J-04-111
Sociétés commerciales – Société anonyme – Constitution – Souscription du quart des actions – Libération (non) – Force probante de l'acte notarié de souscription et de versement – Non libération des parts sociales affectant l'existence même de la société – Nullité de la société (Oui).
Sociétés commerciales – Société anonyme – Nullité – EffetS – Société n'ayant rétroactivement eu aucune existence juridique – Impossibilité de posséder un patrimoine (oui) – Conséquences.
Article 389 AUSCGIE
L'acte notarié de déclaration de souscription et de versement ne saurait avoir la force probante attachée aux actes authentiques de droit commun, c'est-à-dire faire foi jusqu'à inscription de faux, dès lors que les actions sociales n'ont pas été effectivement libérées. Cette libération des actions sociales affectant l'existence même de la société, celle-ci doit être annulée. La société ayant été annulée, elle n'a eu, rétroactivement, aucune existence juridique et donc, pas de patrimoine. Dès lors, il n 'y a pas lieu à condamner l'un des ex-associés à payer aux autres des dommages intérêts pour détention d'un bien de ladite société.
NB. Cette décision a été rendue sous l’empire de la loi antérieure à l’acte uniforme sur les sociétés commerciales.
(COUR D'APPEL D'ABIDJAN , ARRET N° 1060/2000 du 1er décembre 2000, K. c/ Z. et T. Le Juris-Ohada, n° 3/2003, juillet-septembre 2003, p. 43).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Vu les réquisitions écrites du Ministère Public;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
EXPOSE DU LITIGE
K., en accord avec des partenaires ivoiriens et italiens, décidait de constituer une société anonyme dénommée CIES, dont l'objet était de procéder à l'exploitation de carrières de sable; le capital social convenu entre les parties était de 110.000.000 F
Un litige survenait, quant à la libération par certains associés, de leurs apports;
Aussi, par exploit en date du 04 octobre 1996, K. en personne et agissant en outre, au nom et pour le compte de ses deux enfants mineurs, ainsi que dame Y., donnaient-ils assignation à A, Z. et T., à l'effet de voir le Tribunal de Première Instance d'Abidjan, au principal :
– Prononcer la nullité de la société CIES;
– En conséquence, les condamner solidairement à leur payer la somme de 20 millions à titre de dommages -intérêts;
Subsidiairement :
– Prononcer la dissolution judiciaire de ladite société;
Au soutien de leur action, les demandeurs expliquaient, qu'alors que K. avait entièrement libéré ses parts à hauteur de la somme de 40 millions de francs, ses co­associés quant à eux, ne s'étaient exécutés, de sorte qu'ils avaient par leur inaction, violé les dispositions légales régissant le droit des sociétés, notamment en leurs articles 1, 2, 3, 22, 23, 24 et 25 de la loi du 24 juillet 1867;
En conséquence de quoi, ils entendaient voir prononcer la nullité ou la dissolution de ladite société embryonnaire, ainsi que la condamnation des parties adverses à leur payer des dommages intérêts;
En réponse devant les Premiers Juges, les défendeurs contestaient le bien-fondé de la demande introductive d'instance;
Selon eux, contrairement aux prétentions des demandeurs, ils avaient bel et bien libéré leurs parts sociales, comme pouvaient à ce titre le justifier les déclarations de souscription et de versements établies en l'étude de Maître SAKO BLANCHE, Notaire;
Lesdits documents, soutenaient-ils, faisaient foi jusqu'à inscription de faux;
Ainsi, la société CIES, pour leur part, avait-elle régulièrement été constituée, de sorte que la demande en nullité de celle-ci ne reposait sur aucun fondement, à l'instar de celle tendant à voir prononcer sa dissolution;
Se portant demandeurs reconventionnels, les consorts A., sollicitaient la condamnation des demandeurs au principal, à leur payer la somme de 225.000.000 F, ainsi qu'obtenir la restitution à leur profit, au matériel d'exploitation que ceux-là détiendraient abusivement, et ce, sous astreinte de 1 million par jour de retard;
Subsidiairement, ils entendaient également solliciter une expertise judiciaire, à l'effet d'évaluer le coût du matériel et des pertes liées à sa rétention;
