J-04-495
DROIT COMMERCIAL GENERAL – BAIL COMMERCIAL – DESACCORD SUR LE LOYER – FIXATION PAR LE JUGE.
En cas de désaccord entre les parties sur le nouveau montant du loyer, il revient au juge de fixer le montant en tenant compte de la situation des locaux, de leur superficie, de leur état de vétusté et du prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour des locaux similaires et en usant de son pouvoir discrétionnaire.
(Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n° 236 du 10 février 2004, Société de coordination et d’ordonnancement (SCO Afrique de l’Ouest) c/ Caisse autonome d’amortissement (CAA)).
LA COUR,
Vu les conclusions écrites du Ministère Public;
Vu les pièces du dossier;
Ensemble les faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant exploit daté du 28 octobre 2003, la société de coordination et d'ordonnancement dite SCO AFRIQUE de l'OUEST agissant aux poursuites et diligences de son représentant légal, Monsieur Guy Benté et Ayant pour conseil Maître AGNÉS OUANGUI, Avocat à la Cour a relevé appel de l'ordonnance de référé N°3553 rendue le 25 Juillet 2003 par la juridiction présidentielle du tribunal d'Abidjan qui, en la cause a statué ainsi qu'il suit :
"Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé d'heure à heure et en premier ressort;
Au principal renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront mais dès à présent, vu l'urgence;
Fixons pour compter de la date de la présente assignation à la somme de 1.500.000 francs par mois outre les charges, le prix du loyer que la société de coordination et d’ordonnancement dite SCO devra payer;
Condamnons la défenderesse aux dépens ";
Il ressort des énonciations de l'ordonnance querellée que la caisse Autonome d'Amortissement dite CAA a fait attraire la société de coordination et d'ordonnancement dite SCO, à comparaître par devant la juridiction présidentielle du Tribunal d'Abidjan pour voir fixer pour compter de la date de la présente assignation à la somme de 1.500.000 F par mois outre les charges, le prix du loyer à payer par la société de Coordination et d'ordonnancement dite SCO,
Au soutien de son action, elle a exposé qu'elle a donné par contrat de location daté de 1990 à la société SCO, aux fins d'un usage commercial, des locaux sis à Abidjan -Plateau pour un loyer mensuel de 410.000 F;
Depuis 1990 à ce jour, a-t-elle poursuivi aucune révision du prix n'étant intervenue entre elles, elle a entrepris, en accord avec le preneur de réviser en hausse les loyers;
C'est dans cette circonstance qu'elles ont, d'un commun accord, commis le cabinet CARMEX-I qui a estimé la valeur locative des lieux à la somme de 1.500.000F;
Sur la base de cette évaluation, Prétendait-elle, elle a notifié le nouveau prix de loyer au preneur qui s'est mie à le contester;
Ainsi, faute d'accord entre elles, elle s'est estimée fondée à faire fixer judiciairement le loyer;
Pour faire droit à l'action de la caisse autonome d'amortissement le premier juge a relevé que les parties ont d'un commun accord entrepris une révision en hausse du loyer fixé à dire d'expert à la Somme de 1.500.000 F;
Au soutien de son appel, la Société de Coordination et d'ordonnancement dite SCO, en rappelant les faits, indique que compte tenu de la vétusté des locaux à lui loués, elle a réalisé d'importante aménagements estimé à dire d'expert à la somme de 129.180.740 F;
La CAA, qui a toujours tenté de l'évincer des lieux lui a signifié le 21 février 2002 un congé de six mois avec comme motif, la reprise des lieux pour usage personnel avant même l'expiration du délai, soit le 4 Avril 2002, el1e a reçu d'une part un courrier du Cabinet CARMEX-I l'informant de ce qu'il a été mandaté par la CAA, à l'effet de procéder à une expertise de la concession et en déterminer la valeur locative et, d'autre parts une assignation en référé aux fins de reprise des lieux suivie d expulsion;
