J-04-78
SOCIETES COMMERCIALES – DECISIONS COLLECTIVES – VALIDITE DES RESOLUTIONS – ARTICLE 130 – NON DISTRIBUTION DE DIVIDENDES – ABUS DE MAJORITE (NON).
I - L'article 349 de l'AUSC dispose que les décisions collectives ordinaires sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié du capital social; à défaut de cette majorité et sauf stipulation contraire des statuts, les associés doivent se prononcer une seconde fois et les décisions sont prises à la majorité des votes émis, quelle que soit la proportion de capital représenté. II y a donc lieu d'annuler les résolutions qui ont été prises à la première convocation d'une assemblée par un associé ne représentant pas plus de la moitié du capital social.
II - Dès lors qu'un rapport d'expertise a confirmé l'état des comptes des associés et a révélé que la société a un important besoin de financement en capital justifiant la mise en réserves de tout ou partie des résultats ultérieurs, jusqu'au rétablissement de l'équilibre, alors, le fait de donner quitus au gérant de ses comptes, d'apurer les comptes des associés ou encore de ne pas distribuer les dividendes et d'affecter les bénéfices en réserves, sans établir des fautes de gestion à son encontre ou d'établir la fausseté des comptes des associés, ou surtout, de prouver que l'intérêt social a été méconnu ou que les résolutions prises sont inspirées, pour cette année seulement, pour favoriser un groupe d'associés au détriment de l'autre, ne suffit pas à considérer lesdites résolutions comme entachées d'abus de majorité.
Article 349 AUSCGIE
(Tribunal Régional de Niamey - Jugement civil n° 96 du 26 mars 2003, ABASS HAMMOUD c/ JACQUES CLAUDE LACOUR).
TRIBUNAL REGIONAL DE NIAMEY
Audience publique ordinaire du 26 mars 2003
Jugement civil N° 96 du 26/03/2003
Le Tribunal Régional de Niamey, en son audience publique ordinaire du vingt six mars deux mil trois, tenue pour les affaires civiles par Monsieur Souleymane Amadou MAOULI, Président du Tribunal, Président, assisté de Maître ILLIASSOU Amadou, Greffier, a rendu le jugement dont la teneur suit :
ENTRE
– Monsieur ABASS HAMMOUD, libraire, domicilié à Niamey, assisté de Maître Marc LEBIHAN, Avocat à la Cour;
DEMANDEUR,
d'une part;
ET
Jacques Claude LACOUR, gérant d'Espace Copieur, assisté de la SCPA YANKORI-DJERMAKOYE-YANKORI, Avocats associés et Maître Moussa COULIBALY, Avocat à la Cour;
DEFENDEUR,
d'autre part;
Attendu que par exploit en date du 10/09/02 de Maître Louis BERNAZOU, Huissier de justice près le Tribunal Régional de Niamey, le sieur Abass HAMMOUD, libraire, domicilié à Niamey, assisté de Maître Marc LEBIHAN, Avocat à la Cour, a assigné devant le Tribunal Régional de Niamey, le sieur Jacques Claude LACOUR, aux fins de :
– s'entendre déclarer que les résolutions de l'Assemblée Générale du 29/06/02 sont entachées d'abus de majorité;
– voir annuler lesdites résolutions;
– le condamner aux dépens.
Attendu que Abass HAMMOUD, représenté par Marc LEBIHAN, Avocat à la Cour, expose qu'il a formé avec Jacques LACOUR et la dame Evelyne Dorothée FLAMBARD épouse LACOUR, une société à responsabilité limitée dénommée Espace Copieur, dans laquelle il est propriétaire de 49 % des parts sociales, tandis que les deux autres associés ont respectivement 41 % et 10 % des parts; qu'à sa demande, Jacques LACOUR, le gérant, convoquait une assemblée générale pour le 29/06/02, avec un ordre du jour en huit points;
Que sa demande de modification de l'ordre du jour n'ayant pas été satisfaite et n'ayant pas non plus reçu communication des documents sociaux, il s'est présenté à l'assemblée générale pour simplement manifester sa désapprobation et a quitté la réunion avant le vote des résolutions proposées par le gérant; que c'est ainsi que Jacques LACOUR et son épouse ont tenu l'assemblée générale et voté comme suit, les résolutions présentées :
lère résolution : proposition de quitus au gérant pour l'exercice clos au
31/12/01, qui fait ressortir un bénéfice de 17.438.873 F outre 2.547.667 F en 2000.
Résultat du vote : 102 voix pour; abstention : 98; résolution adoptée.
