J-04-03
DROIT COMMERCIAL GENERAL – FONDS DE COMMERCE – CESSION DU FONDS DE COMMERCE – ARTICLES 115 ET SUIVANTS AUDCG – APPLICATION DES REGLES GENERALES DE VENTE – ARTICLES 1582 ET 1607 DU CODE CIVIL BURKINABE – OBLIGATIONS DU VENDEUR – NON-RESPECT DES OBLIGATIONS DE DELIVRANCE ET DE GARANTIE – TROUBLES DE JOUISSANCE – CONCURRENCE DELOYALE – INTENTION DE NUIRE – MAUVAISE FOI – DOMMAGES ET INTERETS (Oui).
La clientèle étant l'élément clé d'un fond de commerce, aucune cession n'est valable que lorsque celle-ci est cédée. Sa cession n'est possible que lorsque le cédant s'abstient de poser des actes tentant à la détourner.
(TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE OUAGADOUGOU (BURKINA FASO), Jugement n° 984 du 12 décembre 2001, OK-RAIDS c/ LATIL).
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS - MOYENS DES PARTIES
Par exploit d'huissier de justice, GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno, directeur général de OKRAIDS a donné assignation à LATIL René d'avoir à comparaître devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou à l’effet de voir condamner celui-ci à lui payer la somme de 25 millions à titre de dommages intérêts pour préjudices économique et commercial subis, ordonner une publicité de la décision, assortir celle-ci de l'exécution provisoire;
A l'appui de sa cause, le demandeur explique que LATIIL René lui a vendu un fond de commerce portant sur l'enseigne et la clientèle, le matériel et mobilier corporel de même que la jouissance des lieux d'exploitation; qu'après la vente, le défendeur entretien la confusion auprès du public laissant croire qu'il est toujours propriétaire de OK-RAIDS, qu'à titre illustratif, il a enregistré un véhicule personnel au poste de police de Thiou sous l'appellation OK-RAIDS et qu'il a aménagé dans l'enceinte de l'hôtel OK-INN un camion 4 x 4 équipé de deux citernes d'eau et d'une caisse frigorifique du même modèle que celui qui a été vendu et s'adonne à des sorties touristiques avec des clients au nom de OK-RAIDS; que par ailleurs il usurpe la qualité de directeur général de OK-RAIDS; qu'il s'est en outre refusé de fermer le compte BICIA-B ouvert au nom de la société cédée; qu'ainsi il détourne littéralement la clientèle vendue; GALOUZEAU DE VILLEPIN ajoute que depuis la vente du fonds LATIL René s'adonne à des pratiques anti-concurrentielles en exigeant des conditions de paiement inhabituelles surtout dissuasives aux clients venant de l'extérieur; qu'il a par ailleurs argumenté unilatéralement. Le bail de 50 % alors même que le contrat de bail était fait pour trois ans;
En réplique LATIL René ayant pour conseil maître Issouf BAADHIO expose qu'il est le directeur général de l'hôtel OK INN, que c'est au sein de cet hôtel qu'a été crée OK-RAIDS qui est une agence de voyage; que pendant 15 ans il a exploité OK-RAIDS de sorte que ladite agence s'identifie à sa personne; que si confusion il y a sur la personne du gérant de cette agence, cette confusion n'est nullement de son fait surtout qu'il y a moins d'un an que l'agence a été cedée; qu'il ne s'est jamais présenté personnellement comme Directeur de OK-RAIDS que c'est à tort que le présentateur de soirée organisée pour le lancement de Ouaga Katering Service O.K.S. l'a présenté comme le directeur général de OK-RAIDS, toute chose qu'il a d'ailleurs rectifiée séance tenante; que par ailleurs, il n'est pas en manque de titre de Directeur puisse qu'il l'est déjà de OK INN; qu'aucune raison ne saurait justifier une usurpation d'un tel titre de sa part et que si telle est la conviction du demandeur, il aurait pu saisir le Tribunal pénal;
Concernant l'enregistrement du véhicule au poste de police de Thiou sous l'appellation de OK-RAIDS, LATIL René explique qu'il s'agit d'un véhicule qui ne faisait pas partie du contrat de vente et qui devait être vendu par ailleurs; que mais dans l'attente de procéder aux mutations au nom du nouvel acquéreur, la carte grise continuait de porter le nom de OKRAIDS; que pourtant c'est seul ce document qui sert à l'enregistrement; que le demandeur ne saurait lui denier en outre le droit d'acquérir d'autres véhicules; répondant à l'accusation de pratiques commerciales discriminatoires, LATIL René explique qu'il faisait des prix en deçà du prix réel servi aux clients ordinaires; qu'il est de son droit d'appliquer un prix uniforme à tous les clients, que l'exigence d'un acompte préalable répond à la défaillance de certains clients d'OK-RAIDS et au soucis d'éviter des pertes sèches dues à la réservation de