J-04-124
Voies d'exécution – Saisie immobilière – Contestations – Révélations postérieures à l'audience éventuelle – Inaction avant l'audience d'adjudication – Déchéance (Oui).
En matière de saisie immobilière, lorsque le motif des contestations et demandes incidentes est révélé postérieurement à l'audience éventuelle, celles-ci doivent- être présentées huit jours avant l’adjudication. A défaut, les demandeurs sont déchus de leur droit, en application de l'article 299 de l'Acte Uniforme portant voies d'exécution.
(Cour d'appel d'Abidjan, arrêt n° 481 du 27 avril 2001, N.A et A.L. épouse N c/ SGBCI, Le Juris-Ohada, n° 4/2003, octobre-décembre 2003, p. 39, note Brou Kouakou Mathurin).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï le Ministère Public;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Par exploit en date des 23, 24, 26 et 27 juin 2000 de Maître DJOUKA EMlLIE, Huissier de Justice à Abidjan, N.A. et A.L., épouse N., ayant pour Conseil la SCPA ADJE-ASSI-METAN, Avocats à la Cour, ont relevé appel du jugement civil N° 537/CIV 4 rendu le 22 novembre 1999 par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan, décision par laquelle ladite juridiction saisie d'une action en annulation d'un jugement d'adjudication, les a déclarés irrecevables pour cause de forclusion;
DES FAITS ET PROCEDURE
En 1979, N.A. a bénéficié d'un crédit immobilier remboursable en 84 mensualités. N'ayant pu honorer ses engagements après le paiement de 39 mensualités, la SGBCI a obtenu sa condamnation à payer le reliquat, par un arrêt contradictoire en date du 5 février 1995. Fort de cet arrêt, la SGBCI a initié une procédure de saisie immobilière sur l'immeuble de N.A., qui a fait l'objet d'une promesse d'affectation hypothécaire au profit de ladite banque;
Le 22 mars 1999, par jugement N° 216/CIV4, le Tribunal de Première Instance d'Abidjan a adjugé l'immeuble objet du titre foncier 44010 de Bingerville à B.M., pour un montant de 40.000.000 F;
Par exploit du 6 avril 1999, les époux N. assignaient la SGBCI devant le Tribunal de Première Instance d'Abidjan, à l'effet de voir cette juridiction prononcer l'annulation du jugement d'adjudication qu'elle a rendu le 22 mars 1999;
Le 22 novembre 1999, ladite juridiction, par le jugement N° 537/CIV 4 déféré à la censure de la Cour, a déclaré les époux N. déchus de tous recours et irrecevables;
En cause d'appel, lesdits époux déclarent reprendre leurs prétentions de Première Instance et soutiennent que toute la procédure d'adjudication a été organisée à leur insu et à l'insu de leur locataire; en effet, poursuivent-ils, d'une part, le commandement avant saisie n'a pas été servi conformément à l'article 250 du Traité OHADA (sic), ni à l'égard de l'époux dont le visa ne figure pas sur l'acte, ni à l'égard de l'épouse, destinataire des actes; et d'autre part, la SGBCI a violé les articles 254 et 255, en ne signifiant pas le commandement ayant saisie au locataire, la société CARGILL;
Ils estiment qu'ainsi, les droits de la défense ont été violés, de sorte que leur action en nullité de vente initiée dès la connaissance de la procédure d'expropriation est recevable;
En réponse à cette action, B.M. sollicite la confirmation du jugement attaqué et explique que ledit jugement a fait une bonne application des articles 300, 311 et 313 de l'acte de l'OHADA portant voies d'exécution;
La SGBCI, soulevant les mêmes moyens, fait observer que la demande des époux N. a été initiée après l'adjudication, et pour des motifs non prévus par l'article 311 de l'Acte Uniforme susvisé. Elle forme appel reconventionnel pour solliciter des dommages intérêts de 5.000.000 F pour procédure abusive et frustratoire;
Le Ministère Public, à qui le dossier a été communiqué pour ses conclusions écrites, a requis l'irrecevabilité des appels principal et incident;
DES MOTIFS
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL PRINCIPAL
Les époux N. ont relevé appel du jugement querellé dans les forme et délai légaux; il y a lieu de les déclarer recevables en leur recours;
SUR LA RECEVABlLITE DE L'APPEL INCIDENT