La SCO dit-elle, a alors les 20 et 26 juin 2002 adressé les courriers à la CAA par lesquels, elle a confirmé sa volonté de demeurer dans les locaux et indiqué au bailleur qu'elle ne s'oppose pas à une revalorisation du prix prenant en compte les résultats non encore connus de l'expertise CARMEX-I et avec comme médiateur Monsieur Abdoulaye M'BENGUE;
En lieu et place d'une proposition, poursuit-elle la CAA lui a adressé le 9 avril 2003 des factures des 3è et 4ème trimestres 2002 avec une augmentation de plus de 300% qu'elle a contestée le 17 janvier 2003 en continuant à s'acquitter des loyers sur la base de leur contrat de bail;
C'est donc, dans cette circonstance que l'action en révision des loyers a été initiée par exploit daté du 14 mai 2003, à la suite de quoi le juge des référés a rendu, l'ordonnance querellée qui mérite d'être infirmée conclut-elle;
En effet, elle conteste le rapport d'expertise du Cabinet CARMEX-I en raison de son caractère Unilatéral et du prix exorbitant du loyer fixé à la Somme de 1.500.000F, avec des données erronées ne tenant compte d'aucune réalité;
Cependant, d1t-elle, elle adhère au rapport d'expertise du cabinet Séry Agoua dans la mesure où il est non seulement contradictoire mais aussi plus réaliste en ce qu'il fixe le prix indicatif du loyer à 831.666 F;
Toutefois, terminer-t-elle, n'étant pas opposée à une éventuelle revalorisation à la hausse du prix de loyer, elle souhaite que la Cour lui en donne acte et fixe le nouveau loyer à la somme de 800.000 F soit une assignation de l'ordre de 100%;
Pour sa part, la CAA, dans ses conclusions datées des 4 novembre et 1er Décembre 2003, souligne que le rapport d'expertise du cabinet Séry Agoua lui est inopposable pour cause d'irrégularités et sollicite la prise en compte de celui du cabinet CARMEX-I et partant la confirmation de l'ordonnance en cause;
En effet, les irrégularités tiennent au fait que ce rapport est non seulement établi le dimanche 19 octobre 2003 mais aussi et Surtout viole le principe de contradiction découlant de l'Ordonnance N°4027 du 4 septembre 2003 ayant commis l'expert, ce d'autant plus que la CÂÂ, n'a été, ni présente ni représentée;
La seule convocation à lui adressée ne saurait conférer audit rapport Son caractère contradictoire ajoute-t-elle;
Par ailleurs, l'ordonnance du 4 septembre 2003, en statuant sur la détermination de la valeur indicative des lieux loués a statué sur une chose non demandée par la SCO et viole le principe de l'autorité de chose jugée dans la mesure où le juge des référés du tribunal d'Abidjan, a, dans sa décision du 25 juillet 2003, déjà fixé la valeur locative; C'est pourquoi, elle a relevé appel de cette ordonnance, et l’affaire est pendante devant la Cour d'Appel;
Relativement aux irrégularités de fond l'intimé soutient que les aménagements réalisés dans un local ne sont pas des éléments à prendre en compte dans la détermination de la valeur locative d'un immeuble en application de l'article 85 de l'acte uniforme portant droit commercial général mais ne rentrent en ligne de compte qu'au moment de la détermination de l'indemnité d'éviction au regard de l'article 94 du texte précité souligne-t-elle;
En agissant ainsi, poursuit-elle, l'exploit n'a pas tenu compte de la totalité des bâtiments loués; Ce qui l'aurait rapproché de la somme de 1.500.000 F fixée par le Cabinet CARMEX-I puis confirmée par l'ordonnance en cause;
Le montant de 800.000 F retenu par l'expert correspond déjà à celui proposé par la SCO en dehors de toute expertise et refusée par elle ajoute-elle; Ceci est insignifiant au même titre que les 410.000 F eu égard à la superficie de l'immeuble et de sa situation géographique;
Elle relève que l'application du rapport d'expertise du cabinet CARMEX-I, s'impose à elles, vu son caractère contradictoire la SCO y ayant été associé par la fourniture des documents, l'autorisation à l'accès des locaux comme en témoigne les photographies des lieux;