chambres fantaisistes; LATIL René, au sujet des mesures de publicité estime lesdites mesures sans objet car la direction de OK INN a déjà entrepris la publication dans le journal SIDWAYA d'un communiqué indiquant clairement qu'elle n'est plus propriétaire de OK-RAIDS; que concernant l'exécution provisoire, celle-ci est subordonnée à la consignation du montant des sommes dont l'exécution est demandée; LATIL René conclut au rejet de la demande et à la condamnation aux entiers dépens; le dossier enrôlé pour l'audience du 31 janvier 2002 a fait l'objet de plusieurs renvois avant d'être mis en délibéré pour le 21/11/2001, ledit délibéré a été rabattu pour production de conclusions; le dossier a été remis en délibéré au 12/12/2001, advenue cette date, le Tribunal a statué en ces termes;
DISCUSSIONS
Attendu qu'il est constant que LATIL René et GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno on passé un contrat de vente de fonds de commerce le 06/11/2000, que ladite vente portait sur la clientèle, l'achalandage, le nom commercial, le droit au bail pour un montant de six millions et le matériel et mobilier commercial pour un montant d'un million;
Attendu que le cessionnaire demande la condamnation du vendeur à lui payer la somme de 25 millions pour pratique de concurrence déloyale se traduisant par des actes positifs de trouble dans l'idée de la clientèle, usurpation de titre pratiques anticoncurrentielles; qu'en réplique, le défendeur conclut au rejet pur et simple de la demande;
Attendu que la vente d'un fonds de commerce est réglementé par les articles 115 et suivants le l'acte uniforme OHADA portant sur le droit commercial général; que ces dispositions renvoient aux règles générales de la vente, qu'il échet donc se reporter aux articles 1582 et suivants du code civil; que conformément aux dites dispositions, les obligations du vendeur se résument en deux points essentiels, l'obligation de délivrance et l'obligation de garantie contre l'éviction et contre les vices cachés;
Sur l'obligation de délivrance
Attendu que la délivrance et le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur; que concernant le fonds de commerce qui est un bien meuble incorporel, la délivrance devra s'entendre au sens de l'article 1607 du code civil ou par la remise des titres ou par l'usage que l'acquéreur en fait du consentement du vendeur; qu'en application des textes légaux, le vendeur du fond de commerce a l'obligation de délivrer les éléments sur lesquels portent la vente; attendu qu'en l'espèce, il est produit au dossier un contrat de vente entre LATIL René et GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno portant sur les éléments suivants : clientèle, achalandage, nom commercial, droit au bail, mobilier et matériel d'un montant total de 7.000.000 de francs CFA; qu'un tel contrat étant synallagmatique chacune des parties est tenue d'honorer ses engagements; que GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno a honoré les siens en payant le prix; que quant à LATIL René, son obligation se traduit par une abstention; qu'en effet la clientèle étant l'élément clé d'un fond de commerce, aucune cession n'est valable que lorsque celle-ci est cédée;
Attendu que la clientèle est un élément abstrait; que sa cession n'est possible que lorsque le cédant s'abstient de poser des actes tentant à la détourner; qu'en continuant de se comporter en propriétaire du fond vendu par des actes tels que le refus de fermer le compte bancaire BICIA-B ouvert au nom de la société cédée, l’enregistrement d'un véhicule au poste de police de Thiou sous le nom de la dite société, l'aménagement de camion 4 x 4 équipé de citerne et d'un camion frigorifique du même modèle que celui cédé, la continuation des sorties touristiques avec des clients d'OK-RAIDS, l'usurpation du titre de directeur général, l'exigence de conditions plus difficiles d'hébergements des clients d'OK-RAIDS etc... LATIL René ne saurait prétendre qu'il a effectivement cédé la clientèle; que l’obligation de délivrance n'a pas été donc respectée par le cédant;
Sur l'obligation de garantie
Attendu que dans toute vente le vendeur a l’obligation de garantir l’acquéreur contre l’éviction et contre les vices cachés; que si dans le cas d'espèce aucun vice caché n'a été décelé, il en va autrement pour la garantie contre l'éviction; que LATIL René qui avait l'obligation de garantir à son acheteur la jouissance paisible et entière des biens cédés est le propre artisan des troubles de jouissance dont souffre son cocontractant.
