J-04-374
Voir Ohadata J-04-375
PROCEDURES COLLECTIVES D'APUREMENT DU PASSIF – LIQUIDATION DES BIENS – REQUETE DES CREANCIERS AUX FINS DE LIQUIDATION DES BIENS – EXCEPTION D'IRRECEVABILITE – ENQUETE PRELIMINAIRE – ARTICLES 29 ET 32 AUPCAP – SIMPLE FACULTE – OBLIGATION DE LA JURIDICTION (NON).
CARACTERES DES CREANCES – CONTESTATION – ARTICLE 28 ALINEA 1 AUPCAP – DIFFERENTES FACTURES – DEFAUT DE PREUVE DU DEBITEUR – CREANCES CERTAINES, LIQUIDES ET EXIGIBLES (OUI).
RECEVABILITE DE L'ACTION.
CONDITIONS D'OUVERTURE DE LA PROCEDURE COLLECTIVE – CESSATION DES PAIEMENTS – CONTESTATION – ACTIF IMMOBILIER IMPORTANT – ARTICLE
25 AUPCAP – ACTIF NON DISPONIBLE – DETTE – CONFLIT ENTRE ASSOCIES – SITUATION COMPROMISE DE LA SOCIETE – DEFAUT D'OFFRE DE CONCORDAT – OUVERTURE DE LA LIQUIDATION DES BIENS (OUI) – FIXATION DE LA DATE DE CESSATION DES PAIEMENTS – EXECUTION PROVISOIRE (Oui).
La désignation d'un juge ou toute personne qualifiée pour faire l'enquête préliminaire, est une simple faculté et non une obligation faite à la juridiction. Le fait de ne pas satisfaire à cette faculté n'est pas une cause d'irrecevabilité de l'action en liquidation des biens intentée par des créanciers.
Par ailleurs, l'importance de l'actif immobilier d'une société ne signifie pas qu'elle n'est pas en cessation de paiement. L'état de cessation des paiements qui est distinct de l'insolvabilité, est établi lorsque le débiteur est hors d'état de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération les éléments d'actif constitués d'immobilisations.
(TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE OUAGADOUGOU (BURKINA FASO), Jugement n° 45 du 18 février 2004, KABORE Henriette (BTM) & Bureau d'Assistance Technique et Economique (BATEC-SARL) & Entreprise DAR‑ES‑Salam c/ SOSACO).
LE TRIBUNAL,
Par acte d'huissier de justice en, date du 24 et du 26 novembre 2003 :
1) KABORE Henriette, entrepreneur à l'enseigne Bâtiments Travaux Publics, Maintenance (BTM) domiciliée à Ouagadougou à la boîte postale 1780 ayant domicile élu en l'étude de maître SOGODOGO Moussa, avocat à la Cour;
2) le Bureau d'Assistance Technique et Economique, BATEC-SARL, ayant son siège social à Cotonou (BENIN) pour lequel domicile est élu en l'étude de maître SOGODOGO Moussa, avocat à la Cour;
3) L'entreprise DAR‑ES‑Salam, représentée par son directeur général ABOUBACAR AMMA, ayant son siège social à AGADEZ au NIGER, à la boîte postale 220, dont le conseil est SOME Bannituo, avocat à la Cour;
ont donné assignation à comparaître à la Société Sahel Compagnie (SOSACO) société anonyme ayant son siège social à la BP 5049 Ouagadougou, pour laquelle domicile est élu en l'étude des maîtres Sogotéré S. SANON, et TOE/BOUDA Franceline, avocats à la Cour à l'audience du 10 décembre 2003 par devant le tribunal de grande instance de Ouagadougou siégeant en matière civile et commerciale.
Advenue la date du 10 décembre 2003, le dossier fut renvoyé en chambre du conseil pour la date du 07 janvier 2004. A cette dernière date le dossier est renvoyé pour une nouvelle composition. Il sera finalement appelé en chambre du conseil le 30 janvier 2004. A l'audience du 30 janvier 2004, dans l'intérêt d'une bonne justice et en accord avec toutes les parties, il fut procédé par avant dire droit à la jonction des 3 procédures c'est à dire les RG 596, 597 et 599, cela conformément à l'article 306 du code de procédure civile. Après quoi l'affaire fut retenue, débattue, mise en délibéré, renvoyée pour décision à l'audience publique du 18 février 2004.
