J-03-331
DROIT COMMERCIAL GENERAL – BAIL COMMERCIAL – QUALIFICATION.
N’est un bail commercial que celui qui permet au locataire d’exploiter dans les lieux loués avec l’accord du propriétaire, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou professionnelle.
N’a pas cette nature le bail conclu entre une société et une personne physique, dès lors qu’il est expressément indiqué dans le contrat de bail qu’il s’agit d’un bail d’habitation.
(Cour d’Appel d’Abidjan, Arrêt N° 811 du 08 juillet 2003, LA Société SOCOPIM C/ A. D de feu ADOU KOUASSI Christophe).
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Par acte d’huissier en date du 15 avril 2003, la SOCOPIM a interjeté appel de l’ordonnance de référé n°1261 rendu le 19 mars 2003 par la juridiction présidentielle du tribunal de première Instance d’Abidjan dont le dispositif est ainsi libellé :
"…Ordonnons l’expulsion de la Société SOCOPIM, des lieux qu’elle occupe tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef pour non paiement de loyer sous réserve de l’article de la loi n°77-995 du 18 décembre 1977 "
La SOCOPIM expose au soutien de son appel que suivant bail en date du 20 juillet 1996, le sieur ADOU CHRISTOPHE lui a donné en location son immeuble 4 pièces sis à Abidjan afin d’y loger un de ses dirigeants;
L’appelante explique qu’elle a passé ledit bail dans le cadre de son activité commerciale mais que bien que l’usage soit pour habitation, les parties sont unies par un bail commercial en raison du principe selon lequel l’accessoire suit le principal;
La SOCOPIM soutient que malgré l’exception d’incompétence qu’elle a soulevée, le juge des référés a ordonné son expulsion;
L’appelante excipe in limine litis de l’incompétence du juge des référés et explique qu’aux termes de l’article 101 in fine de l’acte Uniforme relatif au Droit Commercial général : « … le jugement prononçant la résiliation ne peut intervenir qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suivant notification de la demande aux créanciers inscrits ».
La SOCOPIM tire comme conséquence de cette disposition que concernant les baux à usage commercial, la résiliation ne peut être obtenue que par jugement et explique que les juridictions statuant an matière de référé n’ayant pas vocation à rendre des jugements, ne peuvent valablement mettre fin à un contrat de bail commercial et prononcer l’expulsion du preneur comme conséquence de la résiliation;
Elle souligne qu’en l’espèce, il est constant que la société SOCOPIM SARL est une société commerciale et qu’il est également établi que dans le cadre de son activité, elle a contracté un bail en vue de la location d’un de ses dirigeants;
L’appelante explique qu’il résulte enfin de la procédure observée par les ayants droit d’ADOU Christophe, qu’ils ont pleine conscience de ce que le bail liant les parties est commercial puisque dans l’optique d’une expulsion, le bailleur a fait délaisser en date du 24 septembre 2002 une mise en demeure à son locataire conformément à l’article 101 précité, et après avoir observé le délai d’un mois exigé par ledit article, le bailleur a donné assignation en expulsion à son locataire le 29 octobre 2002;
LA SOCOPIM explique qu’en faisant application de la théorie des actes accessoires la Cour n’aura aucune peine à dire que l’on est en présence d’un bail commercial et infirmera l’ordonnance querellée;.
