé la somme principale de 1.972.625 Francs qu'elle aurait payé à une tierce entreprise laquelle avait expertisé lesdits travaux. Estimant donc que les frais de cette expertise judiciaire n'étaient pas prescrits à sa charge, il s'est fait autoriser à saisir conservatoirement la créance de la SODECI à l'égard de la SIB; elle précise qu'ainsi en sollicitant la validation de cette saisie, elle a agi en conformité avec l'article 6l du traité OHADA relatif aux voies d'exécution qui impose une procédure nécessaire à l'obtention d’un titre exécutoire; elle reproche donc au premier juge d'avoir commis un déni de justice en déclarant son action irrecevable;
Elle demande donc à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de dire que son action est recevable parce que conforme à l'article 3 du code de procédure civile et fondée, et condamner l'intimée à lui payer la somme totale de 7.480.195 francs en principal augmentée des frais et intérêts à compter du 11 Avril 2001;
La SODECI, par le canal de son conseil. Maître ADJOUSSOU N'DEYE, Avocate à la cour, soutient, d'une part, que la procédure de validation est totalement irrecevable au regard des dispositions de l'acte Uniforme OHADA relatif aux voies d'exécution qui ne prévoit nulle part une procédure de validation alors quelles dispositions des articles 274 et 323 du code de procédure civile et commerciale de Côte d'Ivoire instituant ladite procédure sont abrogés par la législation supra-nationale; elle précise également que l'action de l'appelante ne rentre pas non plus dans le cadre de l'article 82 de l'acte uniforme susvisé qui prévoit un acte de conversion différent du jugement de validation et qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris;
DES MOTIFS
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL
II n'est pas contesté en l'espèce que le recours de la société dite SEAE- LV a exercé son recours dans les forme et délai imposés par la loi; qu'il y a lieu de la déclarer recevable;
SUR LE MERITE DE L'APPEL :
SUR LA RECEVABILITE DE L'ACTION DE LA SOCIETE SAEA-LV :
Il est évident qu’en 1'espèce, le premier juge prend motif 'de ce que la demanderesse serait mal fondée pour déclarer son action irrecevable alors cette recevabilité doit s'apprécier en vertu de l'article 3 du code de procédure et de la compétence de la juridiction saisie; en prononçant l'irrecevabilité aux motifs que la loi en vigueur n'a pas prévu la demande formulée par la demanderesse à l'action, le premier juge a mal appliqué la loi et sa décision doit être infirmée;
SUR L'ABROGATION DE LA PROCEDURE DE VALIDATION PAR LE TRAITE OHADA ET SES ACTES UNIFORMES :
Tandis que le demandeur SEAE-LV saisit le Tribunal pour voir condamner la SODECI et valider la saisie conservatoire et la transformer en saisie-exécution, la SODECI soutient avec le premier juge qu'une telle procédure serait totalement prohibée par les actes uniformes OHADA;
Cependant, d'une part, l'acte Uniforme relatif aux voies d’exécution n'a pas expressément prohibé cette procédure, d'autre part, et mieux, l'article 61 al. 1er de l'acte sur les voies d'exécution précise que si la saisie conservatoire n'a pas été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier doit, dans le mois qui, suit ladite saisie, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire; iI s'ensuit qu'en saisissant dans le délai imparti le juge du fond pour obtenir la condamnation de la SODECI, la société SEAE-LV s'est conformée à la loi;
SUR LA CREANCE DE LA SOCIETE SEAE-LV
II est constant que l'ordonnance de référé n°3771 rendue le 18 Septembre 1992 a mis à la charge de la SODECI les frais de l'expertise autorisée; que, cependant, ladite société a amputé de son chef, ces frais sur les sommes qu'elle doit à la SEAE-LV au titre des prestations réalisées; ainsi, la SEAE-LV est-elle bien fondée à demander la condamnation de la SODECI à lui restituer la somme indûment retenue;
SUR LE MONTANT DE CETTE CREANCE :
La SEAE-LV a demandé à la cour de lui allouer la somme de 7.480.193 francs aux motifs que la somme principale de 1.972.625.F doit être portée au double par l'effet de la dévaluation du franc CFA et que les intérêts doivent courir sur cette somme de 3.945.250 F au taux légal depuis le 1er Janvier 1994 ainsi que les divers frais;
Cependant, alors que la somme principale est conclue en Côte d'Ivoire en monnaie CFA, il est constant, en droit que cette somme ne saurait subir 1'incidence de la dévaluation de sorte que le montant de la créance demeure 1.972.625 F auquel il convient d'ajouter les intérêts au taux légal à compter de Janvier 1994;
En effet, cette somme retenue de manière abusive depuis 1993 par la Société SODECI est due et il convient de condamner la SODECI à lui payer ladite somme;
SUR LA VALIDATION DE LA SAISIE ARRET ET SA CONVERSION
II n'est pas contesté que la saisie conservatoire de créance pratiquée par la SEAE-LV le 23 MARS 2001 a été opérée conformément à la loi; qu'il y a lieu de la déclarer régulière, de la valider et de la convertir en saisie vente (sic) en vertu de l'acte uniforme susvisé, les conditions de son article 69 étant réunies;
DES DEPENS
La SODECI succombe, il y a lieu de mettre les dépens à sa charge;
PAR CESMOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort;
Déclare la société SOLUTION EURO AFRICAINE D'ENTREPRISE LOUIS-VALLEGRA dite SEAE-LV recevable en son appel;
L'y dit bien fondée;
Infirme le jugement entrepris;
STATUANT A NOUVEAU :
Déclare la SEAE-LV recevable en son action;
L'y dit partiellement fondée;
Condamne la société SODECI à lui payer la somme de 1.972.625 Francs;
Dit que cette somme portera des intérêts au taux légal à compter du 1er Janvier 1994;
Déclare valide la saisie conservatoire de créances pratiquée le 23 MARS 2001 et la convertie en saisie attribution;
Condamne la SODECI aux dépens.
Observations de Joseph ISSA6SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Contentons-nous de brèves remarques.
Concernant les effets de la dévaluation sur une dette exprimée en francs CFA, on ne peut que suivre la Cour; une telle dette doit être payée au montant initialement prévu même si celui-ci intervient après la dévaluation du franc CFA. La solution eût été tout autre si la dette avait été exprimée en monnaie étrangère (des francs français par exemple); en pareil cas, le débiteur payant en francs CFA aurait dû débourser plus de signes monétaires (francs CFA) pour honorer son engagement.
Quant à la question de savoir si l’acte uniforme a ou non supprimé la procédure de validation de la saisie conservatoire, elle est superfétatoire puisque une telle procédure est devenue inutile. La question est simplement de savoir si, saisi d’une telle procédure, le juge peut la rejeter . En fait, il faut distinguer deux cas :
ou bien le créancier saisissant dispose d’un titre exécutoire et sa demande est inutile;
ou bien il ne dispose pas d’un tel titre qu’il demande au juge du fond de lui octroyer; dans ce cas, le juge lui octroiera ce titre si sa créance est fondée mais peut parfaitement rejeter sa demande de validation puisque elle est désormais inutile.
Faisons remarquer que le juge ne peut pas refuser et la demande de validation et la demande de délivrance d’un titre exécutoire au motif que celle-ci est associée à celle-là. Et s’il rejette la seule demande de validation, sa décision ne compromet en rien la saisie conservatoire pratiquée antérieurement.