J-03-316
VOIES D’EXECUTION – SAISIE D’UN BIEN N’APPARTENANT PAS AU DEBITEUR – ACTION EN NULLITE PAR LE TIERS SAISI – IRRECEVABILITE (oui).
L’action en nullité d’une saisie pratiquée sur un bien n’appartenant pas au débiteur intentée par le tiers saisi est irrecevable, une telle action n’appartenant qu’au débiteur lui même.
Article 140 AUPSRVE
(Cour d’Appel d’Abidjan, arrêt N° 912 du 8 juillet 2003, COULIBALY Gaoussou (Me SONTE) C/ SOCOPAG (Me Mohamed Lamine FAYE) NECCAF-CI (Me Abel KASSI) COOPAI (SCPA SAKHO-KAMARA).
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en dernier ressort sur l'appel relevé le 02 avril 2003 avec ajournement au 15 avril 2003 par le sieur COULIBALY Gaoussou ayant pour conseil Maître SONTE, de l'ordonnance de référé N° 1247/2003 rendue le 18 mars 2003 par la .juridiction Présidentielle du Tribunal de première Instance d'Abidjan, non encore signifiée dont le dispositif est ainsi libellé;
"Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé d’heure à heure et en premier ressort;
– Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu'elles a viseront, mais dès à présent, vu l'urgence et par provision;
– Recevons la SOCOPAG S.A. recevable en son action;
– L'y disons bien fondée;
– Ordonnons la cessation immédiate de l'exécution forcée initiée par Monsieur COULIBALY Gaoussou au préjudice des biens déposés entre les mains de la SOCOPAG et n'appartenant pas à la société NECCAF-CI sous astreinte comminatoire de 500.000.F par Jour de retard à compter de la date de la. présente décision;
– Condamnons COULIBALY Gaoussou aux dépens;
Considérant que le sieur COULIBALY Gaoussou expose aux termes de son appel qu'il a livré à la société NECCAF-CI plusieurs sacs et il demeure à ce jour créancier envers la Société NECCAF-CI de la somme principale de 15.724.625 CFA;
Que toutes les réclamations amiables en vue d'obtenir le paiement de sa créance s'étant avérée vaines il a sollicité et obtenu la condamnation de la Société NECCAF-CI à lui payer la somme sus-visée, ce, par ordonnance d'injonction de payer N° 3900/2002 du 17 MAI 2002;
Qu'il a été autorisé par ordonnance N° 2420/2002 du 13 Juin 2002 à pratiquer saisie conservatoire des biens appartenant à son débiteur;
Que le 06 juillet 2002, il a par exploit de Maître BETE Seydou, huissier de Justice, pratiqué saisie conservatoire relativement à 175 tonnes de cacao détenues par la société SOCOPAG pour le compte de la Société NECCAF-CI;
Que la Société NECCAF-CI a formé opposition par exploit du 05 juin 2002 de Maître N’DRI NIAMKEY Paul, huissier de justice à Abidjan;
Que le Tribunal d'Abidjan a par jugement N° 1397/CIV du 31 Juillet 2002 restitué à l'ordonnance son plein et entier effet;
Que sur appel de la Société NECCAF-CI, la Cour d'Appel a, par arrêt N° 1063 du 06 septembre 2002 confirmé purement et simplement ledit jugement;
Que le 10 Octobre 2002, la Société NECCAF-CI a formé un pourvoi et elle a présenté en même temps une requête aux fins de sursis à exécution et elle a obtenu l'ordonnance N° 221/CS/7P /2002 l'autorisant à assigner l'appelant pour l'audience du 14 novembre 2002;
Que par l'arrêt N0 728/02 du 14 novembre 2002, la Cour Suprême a ordonné la continuation : des poursuites;
Que toutes les décisions de condamnation frappant son débiteur étant ainsi passées en force de chose jugée irrévocable, il a repris les poursuites en notifiant aux parties les actes de conversion de la saisie conservatoire en saisie-vente;
Qu’à l'issue des opérations de conversion, l'huissier instrumentaire en compagnie de la force publique s'est rendu au siège de la société SOCOPAG pour l'enlèvement des 175 tonnes de cacao précédemment saisis;
Que ce dernier a saisi la juridiction présidentielle le 25 Février 2003 d'une requête en annulation de la saisie - conservatoire du 08 juillet 2002;
