J-03-246
RECOUVREMENT SIMPLIFIE – ORDONNANCE D’INJONCTION DE PAYER – OPPOSITION – DELAI D’AJOURNEMENT REGULIER – NON ENROLEMENT DE L’OPPOSITION – ENROLEMENT ULTERIEUR SUR COPIE – DECHEANCE (NON).
CREANCE DE LOYERS IMPAYES – PREUVE DU PAIEMENT A LA CHARGE DU LOCATAIRE.
L’article 11 alinéa 2 de l’acte uniforme sur les voies d’exécution oblige l’opposant à ajourner son affaire dans un délai maximum de 30 jours à compter de la date à laquelle il a engagé son recours. S’il omet d’enrôler son opposition et que celle-ci est enrôlée plus tard sur copie, il n’est pas déchu de son opposition l’article 11, alinéa 2 ne prescrivant que l’ajournement et non l’enrôlement.
Article 11 AUPSRVE
Article 12 AUPSRVE
(COUR D’APPEL D’ABIDJAN, ARRÊT n° 204 DU 25 FÉVRIER 2003, M. KONATE MAMADOU C/ Mme GUEHI Epouse BA Gisèle).
LA COUR
Vu les pièces du dossier,
Ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le Premier Juillet 2000 KONATE MAMADOU donnait à bail à Dame GUEHI épouse BA GISELE son immeuble duplex 5 pièces sis à Cocody-VAL- DOYEN 1 n° 81 contre un loyer mensuel de cent cinquante mille francs (150.000)francs;
A partir du mois de Juin 2001,la locataire cessait de s'acquitter de ses loyers et accumulait ainsi au mois d'AOUT 2001 des arriérés de quatre cent cinquante mille francs (450 000F) outre les pénalités de retard;
Le bailleur servait alors à sa locataire une sommation de payer suivie d'une assignation en référé expulsion et le juge, suivant ordonnance N°4229 du 12 Octobre 2001, expulsait dame GUEHI des lieux loués;
KOKATE Mamadou obtenait par ailleurs le 7 Janvier 2002 une ordonnance d'injonction de payer condamnant dame GUEHI à lui payer la somme principale de neuf cent mille francs (900.000) francs représentant six (6) mois d'arriérés de loyer; Dame GUEHI formait opposition à ladite ordonnance le 8 Février 2002 avec ajournement au 20 Février 2002. Mais pour des raisons qui lui sont propres, la demanderesse à l'opposition s'est abstenue d'enrôler son acte, de sorte que la cause n'a pas été évoquée à la date indiquée;
Devant cette situation, KONATE Mamadou s'est fait autoriser, le 25 Mars 2002, à enrôler ladite opposition sur copie pour la voir déclarer irrecevable pour cause de déchéance;
Mais le Tribunal de Première Instance d'Abidjan en son audience publique ordinaire du 13 Juillet 2002 a rendu le jugement n°1224 dont le dispositif est le suivant :
" Reçoit Madame GUEHI épouse BA Gisèle en son opposition;
L'y dit "bien fondée, Déboute Mr. KONATE Mamadou de sa demande de recouvrement
Condamne le défendeur aux entiers dépens de l'instance,"
Par exploit d'huissier en date du 16 AOUT 2002 KONATE Mamadou a relevé appel dudit jugement susvisé; il est reproché au Tribunal d'avoir motivé sa décision ainsi qu'il suit :
"II n'y a pas déchéance, et l'opposition de Dame GUEHI est recevable parce que Monsieur KONATE Mamadou l'a tout de même enrôlée sur copie de sorte que s'il y a non respect du délai d'ajournement, il n'est pas imputable à l'opposante;
La créance du bailleur n'est ni certaine, ni liquide, ni exigible parce que la locataire en conteste le principe et que le créancier n'a pas justifié de sa réalité";
1°/ SUR L'IRRECEVABILITE DE L'OPPOSITION POUR DECHEANCE
Au soutien de son appel Konaté Mamadou explique que l'article 11 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution oblige l'opposant, à peine de déchéance, à signifier son recours à toutes les parties et au greffe et, dans le même acte, à assigner à une date fixe qui ne saurait excéder le délai de 30 jours à compter de l'opposition; il poursuit pour dire que 1'opposition au sens de l'article 12 de l'Acte Uniforme suscité vise à saisir la juridiction compétente d'un recours contre une ordonnance d’injonction de payer et que le tribunal n'est effectivement saisi que par l'inscription de l'affaire au rôle général, contre paiement de la consignation, toute formalité que l'article 41 et (les) suivants du code de procédure civile et commerciale met à la charge de l'opposante;
L'appelant en conclut qu'il ne suffit pas, pour éviter la déchéance, de respecter simplement un délai d'ajournement n'excédant pas 30 jours, sans saisir effectivement le Tribunal de son recours;
