J-04-60
DROIT COMMERCIAL GENERAL – BAIL COMMERCIAL – CONTRAT DE BAIL D'UNE PARCELLE POUR EXPLOITATION D'UNE STATION ESSENCE – ASSIGNATION EN EXPULSION D'UN ADJUDICATAIRE.
VOIES D'EXECUTION – SAISIE-VENTE – VENTE FORCEE AUX ENCHERES PUBLIQUES DU MATERIEL ET OUTILLAGE D'UNE STATION ESSENCE – NATURE DE LA VENTE – VENTE FORCEE DE FONDS DE COMMERCE (OUI) – DROIT AU BAIL (OUI) – FIXATION DU LOYER.
Une vente forcée aux enchères publiques pratiquée à la suite d'une saisie-vente sur les matériels et outillages d'une station essence constitue-t-elle une cession de fonds de commerce ? Et si c'était le cas, celle-ci octroie-t-elle par conséquent un droit au bail ? A ces deux questions, le tribunal a répondu "oui".
Dans le cas de l'espèce, nous pensons que le juge est allé trop vite en besogne en arrivant à la conclusion qu'une station service de produits pétroliers constitue un fonds de commerce, et répond à la définition et aux éléments constitutifs d'un fonds de commerce contenus aux articles 103 et suivants AUDCG.
Article 103 AUDCG ET SUIVANTS
(TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BANFORA (BURKINA FASO), Jugement n° 17 du 04 avril 2003, Dame KONE née OUEDRAOGO Azéta c/ Société SANAM-KOOM Internationale (S.K.I)).
LE TRIBUNAL,
FAITS – PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Attendu que suivant exploit en date du 13 novembre 2002, Dame KONE née OUEDRAOGO Azéta, a fait donner assignation en expulsion aux liquidateurs de la Société TAGUI-SA et la Société SANAM-KOOM Internationale (S.K.I), à comparaître devant le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Banfora; que par décision en date du 22 novembre 2002, ce dernier s'est déclaré compétent et a ordonné la mesure sollicitée;
Que le 28 novembre 2002, la S.K.I a interjeté appel de ladite décision, qui le 12 décembre 2002, a été infirmée aux motifs que le juge des référés est incompétent pour ordonner les mesures sollicitées;
Attendu que suivant exploit en date du 11 février 2003, Dame KONE née OUEDRAOGO Azèta, a fait donner assignation d'expulsion à la Société SANAM-KOOM International (S.K.I), pour les voir comparaître devant le Président du Tribunal de grande instance de Banfora;
Attendu qu'elle a exposé être propriétaire de la parcelle B lot 374, sise au secteur n° 1 de la ville de Banfora, donnée en bail sous-seing privé dressé le 05 janvier 2000 à la Société pétrolière TAGUI, pour exploitation d'une station essence; Que le 12 avril 2001, la Société Nationale des Hydrocarbures (SONABHY) pratiquait une saisie-vente sur le matériel des stations essences de la Société TAGUI, dont celle de Banfora; Que la Société SANAM-KOOM International (S.K.I), a été portée adjudicataire dudit matériel le 13 septembre 2001; Qu'en outre par jugement n° 790 rendu le 26 septembre 2001 par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, cette dernière était admise en liquidation; Que depuis lors, et malgré le fait que le procès-verbal constatant ladite vente, a précisé l'obligation « d'enlever immédiatement et à ses risques et périls les objets à lui adjugés », la S.K.I a sollicité qu'elle lui consente un nouveau bail; que n'ayant pu aboutir à un accord sur le loyer du bail, elle a prié la S.K.I de procéder à l'enlèvement du matériel vendu, qu'au lieu de s'exécuter, cette dernière prétend être titulaire d'un droit au bail par l'achat du matériel;
Que s'agissant d'une procédure d'exécution forcée par voie de saisie-vente, la S.K.I n'a pas acquis un fonds de commerce, mais « des biens parfaitement détachables et transportables à volonté d'un point du globe à un autre », comme souligné dans le jugement n° 700/2002 du 26 juin 2002; que du reste, la procédure de vente d'un fonds de commerce obéit aux règles spécifiques des articles 117 et suivants de l'acte uniforme de l'OHADA portant droit commercial général, et ne saurait être confondue à une simple procédure de saisie-vente telle que décrite aux articles 91 et suivants du même acte uniforme portant procédure de recouvrement simplifié;
Que la S.K.I est si consciente qu'elle n'a acquis aucun bail, qu'elle cherche à en conclure un avec elle; qu'étant une occupante sans titre, la requérante sollicite que la S.K.I soit expulsée de sa parcelle; qu'à défaut par elle d'enlever ses biens dans les huit jours à compter du jugement, elle le fera aux risques et périls de la S.K.I;