A la date du 18 février 2004, le tribunal vidant son délibéré, a prononcé la décision dont la teneur suit :
EXPOSE DE LA SITUATION
La Société Sahel Compagnie, en abrégé SOSACO est une société de droit burkinabè créée le 21 janvier 2000 avec pour principaux actionnaires monsieur ADOUM Togoï Abbo et monsieur Mohamed Boukary HAMMUDA. Dans le cadre de la réalisation de son objet social, la société a eu recours à différents prestataires de service dont les trois (03) personnes assignantes;
En effet la créance dont se prévaut le Bureau d'Assistance Technique et Economique (BATEC‑SARL) trouve son origine dans un contrat signé le 19 janvier 2001 avec SOSACO, au terme duquel BATEC‑SARL s'est vu confiée la mission partielle de maîtrise d'oeuvre d'un complexe hôtelier à Ziniaré‑Laongo au Burkina‑Faso (cf. article 1er de la convention);
KABORE Henriette BTM avait quant à elle été attributaire d'un marché à exécuter à Ouaga 2000 pour le compte de la SOSACO portant sur la construction d'un centre commercial et de deux villas de grand standing devant servir de logement au directeur général et au président du conseil d'administration de la société. Après avoir exécuté partiellement les travaux, le plus souvent avec des fonds propres, BTM a une créance chiffrée à 503.919.115 Francs dont elle a réclamé vainement le paiement;
Enfin, l'entreprise DAR‑ES‑SALAM pour sa part a exécuté, toujours pour le compte de SOSACO, divers travaux au sein du complexe hôtelier de la paix à AGADEZ (République du Niger). A l'issue des travaux, il est ressorti un solde positif en faveur de l'entreprise DAR‑ES‑SALAM de 88.310.314 Francs;
Alors que les trois créanciers demandeurs dans la présente procédure étaient toujours en attente d'être payés, ils se sont faits l'écho d'un conflit d'abord latent et ensuite ouvert entre les principaux associés de la SOSACO. Les divergences allaient apparaître au grand jour quand courant août 2003 le directeur général de SOSACO, consécutivement à une déclaration de cessation de paiement, saisissait le tribunal de grande instance de Ouagadougou aux fins de voir prononcer la liquidation des biens de la société;
Face à ce qui constitue à leurs yeux un péril qui menace l'existence même de la société, les trois créanciers ci‑dessus ont estimé que la seule chance qui leur restait d'être payés était de recourir à la procédure organisée par l'acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif notamment en ses articles 28 et suivants;
Pour résister à la demande des créanciers, la SOSACO par les soins de ses conseils, plaide l'irrecevabilité de leur action pour non-respect de l'enquête préliminaire préalable telle que prévue par les articles 29 et 32 de l'acte uniforme précité. Que c'est d'ailleurs en vertu des dispositions de l'article 29 qu'ils ont en date du 22 janvier 2004 adressé une correspondance au président de séant pour demander à ce qu'il soit sursis à tout débat au fond avant que le rapport d'expertise de gestion demandée ne rentre. Cela est d'autant plus nécessaire selon eux que les documents justificatifs produits par les créanciers prêtent à confusion;
En tout état de cause, l'acte des demandeurs ne saurait prospérer d'avantage dans la mesure où la condition essentielle à savoir la cessation des paiements est loin d'être remplie. En effet, la SOSACO n'est pas en cessation de paiement, aussi la créance de BTM et de BATEC‑SARL n'est ni certaine liquide et exigible. Au total donc les demandeurs doivent être déboutés de toutes leurs prétentions;
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la recevabilité de l'action des créanciers
Attendu que la Société Sahel Compagnie (SOSACO) conteste la régularité de l'action de ses créanciers pour le motif que celle‑ci devait être précédée d'une enquête préliminaire diligentée par la juridiction compétente; Qu'en effet, en vertu des articles 29 et 32 de l'acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif, à défaut d'avoir fait comparaître le débiteur pour recueillir ses observations, la juridiction se devait de désigner un juge du siège ou toute personne qualifiée à charge de dresser et lui remettre un rapport sur la situation du débiteur, ce qui lui aurait permis de se prononcer en toute connaissance de cause; que c'est donc pour réparer cette grave entorse à la procédure qu'elle sollicite qu'une expertise de gestion soit faite avant toute action;
Attendu que cette lecture ne paraît conforme ni à l'esprit ni à la lettre de l'acte uniforme. En effet, à côté des hypothèses où la procédure collective peut être initiée par le débiteur lui même (article 25) ou le créancier (article 28) il y a une troisième hypothèses où cette faculté est laissée à la juridiction compétente sur dénonciation du représentant du ministère public ou du commissaire aux comptes (article 29);
