J-03-350
VOIES D’EXECUTION – NATURE DE LA JURIDICTION COMPETENTE POUR CONNAITRE DES DIFFICULTES D’EXECUTION.
SAISIE – DROIT DE VERIFICATION DE LA REGULARITE ET DE LA VALIDITE DE LA SAISIE PAR LE TIERS SAISI (NON).
La juridiction compétente pour connaître des difficultés liées aux voies d’exécution est un véritable juge de fond.
En cas de saisie, le tiers saisi n’a pas le droit de vérifier la régularité et la validité de la saisie.
(Cour d’Appel d’Abidjan, Arrêt du 05 septembre 2003, Etat de Côte d’Ivoire C/ BAMBA AMADOU, BAMBA IBRAHIM, BAMBA AWA, AKOUANY Paul).
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort, sur l’appel de l’Etat de Côte d’Ivoire, ayant pour conseil, Maître BLAY CHARLES, Avocat à la Cour, relevé par exploit du 21 Août 2003 de l’ordonnance de référé N°3830 rendu le 06 Août 2003 par la Juridiction Présidentielle du Tribunal d’Abidjan, dont le dispositif est ainsi libellé :
"Ordonnons la jonction des procédures RG 3375/03 et RG 3190/03;
Déclarons recevables mais mal fondés l'action initiée par l'Etat de Côte d'Ivoire;
Recevons AKOUANY PAUL et les ayants-droit de feu BAMBA FETEGUE en leur action;
Faisons injonction à l’Etat de Côte d’Ivoire de payer aux demandeurs les causes des saisies;
Condamnons les défendeurs aux dépens ";
Considérant qu'aux termes de son acte d'Appel motivé, l'Etat de Côte d'Ivoire par le canal de son conseil Maître BLAY CHARLES, Avocat à la cour, fait valoir s’agissant des saisies : que la première saisie conservatoire de créance pratiquée entre ses mains le 07/02/2003, par BAMBA AMADOU et autres pour garantir le paiement de la somme totale de 107.257.208 F, n'a jamais été suivie à ce jour, d'une assignation au fond;
Que la deuxième saisie, qui est une saisie attribution de créances pratiquée le 20/02/2003 par AKOUANY PAUL pour avoir paiement de la somme de 20.987.829 F;
Que cependant l'ordonnance attaquée lui fait injonction de payer les causes de la saisie sans indiquer laquelle des saisies;
Qu’en tout état de cause, s'il est vrai que les intimés ont fait état de ces saisies dans leur requête aux fins de référé, il n'en demeure pas moins que l'unique demande qu'ils ont clairement formulée est relative à la condamnation de l'Etat de Côte d'Ivoire à payer entre les mains du séquestre désigné par voie d'ordonnance;
Dès lors et en prononçant comme il l'a fait, le juge des référés a statué ultra petita;
Que l'Etat de Cote d'Ivoire poursuit en faisant valoir :
Qu’à supposer le contraire, force sera tout de même de reconnaître que le paiement effectué par ses services entre les mains de la société EGBVGI rend les saisies caduques et sans objet;
Que de telles saisies, ne peuvent juridiquement Justifier l'ordonnance querellée qui doit, par conséquent, être infirmée;
En tout état de cause, et s'il s'avère qu'il a mal payé, il appartiendra au Juge du fond, et uniquement a lui, de le dire, le juge des référés étant manifestement incompétent pour prononcer une telle condamnation;
Considérant que s'agissant de l'ordonnance sur séquestre, l'appelant soutient qu'ici encore, force est de reconnaître que le paiement effectué entre les mains de la société EGBVCI rend caduque et sans objet l'exécution d'une telle ordonnance;
Mieux, l'ordonnance de séquestre N°981 du 17 Mars 2003 édicte une obligation de faire à rencontre de l’Etat de Côte d'Ivoire;
Or, attendu qu'il est constant en droit (article 1142 du code civil), qu'en cas d'inexécution, une obligation de faire se résout en dommages et intérêts;
Qu'il appartient donc aux intimés de mieux se pourvoir;
Qu’en statuant ainsi qu'il l'a fait, le juge des référés s’est implicitement comporté comme un juge du fond;