L'appelant explique ensuite que le défendeur à l'opposition qu'il était n'a constaté le défaut d'enrôlement que par la non évocation de l'affaire au jour de l'audience;
KONATÉ Mamadou poursuit pour dire que l'enrôlement sur copie, après autorisation du Président du Tribunal ne visait qu'à faire constater la déchéance encourue, puisque aussi bien l'Acte Uniforme ne prévoit pas une procédure de constat de déchéance analogue à celle de l'article 172 alinéa 3 du code de procédure civile, commerciale et Administrative;
L'appelant en conclut que le non respect des délais est inéluctablement imputable à l'opposante;
II soutient enfin que de ce qui précède la Cour ne manquera pas de déclarer irrecevable, pour cause de déchéance, l'opposition de dame GUEHI;
SUR LE BIEN FONDE DE LA CREANCE DU BAILLEUR
L'appelant explique que l’ordonnance du juge des référés lui a fait grief de n'avoir produit aucune pièce ni justifié de la réalité de sa créance;
KONATE MAMADOU, en réplique, rappelle qu'aux termes des articles 1709 et 1728 du code civil, la preuve de l'existence des obligations réciproques des parties résulte du contrat de bail et que l'obligation principale du preneur est de payer le prix du bail aux termes convenus et que la preuve au paiement incombe au locataire;
II explique qu'en matière de contestation de créance de loyer, et selon la jurisprudence établie le loyer acquitté est prouvé par la production de quittances (CAA 3 Mars 1978 RID 1979 N°S3, et 4P.77);
L'appelant poursuit pour dire, qu'en l'espèce, l'intimée n'a acquitté que les loyers de la période allant de Juillet 2000 à Avril 2001, mais que de Mai à Novembre 2001, soit pendant sept (7) mois, ses obligations n'ont pas été exécutées et qu'elle ne peut en faire la preuve contraire au sens de l'article 1315 alinéa 2 du code civil selon lequel".. celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit 1’extinction de son obligation ",
KONATE Mamadou expose, enfin, que, surtout, ce défaut de paiement de loyers constaté par le juge des référés, alors qu'il n'a existé aucune cause légitime à ce manquement, a justifié la mesure d'expulsion des lieux loués;
B/ DE SON MONTANT
L'appelant explique qu'aux termes du contrat de bail le loyer est de cent cinquante mille francs (150.000) F par mois payable d'avance au plus tard le cinq (5) de chaque mois à peine de majoration de 10% en cas de retard (confer art.3);
Que l'intimée reste devoir sept (7) mois d'arriérés de loyers, couvrant la période de Mai à Novembre 2001 et qu'à ce titre il lui est réclamé la somme d'un million cent cinquante cinq mille francs (1.155.000 F) ainsi calculée : (150.000 F X 7) + (150.000 X 7 X 10%);
L'appelant développe, par ailleurs, que la garantie de trois cent mille francs (300.000 F) déposée par le preneur par l'article 4 du contrat de bail, a pour objet de couvrir son obligation de rendre les lieux en bon état de réparations locatives conformément aux articles 1730 et suivants du code civil;
KOKATE MAMADOU expose, enfin, que les travaux portant sur les dégradations contradictoirement constatées par procès-verbal du 5 Décembre 2001 ont été évalués à la somme totale de trois cent quatre vingt mille francs (380.000)F et qu'à ce titre, il est réclamé à l'intimée un solde de quatre vingt mille trois cent francs (80.300 F);
L'appelant réclame au total à l'intimée la somme d'un million deux cent trente cinq mille francs (1.235.000F) au principal;
En réplique l'intimée soutient que les pièces visés par l'appelant à l'appui de son appel ne lui ont pas été communiquées;
Elle soulève in limine litis, l'exception de (non) communication de pièces conformément aux dispositions de l'article 120 du code de procédure civile et sollicite que les pièces ainsi déposées soient écartées du débat;
Dame GUEHI épouse BA Gisèle soutient qu'elle ne doit pas la somme de neuf cent mille francs (900.000F) au titre d'arriérés de loyer à son bailleur, elle explique qu’elle s'est régulièrement acquittée de ses obligations de locataire par le paiement de ses loyers malgré les problèmes énormes d'étanchéité qui se posaient sur la maison et dont elle a saisi Konaté Mamadou, le bailleur