Que c'est seulement dans cette dernière hypothèse c'est à dire l'auto‑saisine que la juridiction fait convoquer le débiteur pour recueillir ses observations. Quand à la désignation d'un juge ou toute personne qualifiée pour faire un rapport, il s'agit d'une simple faculté et non d'une obligation faite à la juridiction. Aussi lorsqu'un juge est désigné, il aura entre autre mission de recueillir des renseignements sur la proposition de concordat faite par le débiteur, ce qui laisse opposer qu'une telle proposition ait été effectivement faite;
Attendu que s'agissant de l'expertise de gestion présentée comme une sorte d'épouvantail pouvant se substituer au concordat sérieux que SOSACO n'a pas daigné présenter, il convient de faire observer ce qui suit :
– la demande d'expertise de gestion telle que formulée procède d'une démarche unilatérale, ce qui forcement ne lui assure pas la neutralité requise et ne lui confère aucun caractère contradictoire voir manuscrit l'expert désigné pour déposer son rapport, ce qui rend la démarche suspecte et l'apparente à de la dilation dans une circonstance où la célérité doit être de rigueur;
– l'expertise de gestion relève beaucoup plus de la gestion interne de SOSACO, elle n'est donc pas opposable aux créanciers et encore moins au tribunal;
2) Sur les caractères de la créance
Attendu que l'article 28 alinéa 1er de l'acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif dispose que « la procédure collective peut être ouverte sur la demande d'un créancier, quelle que soit la nature de sa créance, pourvu qu'elle soit certaine, liquide et exigible »;
Que c'est sur le fondement de cette disposition que BATEC-SARL, BTM et l'entreprise DAR‑ES‑Salam ont assigné la SOSACO en liquidation des biens;
Attendu que SOSACO fait grief aux créanciers demandeurs d'avoir engagé leur action sur la base de créances contestables, à terme non échu et dont le montant n'est pas déterminé surtout en ce qui concerne BTM et BATEC‑SARL;
Attendu que curieusement, aucun argument sauf la demande d'expertise de gestion n'est avancé par SOSACO pour établir le caractère incertain, non liquide et non exigible des différentes créances;
Attendu que s'agissant de la créance de BATEC‑SARL, le montant de la créance est contenu dans une lettre de demande de paiement adressé à SOSACO le 7 octobre 2002;
Que pour ce qui concerne Henriette KABORE BTM, la créance est contenue dans un document récapitulant l'ensemble des pièces comptables versées au dossier, lequel document est daté du 23 septembre 2003;
Qu'enfin la créance de la société DAR‑ES‑SALAM dont SOSACO ne semble pas remettre en cause l'existence à tout point de vue, a été arrêtée suite à la rencontre tenue le 1er novembre 2003 dont copie du procès-verbal est jointe au dossier;
Attendu que relativement au caractère exigible de ces créances, la date à prendre en considération n'est pas celle de l'arrêt des comptes, mais surtout les dates des différentes factures, ou celle à laquelle les différentes prestations ont été fournies. Aussi, contrairement aux dénégations de SOSACO, ce n'est pas faute d'avoir demandé le paiement que les créances sont restées jusqu'à ce jour en souffrance, les demandes de paiement n'ont pas eu de suite;
Attendu que contrairement à l'article 25 de l'acte uniforme, l'article 28 ne fait pas de la cessation des paiements la condition préalable et sine qua non de l'ouverture de la procédure collective. L'existence de la créance, son caractère certain, liquide et exigible peuvent servir de fondement à l'action de tout créancier au sens de l'article 28;
Attendu cependant que l'on ne saurait concevoir l'ouverture d'une procédure collective contre une société en parfaite santé économique, c'est pourquoi on doit s'interroger sur la santé de SOSACO face à l'action de ses créanciers
3) Sur la cessation des paiements
Attendu que la cessation des paiements est définie à l'article 25 de l'acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif comme la situation du débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible
Que de façon plus prosaïque, la cessation des paiements est le fait du débiteur commerçant de ne pas payer une dette à l'échéance quelle que soit la nature de la créance;
Attendu qu'en l'espèce la situation de la Société Sahel Compagnie impose certains constats. Le premier constat c'est que depuis bientôt une année les principaux actionnaires de la société sont entrain de se déchirer, bloquant ainsi le fonctionnement normal de celle‑ci et ralentissant le rythme de ses activités;
