J-04-107
Voies d'exécution – Exécution forcée -Litige – Juridiction compétente – Président du Tribunal de 1ère Instance ou le Magistrat désigné par lui (oui) – Incompétence du Président de la Cour Suprême – Annulation de l'ordonnance attaquée (Oui).
Tout litige relatif à une mesure d'exécution forcée relève, en application de l'article 49 de l'Acte Uniforme portant voies d'exécution, de la compétence préalable du Président de la juridiction statuant en matière d'urgence et en premier ressort, ou du Magistrat délégué par lui, a savoir en l'espèce, le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan Plateau, ou le Magistrat délégué pour lui.
Dès lors, en retenant sa compétence, le Président de la Cour Suprême a méconnu les dispositions de l'article 49 précité, et l'ordonnance attaquée encourt l'annulation.
(Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, CCJA, ARRET N° 011/2003 du 19 juin 2003, M. C. C. K. et S. C. K. contre Société LOTENY TELECOM. Le Juris-Ohada n° 3/2003, juillet-septembre 2003, p. 26; Recueil de jurisprudence CCJA, n° 1, janvier-juin 2003, p. 32).
Sur le recours formé le 11 juin 2002 par Maître Georges Patrick VIERA, Avocat à la Cour, 3, rue des Fromagers 01 BP. V 159 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de M.C.C.K. et S.C.K., ayants droit de feu K.V.B., dans la cause opposant ceux-ci à la Société LOTENY TELECOM S.A., Société anonyme dont le siège est à Abidjan Plateau, 12 avenue Cresson Duplessis, 01 B.P. 3865 Abidjan 01, ayant pour Conseils Maîtres René BOURGOIN et Patrice K. KOUASSI, Avocats à la Cour, demeurant à la Résidence EDEN, 44 avenue Lamblin, 01 BP. 8658 Abidjan 01, en annulation de l'ordonnance de référé N° 020/02 rendue le 15 février 2002 par le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement et contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort;
Nous nous déclarons compétent pour statuer sur la requête présentée par la Société LOTBNY TELECOM;
– Ordonnons la suspension de l'exécution de l'arrêt N° 1176 du 24 août 2001, jusqu'à ce que la Chambre Judiciaire vide le pourvoi pendant devant elle;
– Ordonnons la mainlevée des saisies pratiquées en vertu de cet arrêt;
– Laissons les dépens à la charge du Trésor public ».
Les requérants invoquent à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique d'annulation tel qu'il figure à la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur Jacques M'BOSSO, Premier Vice-Président :
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 18 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure, que K.V.B., alors administrateur et Président du Conseil d'Administration de la Société LOTENY TELECOM, s'était vu relevé de ses fonctions lors d'un conseil d'administration tenu hors sa présence le 10 septembre 1998 à Genève; que considérant irrégulières, au regard des textes régissant cette société, la convocation et les délibérations de ce conseil d'administration du 10 septembre 1998, K.V.B. avait saisi le Tribunal de Première Instance d'Abidjan Plateau, en vue d'en obtenir l'annulation; que n'ayant eu gain de cause par le jugement civil N° 94 rendu le 12 avril 2001 par ledit tribunal, K.V.B. en avait relevé appel devant la Cour d'Appel d'Abidjan; que par son arrêt N° 1176 du 24 août 2001, la Cour d'Appel d'Abidjan avait infirmé le jugement déféré, en accédant à la demande de K.V.B.; qu'en exécution dudit arrêt, K.V.B.N avait pratiqué des saisies conservatoires sur les comptes de la Société LOTENY TELECOM ouverts dans les livres de différents établissements bancaires d'Abidjan; que réagissant aux saisies pratiquées sur ses comptes, la Société LOTENY TELECOM avait saisi le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire, d'une requête aux fins de suspension de l'exécution de l'arrêt N° 1176 du 24 août 2001 et de mainlevée des saisies pratiquées en vertu dudit arrêt; que le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire a, par ordonnance de référé N° 020/02 du 15 février 2002, dont l'annulation est demandée, d'une part, ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêt N° 1176 précité, jusqu'à ce que la Chambre Judiciaire vide le pourvoi pendant devant elle et, d'autre part, décidé de la mainlevée des saisies pratiquées en vertu dudit arrêt;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la défenderesse :