Elle précise qu'en Juin 2001, après une forte pluie tous ses biens meubles et mobiliers ont été endommagés, et explique qu'elle a invité le bailleur a constaté lesdits et lui a demandé de procéder à la réparation immédiate de sa maison sinon elle ne réglerait plus ses loyers;
Elle explique, enfin, qu'avant son départ des lieux, elle a demandé à Monsieur KONATE de procéder à la compensation de ses deux mois de caution avec les mois de Juin et Juillet qu'elle avait refusé de payer si le propriétaire ne réparait pas le local loué;
DES MOTIFS
EN LA FORME
SUR LA RECEVABILITE DE L’APPEL
L’APPEL REGULIEREMENT INTERJETE EST RECEVABLE
SUR L'EXCEPTION DE COMMUNICATION DE PIECES
Les pièces visées par l'appelant à l'appui de son recours ont été communiquées à l'intimée à l'audience du 26 Novembre 2002, de sorte que ce moyen n'est pas fondé;
II y a donc lieu de rejeter ladite exception;
SUR LA DECHEANCE
II résulte de l'article 11 alinéa 2 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution que l'opposant a pour obligation d'ajourner son affaire dans un délai maximum de trente (30) jours à compter de la date à laquelle il a engagé son recours;
En l'espèce, la débitrice, formant son opposition le 8 Février 2002, avec ajournement au 20 Février 2002, s’est conformée à la loi, de sorte qu'il n'y a pas déchéance;
II ne faut d'ailleurs pas confondre ajournement et enrôlement et l'article précité ne parle que d'ajournement;
II résulte de ce qui précède que l'opposition formée par Dame GUEHI épouse BA Gisèle doit être déclarée recevable;
AU FOND :
L'intimée ne produit ni quittance de loyer, ni facture, ni tout autre justificatif pour prouver qu'elle s'est entièrement acquittée de ses obligations locatives, à savoir avoir payé intégralement ses loyers et avoir restitué les lieux loués en bon état de réparations locatives;
Par ailleurs, l'évaluation des dégradations subies par les lieux loués a été contradictoirement faite par les parties et les travaux de remise en état desdits locaux ont été justifiés par la production de factures par l'appelant;
II convient, dès lors, de dire que la demande de l'appelant réclamant sept (7) mois d'arriérés de loyer augmentés de majoration de 10% pour retard de paiement et le reliquat des travaux de réparation, soit la somme totale d'un million deux cent trente cinq mille francs (1.235.000) F est justifiée;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME :
Déclare KONATE Mamadou recevable en son appel relevé du jugement N°1224/CIV/3 rendu par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan le 17 Juillet 2002;
AU FOND
L'y dit partiellement fondé;
Réformant le jugement entrepris;
Condamne Madame GUEHI épouse BA Gisèle à lui payer la somme d'un million deux cent trente cinq mille francs (1.235.000 F);
Condamne l’intimée au dépens.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Le contentieux pour non respect du délai et des formes de l’opposition à une ordonnance d’injonction de payer est abondant , en particulier celui relatif au délai dans lequel le débiteur doit former son opposition et servir assignation à comparaître .
Si les juges se montrent stricts sur le dépassement du délai, ils sont plus indulgents, semble-t-il lorsque, comme dans le cas d’espèce, l’opposant a oublié d’enrôler son assignation. La raison qu’ils en donnent est que l’article 11 AUPSRVE n’impose un délai de 30 jours que pour l’ajournement (fixation de la date d’audience à laquelle le créancier doit comparaître) et non l’enrôlement. Mais comment peut-on concilier les deux ? il est évident que si l’opposant n’a pas enrôlé son opposition pour la date prévue et que s’y reprenant une seconde fois (sur avenir pour certains pays) la date nouvelle qu’il fixe dépasse le délai de 30 jours, il s’expose à la déchéance de son recours. On peut d’autant plus s’étonner de l’indulgence des juges en l’espèce que ce n’est pas le débiteur mais le créancier qui s’est préoccupé d’enrôler l’acte pour faire trancher la question de son irrecevabilité. Certes, sur le fond, il a obtenu gain de cause mais pour nous le problème demeure et nous ne pouvons qu’espérer qu’un jour, cette question vienne devant la CCJA.