J-04-168
RECOUVREMENT DE CREANCE – INJONCTION DE PAYER – OPPOSITION – ABSENCE DU CREANCIER POURSUIVANT – ECHEC DE LA TENTATIVE DE CONCILIATION.
L'absence du créancier poursuivant à la procédure d'opposition équivaut un échec de la tentative de conciliation, qui est imputable au débiteur dès lors qu'il n'a pas informé celui-ci de la procédure signifiée à mairie et non son siège social.
(Cour d'appel d'Abidjan Arrêt n° 323 du 16 mars 2001, Ecole supérieure interafricaine de l’Electricité (ESIE) c/ SODERCI, Le Juris Ohada, n° 1/2004, janvier-mars 2004, p. 44, noteBrou Kouakou Mathurin.).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions;
Par exploit en date du 30 Juin 1999 comportant ajournement au 29 Octobre 1999 l'ECOLE SUPERIEURE INTERAFRICAINE de l'ELECTRICITE dite E.S.I.E , Prise en la personne de Monsieur A., son représentant légal, a relevé appel du jugement civil contradictoire N° 193 rendu le 31 Mai 1999 par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan et dont le dispositif est ainsi conçu :
« Statuant publiquement, par défaut à l'égard de la SODERCI, en matière civile et en premier ressort :
– Déclare l'action de l'Ecole Supérieure Interafricaine d'Electricité recevable; - L'y dit mal fondée;
– Restitue à l'ordonnance N° 1194/99 du 25 Février 1999 son plein et entier effet;
– Condamne, la demanderesse aux dépens";
Il résulte des énonciations du jugement susvisé et écritures des parties que par exploit en date du 8 Avril 19-9, l'Ecole Supérieure Inter - Africaine d'Electricité a formé opposition à l'exécution de l'ordonnance N° 1194/99 du 25 Février 1999 l'ayant condamnée à payer à la Société SODERClla somme principale de 8.716.695 francs outre les intérêts et frais;
A l'appui de son opposition, l'E.S.I.E. qui ne contestait pas la créance réclamée, sollicitait en revanche un moratoire de paiement compte tenu des difficultés de trésorerie auxquelles elle se trouve confrontée;
La SODERCI, citée à Mairie, n'ayant pas comparu, défaut a été donné contre elle;
Pour statuer comme il l'a fait, le Premier Juge après avoir assimilé cette absence de la SODERCI en un échec de la tentative de conciliation prévue par l'article 12 du 4è Acte Uniforme du Traité OHADA (sic), a statué sur la demande en recouvrement en indiquant que la procédure d'opposition à injonction de payer, n'est pas celle indiquée pour solliciter un délai de grâce, et partant, a condamné E.S.I.E. au paiement de la somme réclamée;
Au terme de son acte d'appel valant conclusions, l'E.S.I.E. fait grief au jugement entrepris de n'avoir pas appliqué les dispositions de l'article 12 en permettant aux parties de procéder à une transaction au cours de laquelle elle aurait proposé un échéancier de paiement de sa dette;
Le jugement querellé, rendu au mépris de cette disposition légale selon elle doit être infirmé en toutes ses dispositions et la Cour, en statuant à nouveau, doit lui donner acte de ce qu'elle se propose d'apurer sa dette par des paiements mensuels de la somme de 500.000 francs;
Dans ses conclusions en date du il Novembre 1999, la SODERCI, intimée par le canal de son conseil Maître KOUAKOU CHRISTOPHE, rétorque que le jugement attaqué a été rendu conformément à l'article 12 de l'Acte Uniforme susvisé, après avoir constaté1!échec de la tentative de conciliation;
Elle poursuit en ajoutant que ledit jugement, loin d'avoir violé ce texte, a fait une saine appréciation des faits de la cause en condamnant l'E.S.I.E. à payer la somme de 8.716.695 francs qui n'est point contestée en l'espèce;
Elle sollicite donc la confirmation de ce jugement et forme appel incident pour demander la condamnation de l'E.S.I.E au paiement de la somme de 2.000.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire suite à son attitude destinée à empêcher le paiement de sa dette;
DES MOTIFS
EN LA FORME
Les appels principal et incident relevés respectivement par l'E.S.I.E. et la SODERCI sont recevables pour être intervenus conformément à la loi;
AU FOND
SUR LA TENTATIVE DE CONCILIATION
L'E.S.I.E. articule que cette formalité prévue par l'article 12 du Traité OHADA n'a pas été respectée par le Premier Juge de sorte qu'il n'a pas été en mesure de proposer un échéancier de paiement de sa dette;