Attendu que la Société LOTENY TELECOM, dans son mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour de céans le 24 janvier 2003, demande de déclarer irrecevable le recours en annulation formé par les ayants droit de feu K.V.B., au motif que ceux-ci « ne justifient plus d'un intérêt pour agir et par conséquent, leur demande en annulation ne saurait être accueillie du fait de la caducité de l'ordonnance en cause, suite à l'arrêt N° 756/02 rendu par la Chambre Civile de la Cour Suprême d'Abidjan le 05 décembre 2002, qui a vidé la cause au fond : que la caducité est l'état d'un acte juridique valable mais privé d'effet, en raison de la survenance d'un fait postérieur à sa création »;
Mais attendu que s'il est exact que l'intérêt d'une action en justice participe des conditions de sa recevabilité, il est de règle qu'il ne s'apprécie qu'à la date de l'introduction de l'instance et ne saurait dépendre pour son existence, des faits postérieurs; qu'en l'espèce, la date d'introduction de l'instance est le 11 juin 2002; qu'à cette date, les requérants justifiaient bien d'un intérêt légitime à agir en justice contre l'ordonnance du Président de la Cour Suprême de Cote d'Ivoire, dont ils contestaient la légalité et qui leur portait préjudice en suspendant l'exécution d'un titre exécutoire régulier, à savoir l'arrêt N° 1176 du 24 août 2001, qui leur était favorable; que la survenance de l'arrêt N° 756/02 du 05 décembre 2002 six mois après la date introduction de l'instance, ne saurait ôter à celle-ci son intérêt; qu'il échet en conséquence, de rejeter la fin de non-recevoir soulevée comme non fondée;
Sur l'annulation :
Vu l'article 49 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu qu'il est fait grief à l'ordonnance attaquée, d'avoir suspendu l'exécution de l'arrêt N° 1176 du 24 août 2001 et décidé de la mainlevée des saisies pratiquées en vertu dudit arrêt, alors que, selon le moyen, l'objet de la requête de la Société LOTENY TELECOM porte sur les voies d'exécution, en l'occurrence la demande de mainlevée d'une saisie conservatoire de créance pratiquée le 17 janvier 2002; que l'article 49 sur les voies d'exécution prévoit que la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d'exécution forcée ou à une saisie conservatoire, est le Président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le magistrat délégué par lui...; qu'il s'ensuit que le juge compétent en cette matière est le Président de la juridiction de première instance du lieu de la saisie ou le magistrat délégué par lui; que c'est à tort que la Société LOTENY TELECOM a saisi le Président de la Cour Suprême; qu'en statuant en dernier ressort dans une matière dévolue à la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, la décision rendue a méconnu la compétence de cette juridiction et encourt l'annulation;
Attendu que la matière des voies d'exécution à laquelle se rattache la présente espèce est régie depuis le 11 juin 1998, date de son entrée en vigueur, par l'Acte Uniforme susvisé; que celui-ci dispose en son article 49, que « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute autre demande relative à une mesure d'exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le Président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le magistrat délégué par lui. La décision est susceptible d'appel dans un délai de quinze jours à compter de son prononcé;
Le délai d'appel, comme l'exercice de cette voie de recours, n'ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du Président de la juridiction compétente »;
Attendu qu'il ressort des dispositions sus énoncées de l'article 49 de l'Acte Uniforme susvisé, que tout litige relatif à une mesure d'exécution forcée relève, quelle que soit l'origine du titre exécutoire en vertu duquel elle est poursuivie, de la compétence préalable du Président de la juridiction statuant en matière d'urgence et en premier ressort ou du magistrat délégué par lui; qu'il s'ensuit qu'en l'espèce, le juge compétent pour connaître des difficultés nées de la saisie attribution pratiquée sur les comptes de la Société LOTENY TELECOM en exécution de l'arrêt N° 1176 du 24 août 2001, est le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan Plateau ou le magistrat délégué par lui; qu'il en résulte qu'en retenant sa compétence et en rendant l'ordonnance attaquée, le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire a méconnu les dispositions susmentionnées et exposé sa décision à l'annulation; qu'il échet en conséquence, d'annuler l'ordonnance N° 020/02 du 15 février 2002, pour cause de violation de la loi;
Attendu que la Société LOTENY TELECOM ayant succombé, doit être condamnée aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré;
– Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la Société LOTENY TELECOM;
– Annule l'ordonnance N° 020/02 rendue le 15 février 2002 par le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire.
Président : M. Seydou BA.