Que si le droit au bail lui est tout de même reconnu, la S.K.I doit être expulsée pour non-paiement d'arriérés de 20 mois de loyer; qu'en outre, cette situation d'occupation illégale lui cause un préjudice moral et financier; qu'il y a lieu de mettre fin au trouble sans délai, en ordonnant l'exécution provisoire de la décision à intervenir;
Attendu qu'en réplique, la Société SANAM-KOOM International, soulève le caractère inopérant de la demande en expulsion formulée par Dame KONE née OUEDRAOGO Azèta, tenant à la nature de la vente des stations d'essence TAGUI, intervenue entre elle et la SONABHY, et à son corollaire, le droit au bail; que reconventionnellement, elle sollicite : l'arbitrage du montant du loyer à 150.000 F.CFA; et la réparation du préjudice qu'elle a subi, à la somme de 150.000.000 F.CFA;
Qu'au soutien de ses prétentions, la Société SANAM-KOOM International invoque les articles 103 et 105 de l'acte uniforme de l'OHADA sur le droit commercial général, traitant du fonds de commerce, pour souligner que les matériels et outillages acquis par elle, ont constitué le fonds de commerce de la société TAGUI, lui ayant permis d'attirer et de conserver sa clientèle;
Que se substituant à cette dernière par cet achat, elle a eu pour soucis de poursuivre l'activité commerciale de vente de produits pétroliers, que celle-ci a exercé, et bénéficie de ce fait du droit au bail; qu'ainsi, elle a sollicité de Dame KONE, la signature d'un contrat de bail, et a proposé le loyer mensuel de cent cinquante mille (150.000) F.CFA; que celle-ci a rejeté sa proposition, en maintenant un loyer de un million cinq cent mille (1.500.000) F.CFA;
Qu'elle considère que, le refus de Dame KONE, de conclure un contrat de bail, lui a causé un préjudice tant moral que financier, nécessitant dédommagement;
Qu'en outre, l'argument de la demanderesse selon lequel, la cession du 13 septembre 2001, n'a pas respecté les prescriptions des articles 117 et suivants de l'acte uniforme ci-dessus cité, portant droit commercial général et traitant de la vente de fonds de commerce, ne peut constituer qu'une exception de nullité de la saisie; laquelle ne peut être soulevée que par le débiteur saisi jusqu'à la vente des biens saisis, conformément aux dispositions de l'article 144 al. 1 dudit acte uniforme, traitant de l'organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d'exécution;
Que par rapport à tous ces faits, elle sollicite au principal de : dire que la vente intervenue le 13 septembre 2001, est une cession de fonds de commerce; dire que le droit au bail lui est acquis; débouter par conséquent la demanderesse de ses moyens, fins et prétentions;
Reconventionnellement s'entendre le Tribunal arbitrer le montant du loyer à la somme mensuelle de 150.000 F.CFA; la demanderesse condamnée à lui payer la somme de 150.000.000 F.CFA à titre de dommages et intérêts;
A l'audience du 28 février 2003, le dossier a été retenu, puis renvoyé au 07 mars 2003 pour échange de conclusions; à cette date, il a été mis en délibéré pour le 04 avril 2003 et vidé;
DISCUSSION
Sur la nature de la vente du septembre 13 septembre 2001
Attendu qu'il est constant que suivant procès-verbal de vente en date du 13 septembre 2001, la Société SANAM-KOOM International, a été porté adjudicataire de biens et matériel saisis, formant des stations service d'essence appartenant à la société TAGUI, sur diligence de la SONABHY, et dont celle sise dans la ville de Banfora, sur la parcelle B du lot 374;
Attendu que l'adjudication mettait à la charge de la Société SANAM-KOOM International, l'enlèvement immédiat des objets à lui adjugés et spécifiés dans le procès-verbal de vente; Que cependant, souhaitant exploiter la station d'essence, elle est entrée en pourparler le 30 octobre 2002 avec Dame KONE; Qu'aucun accord sur le bail n'étant intervenu SANAM-KOOM International, proposant un loyer mensuel de cent cinquante mille (150.000) francs CFA et Dame KONE celui d'un million cinq cent mille (1.500.000) francs CFA; cette dernière l'a assigné en expulsion, dans un premier temps en référé, puis au fond;
Attendu qu'une station service de produits pétroliers constitue un fonds de commerce, et répond à la définition et aux éléments constitutifs d'un fonds de commerce contenus aux article 103 et suivants de l'acte uniforme portant droit commercial général; que dans la procédure d'assignation en référé et en appel, le Premier Président de la Cour d'appel de Bobo-Dioulasso, par décision en date du 19 décembre 2002, l'a rappelé et déclaré le Juge des référé incompétent pour ordonner une expulsion, sans préjudicier au fond;
