J-04-173
SURETE – CONTRAT DE GAGE – CONSTITUTION – BIENS GAGES REMIS AU CREANCIER OU A UN TIERS CONVENU – NON ENREGISTREMENT DE L'ACTE CONSTITUTIF – INSCRIPTION AU REGISTRE DU COMMERCE ET 'DU CREDIT MOBILIER (NON) – GAGE OU NANTISSEMENT LEGALEMENT CONSTITUES (NON) – RETRACTATION DE L'ORDONNANCE DE RESTITUTION.
L'ordonnance par laquelle le juge a ordonné au tiers saisissant de restituer au créancier gagiste les véhicules litigieux doit être rétractée pour violation des articles 44, 47, 48, 49, 91, 93, 94 et 95 de l'Acte uniforme portant organisation des sûretés, dès lors que lesdits véhicules n'ont fait l'objet ni d'un gage, ni d'un nantissement légalement constitué.
Il en est ainsi lorsque l'acte constitutif n'a été ni dûment enregistré, ni inscrit au registre du commerce et du crédit mobilier.
(Cour d'appel d'Abidjan Arrêt n° 107 du 20 mars 2002, Société Delbeau c/CFAO-CI, le Juris-Ohada, n° 1/2004, janvier-mars 2004, p. 59).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier et les conclusions des parties;
Vu l'arrêt avant dire droit no 468 de la Cour de ce siège, en date du 26 décembre 2001, portant recevabilité de l'appel; Après en avoir délibéré;
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La Compagnie Française de l'Afrique Occidentale en Côte d'Ivoire dite CFAO, S.A, a vendu,
par l'entremise de son département Central Motors, 02 véhicules automobiles de marque
Mitsubishi, livrés le 02 novembre 2000, au prix de 34.578.000 francs, à K. qui, en paiement
d'un acompte de 14.578.000 francs, lui a remis 03 chèques payables à la B.I.A.O., à Soubré, le
solde de 20.000.000 francs, devant être payé en 05 mensualités par acte sous seing privé du 18
octobre 2000, comportant la mention "camions gagés CFAO";
La Société DELBEAU, créancière de K., de la somme principale de 26.616.000 francs a, suivant ordonnance no 238 du 11 décembre 2000 du juge de la Section de Tribunal de Soubré, l'y autorisant, pratiqué le 03 janvier 2001, entre les mains de celui-ci, la saisie-vente de ces véhicules;
La CFAO-CI, se prétendant créancière gagiste et propriétaire des véhicules saisis, a obtenu, le
19 janvier 2001 du juge de la Section de Tribunal de Soubré, sur , la base des dispositions de
l'acte Uniforme de l 'OHADA portant organisation des procédures simplifiées tendant à la
délivrance ou à la restitution d'un bien déterminé, l'ordonnance n° … condamnant la Société
DELBEAU à lui restituer lesdits véhicules;
Ladite ordonnance lui ayant été signifiée le 23 janvier 2001, la Société DELBAU y a formé opposition, le 06 février 2001;
Le Tribunal civil de Soubré, rejetant son recours, lui a ordonné de restituer les véhicules litigieux à la CFAO-CI, par jugement contradictoire no 174 du 24 octobre 2001, contre lequel cette Société a relevé appel dont la recevabilité a été admise suivant arrêt avant-dire-droit n° 468 de la Cour de ce siège en date du 26 décembre 2001;
MOYENS DES PARTIES :
La Société DELBAU sollicite l'infirmation du jugement déféré;
Elle soutient principalement, que la procédure de restitution mise en œuvre par la CFAO-CI, est inappropriée, en ce que la vente étant parfaite entre les parties, qui ont convenu de la chose et du prix et la propriété étant acquise de droit à l'acheteur qui en a été payé, en vertu de l'article 1583, du Code Civil, la CFAO-CI, à défaut d'une clause de réserve de propriété stipulée dans la vente, n'est qu"une simple créancière de sommes d'argent sur K., contre qui elle dispose non pas, d'un droit de restitution, mais d'un droit de créance dont elle doit poursuivre le recouvrement; elle fait observer à cet égard, d'une part, que la CFAO-CI, fût créancière d'une obligation de restitution ainsi qu'il ressort de l'article 19 de l'Acte précité; tel n'est pas le cas en l'espèce, les deux sociétés n'ayant jamais été auparavant en relations d'affaires, et d'autre part aurait pu demander à la juridiction compétente d'en ordonner la distraction, conformément à l'article 141 de l'Acte Uniforme sus-rappelé;