Elle est mal venue à faire sienne une telle argumentation dès lors que l'échec de la tentative de conciliation tiré de l'absence de la SODERCI lui est imputable, celle-ci n'ayant pas été informée de la procédure d'opposition lui ayant été signifiée à Mairie et non à son siège social;
L'échec de la tentative constatée, c'est à bon droit qu'il a été statué sur la demande en recouvrement en application de cette disposition;
Il y a donc lieu de rejeter le moyen tiré du non respect des dispositions de l'article 12
SUR LA CREANCE RECLAMEE
La SODERCI sollicite la condamnation de l'E.S.I.E. à lui payer la somme de 8.716.695 francs;
Celle-ci ne conteste pas la créance réclamée mais sollicite des facilités de paiement en invoquant des difficultés financières;
Il convient dès lors de rejeter sa demande et de confirmer le jugement entrepris en toLites ses dispositions par substitution des motifs;
SUR LES DOMMAGES-INTERETS POUR PROCEDURE ABUSIVE
La Société SODERCI qui relève appel incident et sollicite des dommages- intérêts pour procédure abusive ne démontre pas en quoi l'exercice du droit d'agir en justice de l'E.S.I.E. constitue un abus fautif;
Il échet dès lors de la débouter de sa demande comme étant mal fondée;
L'E.S.I.E., appelante principale qui succombe, doit être en outre condamnée aux dépens de l'instance, en application de l'article 149 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare recevables - mais mal fondés et rejette comme tels les appels principal et incident respectivement relevés par l'E.S.I.E. et la SODERCI du jugement NC 193 rendu sur opposition par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
AU FOND
Confirme ledit jugement en toutes ses dispositions par substitution de motifs; Président : M. KANGA PENOND YAO Mathurin
Note
Quelle est l'incidence de l'absence du créancier poursuivant à la tentative de conciliation ?
En assimilant l'absence du créancier en un échec de la tentative de conciliation, des précisions sont nécessaires pour la compréhension de l'arrêt.
Il faut rappeler que la juridiction saisie d'une opposition ne statue pas immédiatement. Elle procède d'abord à une tentative de conciliation.
La juridiction saisie de l'opposition ne peut donc statuer qu'en cas d'échec de la tentative de conciliation.
Ainsi lorsque la tentative échoue, la juridiction saisie, indique l'article 12 al2 de l :Acte uniforme portant recouvrement de créances, doit statuer immédiatement sur l'opposition, même en l'absence du débiteur (ce qui exclurait tout renvoi possible. Dans ce sens, Anne Marie H. Assi-Esso et Ndiaw Diouf, OHADA, Recouvrement des créances, Bruylant 2002, N° 30 p.21), dès lors que le demandeur à l'instance ouverte à l'opposition est le créancier poursuivant et non le débiteur poursuivi.
En revanche qu'en est-il lorsque le créancier est absent à la tentative de conciliation, alors que la procédure lui a été signifiée.
Le demandeur de la décision d'injonction de payer, en l'occurrence le créancier poursuivant supportant la charge de la preuve de sa créance (art 13) son absence à la tentative de conciliation ne rend-elle pas caduque sa demande? (dans ce sens, Tribunal d'instance de Guingamp, 15-10-1983, JCP 1986 II, 20358; Civ, 23 oct 1991. RTD Civ 1992, 648; Voy BROU Kouakou Mathurin, la procédure d'injonction de payer en droit ivoirien l'apport du droit OHADA, in Revue de Recherche juridique (RRJ), Droit prospectif - Presse universitaire d’Aix Marseille - 2001-2 (2) p 1147).
Il ne peut en être autrement que si la procédure d'opposition n'a pas été signifiée au créancier poursuivi. Tel est le cas en l'espèce, dès lors que le créancier a été cité à mairie, et qu'il n'a pas pu comparaître de par la faute du débiteur.
Prononcer la caducité de la demande d'injonction de payer reviendrait à léser les droits du créancier poursuivant, l'absence étant imputable au débiteur poursuivi.
C'est dans ce sens qu'il faut donc entendre l'échec de la tentative de conciliation. Si la tentative 11 'a pas pu se dérouler c'est de la faute du débiteur qui n'a pas informé le créancier. L'échec apparaît donc comme une sanction du comportement fautif du débiteur.
BROU Kouakou Mathurin