J-04-65
Voir Ohadata J-02-127
ARBITRAGE – ACTE UNIFORME SUR L’ARBITRAGE – PORTEE ABROGATOIRE DE L’ACTE UNIFORME – RENONCIATION A UNE VOIE DE RECOURS.
POUVOIRS DE L’ARBITRE – AMIABLE COMPOSITEUR – DECISION RENDUE EN DROIT – VIOLATION DE LA MISSION DE L’ARBITRE (NON).
Aux termes des articles 25 alinéa 2 et 35 alinéa 2 de l'Acte Uniforme relatif au droit de l'arbitrage, la sentence arbitrale peut faire l'objet d'un recours en annulation qui doit être porté devant le juge compétent dans l'Etat partie et l'Acte Uniforme n'est applicable qu'aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur; il s’ensuit qu’en l’espèce, c'est bien l'Acte Uniforme sus-indiqué qui se trouve applicable à l'action engagée par la SOTACI le 27 décembre 1999.
Au moment de la signature de la convention de cession de titres par les parties, c'était la loi ivoirienne N° 93-671 du 09 août 1993 relative à l'arbitrage qui était applicable, laquelle loi disposait en son article 42 que « lorsque, suivant les distinctions faites à l'article 40, les parties ont renoncé à l'appel, ou qu'elles ne se sont pas expressément réservées cette faculté dans la convention d'arbitrage, un recours en annulation de l'acte qualifié sentence peut, néanmoins, être formé malgré toute stipulation contraire »; la clause de renonciation à tout recours insérée par les parties dans la convention du 16 février 1998 doit être considérée comme non écrite, en ce qui concerne le recours en annulation; que le recours en annulation étant prévu par l'Acte Uniforme sus-indiqué applicable en l'espèce, il y a lieu de déclarer recevable le recours en annulation introduit par la SOTACI;
Pour condamner la défenderesse à payer aux demandeurs différentes sommes d'argent au titre de complément de prix de cession des actions, des intérêts de retard conventionnels et des frais de procédure, les arbitres ont retenu que « le problème de droit réside dans la question de savoir quel mode de détermination du passif net les parties se sont accordées, et plus précisément, si le passif net évoqué à l'article 3 de la convention correspond aux notions comptables d'actif net ou de besoin en fonds de roulement; que ce problème est d'abord juridique avant d'être comptable.
S'agissant ici d'appliquer les dispositions d'une convention, si le tribunal peut écarter l'application de certaines dispositions de la convention, dans le cas où elles seraient contraires à l'ordre public, il ne se trouve pas en l'espèce dans cette situation, car la définition du passif net n'est pas une disposition d'ordre public; pour la résolution de ce problème, le Tribunal arbitral se doit de rechercher d'abord dans la convention, les éléments de réponse à la question posée, puis, dans le silence de la convention, il doit rechercher par tous les moyens, la volonté des parties, et enfin, si cette recherche est infructueuse, il doit appliquer les règles de détermination du passif net reconnues et acceptées par la profession comptable et/ou les analystes financiers ».
Les arbitres, qui s'étaient fondés sur des solutions légales pour régler le différend qui oppose la SOTACI et les époux DELPECH, et qui n'avaient pas l'obligation, comme le soutient la SOTACI, de statuer uniquement en amiable compositeur, sont restés dans le cadre de la mission qui leur est confiée; il s'ensuit que la demande d'annulation de la sentence introduite par la SOTACI doit être rejetée.
[Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, Arrêt N° 010/2003 du 19 juin 2003, M. DELPECH Gérard et Mme DELPECH Joëlle (SCPA AHOUSSOU, KONAN & Associés, Avocats à la Cour) c/ Société SOCTACI (Mes Théodore HOEGAH et Michel ETTE, Avocat à la Cour, Actualités juridiques N° 40/2003, p.15, obs. François KOMOIN)].