Qu'en se comportant tel qu'il l'a fait, LATIL René empêche manifestement GALOUZEAU de VILLEPIN Maurice Bruno de jouir du fruit de son contrat; qu'il y a encore violation de sa part de cette obligation du vendeur;
Sur la concurrence déloyale
Attendu qu'à défaut de définition universelle de la concurrence déloyale, celle-ci devrait s'entendre de tout acte susceptible de semer le trouble dans la mentalité du client; qu'à l'analyse du présent dossier, il ressort qu'en l'espèce, LATIL René, après avoir vendu son fond de commerce portant sur l'agence de voyage OK-RAIDS a eu des comportements qui méritent analyse; qu'en effet il lui est reproché d'avoir enregistré un véhicule au poste de police de Thiou au nom de l'agence vendue, d'avoir aménagé un camion de manière identique à celui vendu, d'avoir continué à organiser des voyages touristiques avec la clientèle cédée, de s'être comporté en directeur général de l'agence, d'avoir endurci les conditions de séjour de la clientèle; qu'en réponse LATIL René explique que concernant l'enregistrement du véhicule, la carte grise portant toujours le nom de OK-RAIDS, ce n'est pas sciemment qu'il a enregistré le véhicule à ce nom, la police se referant uniquement à cette pièce; que cet argument est inopérant, qu'après la vente du nom commercial il eût fallu conformer tous les biens en y tenant compte; que même si le véhicule dont il s'agit ne faisait pas partie du contrat, à partir du moment où le nom commercial est vendu, la carte grise comportant un tel nom devient préjudiciable au cocontractant s'il ne porte pas de modification;
Attendu que concernant l'aménagement du véhicule camion équipé de citerne d'eau, LATIL René explique que son cocontractant ne saurait lui denier en dépit de la vente le droit d'acquérir d'autre véhicule; attendu que le véhicule incriminé est aménagé sur le même site que celui vendu; qu'à défaut de preuve contraire, un tel comportement dénote de sa mauvaise foi, que le client ne saurait faire la différence entre les propriétaires des deux véhicules surtout qu'il est reproché par ailleurs au vendeur de s'adonner aux mêmes activités que l’acquéreur; que s'il est vrai qu'il est loisible à toute personne de faire tel ou tel négoce qu'il lui semble bon depuis la loi le chapelier de 1787, il est aussi vrai qu'après avoir vendu un fonds de commerce, le vendeur conformément à l'obligation de délivrance et de garantie devrait s'abstenir de tout comportement tendant à semer le trouble chez le client; que c'est à bon droit que GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno condamne cet agissement de LATIL René; qu'après avoir vendu son fonds de commerce, le principe général de la liberté de commerce ne saurait désormais s'entendre au sens large à son égard, ladite liberté étant diminuée des activités du fonds vendu;
Attendu que sur le point d'accusation de l'usurpation du titre de directeur général, LATIL René explique qu'ayant occupé ledit poste pendant plus de 15 ans, ce n'est pas par son fait que l'animateur lors du lancement de OK Katering Service l'a appelé sous le vocable de directeur général de OK-RAIDS; que d'ailleurs séance tenante il a porté une rectification, que sur ce point, il peut lui être accordé le bénéfice de la bonne foi encore que la rectification apportée avait un but commercial puisqu'il s'agissait d'une remise de prix au nom de OK INN;
Attendu que concernant l’endurcissement des conditions de séjour des clients de OK-RAIDS, LATIL René argue qu'il ne s'agit que d'une adaptation aux conditions données par tous les hôtels de la place; que tenant compte de cette adaptation il est de principe général dans les hôtels de la place que c'est le dernier jour du séjour que le client doit payer l’hôtel; qu'en exigeant un premier versement de 50% pendant la réservation et un second de la totalité la veille d'arrivée, LATIL René s'écarte de la coutume des hôtels; qu'en la matière ce n'est pas un hasard si le code pénal prenant en compte le principe général du paiement après service a prévu la filouterie d'hôtel à son article 470; qu'il y a indubitablement intention de nuire de la part de LATIL René;
