J-04-131
Prêt – Garantie hypothécaire – Pouvoir de vente de gré à gré donné par acte séparé au créancier – Clause de voie parée (non) – Réalisation de la garantie – Vente de gré à gré – Validité (oui) – Inapplication des règles de la saisie immobilière.
Est bonne et valable la vente de l’immeuble opérée sur la base d’un mandat donné postérieurement à la naissance de la dette, dans un acte séparé du contrat et qui n’est pas une clause de voie parée.
En conséquence, les règles de la saisie immobilière sont inapplicables.
Tribunal Régional de Niamey, Jugement N° 261 du 31 juillet 2002. A. B. B. c/ BINCI et G.S.
LE TRIBUNAL,
Attendu que par exploit en date du 11.02.2002 de Maître Moussa Souna Soumana, Huissier de Justice à Niamey, le sieur A.B.B., commerçant à Niamey, assisté de Maître Yayé MOUNKAILA, Avocat à la Cour, a assigné devant le Tribunal Régional de Niamey, la Banque Islamique du Niger pour le Commerce et l'Investissement (BINCI) et G. S. dit A., à l'effet de :
– Constater la violation des articles 246 et suivants de l'Acte Uniforme du 10.04.1998 portant sur la saisie immobilière;
– Dire et juger en conséquence, que la vente de son immeuble objet du titre foncier N° 15071 sis au quartier Issa Béri est nulle et de nullité absolue;
– Constater que la BINCI a agi avec précipitation malveillante;
– la condamner à lui payer la somme de 50 millions de francs de dommages intérêts;
– la condamner aux dépens.
Attendu que A.B.B. représenté par Maître Yayé MOUNKAILA, son Avocat constitué, explique qu'il est débiteur de la BINCI pour la somme de 11.685.598 F; que pendant qu'il était absent du Niger, cette dernière a servi chez lui le 08.01.2002, un commandement de payer ledit montant dans un délai de 20 jours, pour se libérer de sa dette; qu'il rentrait au Niger le 31/03/2002 et remettait dès le lendemain à sa banque un chèque, ECOBNAK N° 0079549 en règlement de sa dette, et y apprenait que celle-ci avait déjà vendu son immeuble qu'il lui a donné en garantie du paiement de cette dette avant le 21 janvier, au nommé G.S. dit Adikou; que cette vente intervenue avant même le délai qui lui a été imparti dans le commandement et au mépris des règles légales d'ordre public est nulle; qu'en effet, aux termes de l'article 246 de l'Acte Uniforme du 10.04.1998 sur les voies d'exécution et le recouvrement des créances, « le créancier ne peut faire vendre les immeubles appartenant à son débiteur qu'en respectant les formalités prescrites par les dispositions qui suivent. Toute convention contraire est nulle »; que de même, le commandement de payer qui ne comporte pas des mentions devant s'y trouver à peine de nullité est nul; qu'en outre, les autres formalités obligatoires telles la publicité, le dépôt et le contrôle du cahier de charges et la sommation d'en prendre communication qui doivent intervenir avant la vente de l'immeuble n'ont pas été observées; que cette vente est en outre nulle, parce que l'acte qui la constate n'est pas daté et elle a été conclue du côté de la BINCI par son Conseil, qui a agi sans habilitation; qu'en vendant son immeuble en dehors de toute légalité mais seulement dans la précipitation et dans une intention de nuire, la BINCI a créé les conditions de l'annulation qu'il a demandée et le fonde dans sa demande en dommages intérêts;
Qu'il y a lieu d'en faire entièrement droit, surtout qu'il déjà intégralement payé sa dette.