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l’arrêt suivant, en son audience publique du 19 juin 2003, où étaient présents :
Messieurs :
– Seydou BA Président
– Jacques M’BOSSO Premier Vice-président
– Antoine Joachim OLIVIERA Second Vice-président
– Doumssinrinmbaye BAHDJE Juge
– Maïnassara MAIDAGI Juge rapporteur
Et :
– Maître Pascal Edouard NGANGA Greffier en Chef :
Sur le pourvoi en date du 25 mars 2002, enregistré au greffe de la Cour de céans le 28 mars 2002 sous le N° 11/2002/PC, formé par la SCPA AHOUSSOU, KONAN & Associés, Avocats à la Cour, demeurant 19, Boulevard ANGOULVANT, résidence Neuilly, 1er étage, 01 BP 1366 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte des époux DELPECH, dans une cause les opposant à la Société SOTACI, ayant pour Conseils Maîtres Théodore HOEGAH et Michel ETTE, Avocats à la Cour, demeurant rue A7, Pierre SEMAR, Villa NA2, 01 BP 4053 Abidjan 01, en cassation de l’arrêt N° 456 rendu le 27 avril par la Chambre Civile et Commerciale de la Cour d’Appel d’Abidjan, dont le dispositif est le suivant :
« EN LA FORME :
– Statuant publiquement, contradictoirement, en matière arbitrale, et en dernier ressort;
– Reçoit le Société SOTACI en sa procédure en annulation dirigée contre la sentence arbitrale en date du 27 avril 2002;
AU FOND :
– L’y dit partiellement fondée;
– Annule la sentence dont s’agit;
– Rejette la demande de la SOTACI tendant à l’évocation de l’affaire;
– Dit que les frais exposés par chacune des parties resteront à sa charge »;
Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au précédent arrêt;
SUR LE RAPPORT DE MONSIEUR LE JUGE MAÏNASSARA MAÏDAGI
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu les dispositions du Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure, qu’aux termes d’une « convention de cession de titres » conclue à Abidjan, le 16 février 1998, les actionnaires de la Société de Transformation Industrielle de Lomé dite STIL, société de droit togolais dont le siège est à Lomé, tous représentés par Monsieur et Madame G. DELPECH, avaient cédé à la Société SOTACI la totalité des actions composant le capital social de la STIL; que le prix global de cession des actions avait été arrêté à la somme de huit millions cinq cent mille (8.500.000) francs français, soit huit cent cinquante millions (850.000.000) de FCFA; que les parties à la convention avaient décidé de déduire de ce montant, le passif net de la société provisoirement évalué à trois millions de francs français;
Que sur recours en annulation, formé par la Société SOTACI contre cette sentence arbitrale, la Cour d’Appel d’Abidjan a rendu, le 27 avril 2001, l’arrêt N° 456, dont pourvoi;
SUR LE TROISIEME MOYEN PRIS EN SA PREMIERE BRANCHE
Vu l’article 26 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage;
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, une violation ou une erreur dans l’application ou l’interprétation de l’article 26 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage, en ce que la Cour d’Appel a estimé que les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission, et qu’en application de l’article 26 de l’Acte Uniforme sus indiqué, leur sentence encourt l’annulation, aux motifs que les parties avaient confié aux arbitres, une mission d’amiable compositeur, et que suivant la jurisprudence de la Cour de Cassation Française acceptée par les parties, l’amiable compositeur a l’obligation de confronter les solutions légales à l’équité, à peine de trahir la mission qui lui est confiée, alors que, selon les requérants, s’il est vrai que l’article 26 sus indiqué prévoit que le recours en annulation est recevable si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée, encore faut-il, pour appliquer une telle disposition, que la mission qui aurait été méconnue par le tribunal arbitral soit préalablement déterminée dans son étendue; que toujours selon les mêmes requérants, pour ce faire, il faut se reporter à l’article 10 de le convention, et rien qu’à cet article et sur ce point, la Cour d’Appel s’est manifestement trompée, rien dans cet article ne permettant d’affirmer que les parties ont accepté la « jurisprudence de la Cour de Cassation » sur l’amiable compositeur, « la Cour d’Appel a manifestement tronqué l’article 10 pour les besoins de sa décision »; de plus, la prise en compte intégrale de cet article impose de se référer d’une part, à la disposition relative à l’amiable composition, et d’autre part, à la disposition relative à la loi applicable à la convention, l’interprétation de ces deux dispositions contractuelles ne permettant pas de dire que les arbitres avaient l’obligation de statuer en amiable compositeur; que leur mission était de statuer selon la loi ivoirienne applicable à la convention, cette mission leur donnant aussi la faculté de statuer en amiable compositeur, mais une faculté n’étant pas une obligation; qu’en statuant donc selon la loi ivoirienne et en ne décidant pas de statuer en amiable compositeur, le tribunal arbitral a par conséquent, statué en se conformant à sa mission;