Elle ajoute enfin, que devant la difficulté matérielle de déposséder l'acheteur, le traité de l'OHADA, a institué, au profit du vendeur à crédit, une sûreté qui n'est pas le gage, mais le nantissement sans dépossession, régit par les articles 91 et suivants, de l'acte uniforme, portant organisation des sûretés, sont nuls;
Ses écritures des 10 et 22 janvier 2002, enregistrées les 21 et 28 janvier suivants sous les numéros 25 et 40, doivent être rejetées des débats comme irrecevables par application de l'article 66 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative;
Elle verse des pièces;
La CFAO-CI, intimée, de son côté, demande la confirmation du jugement;
Elle fait valoir d'abord, que la saisie-vente opérée le 03 janvier 2001, par la Société DELBAU est nulle aux motifs, d'une part, que l'ordonnance no 238 du juge de la Section du Tribunal de Soubré, en date du 03 janvier 2001, ayant servi de base juridique à cette mesure d'exécution forcée, n'est pas revêtue de la formule exécutoire, comme l'exige l'article 32 de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution; et d'autre part, que ladite saisie-vente n'a pas été précédée d'un commandement de payer signifié au. moins 08 jours avant la saisie contenant à peine de nullité, des mentions précises, aux termes de l'article 92 dudit Acte;
Elle soutient ensuite que le gage, étant un privilège spécifique aux ventes de véhicules automobiles à crédit régis par les articles 91 et suivants de l'Acte Uniforme sur les sûretés, lui permet de demeurer propriétaire des véhicules tant que l'acquéreur n'aura pas soldé le prix d'achat, de sorte que SI ce dernier a pu à un moment, en être détenteur comme en l'espèce, il n'en était pas pour autant, propriétaire, les trois chèques remis à titre d'acompte étant revenus impayés, et les véhicules ne pouvaient être saisis pour une dette personnelle de K., lequel aurait été informé de cette situation s'il avait satisfait aux exigences de l'article 102 de l'acte uniforme sus-rappelé;
Elle précise enfin que le terme gage mentionné sur l'acte constitutif, plutôt que le nantissement est un gage à la seule différence qu'il ne permet pas la dépossession du débiteur; ainsi, le gage ou nantissement, ayant été légalement constitué parce que mentionné sur le titre administratif portant autorisation de circuler et immatriculation comme l'exige l'article 96 alinéa 2 de l'acte uniforme organisant les sûretés, elle pouvait réclamer en quelque mains où ils se trouvent en , vertu de l'ordonnance précitée, la restitution des véhicules dont elle est demeurée propriétaire en sa qualité de créancière nantie à laquelle l'article 98 de l'acte uniforme précité confère un droit de suite et de réalisation des véhicules gagés, lorsqu'il y a défaut de paiement du prix à l'échéance, le gage étant quelle que soit la forme sous laquelle il est constitué, une remise pour garantir voire un dépôt; elle verse des pièces;
MOTIFS
Considérant qu'aux termes de l'article 1583 du Code Civil, "la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à 1'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée, ni le prix payé";
Considérant en l'espèce que la CFAO-CI et K. ayant convenu des véhicules qui ont même été livrés à ce dernier et du prix, celui-ci en est devenu propriétaire, surtout qu'aucune réserve de propriété n'a été stipulée dans la vente quoique n'ait pas encore été payé;
Considérant que si la CFAO-CI, à qui K. doit le prix des véhicules vendus est créancière de celui-ci, en revanche, la Société DELBAU, qui n'était ni partie à la vente, ni en relations d'affaires avec la CFAO-CI, apparaît comme un tiers;