Attendu que la BINCI, représentée par la SCPA-A Nabara-Gourmou, sollicite du Tribunal de :
– déclarer valable la vente de gré à gré intervenue entre elle et G.S.;
– débouter A.B.B. de toutes ses demandes, fins et conclusions;
– la recevoir en sa demande reconventionnelle;
– condamner A.B.B. à lui payer la somme de 20 millions de francs à titre de dommages intérêts, pour inexécution fautive et pour troubles abusifs et vexatoires;
– le condamner aux dépens;
Qu'elle explique que par acte notarié en date du 18/09/1998, elle avait accordé à A.B.B., un prêt de 10 millions de francs payable en 12 mois après la signature du contrat; qu'il lui a été constitué dans le contrat de prêt, une hypothèque en premier rang sur un immeuble de B.B. sis à Niamey, objet du Titre Foncier N° 15071; que le 26/10/1998, A.B.B. lui donnait un pouvoir spécial de vendre de gré à gré ledit immeuble, pour éviter la vente aux enchères; que ce dernier n'ayant pas honoré ses engagements, qui ont atteint en raison des frais bancaires, la somme de 11.685.598 F, et arrivés à échéance le 17/09/1999, il lui servait le 25/09/2001, une sommation de les payer demeurée infructueuse; qu'après lui avoir délaissé le 08/01/2002, commandement valant saisie réelle, elle abandonnait cette procédure quand elle s'est rappelée de l'obligation qu'elle avait de vendre l'immeuble de gré à gré, et mettait en œuvre le pouvoir spécial à elle donné le 26/09/1998 pour réaliser sa créance, et vendait de gré à gré l'immeuble à G.S.;
Qu'elle retournait à B.B., le chèque correspondant à sa dette qu'il lui a fait parvenir après la vente de l'immeuble;
Que cette vente qu'elle a effectuée est régulière et valable; qu'en effet, A.B.B. ne prouve pas qu'il a payé sa dette résultant du prêt en date du 18/09/1998, que le commandement qu'elle lui a délaissé le 08/01/2002, dont il demande l'annulation sans établir les griefs que lui cause l'absence dans cet exploit de certaines mentions, est valable; que de même, le pouvoir de vendre l'immeuble de gré à gré donné postérieurement à la remise des fonds, n'est pas une clause de voie parée, qu'il est un mandat valable donné dans l'intérêt des parties pour éviter la procédure onéreuse et contentieuse de la saisie immobilière, et demeure leur seule loi; qu'elle ne pouvait, sans violer le mandat qui lui a été donné le 26/10/1998 et s'exposer à une poursuite pour inexécution fautive, poursuivre la vente forcée telle que prévue dans le Traité OHADA qu'elle a initiée, mais vite abandonnée;
Qu'ainsi, la vente ayant été valablement conclue, il y a lieu de sanctionner l'action de B.B., qui non seulement agit en violation de l'article 1134 du Code Civil, mais aussi lui cause des troubles abusifs et vexatoires, en faisant droit à sa demande reconventionnelle;
DISCUSSION
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier et des débats à l'audience, qu'en garantie du paiement d'un prêt de 10 millions de francs qu'il a contracté auprès de la BINCI le 18/09/1998, A.B.B. donnait le 26/10/1998 à cette dernière, un pouvoir spécial de vendre de gré à gré, son immeuble objet du titre foncier N° 15071; que son débiteur ayant été défaillant, la BINCI, après avoir initié le 08/01/2002 une procédure de saisie immobilière en lui délaissant commandement de payer, vendait de gré à gré l'immeuble à G.S., en janvier 2002; que A.B.B., estimant cette vente contraire aux dispositions de l'article 246 du Code OHADA sur les voies d’exécution et par le fait qu'elle a été irrégulièrement conclue, assigne sa banque en annulation du contrat;
Sur la violation des articles 246 et suivants de l'Acte Uniforme sur les voies d'exécution et la nullité de la vente de l'immeuble
Attendu que A.B.B. soutient que la BINCI a vendu son immeub1e en violation de l'article 246 du Code OHADA sur les voies d'exécution notamment, qui interdit au créancier de faire vendre les immeubles de son débiteur en dehors des prescriptions qu'il a prévues et prohibe toute convention contraire;
Mais attendu que les articles 246 et suivants de l'Acte Uniforme sur les voies d'exécution réglementent et organisent la saie immobilière;