Attendu qu’aux termes de l’article 26 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage : « le recours en annulation n’est recevable que dans les cas suivants :
– (…)
– si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée;
– (…) »;
Attendu que pour affirmer que « manifestement, les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission, et en application de l’article 26 de l’Acte Uniforme précité, leur sentence encourt l’annulation », la Cour d’Appel s’est bornée à dire que « suivant l’article 10 de la convention des parties, tout différend les opposant sera soumis à la décision définitive de trois arbitres siégeant à Abidjan, et qui auront le pouvoir de statuer comme amiables compositeurs, en d’autres termes, et suivant la jurisprudence de la Cour de Cassation Française, acceptée par les parties, l’amiable compositeur a l’obligation de confronter les solutions légales à l’équité, à peine de trahir la mission qui lui est confiée…que leur véritable mission en tant que professionnels de la comptabilité devait les amener à définir le « passif net », aucune indication n’étant fournie par les parties sur cette notion… ainsi, il résulte de ce qui précède, que manifestement, les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission… », alors qu’elle devait non seulement indiquer préalablement l’étendue de la mission des arbitres, eu égard notamment à la convention d’arbitrage, mais également, spécifier en quoi les arbitres ont failli à leur mission, avant de tirer les conséquences; qu’en ne le faisant pas, la Cour d’Appel a fait une mauvaise application de l’article 26 de l’Acte Uniforme sus indiqué; qu’en conséquence, il y a lieu de casser l’arrêt N° 456 rendu le 27 avril 2001 par la Cour d’appel d’Abidjan et d’évoquer, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens;
SUR L’EVOCATION
Attendu que par exploit en date du 06 juin 2000, le Société SOTACI, représentée par Adham KHALIL et ayant pour Conseils Maîtres Théodore HOEGAH et Michel ETTE, Avocats à la Cour, a initié une procédure d’annulation de la sentence arbitrale N° CACI/02ARB/99 en date du 27 avril 2000, dont le dispositif est ainsi conçu :
« Les arbitres jugent que :
– le passif net définitif de la Société STIL, au 28 février 1998, s’élève à 199.790.811 FCFA et que le complément de prix de cession à payer par la SOTACI aux époux DELPECH est de 100.209.189 FCFA;
– les intérêts de retard conventionnels à payer par la SOTACI aux époux DELPECH, en application de l’article 3.4 de la convention, s’élèvent à 8.603.360 FCFA;
Et condamnent la SOTACI à payer aux époux DELPECH :
– au principal, la somme 100.209.189 FCFA au titre du complément de prix de cession des actions de la Société STIL S.A;
– au titre des intérêts de retard conventionnels, la somme de FCFA 8.603.360;
La condamnent également à rembourser aux époux DELPECH, la somme de 6.393.616 FCFA, représentant les frais de la présente procédure exposés par ces derniers ».
Attendu qu’à l’appui de son action, la SOTACI soutient que les arbitres ont totalement méconnu les termes de la mission d’amiables compositeurs qui leur est confiée par l’article 10 alinéa 2 de la convention de cession de titres signée par les parties le 16 février 1998, repris au demeurant dans l’ » acte de mission »; que l’arbitre qui statue en amiable compositeur est celui qui a reçu des parties le pouvoir de rendre sa décision en équité, à savoir que la sentence qu’il prononce doit être à la fois logique, cohérente, mais aussi conforme à la morale, et en l’espèce, à la morale des affaires; que les arbitres désignés avaient, en l’espèce, pour mission essentielle, de dire en tant que professionnels de la comptabilité, ce qu’il convenait d’entendre par « passif net », les parties à la convention n’ayant donné aucune définition à cette notion; que les arbitres, en affirmant qu’il résulte des échanges de correspondances intervenus entre les parties, que le passif net de la société STIL, au 28 février 1998, correspond à son actif net à la même date, confondent les deux notions, l’une étant l’inverse de l’autre; qu’en déterminant le montant du reliquat du prix tel qu’ils l’ont fait à la page 9 de la sentence arbitrale, les arbitres ont dénaturé la convention des parties, notamment son article 3.1, et méconnu les règles d’évaluation d’une entreprise;
