J-04-165
SAISIE CONSERVATOIRE – VIOLATION DES ARTICLES 59 ET 79 AU/RVE – CONSEQUENCE – MAINLEVEE DE LA SAISIE.
Il y a lieu d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire des créances en cas…. Dispositions des articles 59 et 79 qui prévoient respectivement l’obligation d’indiquer le montant des sommes pour la garantie desquelles la saisie est autorisée et l’obligation de porter l’acte de saisie à la connaissance du débiteur dans un délai de 8 jours.
Article 59 AUPSRVE
Article 79 AUPSRVE
(TRIBUNAL REGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR, ORDONNANCE DE REFERE N° 869 DU 15 JUILLET 2002, Léopold Mapathé dit Ibrahima MBAYE c/ Salimata BODIAN).
VU la demande de main levée saisie conservatoire présentée par Léopold Mapathé dit Ibrahima MBAYE à l’encontre de la défenderesse;
Après avoir entendu les parties en leurs conclusions respectives;
Attendu que par acte des 7 et 8 mai 2002 de Fatma H; DIOP, Huissier de justice à Dakar, Léopold Mapathé dit Ibrahima MBAYE a assigné Salimata BODIAN et la Banque de l’Habitat du Sénégal dite BHS en rétractation de l’ordonnance n° 240/2002, en main levée de la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2002 sur le compte n° 0110102160500 ouvert dans les livres de la BHS;
Attendu que par conclusions de son conseil en date du 14 juin 2002, Salimata BODIAN a soulevé l’exception d’incompétence aux motifs que le juge des référés ne peut se prononcer sur un problème de litispendance internationale ou juger de l’existence d’un principe de créance;
Attendu qu’il y a lieu de relever que le juge des référés est compétent dans tous les cas d’urgence sauf pour ses décisions à ne pas préjudicier au principal; qu’en plus les dispositions de l’article 49 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, donnent compétence au juge des référés pour statuer sur tout litige ou toute autre demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire; qu’il y a lieu dès lors de se déclarer compétent;
Attendu que par conclusions orales de son conseil, reprises par notes en cours de délibéré, Léopold Mapathé a exposé qu’il est marié à Salimata BODIAN sous le régime de la communauté des biens; qu’ils sont tous les deux domiciliés en France où une procédure en divorce est en cours devant le tribunal de grande instance de Bobigny seul habilité à se prononcer sur les biens communs; qu’il y a violation des dispositions des articles 54, 61, 79 de l’Acte Uniforme cité ci-dessus, Salimata BODIAN ne pouvant exciper un principe de créance, les époux communs en bien étant en situation d’indivision ne jouissant pas dès lors d’un droit privatif; qu’un délai de trois mois à compter de l’ordonnance est accordé au créancier pour saisir, le titre exécutoire devant être recherché un mois après la saisie; que l’acte de saisie doit indiquer en caractères apparents la juridiction compétente pour statuer sur les contestation, la saisie devant être dénoncée au saisi dans un délai de huit jours à peine de nullité;
Attendu que par écritures citées ci-dessus, Salimata BODIAN a souligné qu’ils ont tous les deux la nationalité sénégalaise, aucune règle de droit international privé ne pouvant empêcher à un sénégalais de faire prendre des mesures conservatoires sur des biens d’un sénégalais se trouvant au Sénégal destiné à la vie du ménage, lesquels ne sont pas exclus de la communauté; que la saisie a été pratiquée dans le délai de trois (3) mois, la sanction appliquée à l’inobservation de ce délai n’étant point la remise en cause de l’ordonnance prescrivant la saisie mais la caducité du procès verbal de saisie;
Attendu qu’il y lieu de relever que l’ordonnance autorisant la saisie a été rendue le 14 février 2002 sans indiquer le montant des sommes pour la garantie desquels la mesure conservatoire est autorisée; que la saisie effectuée le 5 mars 2002 a été dénoncée le 18 mars 2002 à Léopold Mapathé; que les dispositions de l’article 59 prescrivent que la décision autorisant la saisie conservatoire doit, à peine de nullité, préciser le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée; que selon les dispositions de l’article 79 du même acte la saisie conservatoire est portée à la connaissance du débiteur dans un délai de huit jours peine d caducité;
Attendu qu’il échet les exigences rappelées ci-dessus n’étant pas observées d’ordonner la main levée de la saisie conservatoire de créance pratiquée sur le compte n° 0110102160500 ouvert au nom de Léopold Mapathé dit Ibrahima MBAYE dans les livres de la BHS;
Attendu qu’il y a lieu la saisie ayant privé Léopold Mapathé la jouissance du produit de son compte depuis le 5 mars 2002,d’ordonner l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement;
Attendu qu’il y a lieu de condamner Salimata BODIAN aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en premier ressort;
Ordonnons la main levée de la saisie conservatoire de créance pratiquée sur le compte n° 01101022160500 ouvert au nom de Léopold Mapathé dit Ibrahima MBAYE dans les livres de la BHS;
Ordonnons l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement;
Condamnons Salimata BODIAN aux dépens;
Et signons avec le Greffier.
