J-03-300
ARBITRAGE – SIEGE DU TRIBUNAL ARBITRAL HORS DES ETATS PARTIES A L’OHADA – APPLICATION DE L’ACTE UNIFORME SUR L’ARBITRAGE (NON).
Lorsque le siège du tribunal arbitral se trouve en dehors des Etats parties au traité OHADA, l’Acte Uniforme sur l’arbitrage ne peut s’appliquer à la sentence arbitrale rendue par ce tribunal arbitral. Seule s’applique la loi ivoirienne N°93-671 du 09 Avril 1993 relative à l’arbitrage.
(Cour d’Appel d’Abidjan, Arrêt n°1157 du 19 novembre 2002, Société Ivoire COMMODITIES C/ Société NAMACO).
LA COUR
Ouï le Ministère Public
Vu les pièces du dossier
Ensemble les faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant exploit daté du 24 Octobre 2002 comportant ajournement au 5/11/2002 la Société Ivoire COMMODITIES agissant aux poursuites et diligences de son représentant légal, Mr. Arnaud Ligues LAUBHOUET, et du liquidateur, dame Alice Anthony DIOMANDE, ayant pour conseil la SCPA FADIKA – DELAFOSSE, K.FADIKA,C.KACOUTIE, A.Anthony DIOMANDE, Avocats à la Cour a relevé appel de l'ordonnance de référé N0 4115 rendue le 20 Août 2002 par la juridiction des référés du Tribunal de Première Instance d'Abidjan dont le dispositif est le suivant :
" Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé d'heure à heure et en premier ressort;
– Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, mais dès à présent, vu l'urgence et par provision;
– Déclarons la Société NAMACO S.A. recevable et bien fondée;
– Accordons, conformément à l'article 58 de la loi N°93-67 du 9 Août 1993 relative à l'arbitrage, l'exequatur au jugement arbitral exécutoire en date du 18 Décembre 2001 enregistré le 12/04/2002 sous le N°3735;
– Mettons les dépens à la charge de la défenderesse";
Au soutien de son appel la Société Ivoire COMMODITIES soulève l'incompétence du juge des référés et rappelant la motivation aux termes de laquelle le premier juge s'est déclaré compétent, elle estime que cette motivation est contraire à l'Acte Uniforme d'autant que l'art.35 dudit Acte Uniforme relatif au droit d'Arbitrage prescrit que le présent Acte Uniforme tient lieu de loi relative à l'arbitrage dans les Etats, il s'ensuit, selon elle, que les lois relatives à l'arbitrage en vigueur dans les Etats- Parties signataires du Traité OHADA se sont trouvées abrogées dès l'entrée en vigueur de l'Acte Uniforme précité, de sorte que désormais, seul l'Acte Uniforme a vocation à s'appliquer aux modalités de l'arbitrage et, notamment, à régir les conditions dans lesquelles l'exequatur d'une sentence arbitrale peut être obtenue; selon l'appelante, une telle interprétation est conforme aux dispositions de l'article 10 du Traité de l'OHADA aux termes desquelles "les Actes Uniformes sont directement applicables et obligatoires, dans les Etats - parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne antérieure ou postérieure ";
Rappelant que l'article 34 de l'Acte Uniforme relatif à l'arbitrage dispose que les sentences arbitrales rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par le Présent Acte Uniforme, sont reconnues dans les Etats - Parties dans les conditions prévues par les conventions Internationales éventuellement applicables et, à défaut dans les mêmes conditions que celles prévues aux dispositions du présent Acte Uniforme", l'appelante affirme qu'en application de ces dispositions, la reconnaissance en Côte d'Ivoire de la sentence arbitrale émanant d'un Tribunal arbitral suisse devra se faire conformément à l’article 30 de l'Acte Uniforme qui précise que "La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en vertu d'une décision d'exequatur rendue par le Juge compétent dans l'Etat - parties";
Ainsi, l'Acte Uniforme n'ayant pas déterminé "le Juge compétent", l'appelante estime qu'il faut se référer aux dispositions du code de procédure civile, notamment à l'art. 345 qui prévoit que l'instance en exequatur est engagée par voie d'assignation, selon les règles de droit commun.