Attendu qu’en plus de l’annulation de la sentence arbitrale, la Société SOTACI demande la condamnation des époux DELPECH à lui payer la somme de 63.984.181 F, représentant un trop perçu, au motif qu’une exacte application de l’article 3.1 de la convention des parties permet de chiffrer sur le plan comptable, la valeur de rachat de la société STIL, après valorisation des actifs immobilisés, comme suit :
– Valorisation des actifs immobilisés : 850.000.000 F
– Actif circulant : 247.563.614 F
Total : 1.097.563.614 F
et en prenant en compte le passif total de 611.547.795 F, la valeur de rachat s’établit à 486.015.813 F, dégageant ainsi un trop payé de F CFA 63.984.181 car au moment de la signature de la convention, la situation financière de la société ne s’était pas améliorée au point d’amener la concluante au paiement de somme supplémentaire;
Attendu que les époux DELPECH, défendeurs, demandent à la Cour de déclarer irrecevable le recours en annulation formé par la Société SOTACI, aux motifs, d’une part, que l’article 42 alinéa 2 de la loi 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage, ne règle plus la matière de l’arbitrage en Côte d’Ivoire depuis l’avènement de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif à l’arbitrage, notamment en application de son article 35; que c’est l’article 25 dudit Acte Uniforme qui régit le recours en annulation formé par la société SOTACI, et qui donne le pouvoir aux parties d’exercer un recours en annulation, mais ne stipule pas que les parties peuvent valablement y renoncer; que les parties peuvent donc, dans leur convention, renoncer à ce recours, et c’est ce qu’elles ont fait dans la convention de cession de titres et dans l’acte de mission, en stipulant que la sentence ne sera susceptible d’aucun recours; que mieux, les parties se sont soumises au règlement de la CACI dont l’article 35 dispose que : « la sentence arbitrale est définie et revêt un caractère obligatoire pour les parties.
Celles-ci s’engagent, par leur adhésion au présent règlement, à l’exécuter sans délai, et sont réputés avoir renoncé à toutes les voies de recours auxquelles elles peuvent renoncer » et, d’autre part, qu’à propos de la mission des arbitres, l'article 10 de la convention de cession de titres, en disposant que les arbitres auront le pouvoir de statuer comme amiables compositeurs, ne donne auxdits arbitres qu'une faculté, une possibilité, ce qui ne signifie nullement qu'ils sont tenus d'évincer les règles de droit au profit de l'équité; qu'enfin, le recours à la clause d'amiable composition comporte un effet particulier, à savoir la renonciation à l'appel, et qu'en disant dans la convention que « la sentence n'est susceptible d'aucun recours », les parties visent exclusivement le recours en annulation; que le recours en annulation exercé en violation des dispositions contractuelles excluant tout recours, est irrecevable; que par ailleurs, les époux DELPECH contestent la compétence de la Cour d'appel et penchent plutôt pour la compétence du Tribunal de Première Instance;
Attendu que par conclusions en réplique en date du 18 octobre 2000, la Société SOTACI fait remarquer que suivant l'article 25 de l'Acte Uniforme, seule la Cour d'Appel est compétente pour statuer en annulation, les Tribunaux ne rendant souvent pas de jugement en dernier ressort; que la convention de cession de titre prévoyant la clause compromissoire ayant été établie en février 1998, donc avant l'entrée en vigueur du Traité OHADA relatif à l'arbitrage, seule la loi ivoirienne du 9 août 1993 relative à l'arbitrage lui est applicable; que l'article 42 de cette loi précisant qu' « un recours en annulation de l'acte qualifié de sentence arbitrale peut néanmoins être formé, malgré toute stipulation contraire », il en résulte que les parties ne peuvent valablement renoncer à cette voie de recours; que du reste, l'article 6 du code civil énonce que l' « on ne renonce valablement qu'à un droit acquis et non à un droit futur »; que statuer en amiable compositeur consiste à trancher le litige en équité, et l'arbitre qui appliquerait strictement les règles de droit pourrait être sanctionné, car suivant l'article 15 in fine de l'Acte Uniforme, l'amiable composition pour un arbitre n'est pas un simple pouvoir, mais une véritable mission, et que la jurisprudence française, produite