OBSERVATIONS
Par Ndiaw DIOUF, agrégé des Facultés de droit, Directeur du CREDILA
La saisie conservatoire gêne considérablement le débiteur en raison de l’indisponibilité qu’elle provoque. C’est pourquoi le législateur communautaire, tout en allégeant ses conditions d’exercice, a prévu un formalisme protecteur des droits du débiteur et celui-ci peut obtenir la mainlevée de la mesure en cas de non-respect de ce formalisme. C’est ce qu’a rappelé le Juge des Référés du Tribunal Régional Hors Classe de Dakar qui décide, dans l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance ci-dessus reproduite, que si les prescriptions des articles 59 et 79 AU/RVE ne sont pas observées, la mainlevée de la saisie doit être ordonnée.
Le premier texte qui est visé et qui prévoit que « la décision autorisant la saisie conservatoire doit, à peine de nullité, préciser le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure est autorisée », fait partie de ceux qui fixent des conditions dont l’absence peut justifier la mesure de mainlevée.
On peut se demander, au demeurant, si le Juge des Référés peut s’appuyer sur ce texte pour ordonner la mainlevée. Il est vrai que les conditions posées par ce texte font partie de celles dont l’absence justifie une décision de mainlevée. Mais, permettre au Juge des Référés d’ordonner la mainlevée parce qu’une formalité prescrite à peine de nullité (l’indication du montant des sommes pour lesquelles la saisie est pratiquée) n’a pas été respectée, ne revient-il pas à permettre au débiteur de faire sanctionner l’irrégularité d’une décision de justice par l’exercice, non pas d’une voie de recours hiérarchique (appel par exemple), mais d’une voie de rétractation.
Le deuxième texte invoqué à l’appui de la décision de mainlevée fait obligation au saisissant de porter, à peine de caducité, l’acte de saisie à la connaissance du saisi.
Avant d’ordonner la mainlevée, le Juge des Référés s’est prononcé sur sa compétence en adoptant un raisonnement qui n’est pas à l’abri de critiques. Il déclare, pour écarter l’exception d’incompétence soulevée, que » le Juge des Référés est compétent dans tous les cas d’urgence, sauf pour ses décisions à ne pas préjudicier au principal ». Le terme compétence utilisé ici est inapproprié. Les cas de référés qui sont visés par les nouveaux articles 247 et suivants du Code sénégalais de Procédure (dus au décret n° 2001-1181 du 31 déc. 2001) renvoient non pas à la compétence, mais aux pouvoirs du Juge des Référés (v. pour le Droit français dont les règles ont été reprises au Sénégal, Morel, Croze et Frandin, Procédure civile, Manuel pédagogique et pratique, 2e édit., Litec 2003, n° 1054, p. 323; V. aussi pour la distinction entre compétence et pouvoirs, NORMAND, obs. RTD civ. 1983, p. 781). Il suffit pour s’en convaincre de songer à ce qui se passe lorsqu’un plaideur saisit le Juge des Référés alors qu’il ne se trouve dans aucun des cas prévus. Le Juge des Référés ne se déclare pas incompétent mais doit décider qu’il n’y a pas lieu à référé (V. Solus et Perrot, Droit judiciaire privé, T.3, Procédure de l’instance, Sirey, 1991, n° 1267, p. 1067)