J-03-29
PROCÉDURES COLLECTIVES – SOCIÉTÉ ANONYME – MODE DE DISSOLUTION OU DE LIQUIDATION PRÉVU PAR LES STATUTS – CESSATION DE PAIEMENT – POSSIBILITÉ D’OUVERTURE D’UNE PROCÉDURE COLLECTIVE (OUI) – ABSENCE D’OFFRE DE CONCORDAT – LIQUIDATION DES BIENS (OUI) –AIR AFRIQUE.
Article 200 AUSCGIE ET SUIVANTS
Le fait que dans les statuts d’une société anonyme, les actionnaires aient prévu une procédure amiable de dissolution ou de liquidation en cas de dissolution anticipée ou d’expiration de la durée, n’empêche pas, au cas où cette société est en état de cessation de paiement, d’ouvrir à son encontre une procédure collective d’apurement du passif.
Si cette société ne présente aucune offre de concordat, la liquidation des biens est prononcée.
Il en est ainsi, même si la création de ladite société est l’œuvre d’un traité, tel celui de Yaoundé portant création de la compagnie aérienne multinationale Air Afrique.
Cour d’Appel d’Abidjan. Arrêt N° 723 du 7 juin 2002. Monsieur ATTIBA Denis et Autres (Mes Francis KOUAME Koffi, KOUASSI Allah et BOHOUSSOU) c/ Compagnie Multinationale Air Afrique (Mes FAYE, AHOUSSOU et KONAN).
Cour d’Appel d’Abidjan (Côte d’Ivoire)
Chambre civile et commerciale
Audience du vendredi 07 juin 2002
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions;
Vu les conclusions écrites du Ministère Public;
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Par acte d’huissier en date du 7 mai 2002, ATTIBA Denis, TANDOLOUM Lerobtar, BRUCE Thomas René, LOU VOU Enzo Honore Melaine, le syndicat des travailleurs des compagnies de navigation aérienne en Côte d’Ivoire dit STRACONACI, le syndicat des travailleurs du transport aérien et activités connexes en Côte d’Ivoire, ont relevé appel du jugement n° 52 rendu le 25 avril 2002 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan qui, en la cause, a statué ainsi qu’il suit :
« - Déclare recevable la requête présentée par l’Intersyndicale des travailleurs d’AIR AFRIQUE;
– Rejette l’exception d’incompétence soulevée par elle;
– Déclare recevable la demande de la société multinationale AIR AFRIQUE;
– Constate qu’elle est en cessation de paiement;
– Constate qu’elle n’a déposé aucune offre de concordat
– Prononce la liquidation des biens de la Multinationale AIR AFRIQUE, avec toutes les conséquences de droit;
– Fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 2 janvier 2001;
– Désigne M. Edouard MESSOU et le Cabinet PRICE WATERHOUSE COOPERS, en qualité de syndics;
– Nomme Madame MEMEL MELESSE AGNIMEL Justine, Juge au Tribunal, en qualité de juge commissaire »;
Les appelants font valoir tout d’abord qu’ils sont intervenants volontaires à la procédure, comme le leur permettent les dispositions de l’article 103 du code de procédure civile, qui énonce que : « tout tiers ayant intérêt au procès a le droit d’intervenir en tout état de cause devant le juge chargé de la mise en état »;
Ils ajoutent qu’ils sont salariés d’Air Afrique et, par conséquent, créanciers de salaires et de leurs accessoires et, qu’à ce titre, ils ont nécessairement un intérêt à la procédure;
Ils estiment que c’est à tort que la société Air Afrique conteste la recevabilité de leur action et ils sollicitent en conséquence, la confirmation des dispositions du jugement l’ayant déclarée recevable;
Poursuivant, les appelants soutiennent que les tribunaux sont incompétents à prononcer la liquidation de la société Air Afrique;
Ils expliquent à cet égard que le Traité de Yaoundé du 28 mars 1961 et ses annexes, y compris les statuts de la société Air Afrique, ratifié par la Côte d’Ivoire par décret du 21 février 1962, a une valeur juridique supérieure aux lois nationales;
Ils ajoutent que l’article 5 du Traité de Yaoundé affirme cette supériorité et est ainsi libellé :
« Le présent Traité et annexes, y compris les statuts de la société commune, définissent les conditions juridiques d’existence et de fonctionnement reconnues à la société par les Etats contractants par dérogation, s’il y a lieu, aux dispositions actuelles ou futures de leurs législations nationales »;
Ils en déduisent qu’aucun texte actuel ou même à venir ne peut s’imposer aux normes juridiques exceptionnelles du Traité et des statuts, et ils précisent qu’au regard de l’article 1 desdits statuts, les lois internes des Etats ne sont applicables qu’à titre subsidiaire, à condition toutefois d’être compatibles avec les dispositions du Traité et des statuts, et les principes communs à la législation des Etats signataires;