Le Tribunal compétent est celui du domicile ou de la résidence du défendeur en Côte d'Ivoire";
Ainsi, selon l’appelante, seul le Tribunal est compétent en l'espèce pour prononcer l'exequatur;
Par ailleurs, l'appelante, relève qu'aux termes de l'article 31 alinéa in fine de l'Acte Uniforme relatif à l'arbitrage" la reconnaissance et l'exequatur sont refusés si la sentence est manifestement contraire à une règle d'ordre public international des Etats - Parties";
Or, selon elle, il résulte de l'examen de la sentence arbitrale qu'il est fait état de pots-de-vin qui auraient déterminé la conclusion de la convention d'exclusivité sur le fondement de laquelle ladite sentence a été rendue;
Estimant que l'octroi de pots-de-vin à l'effet de conclure un contrat constitue un acte pénalement répréhensible et contraire à l'ordre public, l'appelante soutient que le juge des référés n'aurait pas dû accorder l'exequatur;
Aussi conclut-elle à l'infirmation de l'ordonnance querellée;
Pour sa part, la société NAMOCO, par le canal de son conseil la SCPA ADJE-ASSI-METAN Avocats à la Cour, soulève in limine litis 1'irrecevabilité de l'appel pour avoir été relevé hors délai de huit (8) jours;
Subsidiairement au fond, l'intimée conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, quant à la compétence du juge des référés;
En effet, rappelant les dispositions de l'article 345 qui parlent de "décisions judiciaires", l'intimée soutient que le droit commun en matière d'exequatur des sentences arbitrales n'est pas le code de procédure civile mais la loi du 9 Août 1993 relative à l'arbitrage;
Sur l'absence des conditions d'exequatur invoquées par l'appelante l'intimée réplique que la sentence arbitrale qui sanctionne l'appelante elle-même de la non exécution de son obligation de délivrance n'a rien de contraire à l'ordre public ivoirien;
DES MOTIFS
Sur la recevabilité de l'appel
L'intimée soulève in limine litis l'irrecevabilité de l'appel pour avoir été relevé hors délai, en indiquant que l'ordonnance querellée ayant été signifiée le 25 Octobre 2002, le présent appel n'a été relevé que 24 Octobre 2002;
Cependant, contrairement à l'opinion de l'intimée, l'appel relevé le 23 Octobre 2002 après signification de l'ordonnance querellée le 15 Octobre 2002, obéit parfaitement aux prescriptions légales relatives au délai d'appel d'autant que conformément aux dispositions de l'article 430 du code de procédure civile les délais prévus par ledit code sont des délais francs de sorte que leur computation ne prend pas en compte les dates extrêmes;
II convient donc de déclarer recevable l'appel de la Société Ivoire COMMODITIES;
AU FOND
Certes, l'article 35 de l'Acte Uniforme relatif au Droit d'Arbitrage indique que "le présent Acte Uniforme tient lieu de loi relative à l'arbitrage dans les Etats-Parties";
Cependant l'article 1er de l'annexe II de l'Acte Uniforme relatif au Droit d'arbitrage précise clairement que l'Acte Uniforme a vocation à s'appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du Tribunal arbitral se trouve dans un des Etats - parties au Traité OHADA;
A contrario, lorsque le siège du Tribunal se trouve hors des Etats - parties les dispositions de l'Acte Uniforme ne sont pas applicables, et il faut rechercher le droit applicable dans les dispositions du droit national relatif à l'arbitrage qui n'a pu être complètement abrogé notamment relativement aux modalités d'obtention de l'exequatur des sentences arbitrales lorsque celles-ci sont rendues par un Tribunal arbitral situé hors des Etats - parties;
En l'espèce, le siège du Tribunal arbitral se trouvant en Suisse hors des Etats-Parties, seule la loi Ivoirienne N°93-671 du 9 Août 1993 relative à l'arbitrage est applicable en ce qui concerne la procédure d'obtention de l'exequatur;
Or, aux termes de l'article 35 in fine de cette loi, le Président du tribunal ou le Juge de section est saisi et statue comme en matière de référé;
C'est donc à bon droit que le juge des référés s'est déclaré compétent;
II convient de confirmer l'ordonnance entreprise sur ce point;
S'agissant des conditions permettant l'obtention de l'exequatur, l'appelante prétend à tort que le juge des référés n'aurait pas dû accorder l'exequatur parce que la sentence découle d'actes contraires à l'ordre public;
Or, il est bien clair que si les actes ayant donné lieu à la sentence arbitrale sont contraires à l'ordre public, la sentence elle-même n'est pas contraire à l'ordre public puisqu'elle sanctionne ses actes contraires à l'ordre public; il convient donc de rejeter ce moyen non fondé;
Au total l'appel de la société Ivoire COMMODITIES n'est pas fondé et doit être rejeté comme tel;
L'appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens en application de l'article 149 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Rejette comme non fondée l'exception d'irrecevabilité de l'appel soulevée par l'intimée;
– déclare en conséquence recevable l'appel de la société Ivoire COMMODITIES relevé de l'ordonnance N°4115 rendue le 20 Août 2002 par la juridiction Présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan-Plateau;
AU FOND
– L'y dit mal fondée et l'en déboute;
– Confirme ladite ordonnance en toutes ses dispositions;
– Condamne 1'appelante aux dépens;