Qu'intervenant oralement devant la juridiction Présidentielle saisie, les sociétés SOCOPAG, NECCAF-CI et COOPAI ont d'une seule voix, fait savoir que les 175 tonnes de cacao saisies n'appartiennent pas à la Société COOPAI comme cela résulterait de l'acte de cession du 10 Juin 2002;
Que la juridiction présidentielle induite en erreur a rendu l'ordonnance susvisée; Considérant que l’appelant demande l'infirmation de la décision querellée;
Que pour ce faire, COULIBALY Gaoussou rappelle que par procès-verbal du 06 juillet 2002, il a saisi à titre conservatoire entre les mains de la Société SOCOPAG 175 tonnes de cacao appartenant à NECCAF-CI;
Que par exploit du 10 Juillet 2002, il a dénoncé sa saisie à la Société NECCAF-CI débiteur saisi qui a person­nellement reçu le procès-verbal de saisie n'a initié aucune action pour contester ou solliciter la main-levée de la saisie, alors que l'Acte Uniforme permet au débiteur saisi de solliciter la nullité d'une saisie portant sur un bien ne lui appartenant pas;
Que la Société NECCAF-CI n'a élevé aucune protestation mais elle a plutôt engagé avec lui des négociations ainsi qu'il en résulta de la lettre du 18 juillet 2002 de la Société NECCAF-CI par laquelle elle écrit "Je vous serais vivement reconnaissant de bien vouloir me donner main-levée amiable de la saisie sur les lots suivants : 2033, 2034, 2035, 2036,10500 et 10501;
A la perception du produit de la vente desdits lots, je manquerai pas de désintéresser le sieur Gaoussou COULIBALY ";
Qu'au vu de ce courrier, affirme 1'appelant, les 175 tonnes de cacao saisies appartiennent bien à la Société NECCAF-CI;
Qu'il fait valoir qu'aux termes de l'Acte Uniforme, le débiteur saisi peut demander la nullité ou la main-levée de la saisie pratiquée à son préjudice;
Qu'une telle action n'est pas ouverte au tiers saisi qui n'a pas intérêt à agir puisque la saisie ne lui fait pas grief;
Que l'action initiée par la société SOCOPAG n'étant pas une action en distraction d'objets saisis, la Cour déclarera irrecevable la demande;
Que la prétendue nullité soulevée par la société SOCOPAG n'est pas établie, la société NECCAF-CI reconnaissant que les biens saisis lui appartiennent;
Considérant que la société SOCOPAG concluant par maître Mohamed Lamine FAYE, explique que le 06 juillet 2002, le sieur COULIBALY Gaoussou a fait pratiquer entre ses mains une saisie conservatoire portant sur des lots de cacao entreposés dans ses magasins, ce, en vertu d'une ordonnance saisie - conservatoire, N0 2420/2002 en date du 13 juin 2002;
Que cette saisie pratiquée a été faite en fraude de la loi puis que l'huissier n'a pas interpellé le tiers saisi sur la matérialité lors du cacao, violant ainsi les dispositions d'ordre public de l'article 64 de l'Acte Uniforme;
Que c'est pourquoi la seule réponse mentionnée dans le procès-verbal de saisie porte sur des éventuelles saisies antérieures;
Qu'il a été mentionné que les produits stockés, dans le magasin était de 175 tonnes de cacao n'ayant pas fait l'objet d'une saisie antérieure, sans aucune autre précision;
Qu'ayant relevé que la saisie était pratiquée au préju­dice de la Société NECCAF-CI qui n'avait entreposé aucun lot dans les magasins de la société SOCOPAG, celle-ci a procédé à une déclaration rectificative suivant exploit en date du 15 juillet 2002;
Qu'alors que cette déclaration aurait dû mettre un terme à l'incident, le sieur COULIBALY Gaoussou a signifié le 17 février 2003 un arrêt de la Cour Suprême portant continuation des poursuites puis il fait dresser par maître BERTE Seydou, un procès-verbal de recollement ou vérification précédant la vente;
Que par ordonnance N° 1247/2003 du 18 mars 2003, elle, SOCOPAG a été autorisée à assigner à bref délai le sieur Gaoussou COULIBALY et Maître BERTE Seydou pour statuer sur les mérites de la requête;
Que pour une bonne administration de la justice, elle a par exploit d'huissier en date du 27 février 2003, fait délivrer aux sociétés NECCAF-CI et COOPAI une assignation en intervention fondée;