Que ce conflit entre associés a abouti à une déclaration de cessation des paiements suivie d'une action en liquidation des biens, même si cette procédure n'a pas abouti, elle reste quand même symptomatique du malaise apparent que connaît SOSACO;
Que le deuxième constat c'est que la SOSACO a accumulé au cours de dépenses sans retour sur investissement une énorme dette et ses créanciers, face à une situation pour le moins aussi confuse, sont en émoi et désespèrent logiquement de ne plus pouvoir être payés, d'où leur réaction;
Attendu que la SOSACO pourtant envers et contre tout soutient qu'elle est et demeure une société viable, en parfaite santé financière, qu'elle n'est pas en cessation de paiement et elle en veut pour preuve l'actif immobilier assez important dont elle dispose;
Attendu cependant que l'état de cessation des paiements qui est distinct de l'insolvabilité est établi lorsque le débiteur est hors d'état de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération les éléments d'actif constitués d'immobilisations (com. 20 novembre 1973, Bull civ‑73-IV‑298);
Attendu d'autre part que l'alinéa 3 de l'article 28 de l'acte uniforme donne la possibilité au débiteur assigné de faire dans le délai d'un mois suivant l'assignation une proposition de concordat;
Que l'article 33 alinéa 2 du même acte uniforme prévoit que la juridiction compétente prononce le redressement judiciaire s'il lui apparaît que le débiteur a proposé un concordat sérieux; dans le cas contraire, elle prononce la liquidation des biens;
Que c'est donc la possibilité pour le débiteur de proposer un concordat sérieux qui conditionne le choix pour la juridiction entre le redressement judiciaire et la liquidation des biens;
Attendu que sans que l'on ne sache trop pourquoi, la SOSACO, tout en clamant sa bonne santé financière n'a pas été en mesure jusqu'aujourd'hui de proposer un concordat, or la loi lui donnait un mois pour le faire à compter du 24 et 26 novembre 2003, dates respectives des assignations, mais au lieu de cela, la SOSACO demande une expertise de gestion presque deux mois après les assignations;
Attendu qu'en réalité, le fait matériel du défaut de paiement ne suffit pas à lui seul pour caractériser la cessation du paiement. Le juge doit être mis à même de constater que la situation du débiteur se trouve irrémédiablement compromise et sans autre issue que la procédure collective;
Attendu qu'à ce jour la SOSACO semble non seulement avoir perdu son crédit, mais le pire est peut être à venir si dans une hypothèse vraiment optimiste elle décidait d'une recapitalisation en ayant recours à un autre emprunt forcément ruineux, alors qu'à l'orée 2005, elle doit faire face au remboursement de l'emprunt initial;
Qu'il faut en convenir que tous les éléments constitutifs d'une situation compromise à jamais sont presque réunis;
Attendu qu'au total, absolument rien ne permet, à commencer par l'incapacité dans laquelle se trouve la SOSACO elle même à proposer un concordat sérieux, de soutenir de très bonne foi qu'on est en présence d'une société en parfaite santé économique. Que c'est donc pourquoi il y a lieu d'accéder à la demande des créanciers et de prononcer la liquidation des biens de la Société Sahel Compagnie;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement après débats en chambre de conseil, en matière commerciale et en premier ressort :
Constate que la société sahel compagnie S.A remplit les conditions d'ouverture de la procédure collective, conformément aux articles 25, 28 et 33 de l'acte uniforme portant organisation des procédures collectives et d'apurement du passif;
– En conséquence prononce la liquidation des biens de la dite société;
– Fixe provisoirement la date de cessation de paiement au 1er août 2003;
– Nomme SOU Sami Evariste, juge au siège du tribunal de grande instance de Ouagadougou, juge commissaire;
– Désigne le cabinet d'audit financier et d'expertise comptable KOMBOÏGO et associés (CAFEC‑KA), maître SANON Sidi, maître SOME Mathieu, avocats à la Cour en qualité de syndics liquidateurs;
– Dit que présent le jugement sera mentionné sans délai au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) du tribunal de grande instance de Ouagadougou;
– Dit qu'il sera publié dans un journal d'annonces légales du Burkina Faso à la diligence du greffier en chef du tribunal de grande instance de Ouagadougou;
– Ordonne l'exécution provisoire conformément à l'article 217 de l'acte uniforme sur l'organisation des procédures collectives et d'apurement du passif;
– Réserve les dépens