Pour justifier le bien-fondé de leur demande reconventionnelle, les consorts A. soutenaient que la rétention sans juste motif du matériel appartenant à la CIES, par les demandeurs au principal, entraînait une perte de 450 millions de francs pour une période de 06 mois, étant donné que la recette mensuelle pour l'exploitation dudit matériel était de 75 millions;
Ainsi, selon eux, après déduction de leur participation dans le capital social de ladite société à hauteur de 50 % du montant de 450 millions, les demandeurs au principal leur étaient-ils redevables de la somme de 225.000.000 F;
Face aux moyens de défense présentés par les consorts A., les demandeurs au principal, soulevaient quant à eux, le faux incident civil, en application de l'article 92 du code de procédure civile, à l'effet de prouver que les documents dont ceux-ci se prévalaient étaient des faux;
Aussi, sollicitaient-ils un sursis à statuer;
Vidant son délibéré, le Tribunal rendait la décision dont le dispositif est le suivant :
« EN LA FORME
– Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer;
– Rejette la demande d'inscription de faux;
AU FOND;
– Reçoit K. et autres;
– Les déclare mal fondés;
– Les déboute en toutes leurs demandes;
– Reçoit partiellement A. et autres en leurs demandes reconventionnelles;
– Condamne K. à leur payer la somme de 225.000.000 F;
– Les déclare irrecevables pour le surplus de leur demande; »
Estimant que la décision ainsi rendue leur faisait grief, K. en personne, agissant pour le compte de ses deux enfants mineurs, ainsi que dame Y., relevaient appel du jugement civil N° 61/CIV I en date du 1er juillet 1999, à l'effet de voir la Cour d'Appel de céans :
– Les y dire biens fondés;
En conséquence, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Evoquant et statuant à nouveau :
– Prononcer la nullité de la société CIES;
– Condamner dès lors, les requis à leur payer la somme de 20 millions de francs, à titre de dommages intérêts;
Au soutien de leur appel, les consorts K. et dame Y., reprochaient de prime abord aux Premiers Juges, d'avoir rejeté leur demande de faux incident civil, motif pris de ce qu'ils n'avaient contesté les mentions de l'acte notarié, faisant état d'une libération intégrale des actions de la société CIES, d'une part, et de l'autre, fait la preuve que les dépenses effectuées par les co-associés, n'excédaient pas l'apport personnel de K., de 40 millions;
Or, selon eux, sur le premier point, n'ayant eu connaissance de la supercherie – consistant pour les intimés, à avoir fait une souscription et libération fictive de parts – que postérieurement à l'établissement desdites parts - que postérieurement à l'établissement dudit acte notarié, ils ne pouvaient en contester les mentions;
Sur le second point, selon eux, il ne faisait de doute que les matériels achetés en Italie, l'avaient été sur la base des seuls fonds mis à la disposition de la société CIES par K.;
C'est pourquoi, affirmaient-ils, ce fut à tort que les Premiers Juges avaient rejeté leur demande en inscription de faux;
En outre, relativement à la nullité de la société CIES, les appelants faisaient grief au jugement querellé, d'avoir fait une mauvaise interprétation de l'article 1er de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés anonymes, en considérant que les 40 millions d'actions libérées par eux, excédaient le quart du capital social;
De fait, relevaient-ils, suivant ledit article, l'exigence d'une libération du quart du capital social ne concernait que chaque associé pris individuellement, et non pas le quart du capital social, libéré par certains associés;
Au demeurant, soutenaient-ils, l'Acte Uniforme issu du Traité OHADA sur les sociétés commerciales confortait leur interprétation, au travers de l'article 389;
S'agissant du moyen tiré de la dissolution de la société CIES, les appelants entendaient faire remarquer que, contrairement à la position des Premiers Juges, il y avait véritablement, mésintelligence entre associés;
Celle-ci résulterait, selon eux, du litige né entre les parties et ayant entraîné la saisine du Tribunal;
Bien plus, au regard de la fausse déclaration de libération entreprise par certains associés, il y avait certainement une atteinte à l'affectio societatis, en l'occurrence la volonté sincère des associés à mener de concert, l'activité projetée;