Attendu que le commandement a été délaissé le 08/01/2002 par la BINCI à fin de saisie immobilière, dont la procédure est d'ordre public;
Attendu que ce commandement ne contient pas les mentions du pouvoir spécial de vendre, la reproduction du titre exécutoire et l'indication de la juridiction où l'expropriation sera poursuivie qui sont prescrites à peine de nullité;
Attendu que l'absence dans cet exploit, des mentions ci-dessus relevées, le rend nul comme prescrit dans l'Acte Uniforme ci-haut référencié;
Attendu cependant, qu'il n'est pas établi, les autres formalités de la saisie immobilière n'ayant pas été accomplies, que la vente incriminée a été faite sur la base de ce commandement;
Attendu qu'il n'est rapporté aux délais, la disposition qui interdit au créancier de vendre en dehors de la procédure de saisie immobilière, l'immeuble de son débiteur qu'il a régulièrement reçu de ce dernier en garantie de sa créance;
Attendu que le contrat de prêt de 10 millions de francs a été conclu entre les parties le 18/09/1998;
Attendu que le pouvoir de vente de gré à gré prévu au contrat de prêt et devait y être annexé n'a pas été produit;
Attendu que la date de la remise des fonds n'a pas été indiquée; qu'il n'est pas établi que ces fonds ont été remis à la date du 26/10/1998, c'est-à-dire à la date du pouvoir de gré à gré, ou même après;
Qu'il y a plus de certitude qu'ils l'aient été le jour de la signature du contrat;
Attendu que le demandeur ne conteste pas avoir le 26/10/1998, librement donné à la BINCI, le mandat de vendre son immeuble de gré à gré en dehors du contrat de prêt;
Attendu que ledit mandat donné postérieurement à la naissance de la dette, de surcroît dans un acte séparé du contrat n'est pas une clause de voie parée;
Attendu qu'ayant été stipulé, alors même que le demandeur a reçu le montant du prêt et qu'il n'était pas sous la pression de son banquier, ce pouvoir de vente de gré à gré est parfaitement valable;
Attendu que l'acte de vente de l'immeuble n'est pas effectivement daté et comporte seulement la date de la constatation de l'accord par le notaire; qu'il a été également signé par le Conseil de la BINCI, en lieu et place de celle-ci;
Attendu cependant, que l'absence de date alors même que les parties ont librement et régulièrement conclu, n'est pas suffisant pour vider l'acte de vente; qu'en outre, il est indiqué dans le mandat, que le Directeur de la BINCI auquel il a été donné, peut se faire substituer dans la réalisation de l'immeuble; qu'ainsi, le Conseil de la BINCI a valablement représenté celle-ci dans la conclusion de la vente incriminée;
Attendu en outre, que le demandeur qui n'est pas partie au contrat ne peut en demander l'annulation;
Attendu que l'action en nullité dont serait entachée cette vente peut seulement être indiquée par l'acheteur et non le vendeur qui a à sa disposition, l'action en revendication;
Attendu que s'agissant du paiement effectué de la dette par anticipation, il appartient à A.B.B. d'en faire la preuve, que s'il a plusieurs dettes auprès de même créancier, il lui revient de préciser celle dont il effectue le règlement;
Attendu par conséquent, que le demandeur n'a pas fait la preuve qu'il a payé sa dette vis-à-vis de la BI NCI contractée le 18/09/1998;
Attendu que ses demandes qui ne sont pas fondées seront toutes rejetées;
Sur la demande reconventionnelle de la BINCI
Attendu que A.B.B. ne s'est pas acquitté de sa dette et a obligé la BINCI à engager des frais pour sa défense;
Attendu que la demande reconventionnelle de la BINCI sera déclarée recevable et A.B.B. sera condamné à lui payer la somme de 1,5 millions de francs à titre de dommages intérêts;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et en premier ressort;
– Déclare bonne et valable la vente de l'immeuble;
– Déboute A.B.B. de ses demandes;
– Reçoit la BINCI en sa demande reconventionnelle;
– Condamne le demandeur à lui payer 1.500.000 F à titre de dommages intérêts.
Président : M. SOULEYMANE AMADOU MAOULI.