J-04-365
Voir Ohadata J-04-18
DROIT DES SOCIETES COMMERCIALES ET DU GIE – SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE – MESENTENTE DES ASSOCIES – ACTION EN CONCURRENCE DELOYALE ET EN REDDITION DE COMPTE INTENTEE PAR UN ASSOCIE – IRRECEVABILITE – DISSOLUTION ANTICIPEE ET LIQUIDATION DE LA SOCIETE – APPEL – RECEVABILITE (OUI).
DISSOLUTION ANTICIPEE DE LA SOCIETE – CAUSES – ARTICLES 200 AUDSGIE – MESINTELLIGENCE PROVOQUEE ET ENTRETENUE PAR LE SEUL FAIT DU GERANT – ABSENCE DE JUSTES MOTIFS – CONDITIONS NON REUNIES.
GERANCE – RESPONSABILITE DES GERANTS – ACTION EN CONCURRENCE DELOYALE – ARTICLE 331 AUSCGIE – ACTION SOCIALE EN RESPONSABILITE CONTRE LE GERANT – CAPACITE ET QUALITE DU DEMANDEUR – RECEVABILITE DE L'ACTION SOCIALE (OUI) – MISE EN ŒUVRE DE L'ACTION – ARTICLE 167 AUSCGIE – NECESSITE D'UNE MISE EN DEMEURE PREALABLE – OMISSION – REJET DE L'ACTION EN CONCURRENCE DELOYALE – DEMANDE EN REDDITION DE COMPTES – DEMANDE BIEN FONDEE (OUI).
INFIRMATION DU JUGEMENT ATTAQUE.
Le gérant d'une Sarl qui aurait provoqué et entretenu une mésintelligence entre les associés en vue d'en tirer les avantages à son propre profit, est mal venu pour l'invoquer à l'appui de sa demande en dissolution de la société, alors qu'il n'apporte aucun juste motif à cette demande, encore moins la preuve d'un mauvais fonctionnement. Par conséquent, les conditions de l'article
200 AUSCGIE ne sont pas réunies pour une dissolution anticipée de la société.
Par contre, l'action sociale en responsabilité contre le gérant intentée par un associé qui remplit les conditions exigées par l'article 331 AUSCGIE est bien recevable. Encore faut-il pour qu'elle aboutisse pleinement, qu'elle respecte les prescriptions de l'article 167 AUSCGIE selon lesquelles l'action sociale ne peut être intentée qu'après « une mise en demeure des organes compétentes non suivie d'effet dans le délai de trente jours. »
(COUR D'APPEL DE OUAGADOUGOU (BURKINA FASO), Chambre civile et commerciale, Arrêt n° 40 du 02 mai 2003, Jacques Firmin TRUCHET c/ Jean Pascal KINDA).
LA COUR,
Vu le jugement n° 631 du 12 juin 2002;
Vu l'acte d'appel de Jacques Firmin TRUCHET en date du 28 juin 2002;
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs conclusions, fins, moyens et observations;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
FAITS – PROCEDURE ‑ PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le 13 octobre 1986, Jean Pascal KINDA et Jacques Firmin TRUCHET ont créé une société à responsabilité limitée (S.A.R.L.) dénommée « JEUX J.P. ».
Le 20 décembre 2000, après quelques d'existence, Jean Pascal saisissait le tribunal par exploit d'huissier de justice pour s'entendre prononcer la dissolution de ladite société et désigner un liquidateur pour procéder à la liquidation.
Il expose que la confiance s'est effritée entre lui et son associé qui a créé des activités similaires tant, à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur et que cet état de fait empêche le fonctionnement normal de la société dans lequel il ne trouve plus aucun intérêt à maintenir.
Jacques Firmin TRUCHET s'oppose à cette demande en faisant valoir qu'à supposer qu'il exploite des maisons de jeux similaires à « JEUX J.P. », il convient de souligner d'une part que les statuts de leur société ne l'interdisent pas et d'autre part que cela se passe à plus de trois cent (300) kilomètres de Ouagadougou.