« Aussi, font-ils valoir que les statuts d’Air Afrique en leur article 45, stipulent que : « lors de la liquidation de la société, soit par anticipation soit à l’expiration de sa durée, l’assemblée générale, statuant à la majorité des deux tiers, désigne un ou plusieurs liquidateurs et détermine leur pouvoir, leurs traitements et honoraires;
La nomination des liquidateurs met fin au pouvoir des administrateurs;
L’assemblée générale régulièrement constituée conserve pendant la liquidation, les mêmes attributions que durant le cours de la société; elle a notamment le pouvoir d’approuver les comptes de la liquidation et donner quitus aux liquidateurs. Elle est présidée par la personne désignée par les actionnaires au commencement de chaque réunion. Elle est convoquée par le ou les liquidateurs;
Après extinction du passif et le remboursement du montant des actions libérées et non assorti, le solde disponible est réparti entre toutes les actions par égale portion entre elles, ou proportionnellement à leur nominal, s’il existe des actions de taux nominal différent »;
Les appelants estiment que les statuts de la société n’ont prévu qu’un mode unique et exclusif de liquidation, celui de l’article 45, ce qui exclut selon eux, les Actes Uniformes du Traité OHADA, qui sont des règles de droit interne non communes aux Etats membres signataires du Traité de Yaoundé, règles d’autant plus inapplicables qu’elles sont incompatibles avec les statuts de la société, notamment sur la question du maintien de l’assemblée générale;
De surcroît, ajoutent-ils, la Mauritanie, pays signataire du Traité de Yaoundé, n’est pas membre des pays signataires du Traité de l’OHADA, de sorte que les règles émanant dudit traité n’étant pas communes aux Etats membres d’Air Afrique, ne sauraient trouver application;
Poursuivant, ils reprochent au Tribunal d’avoir estimé que le traité le plus récent devait prévaloir; ils soutiennent à cet effet, qu’il s’agit d’une affirmation gratuite fondée sur aucune disposition légale, réglementaire ou jurisprudentielle et qui, de surcroît, est contraire aux dispositions de l’article 5 des statuts d’Air Afrique;
Ils en concluent que c’est à tort que l’exception d’incompétence soulevée par eux, a été rejetée;
Ils demandent à la Cour l’infirmation de la décision déférée, et sollicitent que la direction d’Air Afrique soit renvoyée à l’application des dispositions du Traité de Yaoundé et des statuts;
La société Air Afrique, représentée par son Conseil Maître Mohamed Lamine FAYE, fait valoir que l’article 4 du Traité de Yaoundé confère à la société « la personnalité juridique la plus complète reconnue aux personnes morales par les législations des Etats contractants, et elle sera réputée posséder la nationalité de chacun d’eux, aussi bien à leur égard que vis-à-vis des Etats tiers », et précise qu’elle « sera constituée sous la forme d’une société anonyme de droit privé à structure unitaire »;
Elle en déduit la consécration du caractère de société de droit privé national, que les Etats parties ont entendu conférer à Air Afrique dans l’ordonnancement juridique de chaque territoire;
Poursuivant, la société Air Afrique indique que l’article 45 de ses statuts a pour objet la dissolution liquidation, et en cela, elle ne se distingue nullement des autres sociétés commerciales qui, conformément aux dispositions de l’Acte Uniforme du Traité OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et groupements d’intérêt économique, prévoient la dissolution amiable conforme aux statuts et la liquidation ordonnée par décision de justice;
Elle précise à cet égard, que les dispositions des articles 200 à 222 de l’Acte Uniforme ci-dessus cité correspondent au champ d’application de l’article 45 des statuts de la société Air Afrique, qui ne prévoit que le cas de liquidation par anticipation et celui de la liquidation par expiration de durée;
Elle estime que cette disposition n’est nullement dérogatoire au droit commun;
En l’espèce, explique t-elle, ils s’agit d’un cas de liquidation pour cessation de paiement, et l’article 45 des statuts ne porte nullement sur les conséquences juridiques de la société en état de cessation de paiement, situation différente d’une société que les associés ont décidé de dissoudre par anticipation ou à l’expiration de son terme;