Que sa décision doit par conséquent être infirmé;
Considérant qu’enfin l'appelant rappelle que l'ordonnance de référé dont appel lui fait injonction de payer que la question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si le juge des référés est compétent pour ordonner à l'administration d’agir dans un sens précis;
Qu’à cette question, le droit répond par la négative;
Et cela résulte d'une règle de droit public selon lequel le juge des référés ne peut, en aucune façon, faire une quelconque injonction à l'administration;
Que cette règle trouve son origine dans le principe dit de "l’indépendance de l'administration à l'égard du juge"
Qui interdit au juge de prononcer des condamnations visant à contraindre l’administration à agir d'une certaine manière;
Il résulte de l'argument sus développé que le juge des référés est manifestement incompétent pour se prononcer ainsi qu’il l’a fait;
L'appelant produit des pièces;
Considérant qu'en réplique, AKOUANY PAUL et autres intimés, par le canal de leur conseil, Maître JOUR-VENANCE SERY, Avocat la Cour conclut à la confirmation de l'ordonnance attaquée;
Considérant que les parties comparaissent et concluent par conseil, il y a lieu de statuer contradictoirement à leur égard;
DES MOTIFS
EN LA FORME :
Considérant que l'appel relevé dans les forme et délai est recevable;
AU FOND :
Considérant que contrairement aux prétentions de l’appelant, s’agissant de voies d'exécution, les dispositions de l’article 49 du traité OHADA relatif aux voies d'exécution donne compétence exclusive à la juridiction Présidentielle du lieu des saisies, statuant en matière d'urgence;
Que cette juridiction, véritable juge du fond, est tout à fait compétente pour statuer sur le litige qui lui était soumis;
Considérant que s'agissant de la validité des saisies, il convient de relever qu'il n'appartient pas au tiers saisi d'apprécier la régularité et la validité des saisies pratiquées entre les mains et ne peut se dessaisir des sommes saisies arrêtées entre des mains sans ordre contraire du juge;
Qu’en passant outre ces mesures, il viole les dispositions de l’article 38 du traité OHADA et peut donc être valablement condamné au paiement des causes des saisies, de sorte que le paiement effectué par l’Etat de Côte d'Ivoire entre les mains du débiteur saisi, ne peut rendre caduques ni les saisies ni l’ordonnance de séquestre;
Qu’il apparaît dès lors que le premier juge en statuant comme il l'a fait, a fait une exacte appréciation des faits et une bonne application des dispositions des articles 38 et 168 du traité précité, de sorte qu'il convient de confirmer la décision attaquée;
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME :
Déclare l'Etat de Côte d'Ivoire d'une part, AKOUANY PAUL et autres d'autre, part, recevables en leurs appels principal et incident relevés de l'ordonnance de référé N°3830 rendue le 06 AOUT 2003 par la juridiction Présidentielle du Tribunal d'Abidjan;
AU FOND :
Les y dit mal fondés;
Les en déboute;
Confirme en toutes ses dispositions, l'ordonnance attaquée;
Condamne l'Etat de Côte d'Ivoire aux dépens.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Nous ne sommes pas d’accord avec la cour d’appel lorsqu’elle déclare que le tiers saisi n’a pas le droit de demander la vérification de la régularité de la saisie. Elle a intérêt à agir de la sorte pour échapper à ses obligations de tiers saisi qui sont lourdes de conséquences. Si elle y un intérêt, elle a donc le droit d’agir. Il en est ainsi, notamment lorsque le créancier saisissant n’a pas de créance causée ou qu’il y a collusion frauduleuse entre lui et le débiteur saisi.