Il soutient que c'est plutôt Jean Pascal KINDA qui exploite un casino à Ouaga 2000, à moins de quinze (15) kilomètres de « JEUX J.P. », ce qui constitue une concurrence déloyale.
Il sollicite en conséquence la fermeture du casino et la condamnation de Jean Pascal KINDA à lui payer des dommages et intérêts et à rendre compte de sa gestion de « Jeux J.P. » pour les exercices des années 1998 à 2000.
A l'audience du 12 juin 2000, le tribunal rendait la décision contradictoire suivante :
– déclare irrecevable l'action en concurrence déloyale de Jacques Firmin TRUCHET pour défaut de qualité du défendeur;
– prononce la liquidation anticipée de la société à responsabilité limitée « JEUX J.P. »;
– nomme SERE Souleymane en qualité de liquidateur;
– met les dépens à la charge de « JEUX J.P. » société en liquidation.
Contre cette décision, Jacques Firmin TRUCHET relevait appel le 28 juin 2000 pour voir infirmer la décision attaquée.
Il expose être détenteur de parts sociales à cinquante pour cent (50%) de la société où il est associé et que la loi et les statuts l'autorisent à intenter une action en justice pour demander la réparation de tout préjudice subi par la société du fait de ses gérants (article 331 du traité Ohada); que son action est donc recevable et qu'il sollicite le paiement de la somme de soixante millions (60.000.000) de francs à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.
Attendu que l'affaire a été enrôlée pour l'audience publique ordinaire de la Cour d'appel du 17 juillet 2002 et renvoyée au rôle général pour la mise en état;
Que l'ordonnance de clôture étant intervenue le 09 janvier 2003, l'affaire fut appelée de nouveau à l'audience de la Cour du 17 janvier 2003, date à laquelle elle fut retenue, débattue et mise en délibéré pour arrêt être rendu au 21 mars 2003;
Qu'à cette date, le délibéré fut prorogé au 02 mai 2003;
Qu'advenue cette date, la Cour vidant son délibéré a statué en ces termes;
EN LA FORME
Attendu que Jacques Firmin TRUCHET a relevé appel le 28 juin 2001 contre une décision rendue contradictoirement le 12 juin 2002 que cet appel remplit les conditions de forme et de délais de la loi et mérite en conséquence d'être déclaré recevable;
AU FOND
Sur la dissolution de la société
Attendu qu'il est fait grief au jugement attaqué d'avoir d'une part, déclaré irrecevable l'action en concurrence déloyale de Jacques Firmin TRUCHET pour défaut de qualité du défendeur et d'avoir rejeté en même temps sa demande en paiement de dommages et intérêts et d'autre part, prononcé la liquidation anticipée de la société « JEUX J.P. »;
Attendu qu'aux termes de l'article 200 de l'acte uniforme du 17 avril 1997 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, la société prend fin entre autres par « la dissolution anticipée prononcée par la juridiction compétente, à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés empêchant le fonctionnement normal de la société »;
Qu'en l'espèce, Jean Pascal KINDA invoque le manque de confiance entre lui et son associé qui empêcherait un fonctionnement normal de la société dans laquelle il ne trouve plus aucun intérêt à maintenir pour solliciter la dissolution anticipée;
Que cependant, de l'analyse des faits, il apparaît que c'est plutôt Jean Pascal KINDA qui exploite des activités similaires à celles de la société dont il a la gérance et cela dans un rayon de moins de quinze (15) kilomètres; que cet état de fait est confirmé par un constat d'huissier;
Qu'en outre, l'exploitation du casino par Jean Pascal KINDA, gérant de la société « JEUX J.P. », crée une confusion notable à l'endroit de la clientèle et est susceptible de provoquer un préjudice certain à la dite société;
Qu'en réalité, s'il existe une mésintelligence entre les associés de la société « JEUX J.P. » cette mésintelligence serait le seul fait de Jean Pascal KINDA qui l'aurait provoquée et entretenue en vue d'en tirer les avantages à son propre profit car la société « JEUX J.P. » dissoute, toute la clientèle se déverserait alors au « TOP 2000 »;