Dans ses conclusions en réplique datées du 10 novembre 2003, la SCO rejette le caractère contradictoire du rapport d'expertise du cabinet CARMEX-I et les irrégularités découlant du rapport du cabinet Séry Agoua;
En effet, soutient-elle, la date du 19 octobre 2003 un dimanche, qui, correspond à celle de la réfaction du rapport n'affecte nullement pas la régularité du caractère contradictoire car à ce stade, les parties ne sont pas appelées à y assister;
Elle fait également remorquer que le caractère contradictoire du rapport signifie seulement que les parties soient régulièrement convoquées même si elles ne sont pas présentes ou représentées au jour fixé par l'expert pourvu que ce dernier se soit conformé aux dispositions de l'article 74 du code de Procédure civil;
Elle fait observer que le vice d’ultra petita et de la violation de l’autorité de chose jugée ne peut prospérer dans la mesure où l’appel est relevé de l’ordonnance N°3553 rendue le 25 juillet 2003 et non de celle portant le numéro 4027 rendue le 4 septembre 2003; S’il s’avère que la CAA a des griefs à formuler, il lui est loisible de le faire dans le cadre de son appel du 10 octobre 2003;
Enfin, termine-t-elle, l’expert SERY AGOUA n'a nullement pris en compte les aménagements réalisés par elle d ans la fixation de la valeur locative;
Mais il s’est appuyé sur une pratique constante codifiée par la loi du 13 septembre 1280 par ce dernier à la page 35 de son rapport;
Le Ministère Public dans ces conclusions, écrites datées du 9 janvier 2004, relève qu'il existe dans le dossier un rapport d'expertise établi après que les parties eurent été convoquées et appelées à participer aux opérations ledit rapport contradictoirement établi possède de toute évidence, une force probante contrairement à celui que le premier juge a retenu comme base de sa décision;
En conséquence il sollicite l'infirmation de l'ordonnance querellée et requiert qu'il plaise à la Cour statuant à nouveau, déclarer recevable et partiellement fondée la demande de la CAA en fixant le nouveau loyer à la somme de 831.666 F;
DES MOTIFS
L'appel de la SCO a été relevé conformément aux prescriptions légales;
Il est donc régulier et recevable;
AU FOND
L'examen du dossier révèle la coexistence de deux rapporte d’expertise, l'un établi par le Cabinet CARMEX-I à la demande de la CAA et l'autre diligenté par le Cabinet Séry Agoua à la suite de l'ordonnance N°4027 rendue le 4 septembre 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal d'Abidjan-Plateau;
Le premier retient la somme de 1.500.000 F comme valeur locative des locaux loués tandis que le second fixe cette valeur locative à 831.666 F;
A défaut d'accord entre la CAA et la SCO sur le nouveau montant du loyer, la Cour en application de l'article 85 de l'acte uniforme relatif au droit commercial général et usant de son pourvoir discrétionnaire, dispose d'élément suffisante, notamment la situation des locaux, leur superficie, l'état de vétusté, le prix des loyers commerciaux pratiqués dans le voisinage, pour fixer le nouveau loyer;
Ainsi, en tenant compte des éléments susvisés, il est convenable et juste de fixer le nouveau loyer à la somme d'un million de francs (1.000.000 F) par mois, ce à compter du prononcé du présent arrêt;
L'intimée qui succombe doit être condamnée aux dépens en application de l'article 149 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare recevable l'appel régulièrement relevé par la SCO de l'ordonnance de référé N°3553 rendue le 25 juillet 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de première Instance d'Abidjan;
AU FOND
L'y dit bien fondée;
Reforme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fixé le nouveau loyer à la somme de 1.500.000 F par mois;
Statuant à nouveau;
Fixe à la somme d'un million (1.000.000 F) par mois le nouveau loyer, ce à compter du prononcé du présent arrêt;
Condamne la CAA aux dépens;