2ème résolution : proposition de rémunération du gérant pour l'exercice 2002 : 27 millions de francs + 20 % des résultats avant impôts. Résultat du vote : Pour = 20 voix; abstention = 98 voix; résolution adoptée.
3ème résolution : proposition de rémunération du gérant pour l'exercice clos au 31/12/2001 : 30 millions de francs. Résultat du vote : pour = 20 voix; abstention = 98 voix; résolution adoptée.
4ème résolution : proposition d'une prise en charge de la couverture sociale de la gérance par la société. Résultat du vote : pour = 20 voix; abstention = 98 voix; résolution adoptée.
5ème résolution : proposition de prise en charge par la société d'un voyage par an en avion pour le gérant et sa famille directe en France. Résultat du vote : pour = 20 voix; abstention = 98 voix; résolution adoptée.
6ème résolution : apurer les comptes des associés durant l'exercice 2002 à raison de 28.918.390 F dus au sieur LACOUR au titre de rémunération votée non payée et 4.500.000 Fs dus par Abass HAMMOUD au titre de deux prêts en 1996 (3.000.000 F) et en 1997 (1.500.000 F); ainsi que la répartition des dividendes pour l'exercice clos au 31/12/00 : résultat du vote : pour = 102 voix; abstention = 98 voix; résolution adoptée.
7ème résolution : non distribution des dividendes et affectation du bénéfice de l'exercice 2001 en « réserves libres » qui atteignent : 23.589.097 F; Résultat du vote : pour = 102 voix; abstention = 98 voix; résolution adoptée;
8ème résolution : non mise au vote;
Que les résolutions n° 2, 3, 4 et 5 adoptées à la première convocation de l'assemblée générale par le vote d'un associé détenant seulement 10 % du capital social sont entachées d'irrégularité manifeste au regard de la loi (art. 349 al. 2 de l'Acte Uniforme sur les sociétés commerciales et les groupements d'intérêt économique) et des statuts (art. 18); que par ailleurs, ces résolutions ont été adoptées au mépris de ses intérêts, en ce qu'elles accordent des avantages au gérant et à sa famille et empêchent même le partage des bénéfices affectés des réserves libres, tandis qu'il se retrouve débiteur de la société;
Que les associés abusent de leur majorité en votant des décisions dans leur seul intérêt, à son détriment et celui de la société; qu'en effet, les résolutions n° 1, 6 et 7 le lèsent dangereusement et ne profitent pas aussi à Espace Copieur; qu'elles s'ajoutent à l'abus de majorité déjà relevé dans les quatre autres résolutions; qu'il y a lieu d'annuler par conséquent, l'ensemble de ces résolutions;
Attendu que Jacques Claude LACOUR, représenté par le Cabinet Souna-Coulibaly, Avocats à la Cour et la SCPA Yankori-Djermakoye-Yankori, a conclu au débouté pur et simple de Abass HAMMOUD de sa demande, parce que non fondée; qu'il explique que dans le capital de Espace Copieur dont il est le gérant, Abass HAMMOUD est l'associé majoritaire avec 98 parts et son épouse et lui-même sont propriétaires respectivement de 82 parts et 20 parts; que tout fonctionnait normalement jusqu'en 2002 et les divergences ont vu jour quand il a demandé à Abass de réduire à la baisse la valeur de ses parts, qu'il a estimées à 65 millions de francs, qu'il voulait lui vendre;
Que les résolutions prises à l'assemblée générale du 29/06/02 sont régulières et ne souffrent d'aucun abus de majorité; qu'en effet, au cours de cette réunion que Abass a quittée très tôt, il n'est intervenu aucun vote entre associés majoritaires et minoritaires, au point de décider au détriment de ce dernier;
Que le fait pour Jacques Claude LACOUR de ne pas, de bonne foi, prendre part au vote de certaines résolutions, ne saurait entacher leur irrégularité, dès lors qu'elles ont été prises dans les conditions de quorum requises par la loi, selon la commune volonté des associés représentant plus de la moitié du capital, et que l'intérêt de la société et celui du demandeur qui a même fait valoir son droit d'associé, en s'abstenant de voter, ne sont pas compromis; que d'ailleurs, les avantages en cause notamment, sont dans la droite ligne de ce qui était décidé antérieurement avec l'approbation effective du demandeur;
Attendu que la demande de Abass HAMMOUD étant non fondée, il y a lieu par conséquent de le débouter purement et simplement;
DISCUSSION
Attendu qu'il ressort des débats et des pièces du dossier que Abass HAMMOUD, associé de Espace Copieur détenant 49 % du capital, qui a boycotté l'assemblée générale des associés du 29/06/2002, assigne le gérant Jacques Claude LACOUR à fin d'annuler des résolutions qui y avaient été votées et adoptées, en ce qu'elles ont été prises par un seul associé qui ne détient pas au moins la moitié du capital social, et parce qu'elles résultent d'un abus de majorité manifeste, ces résolutions avantagent seulement les co-associés au détriment de l'intérêt social et du sien;
