J-03-247
CONTRAT DE BAIL – CONCLUSION AVANT L’ENTREE EN VIGUEUR DE L’ACTE UNIFORME – VALIDITE EN LA FORME – APPLICATION DE L’ACTE UNIFORME (NON).
DROIT COMMERCIAL GENERAL – APPLICATION DANS LE TEMPS.
L’appréciation des conditions de validité en la forme d’un contrat de bail conclu avant l’entrée en vigueur de l’acte uniforme sur le droit commercial général ne peut se faire en fonction de ce texte.
(COUR D’APPEL D’ABIDJAN, ARRÊT N°258 DU 07 MARS 2003, AKPOUE OUAKOU C/ Dame ADJOU Venerey).
LA COUR
Vu les pièces du procès;
Oui les partîtes en leurs conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
Vu l'arrêt avant dire droit N° 237 rendu le 25/02/2001 par la Cour d'Appel de ce siège déclarant AKPOUE KOUAKOU et dame ADJOU VENEREY recevables en leurs appels principal et incident, ordonnant une expertise immobilière aux fins d'évaluer les constructions réalisées par AKPOUE KOUAKOU et le montant des loyers perçus par lui jusqu’à ce jour, et désignant pour y procéder SERY AGOUA LUCIEN;
– Vu le rapport d'expertise N° 474/06/2002 dressé le 1/08/2002 par l'expert ainsi commis;
Considérant qu'aux termes de ses conclusions après expertise AKPOUE KOUAKOU appelant au principal et intimé incident, par le canal de ses conseils Maîtres AMANY KOUAME et N'QUESSAN YAO, Avocats à la cour, conclut à l'homologation du rapport d'expertise;
Que sur le fond, il fait valoir que, contrairement à tout ce qui a été conclu jusqu'à présent, il y a lieu de considérer que tant le Premier Juge que les Avocats se sont fourvoyés sur la Loi applicable
Que ni la loi de finance de 1970, ni l'article 555 du code civil ne sont applicables;
qu'en effet, l'article 10 du traité OHADA stipule que « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats partis nonobstant toute disposition. contraire de droit interne, antérieure ou postérieure "
Qu'ainsi, bien que le contrat de bail à construction ait été passé en 1992 et ce pour une durée de 20 ans, le traité OHADA entré en vigueur en 1988 s'y applique;
– que le traité s'appliquant, il y a lieu de reconnaître en vertu des articles 69,71 et 72 dudit traité, que le contrat de 1992, quoique sous seing privé, est valable;
L'article 71 stipule qu’est réputé bail commercial toute convention même non écrite existant entre le propriétaire d'un immeuble et toute personne physique ou morale en vue d'exploiter .. toute activité commerciale, ou professionnelle;
qu'ensuite, l'article 72 du traité OHADA renchérit pour- dire que " les parties fixent librement la durée des baux ";
qu'en l'espèce, les parties ayant fixé la durée du bail à 20 ans et celui-ci étant en cours seulement depuis 7 ans 10 mois, il reste encore 12 ans;
Que la Cour faisant application des articles 69,72 du traité OHADA relatifs aux baux commerciaux jugera que le contrat de bail de 1992 entre les parties est valable;
que ce contrat n’étant pas arrivé a terme, Dame VENEREY est mal tenue à solliciter sa nullité pour défaut de forme;
qu'il demande à la Cour d'infirmer le jugement et statuant a nouveau de débouter dame ANDJOU de sa demande;
Considérant qu'en ce qui la concerne Dame ANDJOU VENERY, par le canal de Maître ESSY N'GATTA, Avocat, son conseil, conclut à l'homologation du rapport d'expertise, à la confirmation du jugement en ce qu'il ordonne la restitution de l'immeuble litigieux;
que poursuivant elle soutient que AKPOUE KOUAKOU a été intégralement remboursé de ses impenses- et sollicite sa condamnation à lui payer 2.076.6l6 F à titre de trop perçu;
Considérant que AKPOUE KOUAKOU dans ses notes en délibéré du 15 Janvier 2003 fait observer que dans le sens d’un bon investissement, il a conclu un contrat sous seing privé avec dame KADJO ROSALIE
que ce contrat a pour objet la mise en valeur par le contrat d'un lot appartenant à la dame ci-dessus nommée;
qu'en retour, il devait percevoir les loyers produits par lesdites constructions pendant vingt (20) ans avant que celles-ci ne reviennent au propriétaire du lot;
que les loyers ainsi perçus lui permettaient non seulement' d'amortir les sommes investies dans la réalisation des travaux mais aussi et surtout constituaient le bénéfice escompté d'un tel investissement;
qu'après expertise du Cabinet SERI AGOUA en date du 1er/08/2002 ordonnée par l'arrêt ADD N° 237 de la 4ème chambre civile de la Cour d'Appel, il ressort que les constructions réalisées s'élèvent à 46.034.384 384 F/CFA et que les loyers perçus par le concluant s'élèvent à 36.185.000 F/CFA;
qu'ainsi, il apparaît un net reliquat de 9.849.584 F/CFA à encaisser pour atteindre le montant évalué des constructions amortissement;
que ce reliquat demeure indubitablement dû et acquis;
qu'il soutient toutefois que ledit investissement a été réalisé en vue de faire un bénéfice;
que le strict remboursement de la somme investie causerait au concluant un manque à gagner de près de 75.000.000 F/CFA au regard des 12 années de loyers restant à percevoir;