Attendu que la vente forcée aux enchères publiques, de biens meubles composés de matériels et outillages de la station TAGUI sise à Banfora, intervenue le 13 septembre n'a pas respecté les dispositions applicables en cas de vente de fonds de commerce, contenues aux articles 115 et suivants de l'acte uniforme portant sur le droit commercial général;
Attendu cependant, que ce non-respect n'entache pas la vente, car les nullités prévues, qui protègent l'acquéreur, sont relatives et ne peuvent être soulevées que par celui-ci; que la demanderesse, tiers à la cession, pouvait s'opposer à celle-ci ou surenchérir, conformément aux dispositions des articles 88, 127 et suivant dudit acte uniforme;
Que de tout ce qui précède, il y a lieu de dire que la vente intervenue le 13 septembre 2001, est une vente forcée d'un fonds de commerce
Sur le droit au bail
Attendu que conformément à l'article 105 de l'acte uniforme portant droit commercial général, le fonds de commerce peut comprendre en outre, le droit au bail;
Attendu qu'un contrat de bail a existé entre la demanderesse et la Société TAGUI, permettant à cette dernière d'exploiter la station essence; que la S.K.I ayant acquis les matériels et outillage formant ladite station et désirant l'exploiter, est dans son bon droit de négocier un bail; qu'ainsi, un droit au bail le fonds de commerce (1);
Sur l'arbitrage du montant du loyer
Attendu que la S.K.I sollicite l'arbitrage du montant du loyer à la somme de 150.000 F.CFA, au motif que le loyer versé à la demanderesse par la TAGUI, s'est élevé à 120.000 F.CFA;
Attendu que conformément aux dispositions de l'article 85 de l'acte uniforme portant droit commercial général, la partie diligente peut saisir la juridiction compétente qui statue; que le loyer de 1.500.000 F.CFA, proposé par la demanderesse afin de permettre à la S.K.I d'exploiter la station essence, et au regard des éléments dont dispose le tribunal, est trop élevé, qu'il y a donc lieu de le ramener à de justes proportion, et en conséquence, fixer le loyer mensuel à la somme de 250.000 F.CFA;
Sur la réparation des préjudices et l'expulsion pour arriérés de loyer
Attendu que la S.K.I sollicite le paiement par la demanderesse, de la somme de 150.000.000 F.CFA de dommages et intérêts, pour les préjudices moral et financier qu'elle subit, du fait du refus de cette dernière de conclure un contrat de bail;
Que cependant, celle-ci ne fournie aucun élément justificatif de tels préjudices; qu'il y a donc lieu de l'en débouter;
Attendu que la demanderesse sollicite l'expulsion de la S.K.I de sa parcelle, pour non-paiement de 20 mois d'arriérés de loyer; que s'il est constant qu'elle affirme qu'aucun contrat de bail ne la lie à la S.K.I, elle est mal fondée à demander l'expulsion de celle-ci au motif qu'elle ne s'est pas acquitté du loyer;
Qu'à contrario, et un mois après la notification de la cession, elle pouvait se prévaloir de l'article 88 dudit acte uniforme, qui stipule que la violation par le preneur des obligations du bail, et notamment, le non-paiement du loyer, constitue un motif sérieux et légitime de s'opposer à la cession; qu'en outre et durant toute la procédure, c'est le cédant qui demeure tenu des obligations du bail;
Qu'il y a donc lieu de la débouter de cette demande;
Attendu le surplus de leur demande respective, constitué par l'exécution provisoire de la décision à venir, doit être écarté; qu'il n'existe aucun péril ni aucune urgence pouvant justifier cette mesure;
Attendu que la partie qui succombe supporte les dépens; qu'il y a donc lieu de condamner Dame KONE née OUEDRAOGO Azéta aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort;
Dit que la vente intervenue le 13 septembre 2001, est une cession de fonds de commerce; que celle-ci par conséquent, octroie à la Société SANAM-KOOM International (S.K.I), un droit au bail;
Arbitre le montant du loyer mensuel de la location de la parcelle sur laquelle se trouve la station essence, à la somme de 250.000 F.CFA;
Déboute la S.K.I de sa demande en paiement par Dame KONE née OUEDRAOGO Azéta, de la somme de 150.000.000 F.CFA au titre des dommages et intérêts;
Déboute Dame KONE OUEDRAOGO Azéta, de sa demande d'expulsion de la S.K.I de ladite parcelle;
Les déboute du surplus de leur demande respective;
Met les dépens à la charge de Dame KONE née OUDRAOGO Azéta.