Sur l'irrégularité des résolutions n°2, 3, 4 et 5
Attendu que Abass HAMMOUD prétend que ces résolutions qui ont été adoptées en violation de la loi et de l'article 18 des statuts, à la suite du vote d’un associé qui détient seulement 10 % du capital, sont irrégulières et qu'elles doivent être annulées;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 349 de l'Acte Uniforme sur les groupements d'intérêt économique, « dans les assemblées ordinaires ou lors des consultations ordinaires écrites, les décisions sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié du capital;
Si cette majorité n'est pas obtenue, et sauf stipulation contraire des statuts, les associés sont, selon le cas, convoqués ou consultés une seconde fois et les décisions sont prises à la majorité des votes émis, quelle que soit la proportion du capital représentée;
Toutefois, la révocation du gérant ne peut dans tous les cas, intervenir qu’à la majorité absolue. »;
Attendu qu'il ressort de l'article 18 al.2 des statuts de Espace Copieur, que « les décisions collectives ordinaires ne sont valablement prises qu'autant qu’elles ont été adoptées par les associés représentant plus de la moitié du capital social »;
Attendu qu'il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale du 29/06/02, qui est ordinaire, que les résolutions n° 2, 3, 4 et 5 ont été votées par seulement la dame Evelyne Dorothée Flambard épouse LACOUR, laquelle détient seulement 10 % du capital social;
Attendu que le vote de ces résolutions est intervenu à la première convocation et l'associée votant ne représente pas plus de la moitié du capital social;
Attendu que l'adoption dans cette circonstance de ces résolutions est intervenue en violation des articles 349 et 18 ci-dessus exposés;
Attendu que ces résolutions, qui ne sont pas valablement prises, seront annulées;
Sur l'abus de majorité
Attendu que selon Abass HAMMOUD, les résolutions n° l, 6 et 7 notamment, par lesquelles les associés majoritaires ont donné quitus au gérant, réglé les comptes des associés et l'affectation des bénéfices de l'exercice 2001 en réserves libres, et plus généralement, l'ensemble des résolutions adoptées a 1 Assemblée Générale du 29/06/02, qui ne visent pas l'intérêt social mais favorisent plutôt le gérant, sont entachées d'abus de majorité et méritent annulation;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 130 de l'Acte Uniforme sur les groupements d'intérêt économique, « les décisions collectives peuvent être annulées pour abus de majorité et engager la responsabilité des associés qui les ont votées à l'égard des associés minoritaires; il y a abus de majorité lorsque les associés majoritaires ont voté une décision dans leur seul intérêt, contrairement aux associés minoritaires, et que cette décision ne puisse être justifiée par l'intérêt de la société. »;
Attendu que le fait dans les résolutions n° l, 6 et 7 de donner quitus au gérant de ses comptes pour l'exercice 2001, d'apurer les comptes des associés ou encore, de ne pas distribuer les dividendes et d'affecter les bénéfices de 2001 en réserves, sans établir des fautes de gestion à son encontre ou d'établir la fausseté des comptes des associés, ou surtout, de prouver que l'intérêt social a été méconnu ou que ces résolutions sont inspirées, cette année seulement, pour favoriser un groupe d'associés au détriment de l'autre, ne suffit pas à les faire considérer comme entachées d'abus de majorité; que d'ailleurs, le rapport d'expertise a confirmé l'état des comptes des associés, a révélé que la société a un important besoin de financement en capitaux et qu'il faut mettre en réserve tout ou partie des résultats ultérieurs, jusqu'au rétablissement de l'équilibre;
Attendu que l'abus de majorité dans l'adoption des résolutions n°1, 6 et 7 n'est pas établi;
Attendu que Abass HAMMOUD sera débouté de sa demande tendant à les annuler pour abus de majorité;
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort;
– Reçoit Abass HAMMOUD en ses demandes;
– Annule les résolutions n° 2, 3. 4 et 5 adoptées par l'assemblée générale du 29/06/02;
– Le déboute du surplus de ses demandes;
– Condamne Jacques Claude LACOUR aux dépens.
Ont signé le Président et le Greffier, les jour, mois et an que dessus.