J-04-164
SAISIE IMMOBILIERE – CONDITIONS – CREANCE – CARACTERE – IMPOSSIBILITE POUR LE DEBITEUR DE PROCEDER A L’EVALUATION – LIQUIDITE (NON).
Lorsqu’en raison des paiements effectués les débiteurs ne sont pas mis par le créancier dans les conditions d’évaluer et de savoir ce qui est dû pour pouvoir faire, le cas échéant, des offres de paiement dans les délais, il y a lieu de constater l’absence de liquidité de la créance et d’annuler en conséquence les poursuites tendant à la vente de l’immeuble.
Article 247 AUPSRVE
(TRIBUNAL REGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR, JUGEMENT N° 835 DU 7 MAI 2002, Cheikh Tidiane NDIAYE, Société Express Transit Et Société Africaine de Gestion Immobilère c/ BICIS).
LE TRIBUNAL :
Attendu que par écritures reçues au greffe les 26, 29 et 30 avril 2002, la Société Expres Transit ayant pour conseil Mes Boucounta DIALLO, Soulèye MBAYE et
Guédel NDIAYE et Associés, Avocats à la Cour, a consigné des dires au Cahier des charges déposé par Me Mame Adama GUEYE et Associés, Avocats à la Cour, pour le compte de la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie au Sénégal (BICIS) pour parvenir à la vente par expropriation forcée des immeubles objet des titres fonciers n° 2265/DG;
Que par écritures déposées aux jours sus indiqués les mêmes conseils agissant pour le compte de la Société Africaine de Gérance Immobilière dite SAGI ont consigné des dires déposés par le même Avocat poursuivant pour le compte de la BICIS pour parvenir à la vente par expropriation forcée de l’immeuble objet du TF n° 1795/DG appartenant à la SAGI prise en sa qualité de caution hypothécaire de la Société Express – Transit;
Que dans les mêmes conditions des dires ont été consignés au cahier des charges déposé par le même avocat pour le compte de la même banque aux fins de parvenir à la vente par expropriation forcée de l’immeuble objet du titre foncier n° 3902/DG saisi sur Cheikh Tidiane NDIAYE es – qualité de caution réelle de la Société Express Transit;
Attendu que lesdits dires déposés dans les délais et forme de la loi doivent être déclarés recevables en la forme;
SUR LA JONCTION
Attendu que la jonction de plusieurs instances peut être ordonnée s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble;
Attendu qu’en l’espèce, il y a lien de connexité entre les différentes procédures tel qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre, il y a lieu d’en ordonner la jonction pour être statué par un seul et même jugement;
AU FOND :
Attendu que dans leurs dires déposés par leurs conseils précités, la Société Express Transit, la SAGI et Cheikh Tidiane NDIAYE ont sollicité la discontinuation des poursuites valant saisie réelle inscrites sur les immeubles précités en invoquant la violation des articles 254 et 255 de l’AU/PSRVE, l’absence d’exigibilité et de liquidité de la créance, la nullité de l’hypothèque et des actes notariés, l’absence de validité des cautions, la novation, la violation des dispositions des articles 96 du COCC et le respect du protocole d’accord du 25 novembre 1999;
Qu’ils ont en outre sollicité le sursis à statuer eu égard à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement n° 1391 du 9juillet 1996;
I/ SUR LE SURSI A STATUER
Attendu que les disants font observer que dans le cadre d’une procédure la BICIS avait poursuivi la vente des immeubles objets des titres fonciers 2265/DG, 3666/DG, 17113/DG, 12742/DG et 3902/DG,
Que suite à cette procédure, la juridiction de Céans a, par jugement du 9 juillet 1996, ordonné le sursis à statuer sur tous les moyens de forme comme de fond et le sursis à la vente des titres fonciers en cause jusqu’à décision définitive sur le fond;
Que sur pourvoi de la BICIS, la Cour de Cassation a par arrêt n° 23 du 6 janvier 199… déclaré la BICIS déchu de son pourvoi, ce qui, selon les disants, confère au jugement de criées du 9 juillet 1996 un caractère définitif et une force de chose jugée autant pour la juridiction de céans que pour les parties;
Qu’ils estiment, en conséquence, que du fait de cette autorité de chose jugée, la juridiction de céans ne saurait valablement statuer tant que la procédure de fond n’aura pas abouti à une décision définitive, ce qui n’est pas encore le cas puisque la procédure de fond a abouti au jugement n° 1839 du 24 novembre 1998, actuellement frappé d’appel et, encore pendante devant la Cour d’Appel de Dakar;
Mais attendu que comme le fait observer à juste titre la BICIS, par le protocole d’accord du 25 novembre 1999, les parties avaient expressément convenu d’abandonner la voie contentieuse et de renoncer aux procédures pendantes pour l’ensemble des affaires sus indiquées impliquant directement ou indirectement les parties qu’elles engagent à radier si nécessaire;