Attendu que tous ces agissements du défendeur tendent à entretenir la confusion dans la tête des clients; qu'il s'en suit que sa mauvaise foi est établie;
Attendu par ailleurs qu'après avoir conclu avec l’acheteur un contrat de bail portant sur une somme de 30.000 F CFA et valable pour trois ans, LATIL René a unilatéralement révisé le prix du loyer avant échéance à 50.000 F CFA; qu'il y a là également violation de l'article 1134 du code civil; que GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno est fondé à réclamer réparation à LATIL René;
Sur le montant de la réparation
Attendu que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer; que ce principe de la réparation emporte la réunion de trois éléments : la faute, le dommage et le lien de causalité;
Attendu qu'après la vente d'un fonds de commerce, le vendeur a une obligation de garantir la jouissance paisible dudit fonds à l'acheteur; qu'en application de cette obligation, le vendeur est tenu de s'abstenir de tout comportement pouvant apporter un trouble dans l'idée du client; qu'en agissant comme il l'a fait, LATIL René a commis une faute grave pouvant entraîner réparation;
Attendu qu'en matière de concurrence déloyale, le dommage se résume à une baisse de la clientèle qui est l'élément autour duquel tous les actes d'un fonds de commerce se réunissent; que concernant le lien de causalité entre la faute et le dommage, il est non équivoque;
Attendu que si le principe de la réparation est acquis, encore faut-il apprécier l’étendue du préjudice; qu’en l’espèce, le demandeur réclame la somme de 25 millions de F CFA; que s'agissant d'un fonds nouvellement cédé, l'appréciation du préjudice ne saurait se résumer en un calcul mathématique consistant à faire la différence entre le chiffre d'affaire d'antan et celui après les agissements du défendeur; qu'en l’espèce, l’acquéreur du fonds n'a jamais pu estimer son chiffre d'affaire réel, le vendeur ayant commencé les troubles dès les premiers moments de l’exploitation; que néanmoins le montant demandé est excessif; qu'en ce référant à la moyenne des chiffres d'affaire des autres entreprises menant la même activité, le Tribunal fixe le montant du préjudice à 5.000.000 F CFA.
Sur la publication
Attendu qu'un des fondements de l'action en concurrence déloyale c'est en plus de la réparation du préjudice, la cessation des agissements déloyaux; qu'en l’espèce, il est demandé au tribunal d'ordonner la publication du dispositif du présent jugement dans les journaux; que cette demande peut être retenue;
Sur l'exécution provisoire
Attendu que GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno demande l'exécution provisoire du présent jugement; que cette demande est réfutée par le défendeur au motif qu'il n'y a pas eu de consignation préalable; qu'à la lecture de l'article 401 du code de procédure civile, la consignation n'est pas une condition obligatoire de la recevabilité; qu'il est simplement fait obligation au juge de motiver une décision favorable à la demande;
Attendu qu'en l'espèce, il s'avère que les comportements incriminés se poursuivent dans le temps, qu'il y a urgence à ce que le présent jugement soit exécuté que l'exécution provisoire est la voie la plus adaptée qu'elle permet de baliser le quantum du préjudice subi sans qu'il ne soit besoin pour une éventuelle voie de recours de devoir modifier le montant de la demande du fait de la poursuite du comportement nuisible du défendeur.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort
EN LA FORME
Déclare GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno recevable en son action
AU FOND
Le déclare bien fondé en son action, condamne par conséquent LATEL René à payer à GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno la somme de 5.000.000 F CFA à titre de dommages et intérêts pour les préjudices économique, commercial subis suite aux faits de concurrence déloyale établie.
Déboute GALOUZEAU DE VILLEPIN Maurice Bruno du surplus de sa demande.
Déboute LATIL René de ses prétentions comme étant mal fondées.
Ordonner la publication du dispositif du présent jugement aux frais de LATIL René dans le journal SIDWAYA
Ordonne l’exécution provisoire du jugement nonobstant appel;
Condamne LATIL René aux dépens.