qu'à cet égard, en vue de tirer quelque peu profit de son investissement sollicite la Cour qu'il lui soit accordé de prélever les loyers jusqu'à concurrence de ce montant;
qu'autrement et par souci d'humanisme, dame ANDJOU VENEREY soit condamnée à lui payer la somme de 40.000.000 F/CFA au titre des 12 années de loyers dues, renonçant ainsi à la somme de 35.000.000 F/CFA;
qu'en cas de non-paiement, qu'il soit autorisé à percevoir les loyers des dites constructions jusqu'à concurrence de 40.000.000 F/CFA en plus de la somme de 49.849-584 F/CFA due;
qu’ainsi, les propriétaires pourraient retrouver la pleine propriété de leur bien après avoir payé la somme de 49.849.384 F CFA représentant amortissement et bénéfice de l'investissement;
DES MOTIFS
SUR L'APPEL PRINCIPAL
DE LA RETRO ACTIVITE DU TRAITE OHADA
Considérant que dans ses conclusions après expertise AKPOUE KOUAKOU revient sur la validité du contrat,1e liant à dame VENEREY; qu’il soutient qu’en vertu des articles 10, 69 , 71 et 72 du traité 0HADA le contrat de 1992 quoique sous seing privé est valable;
Mais considérant que le traité OHADA ne peut rétroagir sur les conditions de forme du contrat; qu'il ne peut .en régir que les effets;
qu'il y a lieu de rejeter ce chef de demande, la Cour ayant d'ailleurs déjà statuer sur, ce point;
DU REMBOURSEMENT DES IMPENSES
Considérant qu'il est constant qu'en raison du contrat liant à dame VENEREY, AKPOUE KOUAKOU a. bâti un immeuble sur le terrain de sa cocontractante que le contrat ayant été déclaré nul;
L'appelant est fondé à réclamer le remboursement des impenses;
Considérant que l'expert judiciaire a évalué les constructions édifiées à 46.034.384 F;
qu'aucune des parties ne conteste ladite expertise qu'il y a donc lieu de l’homologuer;
Considérant que AKPOUE KOUAKOU reconnaît avoir perçu au titre des loyers la somme de 36.185.000 F telle que déterminée par l'homme de l'art;
qu'il réclame au titre des impenses 9.849.384 F qu'il y a lieu de lui en donner acte et de condamner VENEREY à les lui payer étant entendu que l'on ne peut mettre à la charge de AKPOUE KOUAKOU les arriérés de loyers dus par certaine locataires;
DES DOMMAGES-INTERETS
Considérant que AKPOUE KOUAKOU réclame 40.000.000 à titre de dommages et intérêts au motif qu’il a contracté avec dame VENEREY dans l'espoir de réaliser des bénéfices;
Mais considérant que le contrat sur lequel se fonde AKPOUE KOUAKOUest déclaré nul;
Qu’à ce titre les parties se retrouvent dans leur état antérieur;
Que, par conséquent, l'appelant ne peut prétendre à la réparation d'un quelconque préjudice du fait de ce contrat nul;
qu'il y a lieu de le débouter de ce chef;
Considérant que dame VENEREY réclame 2.076.616 au titre du trop perçu par l'appelant;
Mais considérant qu'il a été jugé que les arriérés de loyers de certains locataires ne peuvent être mis à la charge de AKPOUE.KOUAKOU;.
qu'il y a lieu de débouter dame ADJOU de cette demande;
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt avant dire droit N°237 rendu le 23 Février 2001 par la Cour d'Appel de ce siège;
Vu le rapport d'expertise en date du 1er Août 2002 de l'homme de l'art;
Homologue ledit rapport d'expertise;
Déclare AKPOU KOUAKOU partiellement fondé en son appel;
Réformant le jugement attaqué;
Condamne dame ANDJOU VENEREY à lui payer la somme de 9.849.384 F au titre du remboursement des impenses;
Le déboute du surplus de ses demandes;
Rejette comme mal fondé la demande de remboursement du trop perçu formulée par dame VENEREy;
Dit que la restitution des constructions est subordonnée au paiement des sommes mises à la charge de dame ANDJOU VENEREY;
Confirme le jugement en ses autres dispositions;
Fait masse des dépens et les met par moitié à la charge de chaque partie.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Il faut marquer nettement son étonnement devant un tel arrêt qui ne s’est même pas interrogé sur la nature juridique d’un bail à construction et, notamment sur celle du droit qu’il confère au preneur, lequel peut s’analyser alors soit comme un bail emphytéotique, soit comme conférant un droit de superficie, l’un et l’autre relevant de la catégorie des droits réels prévus expressément par l’article 20 du décret du 26 juillet 1932.
Quoi qu’il en soit, le bail à usage de construction ne peut, en aucun cas, être considéré comme un bail commercial relevant de l’acte uniforme de droit commercial général. Celui-ci, en effet, est destiné à permettre au locataire commerçant, de jouir d’un immeuble pour y exploiter une activité commerciale, ce qui n’a absolument rien à voir avec le bail à construction, lequel est soumis à une législation spécifique. Dès lors, l’acte uniforme relatif au droit commercial général étant inapplicable, ratione materiae, au bail à construction, il était inutile de s’interroger sur son applicabilité dans le temps.