par la partie adverse, précise que « l'amiable compositeur a l'obligation de confronter les solutions légales à l'équité, à peine de trahir la mission qui lui a été confiée »; que non soumis à une règle unique pour trancher le litige, l'arbitre doit nécessairement recourir aux usages professionnels, rechercher un certain équilibre contractuel et solution juste, et tel n'a pas été le cas en l'espèce, où les arbitres ont confondu les notions comptables ou financières d'actif net et de passif net, pour parvenir à la condamnation de la concluante à un complément de prix, alors que la seule question à laquelle ils étaient tenus de répondre était celle de dire ce qu'il convient d'entendre, au point de vue comptable ou financier, par passif net;
Attendu que par conclusions en réplique en date du 28 novembre 2000, les époux DELPECH reviennent sur quatre questions et, selon eux, de manière chronologique, à savoir le fondement légal du recours en annulation, le juge compétent en matière du recours en annulation, la recevabilité du recours en annulation et les pouvoirs du juge du recours en annulation; que sur le fondement du recours, seul l'Acte Uniforme du 11 mars 1999 relatif au droit de l'arbitrage est applicable, puisque ayant remplacé la loi du 9 août 1993 relative à l'arbitrage; que sur le juge compétent, c'est l'article 25 alinéa 2 de l'Acte Uniforme sus-indiqué qui régit la compétence dudit juge et non l'alinéa 3 du même article, mais que cet alinéa 2 ne précisant pas quel est ce juge compétent, c'est l'article 5 du code ivoirien de procédure civile qui donne compétence au Tribunal de Première Instance pour connaître d'un tel recours; que sur la recevabilité du recours, l'article 10 de la convention de cession, le règlement d'arbitrage de la CAC1 et l'acte de mission confirment l'impossibilité de tout recours contre la sentence arbitrale; que sur le pouvoir du juge compétent, il n'a pas le pouvoir de trancher le fond du litige, s'il annule la sentence arbitrale, l'article 29 de l'Acte uniforme sus-indiqué le lui interdisant;
Attendu que par conclusions en deuxième réplique en date du 26 décembre 2000, la SOTACI a, en réponse aux différents points abordés par les époux DELPECH dans leurs écritures du 28 novembre 2000, essayé de démontrer en quoi les arbitres n'ont pas respecté leur mission d'amiables compositeurs, en quoi la Cour d'Appel est compétente pour connaître du recours en annulation, en quoi ledit recours est recevable par rapport au non respect, par les arbitres, de leur mission, et enfin, en quoi elle n'a pas valablement renoncé au recours en annulation;
SUR LA COMPETENCE DE LA COUR D'APPEL
Attendu qu'aux termes de l'article 25 alinéa 2 de l'Acte Uniforme relatif au droit de l'arbitrage, « elle [la sentence arbitrale] peut faire l'objet d'un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l'Etat partie »; que l'Acte Uniforme sus-indiqué ne précisant pas ledit juge compétent, il y a lieu de se reporter à la loi nationale de l'Etat partie concerné, pour déterminer le juge devant lequel le recours en annulation doit être porté; qu'aux termes de l'article 44 de la loi ivoirienne N° 93-671 du 09 août 1993 relative à l'arbitrage, « l'appel et le recours en annulation sont portés devant la Cour d'Appel dans le ressort de laquelle la sentence arbitrale a été rendue »; qu'en l'espèce, la sentence arbitrale ayant été rendue à Abidjan, c'est bien la Cour d'Appel d'Abidjan qui était compétente pour connaître du recours en annulation;
SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS EN ANNULATION
Attendu qu'aux termes des articles 25 alinéa 2 et 35 alinéa 2 de l'Acte Uniforme relatif au droit de l'arbitrage, « elle [la sentence arbitrale] peut faire l'objet d'un recours en annulation qui doit être porté devant le juge compétent dans l'Etat partie » et « celui-ci [l'Acte Uniforme] n'est applicable qu'aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur »; qu'en l'espèce, c'est bien l'Acte Uniforme sus-indiqué qui se trouve applicable à l'action engagée par la SOTACI le 27 décembre 1999;
Attendu qu'au moment de la signature de la convention de cession de titres par les parties, c'était la loi ivoirienne N° 93-671 du 09 août 1993 relative à l'arbitrage qui était applicable, laquelle loi disposait en son article 42 que « lorsque, suivant les distinctions faites à l'article 40, les parties ont renoncé à l'appel, ou qu'elles ne se sont pas expressément réservées cette faculté dans la convention d'arbitrage, un recours en annulation de l'acte qualifié sentence peut, néanmoins, être formé malgré toute stipulation contraire »; que la clause de renonciation à tout recours insérée par les parties dans la convention du 16 février 1998 doit être considérée comme non écrite, en ce qui concerne le recours en annulation; que le recours en annulation étant prévu par l'Acte Uniforme sus-indiqué applicable en l'espèce, il y a lieu de déclarer recevable le recours en annulation introduit par la SOTACI;