Attendu que cette stipulation contractuelle s’analyse en un désistement d’instance qui a pour effet de rendre caduques et sans objet autant la décision de sursis ordonnée par jugement du 9 juillet 1996 que la procédure de fond ayant abouti au jugement du 24 novembre 1998 frappé d’appel; qu’il y a lieu dès lors de rejeter la demande de sursis formulée par les disants;
II / SUR LA LIQUIDITE DE CREANCE
Attendu que les disants soutiennent que la créance de la BICIS n’est pas liquide puisque d’abord le protocole de mai 1991 ne peut servir pour déterminer son quantum; ensuite, dans le cadre des procédures diligentées entre les parties, il a été rendu par le juge des référés une ordonnance 1er avril 1996 pour laquelle un expert a été désigné pour arrêter le compte définitif entre les parties;
Que ledit expert n’ayant pas encore déposé son rapport, la BICIS ne peut valablement poursuivre une procédure de vente immobilière en recouvrement de ladite créance eu égard aux dispositions de l’article 31 de l’AU/PSRVE;
Attendu que la BICIS rétorque que cet argument ne saurait prospérer aux motifs que, tout d’abord, dans le protocole de 1991, les parties avaient renoncé à toutes les procédures pendantes devant les tribunaux, ensuite les poursuites ne sont pas exercées en vertu du protocole de mai 1991, mais en vertu, outre ce protocole, d’un acte notarié et du protocole du 25 novembre 1999 qui, de manière claire, fixe le montant de la créance de la BICIS à la somme de 550.000.000 de francs;
Que la BICIS précise toutefois que cet abandon de créance était subordonné à un respect scrupuleux par Express Transit et Cheikh Tidiane NDIAYE de leurs engagements découlant du protocole et que dès lors que les parties avaient, par le biais du protocole du 25 novembre 1999, fixé le montant de la créance de la BICIS, la procédure d’expertise n’avait plus d’objet;
Qu’elle estime en conséquence que la créance a été reconnue par les débiteurs et précisée clairement dans ledit protocole et que dès lors ceux-ci sont mal venus à soutenir que la créance n’est pas liquide;
Attendu qu’en vertu de l’article 247 de l’AU/PSRVE « la vente forcée de l’immeuble ne peut être poursuivie qu’en vertu d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible »;
Attendu qu’une créance est liquide lorsque son montant est déterminé ou lorsqu’il est indiqué tous les éléments permettant de déterminer ledit montant;
Mais attendu qu’il résulte expressément du commandement du 11 février 2002 servi à Cheikh Tidiane NDIAYE que la BICIS ne poursuit point le recouvrement de la somme de
550 000 000 francs fixée par le protocole du 25 novembre 1999, mais plutôt celle de 1 891 700 000 francs constituant le montant total de la somme de 1.711.700.000 francs initialement réclamée et qui a abouti à l’ordonnance d’expertise du 1er avril 1996 et celle de 180 000 000 francs montant des agios auparavant abandonné suivant protocole de mai 1991;
Attendu que poursuivant le recouvrement de la somme de 1 891 700 000 francs, alors qu’il est constant et reconnu par la BICIS que la Société Express Transit, débitrice principale, a eu à procéder à divers paiements de sommes importantes entre ses mains, ladite banque n’a pas mis ses débiteurs dans les conditions d’évaluer et de savoir exactement combien il est dû pour être en mesure, le cas échéant, de faire des offres de paiement dans les délais requis;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement contradictoirement en matière civile et en premier ressort;
Déclare les dires déposés par Cheikh Tidiane NDIAYE, la SAGI et Express Transit recevables en la forme;
Ordonne la jonction des procédures;
AU FOND
Rejette la demande de sursis à statuer;
Constate l’absence de liquidité de la créance de la BICIS;
Annule en conséquence les poursuites;
Ainsi fait jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus;
Et ont signé le Président et le Greffier.
OBSERVATIONS
Par Ndiaw DIOUF, agrégé des Facultés de droit, Directeur du CREDILA
La saisie immobilière ne peut être exercée que lorsque le poursuivant justifie d’une créance liquide. Cependant, malgré cette règle formulée par l’article 247 al. 1er, il est possible de déclencher la procédure avant même que la créance invoquée par le saisissant ne soit encore liquide. Cela résulte clairement de l’alinéa 2 de l’article 247 qui apporte une certaine souplesse à la condition de liquidité. Il prévoit en effet que le créancier peut déclencher les poursuites pour une créance en espèces non liquidée, mais celles-ci ne pourront être conduites à leur terme qu’après la liquidation.
Au vu de ce qui précède, on peut s’étonner que le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar ait cru devoir annuler la procédure de vente par expropriation d’un immeuble aux motifs que la créance n’était pas liquide, le créancier ne mettant pas les « débiteurs dans les conditions d’évaluer et de savoir exactement combien il est dû », compte tenu des divers paiements effectués.