Que par l'ordonnance de référé entreprise, le juge des référés faisait droit à la requête;
Qu'alors la société SOCOPAG soutient que la décision querellée est juste;
Qu'elle rappelle que contrairement à l'opinion du sieur Gaoussou, elle était fondée à saisir le juge des référés afin qu'il constate et fasse cesser immédiatement les saisies intempestives faites sur des lots de cacao appartenant à ses clients;
Qu'elle conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise;
Considérant que la société COOPAI, autre intimée concluant par la SCPA SAKHO-KAMARA et Associés, fait savoir que les lots de cacao dont il s'agit ont été achetés par elle avec la société NECCAF-CI entre les mains de laquelle le prix a été reversé;
Qu'elle à enlevé son cacao depuis longtemps et l'a revendu à des sociétés exportatrices;
Qu'elle a donné décharge à la société SOCOPAG qui lui a restitué son cacao dans l'état où elle l'a fait entrer dans ses magasins;
Que le cacao litigieux n'est plus entreposé chez SOCOPAG;
Qu'elle demande l'infirmation de l'ordonnance entreprise;
Considérant que la société NECCAF-CI, autre intimée, bien que régulièrement cité à son siège n'a ni conclu ni comparu il échet donc de statuer contradictoirement à son égard;
SUR CE :
EN LA FORME
Considérant que l'appel régulièrement intervenu est recevable;
De l'irrecevabilité de l 'action en nullité de la société SOCOPAG
Considérant qu'il résulte de l'ordonnance de référé N° 1247/2003 du l8 Mars 2003 que la société SOCOPAG demande à la juridiction Présidentielle d'ordonner la main-levée de la saisie pratiquée, et l'annulation des mesures d'exécution;
Or considérant qu'aux termes de l'article 140 de l'Acte Uniforme portant procédures simplifiées de créances et voies d'exécution que l'action en nullité de la saisie portant sur un bien dont le débiteur n'est pas propriétaire appartient audit débiteur;
Que dès lors l'action en nullité diligentée par la Société SOCOPAG, tiers saisi est irrecevable dans la mesure où celle-ci n'a pas qualité pour initier pareille action;
Qu'il convient donc d'infirmer la décision querellée;
Des dépens
Considérant que les intimés succombant doivent supporter les dépens;
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME :
– Déclare COULIBALY Gaoussou recevable en son appel relevé de l'ordonnance de référé N° 1247/2003 rendue le 18 mars 2003 par la juridiction Présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
AU FOND :
– L'y :dit bien fondée;
– Infirme ladite ordonnance;
– Statuant à nouveau;
– Déclare irrecevable l'action en nullité de la Société SOCOPAG,
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur Agrégé de droit, Consultant
Il est exact que lorsqu'une saisie est pratiquée sur le bien d'une personne autre que le débiteur, elle est irrégulière, sauf si le propriétaire dudit bien est caution réelle du débiteur.
L'AUPSRVE permet deux actions pour neutraliser une telle saisie :
– l'article 140 accorde au débiteur une action en nullité de la saisie;
– l'article 141 accorde au tiers propriétaire une action en distraction de la chose saisie, lui permettant de retirer cette chose.
En fondant son action sur la nullité (article 140) au lieu de la distraction (article 141), il commet une erreur, certes mais nous pensons qu'elle est lourde et injustifiée.
Lourde car elle oblige le tiers à reprendre une autre procédure, source de frais et l'expose à une vente de sa propriété s'il tarde quelque peu à le faire.
Injustifiée car :
– une telle erreur n'est assortie d'aucune sanction;
– les deux actions aboutissent au même résultat : retirer de la saisie le bien saisi à tort;
– le juge peut requalifier la procédure en lui restituant sa véritable nature; en agissant ainsi, non seulement il redresse une erreur mais il ne cause aucun grief au saisi ni au saisissant.