L’intimée indique par ailleurs que dans tous les systèmes juridiques modernes, un commerçant se trouvant dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, est en état de cessation de paiement, et toutes les lois positives lui font obligation d’initier une procédure collective devant la juridiction du lieu de situation du siège de l’entreprise en difficulté, et autorisent tout créancier à déclencher la procédure devant toute juridiction dans le ressort de laquelle le débiteur a un établissement;
En l’espèce, elle affirme avoir fait une déclaration de cessation de paiement, en exécution d’une résolution des actionnaires de la société, et souligne qu’aucune disposition statutaire ne s’y oppose;
Pour toutes ces raisons, la société Air Afrique conclut au rejet de l’exception d’incompétence soulevée par les appelants, au besoin par substitution de motifs; elle estime en effet, qu’il n’est pas nécessaire de recourir, comme l’a fait le premier Juge, à la règle de la hiérarchie des normes, pour démontrer la compétence des tribunaux;
Le Ministère Public, a pour sa part, conclu à la confirmation pure et simple du jugement querellé;
DES MOTIFS
SUR L’EXCEPTION D’INCOMPÉTENCE
Au soutien de l’exception d’incompétence soulevée, les appelants font valoir que l’article 45 des statuts de la compagnie Air Afrique n’a prévu que la liquidation amiable, de sorte que les juridictions sont incompétentes à prendre toute décision relative à la liquidation de la société;
Ils en déduisent que les dispositions de l’Acte Uniforme du Traité de l’OHADA relatif à l’organisation des procédures collectives d’apurement du passif, ne sont pas applicables à la compagnie;
Il résulte cependant des productions, notamment des statuts de la compagnie, que ceux-ci ont entendu organiser une procédure amiable de dissolution ou liquidation, en cas de dissolution anticipée ou d’expiration de la durée;
Il s’agit là de dispositions habituellement prises dans les sociétés commerciales, et elles n’excluent en aucune façon une décision judiciaire, notamment en cas de cessation de paiement;
Il convient d’indiquer que l’article 4 du statut juridique de la société indique sans équivoque, que celle-ci sera constituée sous la forme d’une société anonyme de droit privé, et elle sera réputée posséder la nationalité de chacun des Etats contractants;
Aucune disposition, tant du statut juridique que des statuts de la compagnie, ne confèrent à celle-ci un caractère dérogatoire au droit commun des sociétés commerciales, le droit commun en la matière étant en Côte d’Ivoire, et lieu du siège social, lieu du principal établissement, le Traité de l’OHADA;
Il s’ensuit que la question qui se pose n’est pas celle de la hiérarchie ou la prééminence d’un traité sur un autre, chacun ayant un champ d’application spécifique;
Il en résulte que la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement tenue le 10 janvier 2002, qui a adopté le principe de la liquidation judiciaire, ne saurait être interprétée comme une modification des statuts, qui au demeurant, ne peut être tacite;
Il s’agit tout simplement d’une décision d’assemblée générale qui, en réalité, n’est nullement contraire aux dispositions statutaires;
En conséquence, c’est à tort que les appelants ont soulevé cette exception d’incompétence, et il y a lieu de confirmer, par substitution de motifs, la décision de rejet de ladite exception;
AU FOND
Il n’est pas sérieusement contesté que la situation financière de la société est périlleuse;
Il résulte des pièces versées au dossier, qu’elle présentait en 2001 un déficit d’exploitation de 48 milliards de francs, un endettement de plus de 137 milliards de francs, tandis que ses fonds propres s’élevaient à peine à 23 milliards;
Ainsi, apparaît-il clairement que la multinationale Air Afrique n’est plus en mesure de faire face à un tel passif avec son actif disponible;
En conséquence, c’est à juste titre que le premier Juge a constaté l’état de cessation de paiement de la société et prononcé la liquidation de ses biens, étant donné par ailleurs qu’aucune offre de concordat n’a été faite;
Il convient de confirmer ce jugement;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement, en matière civile et commerciale et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Déclare ATTIBA Denis et autres recevables en leur appel;
AU FOND
– Les y déclare mal fondés et les en déboute;
– Confirme, par substitution de motifs en ce qui concerne l’exception d’incompétence, le jugement entrepris;
– Condamne les appelants aux dépens;
En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement, contradictoirement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort par la Cour d’Appel d’Abidjan (1ère Chambre Civile), a été signé par le Président et le Greffier.