Qu'en ayant créé cette situation, Jean Pascal KINDA est mal venu pour l'invoquer à l'appui de sa demande en dissolution de la société, alors qu'il n'apporte aucun juste motif à cette demande, encore moins la preuve du mauvais fonctionnement de la dite société puisque son associé affirme que c'est justement parce qu'il a une entière confiance au gérant de la société qui fonctionne bien qu'il n'a jamais insisté pour qu'il rende compte de sa gestion;
Que dès lors, les conditions de l'article 200 de l'acte uniforme ci‑dessus cité ne sont pas réunies pour la dissolution anticipée de la société « JEUX J.P. »
Sur la recevabilité de l'action en concurrence déloyale et en reddition de comptes
Attendu qu'aux termes de l'article 331 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, « outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les associés représentant le quart des associés et le quart des parts sociales peuvent, soit individuellement, soit en se groupant, intenter l'action sociale en responsabilité contre le gérant »;
Qu'en l'espèce, Jacques Firmin TRUCHET possède cinquante pour cent (50 %) des parts sociales dans la société dont il est associé;
Qu'à ce titre, il remplit les conditions exigées par l'article susvisé pour intenter l'action sociale qui peut se définir comme étant une action menée, soit individuellement, soit par un groupe d'associés en vue d'obtenir réparation d'un préjudice ayant atteint le patrimoine de la société;
Que l'action de l'appelant en concurrence déloyale et en reddition de compte, dans le cas d'espèce, vise à réparer le préjudice subi par la société « JEUX J.P. » et aussi par l'appelant à titre personnel du fait de son gérant;
Que de même, l'article 17 alinéa 3 des statuts de la société accorde la faculté aux associés représentant au moins le dixième du capital social de soutenir, en demande aussi bien qu'en défense dans un intérêt commun, l'action sociale contre la gérance;
Qu'il s'en suit donc que l'action de Jacques Firmin TRUCHET tendant en déclaration de responsabilité pour concurrence déloyale et en reddition est bien recevable;
Mais attendu que conformément aux dispositions de l'article 167 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, l'action sociale ne peut aboutir pleinement qu'après « une mise en demeure des organes compétentes non suivie d'effet dans le délai de trente jours »;
Qu'en l'espèce, Jacques Firmin TRUCHET qui a la pleine capacité et la qualité pour intenter l'action a omis de respecter la prescription de l'article susvisé; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter son action en concurrence déloyale;
Que par contre, s'agissant de la demande en reddition de comptes formulée par l'appelant sur la gestion de Jean Pascal KINDA sur les exercices des années 1998 à 2000, elle est régulière et bien justifiée;
Qu'en conséquence, il convient d'y faire droit tout en impartissant un délai de quatre (4) mois au gérant pour s'exécuter.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière et commerciale et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare l'appel de Jacques Firmin TRUCHET recevable pour avoir été interjeté dans les formes et délais prévus par la loi;
AU FOND
Infirme le jugement attaqué;
Déboute Jean Pascal KINDA de sa demande aux fins de liquidation anticipée de la société « JEUX J.P. » comme étant mal fondée;
Reçoit Jacques Firmin TRUCHET en ses demandes reconventionnelles;
Déclare la demande en concurrence déloyale mal fondée pour inobservation des prescriptions de l'article 167 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique;
Déclare par contre sa demande en reddition de comptes bien fondée;
En conséquence, ordonne la reddition des comptes de la société « JEUX J.P. » par Jean Pascal KINDA de sa gestion sur les exercices des années 1998 à 2000 dans un délai de quatre (4) mois à compter de la présente décision;
Condamne Jean Pascal KINDA aux dépens.