Aussi, ayant été victimes selon eux, d'arguments répréhensibles de la part des parties adverses, les appelants souhaiteraient les voir condamner à leur payer la somme de 20 millions de francs, en réparation de leur préjudice;
Enfin, ils sollicitaient l'infirmation du jugement querellé, pour les avoir condamnés à payer aux intimés, la somme de 225 millions à titre de dommages intérêts, alors que les biens en cause étant la propriété exclusive de KONAN KOFFI NOËL, tel qu'il résulte des documents d'acquisition; il ne peut valablement lui être reproché de les avoir abusivement détenus;
En réponse, A. et Z., intimés, entendaient pour leur part, voir le jugement querellé confirmé en toutes ses dispositions;
En effet, selon eux, ce fut à bon droit tout d'abord, que les Premiers Juges avaient rejeté l’exception de faux incident civil;
En réalité, les appelants semblaient oublier qu'ils avaient librement comparu par-devant le Notaire, pour attester que chacun des souscripteurs avait versé une somme égale à la totalité du montant par eux souscrit;
Sur la nullité de la société, les intimés arguaient qu'il s'inférait des précédents développements, que les parts sociales ayant été régulièrement libérées, celle-là ne pouvait valablement être prononcée par les Premiers Juges;
Relativement a la dissolution de la société CIES, les intimés faisaient remarquer que la mésintelligence dont se prévalaient les appelants, était la conséquence du litige qui les opposait, et non sa cause;
Aussi, selon eux, un tel moyen devrait-il être rejeté, et avec lui, celui tendant à solliciter leur condamnation à payer des dommages intérêts à ce titre;
En réplique, les appelants entendaient faire les précisions suivantes :
1.- Aux termes de l'article 4 du code de procédure pénale, il était sursis à statuer au jugement de l'action civile, tant qu'il n'avait pas été statué définitivement sur l'action publique initiée séparément;
En l'espèce, selon eux, une action publique avait bel et bien été mise en mouvement par leur soin, suite à la citation directe pour faux et abus de confiance présentée devant le Tribunal Correctionnel;
Ce faisant, en toute logique, les Premiers Juges auraient dû surseoir à statuer;
2.- Aux termes de l'article 1er de la loi de 1867 sur les sociétés anonymes, les souscripteurs devaient détenir un bulletin de souscription et un certificat constatant le versement de fonds.
Par conséquent, la déclaration notariée de souscription et libération des parts ne pouvait à elle seule, suffire à faire la preuve de l'effectivité de l'opération en cause;
Ceci était selon eux, d'autant plus vrai que le 02 août 1996, T., dans une reconnaissance de dette qu'il produisait au dossier, avait affirmé que le chèque destiné à la libération de ses parts sociales, ainsi que de celles de A., n'avait pu être encaissé, et que lesdites parts étaient dès lors fictives;
3.- La Société CIES étant nulle, celle-ci n'avait pu être rétroactivement propriétaire de biens mobiliers, dont la drague, en sorte que K. puisse être condamné à des dommages intérêts, pour une prétendue rétention abusive;
Bien plus, observaient-ils, il ressortait du connaissement afférent à ladite drague, que celle-ci avait été importée au nom de K.;
Un tel document constituait le titre de propriété de K. sur ledit bien mobilier;
Le Ministère Public, dans ses réquisitions écrites, s'en rapportait;
SUR CE
A., ayant été assigné à personne, tant en ce qui le concerne qu'ès qualité de représentant de ses enfants mineurs, il y a lieu de statuer contradictoirement à leur endroit, mais par défaut à l’encontre de Z. et T.;
EN LA FORME SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL
II n'a été produit au dossier, un exploit de signification du jugement N° 61 CIV 1 du 1er juillet 1999, rendu par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
L'appel principal relevé par les consorts K. est donc recevable;
AU FOND
DE LA VIOLATION DE L'ARTICLE 4 ALINEA 2 DU CODE DE PROCEDURE PENALE SUR LE SURSIS A STATUER POUR INSTANCE PENALE EN COURS
Suivant les dispositions de l'article 4 du code de procédure pénale, il est sursis à statuer au jugement de l'action civile exercée séparément de l'action publique, tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique, lorsque celle-ci a été mise en mouvement;