SUR LE BIEN-FONDE DU RECOURS EN ANNULATION
Attendu qu'aux termes de l'article 10 alinéa 3 de la convention de cession de titres signée par les parties, « à défaut de parvenir à [un] accord, le différend sera soumis à la décision définitive de trois arbitres siégeant à Abidjan, et qui auront le pouvoir de statuer comme amiables compositeurs »;
Attendu que pour condamner la SOTACI à payer aux époux DELPECH différentes sommes d'argent au titre de complément de prix de cession des actions, des intérêts de retard conventionnels et des frais de procédure, les arbitres ont retenu que « le problème de droit réside dans la question de savoir quel mode de détermination du passif net les parties se sont accordées, et plus précisément, si le passif net évoqué à l'article 3 de la convention correspond aux notions comptables d'actif net ou de besoin en fonds de roulement; que ce problème est d'abord juridique avant d'être comptable; qu'il s'agit ici d'appliquer les dispositions d'une convention; que si le tribunal peut écarter l'application de certaines dispositions de la convention, dans le cas où elles seraient contraires à l'ordre public, il ne se trouve pas en l'espèce dans cette situation, car la définition du passif net n'est pas une disposition d'ordre public; que pour la résolution de ce problème, le Tribunal se doit de rechercher d'abord dans la convention, les éléments de réponse à la question posée, puis, dans le silence de la convention, il doit rechercher par tous les moyens, la volonté des parties, et enfin, si cette recherche est infructueuse, il doit appliquer les règles de détermination du passif net reconnues et acceptées par la profession comptable et/ou les analystes financiers »; que les arbitres, qui s'étaient fondés sur des solutions légales pour régler le différend qui oppose la SOTACI et les époux DELPECH, et qui n'avaient pas l'obligation, comme le soutient la SOTACI, de statuer uniquement en amiable compositeur, sont restés dans le cadre de la mission qui leur est confiée; qu'il s'ensuit que la demande d'annulation de la sentence introduite par la SOTACI doit être rejetée;
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT DE LA SOTACI
Attendu que la SOTACI demande, après annulation de la sentence arbitrale, de condamner les époux DELPECH à lui payer la somme de 63.984.181 FCFA représentant, selon elle, un trop perçu, en application de l'article 3.1 de la convention de cession des titres;
Attendu que le recours en annulation de la sentence étant rejeté, il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande de la SOTACI;
Attendu que la SOTACI ayant succombé, doit être condamnée aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
– Casse l'Arrêt n°456 du 27 avril 2001 rendu par la Cour d'appel d'Abidjan;
Evoquant et statuant à nouveau,
– Déclare recevable, en la forme, le recours en annulation formé par la SOTACI;
– Rejette le recours en annulation de la sentence arbitrale N° CACI/02ARB/99 en date du 27 avril 2000;
– Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de la SOTACI tendant à la condamnation des époux DELPECH au paiement d'un trop perçu 63.984.181 de FCFA;
– Condamne la SOTACI aux dépens.
NOTES
L'arrêt ci-dessus reproduit est intéressant à plus d'un titre. Nous avons choisi, dans ces brèves observations, de nous intéresser à deux questions à nos yeux, essentielles, résolues par cet Arrêt. La première est relative à la portée abrogatoire de l'Acte Uniforme sur l'arbitrage, et la deuxième, à la possibilité de renoncer à une voie de recours en matière d'arbitrage.
1 - De la portée abrogatoire de l'Acte Uniforme sur l'arbitrage
Dans une excellente communication prononcée par Madame le Professeur Jacqueline LOHOUES OBLE en guise d'exposé introductif au séminaire organisé les 10, 11 et 12 août 2000 par la Cour d'Arbitrage de Côte d'Ivoire (CACI) sur « le nouveau droit de l'arbitrage dans l'espace OHADA » (v. ECODROIT, Revue de droit et d'économie N° 2-3 septembre 2001 p. 17 et s.), l'éminente juriste, s'agissant de la portée des actes uniformes, a donné des indications sur l'application directe et obligatoire des Actes Uniformes dans les divers Etats parties.