La SGBCI a relevé appel incident par conclusions versées au dossier le 28 août 2000; il y a lieu de dire que ledit appel est régulier, conforme aux exigences de la loi et recevable;
SUR LE FOND
SUR L'APPEL PRINCIPAL
Les époux N. estiment qu'ils ne sont pas forclos pour demander la nullité du jugement d'adjudication qui a attribué leur immeuble à B.M., aux motifs qu'ils n'ont jamais eu connaissance de la procédure d'exécution forcée;
La SGBCI et B.M. demandent l'application des articles 299, 300, 311 et 313 de l'Acte Uniforme de l'OHADA portant voies d'exécution et portant la confirmation du jugement entrepris;
En l'espèce, il n'est pas contesté que N.A. et son épouse née A.L. sollicitent que le jugement d'adjudication du 22 mars 1999 soit déclaré nul, en application des articles 250, 254 et 255 de l'Acte Uniforme de l'OHADA susvisé; or, qu'il est exact que les appelants peuvent se prévaloir des exigences des articles 250, 254 et 255 de l'Acte Uniforme susvisé quant au commandement avant saisie, et disposent du droit de faire des contestations ou des demandes incidentes, ces contestations et demandes doivent, lorsque comme en l'espèce le motif soulevé est révélé postérieurement à l'audience éventuelle, être présentées huit (8) jours avant l'audience d'adjudication; en l'espèce, le commandement a été signifié à la personne de N.A. le 18 octobre 1999, et à son épouse, dont il a représenté les intérêts, de sorte qu'en ignorant la procédure de l'audience éventuelle et en n'agissant pas huit jours avant l'audience d'adjudication, les appelants sont frappés par la déchéance prévue par l'article 299 de l'Acte Uniforme de l'OHADA portant voies d'exécution;
Il s'ensuit de confirmer le jugement entrepris qui a fait une bonne application de la loi;
SUR L'APPEL INCIDENT
La SGBCI réclame des dommages intérêts pour procédure abusive et vexatoire;
Cependant, il est constant qu'il appartient à la partie qui demande la réparation d'un préjudice, de rapporter la preuve de la faute du débiteur et du préjudice subi;
Or, la SGBCI ne rapporte nulle part que l'exercice par les époux N., de leur droit de recours, a été fait de manière fautive. Elle ne rapporte pas non plus le préjudice subi; il y a donc lieu de dire que la SGBCI est mal fondée dans ses prétentions;
SUR LES DEPENS
Les époux N. succombent en leur appel; il y a lieu de les condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Déclare N. et A.L., épouse N. et la Société Générale de Banques en Côte d'Ivoire, recevables en leurs appels principal et incident respectivement relevé du jugement civil N° 537/CIV4 rendu le 22 novembre 1999 par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
AU FOND
– Déclare les appels principal et incident mal fondés;
– Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
– Président : M. KOUAME Krah.
Note
L'arrêt rendu par la Cour d'Appel d'Abidjan soulève un problème entrant dans le cadre des incidents de la saisie immobilière, et notamment les demandes en annulation.
En effet, en l'espèce, l'appelant demande l'annulation du jugement d'adjudication qui a attribué son immeuble, motif pris de ce qu'il n'a jamais eu connaissance de la procédure d'exécution forcée.
Autrement dit, il remet en cause le commandement.
En l'espèce, la particularité des faits réside dans le fait que le motif arrêté est révélé postérieurement à l'audience éventuelle. Or, dans ce cas, les contestations et demandes en annulation doivent être présentées huit (08) jours avant l'audience d'adjudication, conformément à l'article 299 de l'Acte portant voies d'exécution. A défaut de présentation dans ce délai, le demandeur est déchu de son droit.
Dès lors, il se posait à la Cour, le problème de savoir dans quel délai le demandeur devait-il présenter ses demandes d'annulation, dès lors que le motif des demandes a été révélé après l'audience éventuelle.
Comme l'arrêt rendu par la CCJA le 06 novembre 2003 (cf. supra p.21), cet arrêt de la Cour d'Appel d'Abidjan rappelle encore les subtilités de la procédure de saisie immobilière, que les justiciables se doivent de connaître, pour éviter toute déconvenue.
BROU Kouakou Mathurin