Au vu des écritures des consorts K., une citation directe devant le Tribunal aurait été initiée à l’encontre des intimés, pour faux, usage de faux et abus de confiance;
Cependant, à la lumière des pièces produites au dossier, la preuve d'une telle mise en mouvement de l'action publique n'a été rapportée;
Ainsi, ce fut donc à bon droit que les Premiers Juges n'ont sursis à statuer;
Il y a donc lieu de confirmer le jugement querellé sur ce point;
Par ailleurs, l'acte dont la régularité est contestée par les consorts K. étant notarié, la procédure de faux incident civil telle qu'édictée par l'article 92 du code de procédure civile ne saurait s'y appliquer;
En effet, seule l'action criminelle pour faux devant les juridictions correctionnelles, est susceptible d'être entreprise dans une telle espèce;
Bon droit, que les Premiers Juges ont rejeté ledit moyen soulevé par les consorts K., comme mal fondé;
SUR LA DEMANDE EN ANNULATION DE LA SOCIETE CIES
Aux termes des articles 1er et 24 de la loi du 24 juillet 1967 relative aux sociétés par action, la constitution d'une société anonyme passe par la souscription et la libération du quart des actions en cause, par chaque associé;
II est acquis au débat, comme résultant de l'absence de contestation sur ce point, que K., a souscrit et libéré l'ensemble des parts sociales qu'il a acquises au sein de la société CIES; pour sa part, T., dans un acte unilatéral établi le 02 août 1996 et intitulé « Acte de dénonciation », a reconnu que ses parts sociales, ainsi que celles de A., n'ont été;
Au reste, l'acte notarié de déclaration de souscription et de versement produit au dossier, et aux termes duquel les parts sociales litigieuses auraient été libérées, ne saurait avoir la force probante attachée aux actes authentiques de droit commun;
En effet, ledit acte notarié n'a fait que rapporter les déclarations des associés de la CIES, suivant lesquelles la libération des parts sociales de société CIES avait été entreprise;
A aucun moment, le notaire n'a constaté ladite libération effective, ce qui aurait conféré à l'acte authentique concerné, une validité jusqu'à inscription de faux;
Par ailleurs, les consorts A. n'ont été en mesure de produire une quelconque preuve de la libération des parts sociales qu'ils avaient souscrites;
La non libération des parts sociales dans les normes exigées par la loi, affectant l'existence même de la société anonyme, il y a lieu de faire droit à la demande en nullité de la société CIES;
En statuant en sens contraire, les Premiers Juges ont fait une mauvaise application de la loi;
Aussi, convient-il d'infirmer le jugement attaqué sur ce point;
DE LA CONDAMNATION DE K. A PAYER LA SOMME DE 225 MILLIONS A TITRE DE DOMMAGES INTERETS
Au vu des pièces produites au dossier, en l'occurrence, le bon de commande et le connaissement afférents à la drague destinée à l'exploitation de la carrière de sable, il apparaît que ledit bien a été importé au nom de K.;
En outre, la Société CiES ayant été annulée, celle-ci rétroactivement, n'a eu aucune existence juridique, donc de patrimoine;
Ainsi, en condamnant néanmoins K. à payer la somme de 225 millions à titre de dommages intérêts, pour avoir abusivement détenu la drague objet du litige, les Premiers Juges ont fait une mauvaise appréciation des circonstances de la cause;
En conséquence, la décision querellée mérite-t-elle d'être infirmée sur ce point;
Statuant à nouveau, il y a lieu de dire et juger que la drague objet du litige, n'avait à être restituée, en sorte que K. ne peut voir sa responsabilité engagée;
SUR LA DEMANDE EN DOMMAGES NTERETS DE K.
K. ne saurait être accueillie;
II y a lieu de débouter l'appelant, de ce chef de demande;
Les intimés ayant succombé, il leur faut supporter les dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare les consorts K. recevables en leur appel régulièrement relevé du jugement civil N° 61/CIV 1 en date du 1er juillet 1999, rendu par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan Plateau;
AU FOND
– Les y dit partiellement fondés;
– Infirme ledit jugement;
Statuant à nouveau :
– Annule la société CIES pour défaut de libération de parts sociales;
– Dit n'y avoir lieu à condamnation de K. à payer aux consorts A., des dommages intérêts;
– Déboute toutefois, les consorts K. du surplus de leur demande.
– Président : M. KHOUADIANI Kouadio Kouakou Bertin.