Après avoir relevé le principe de la primauté des Actes Uniformes sur les droits nationaux, elle en a tiré les conséquences dont l'abrogation dans les Etats parties, des règles internes ayant fait l'objet d'Actes Uniformes et l'interdiction d'élaborer de nouvelles dispositions nationales dans les matières réglées par les Actes Uniformes.
Concernant la portée abrogatoire de l'Acte Uniforme sur le droit de l'arbitrage, en raison de ce qu'elle a appelé « la neutralité de l'article 35 dudit Acte », elle a souhaité que la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage fasse connaître sa position sur ce point.
Cet avis est intervenu le 30 avril 2001, à la demande de la République de Côte d'Ivoire. La question posée à la CCJA était relative à l'article 35 de l'Acte Uniforme sur l'arbitrage, qui dispose que « le présent Acte Uniforme tient lieu de loi relative à l'arbitrage dans tous les Etats parties ». Cette question était ainsi libellée : « ce texte doit-il être interprété comme abrogeant complètement tout texte national relatif à l'arbitrage antérieur à cet Acte Uniforme dans un Etat partie et rendant impossible l'adoption d'un tel texte à l'avenir, ou bien doit-il être interprété comme se substituant aux lois nationales existant déjà en la matière, sous réserve des dispositions non contraires susceptibles d'exister en droit interne ? ». La réponse de la CCJA a été claire : « l'article 35 ... doit être interprété comme se substituant aux lois nationales existantes en la matière, sous réserve des dispositions non contraires susceptibles d'exister en droit interne ». (v. Rec. de Jurisprudence de l'OHADA N° spécial janvier 2003 p. 76 et 77).
Dans l'arrêt ci-dessus publié, la CCJA est restée conforme à cette position. En effet, l'Acte Uniforme ne précisant pas le juge compétent dans l'Etat partie pour connaître des recours en annulation contre les sentences arbitrales, elle est allée chercher celui-ci dans la loi ivoirienne N°93-671 du 09 avril 1993 relative à l'arbitrage, qui subsiste donc en ses dispositions non contraires à l'Acte Uniforme relatif à l'arbitrage.
Cette décision ne manquera pas d'accroître le désarroi de tous ceux qui ont critiqué, avec parfois véhémence, l'avis sus-énoncé de la CCJA, qui obligeait à un travail, aussi fastidieux qu'aléatoire, de recensement minutieux des dispositions de droit interne non contraire aux Actes Uniformes. Avec cette décision, l'espoir pour ceux-ci de voir la CCJA revenir sur la position prise dans l'avis s'amenuise peut-être de façon fort regrettable.
2- De la renonciation à une voie de recours en matière d'arbitrage
Les parties avaient indiqué dans la convention de cession de titres et dans l'acte de mission, qu'elles renonçaient à tout recours contre la sentence arbitrale. Cette clause a été déclarée non écrite par la CCJA dans l'arrêt objet des présentes notes.
La lecture attentive de l'arrêt révèle que cette décision est fondée sur le fait que l'Acte Uniforme sur l'arbitrage, applicable à l'espèce, prévoyait au profit des parties, un recours en annulation contre la sentence arbitrale. Cette position de la CCJA ne manque pas d'intriguer.
En effet, en droit commun, il est permis de renoncer à l'exercice d'un droit : et en droit processuel, les parties ne sont jamais obligées d'exercer des voies de recours, dans la mesure où elles peuvent acquiescer aux décisions soit expressément soit tacitement, en laissant par exemple s'écouler les délais de recours. Les seules limites à la faculté de renonciation sont les dispositions d'ordre public.
A suivre la CCJA dans son raisonnement, il y a lieu de se demander si pour elle, les dispositions de l'Acte Uniforme sur l'arbitrage relatives aux voies de recours sont d'ordre public ? L'expression « non écrite » utilisée incline à le penser, même si la CCJA ne dit pas expressément.
Mais tout cela ne contrarie-t-il pas les règles que l'on croyait pourtant solidement établies en matière d'exercice des voies de recours ? On peut, avec raison, le penser fortement.
KOMOIN François
Magistrat Docteur en Droit