Par ailleurs l’appelante explique que dans sa décision d’expulsion, le premier juge a prononcé l’expulsion de la SOCOPIM sous réserve de l’article 10 de la loi de 1977 relative aux baux à usage habitation;
La SOCOPIM estime qu’après avoir fait sienne la démonstration sur le caractère commercial du bail en présence, la Cour constatera que c’est à tort que le premier juge a cru pouvoir ordonner l’expulsion de la SOCOPIM sous réserve de paiement et qu’en statuant ainsi le Tribunal a fait usage d’une disposition inapplicable aux baux à usage commerciaux;
En réplique les ayants droit de feu ADOU Christophe explique qu’il est inexact de faire croire à la Cour que le bail signé entre la SOCOPIM et feu ADOU Christophe pour la location d’une villa de cinq (5) pièces sise à Cocody-Mermoz du fait de la SOCOPIM est un bail commercial, même si l’un des signataires est une Société fonctionnant sous la forme d’une SARL et que ce contrat de bail aurait la nature d’un bail commercial si la SOCOPIM y exerçait ses activités;
Les intimés font remarquer qu’il est spécifié sur l’acte d’appel de la SOCOPIM que ladite SARL est sise au Plateau, Rue de Commerce, Immeuble NABIL au 2ème étage;
Il est concluent que le siège de la SOCOPIM n’étant pas sis à la villa louée à Mermoz et qui sert d’habitation à dame FAREZ qui n’est pas employée de cette entreprise, l’appelante ne peut valablement soutenir qu’il s’agit d’un bail commercial;
Répliquant à son tour la SOCOPIM explique qu’il est de jurisprudence constante et de doctrine unanime que la nature d’un contrat ne pourra point être le seul fruit des termes qu’il contient dès lors que les faits qui entourent la formation et l’exécution dudit contrat relève une autre réalité.
Poursuivent son argumentation, la SOCOPIM explique que s’il apparaît que les parties ont entendu donner une nature autre que celle inscrite au contrat, à leur relation, le juge doit se conformer non à ce qui est écrit mais plutôt à ce qui est en réalité convenu, tant une erreur peut s’être glissée dans la transcription de la volonté des parties (cf CASS.CIV 1er juillet 1925; DP 1926, 1, 187);
La SOCOPIM souligne qu’en l’espèce, il est constant que l’une des parties au contrat de bail du 20 juillet 1995 est une personne morale, voire une Société de type commercial de par la forme et qu’en tant que SARL elle ne peut et ne doit passer que des actes de commerce;
La SOCOPIM fait remarquer qu’il était déjà incorrect à la formation du contrat de faire cohabiter dans le même écrit, que l’un des cocontractants est une Société commerciale et que le contrat est un bail d’habitation;
DES MOTIFS
EN LA FORME
La SOCOPIM ayant relevé appel dans les conditions de forme et délai prescrits par la loi, il convient de la déclarer recevable;
AU FOND
L’article 71 de l’acte Uniforme relatif au droit commercial général dispose que :" Est réputée bail commercial toute convention, même non écrite, existant entre le propriétaire d’un immeuble ou d’une partie d’un immeuble compris dans le champ d’application de l’article 69, et toute personne physique ou morale, permettant à cette dernière, d’exploiter dans les lieux avec l’accord du propriétaire, toute activité commerciale, industrielle, artisanale ou professionnelle ".
Par ailleurs, il ressort clairement du contrat de bail signé entre les parties en date du 20 juillet 1995, que le bail dont s’agit est à usage d’habitation;
Il convient dès lors de dire que le bail conclu entre la SOCOPIM et feu ADOU Christophe n’est pas un bail commercial et que partant le juge des référés est compétent pour connaître de l’action en expulsion pour cause de non paiement de loyers échus;
Cette action étant fondée ainsi qu’il en résulte des productions, il échet donc de confirmer le jugement entrepris;
SOCOPIM qui succombe doit supporter les dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en dernier ressort;
Déclare la SOCOPIM recevable en son appel relevé de l’ordonnance N°1261 rendu le 19 Mars 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan;
L’y dit mal fondée;
L’en déboute;
Confirme l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions;
La condamne aux dépens.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Il ne suffit pas de relever qu’un bail est qualifié à usage d’habitation par les parties pour en conclure qu’il ne s’agit pas d’un bail commercial. Les juges d’appel auraient dû relever ce qui, dans les faits en faisait un bail à usage d’habitation au lieu de s’en tenir aux écrits des parties dans le contrat. La décision est peut-être justifiée au fond mais elle est insuffisamment motivée.