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 44, 47, 48 et i 49 de l'acte uniforme de l'OHADA portant organisation des sûretés, que le contrat de gage par lequel un bien meuble est remis au créancier ou à un tiers convenu entre les parties pour garantir le paiement d'une dette, ne produit effet que si la chose gagée est effectivement remise au créancier ou à un tiers convenu entre les parties; que le constituant du gage doit être propriétaire de la chose gagée; que, quelle que soit la nature de la dette garantie, le contrat de gage n'est opposable aux tiers que s'il est constaté par un écrit dûment enregistré, contenant indication de la somme due ainsi que l'espèce, la nature et la quantité des biens meubles donnés en gage;
Considérant en l'espèce que, K., propriétaire est demeuré en possession des véhicules; qui n'ont jamais été remis à la CFAO-CI sa créancière, de sorte que le gage prétendu n'a pu être légalement constitué et produire effet;
Considérant en surplus, que le nantissement du matériel et des véhicules automobiles, qui doit être constitué par acte authentique ou sous seing privé dûment enregistré, ne produit effet que s'il est inscrit au Registre de Commerce et du crédit mobilier, aux termes des dispositions combinées des articles 91, 93, 94 et 95 de l'acte uniforme précisé;
Que tel n'est pas le cas dans la présente espèce, l'acte constitutif sous seing privé, n'ayant été ni dûment enregistré, ainsi qu'il ressort d'une lettre non datée adressée à "Monsieur l'Ingénieur Principal, Chef du Service des Mines Abidjan", par P. PON Central MOTORS", ni inscrit au registre du Commerce et du Crédit Mobilier; !
Considérant que, pour ordonner à la Société Delbau de restituer les véhicules litigieux à la CFAO-CI, le Tribunal, qui relève que celle-ci disposait d'un droit de gage sur les véhicules litigieux cédés à K., lequel, n'ayant pas payé le prix, ne peut en être propriétaire, retient que la CFAO-CI., demeurée propriétaire, a le droit, pour réaliser son gage, de réclamer les véhicules
en n'importe quelles mains, tant qu'elle n'a pas reçu le paiement complet du prix;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que les véhicules litigieux, propriété de K., qui en a même pris possession, quoique n'ayant pas encore payé, n'ont fait l'objet, ni d'un gage, ni d'un nantissement légalement constitués, le Tribunal a violé les textes susvisés et n'a pas justifié sa décision, laquelle doit être, dès lors, infirmée, et l'ordonnance de restitution rétractée;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
Vu l'arrêt avant-dire-droit n° 468 de la Cour d'Appel de ce siège, en date du 26 décembre
2001, sur la recevabilité de l'appel;
Déclare ledit appel bien fondé;
Infirmant le jugement attaqué, rétracte l'ordonnance N° 11 du 19 janvier 2001, par laquelle le
juge de la Section de Tribunal de Soubré, a ordonné à la Société DELBAU, de restituer les
véhicules litigieux, à la CFAO-CI;
Président : M. TOBA AKAYE Edouard
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur.
Le vendeur et l’acheteur de véhicules automobiles à crédit conviennent de constituer un gage sur les véhicules achetés à crédit sans que le gage ait fait l’objet d’un enregistrement et les véhicules d’une remise au créancier gagiste ou sans qu’un nantissement sur lesdits véhicules ait été pris.
Un créancier de l’acheteur pratique une saisie sur ces véhicules et le vendeur réagit en demandant et obtenant une ordonnance de restitution contre le saisissant qui fait appel de cette décision. La cour d’appel, avec raison, rappelle que, pour être opposable aux tiers, le gage doit faire l’objet d’un acte écrit dûment enregistré et suivi d’une remise des choses gagés et un nantissement , inscrit au registre du commerce. La suite logique est que la saisie pratiquée suive son cours.