J-05-126
SURETES – LETTRE DE GARANTIE A PREMIERE DEMANDE – DENOMINATION – DEFAUT D’INDICATION – NULLITE – DEMANDE EN PAIEMENT – GARANT – DEFAUT DE TRANSMISSION AU DONNEUR D’ORDRE – PAIEMENT – MAUVAIS PAIEMENT – OBLIGATION DE REMBOURSEMENT – DOMMAGES – INTERETS.
Doit être annulé l’acte constatant une lettre de garantie à première demande qui, au lieu de comporter la dénomination « lettre de garantie à première demande », est désigné « caution de paiement fournisseur ».
Effectue un mauvais paiement qui l’oblige à remboursement et à dommages-intérêts, le garant qui, dès réception de la demande en paiement du bénéficiaire d’une lettre de garantie, remet les fonds à celui-ci au lieu de transmettre ladite demande au donneur d’ordre.
(Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n° 184 du 21 février 2003,SIB C/ société CORECA).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs demandes, fins, conclusions
Exposé de la Procédure. des Faits et Prétentions des Parties
Suivant exploit en date du 22 juillet 2002, la Société Ivoirienne de Banque dite SIB, ayant pour conseils Maître Amadou FADIKA et associés, Avocats à la Cour, a relevé appel du jugement n043/2002 du 28/02/2002 rendu par le tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau qui a :
– Déclaré la société CORECA partiellement fondée en son action
– Condamné la SIB à lui payer la somme de 100 millions de francs;
– Débouté CORECA du surplus;
– Condamné la SIB aux dépens;
Au soutien de son action à travers acte d’appel, la SIB réclame in limine litis l’annulation du jugement pour défaut de conclusion du Ministère Public;
Subsidiairement au fond, elle explique que dans le cadre de leurs relations d’affaires, la société CORECA a conclu en 1999, avec la société ZMB, un contrat portant sur la fourniture de café et, pour la bonne exécution de leur contrat, la société CORECA, titulaire d’un compte SIB lui a adressé, le 15 décembre 1999, une demande de caution à hauteur de 100 millions de francs au profit de la société ZMB;
Que, le 13 avril 2000, cette dernière a dénoncé la convention d’approvisionnement la liant à CORECA, pour non-respect des engagements;
En réponse, poursuit la SIB, le 11 avril 2000, elle a crédité le compte ZMB de la somme de 100 millions de francs, avant de se faire payer à son tour par le contregarant, le Crédit lyonnais suisse;
Qu’ainsi, allègue la SIB, le compte de la société CORECA n’ayant subi aucun débit, elle conclut à l’infirmation du jugement;
Relevant appel incident par voie de conclusion de ses conseils Maîtres SORO et BAKO, en date du 17/09/2002, la société CORECA fait remarquer que le Ministère Public a versé au dossier ses conclusions du 09 janvier 2002 et demande à la Cour de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 106 du code de procédure civile;
Elle articule sur le fond que la SIB n’ignore pas que le payement effectué par le contre-garant a été répercuté sur elle, alors qu’il n’est pas contesté qu’elle a fait un mauvais paiement en violation des articles 3 et 4,13 et 19 de l’acte uniforme sur les sûretés;
Sur sa demande de dommages-intérêts, elle expose qu’évoluant dans le négoce de café-cacao, que l’on sait très spéculatif, la privation de la somme de cent millions de francs lui a fait perdre le gain qu’elle aurait pu tirer de l’investissement de cette somme et demande par réformation du jugement de lui allouer 10.000.000 FCFA à ce poste;
Par voie de conclusion en réplique de ses conseils, en date du 08 octobre 2002, la SIB allègue qu’elle n’a commis aucune faute en effectuant le décaissement au profit de la société ZMB et qu’elle pense que seul le Crédit lyonnais suisse a qualité pour exercer l’action en remboursement. Par voie de conclusion en date du 06 février 2003, le Ministère Public a demandé à la Cour de reformer le jugement entrepris, en allouant la somme de 5 millions de francs à titre de dommages-intérêts à la société CORECA;
DES MOTIFS
Sur l’annulation du jugement
Il ressort des productions et des termes mêmes du jugement entrepris, que les conclusions écrites du Ministère Public en date du 09/01/2002 ont été versées au débat;
Il échet donc de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 106 du code de procédure civile;
Il) Sur la nature juridique de la «caution de paiement fournisseur du 17/12/1999»
Cet acte unilatéralement établi par la SIB, dispose en effet que «la SIB s’est portée caution solidaire en faveur de la société ZMB international pour le compte de la société CQRECA;
«Qu’elle s’est aussi engagée à régler à première demande écrite, toute somme jusqu’à concurrence de son cautionnement contre remise par le bénéficiaire d’une lettre spécifiant que CORECA n’a pas respecté ses engagements...”
Il ressort clairement de cet écrit que nous sommes en présence d’une lettre de garantie prévue par le traité OHADA sur les sûretés, dont l’article 28 est ainsi conçu :
«La lettre de garantie est une convention par laquelle, à la requête ou sur instruction du donneur d’ordre, le garant s’engage à payer une somme déterminée au bénéficiaire sur première demande de la part de ce dernier... »
Qu’ainsi nous ne sommes pas en présence d’un cautionnement au sens de l’article 3 et suivants dudit traité;
De la validité de cette lettre de garantie
Suivant l’article 30 de l’acte uniforme sur les sûretés, «les conventions de garantie et de contre garantie ne se présument pas. Elles doivent être constatées par un écrit, mentionnant à peine de nullité :
“La dénomination de «lettre de garantie>’ ou de contre garantie à première demande”;
En l’espèce, au lieu de «lettre de garantie>’ à première demande, la Société Ivoirienne de Banque a préféré la dénomination «caution de paiement fournisseur”;
S’agissant de la violation d’une disposition d’ordre public prescrite à peine de nullité, la Cour déclare donc nul ce document.
Du paiement par la SIB
Suivant l’article 35 alinéa 2 dudit traité, «Avant tout paiement, le garant doit transmettre sans retard la demande du bénéficiaire et tous documents accompagnant celle-ci, au donneur d’ordre pour information.”
Il s’infère de cette loi, qu’en remettant immédiatement les fonds à la société ZMB, dès réception de sa lettre de dénonciation de ses relations avec CORECA sans même en aviser cette dernière, la SIB a transgressé ladite loi, et fait un mauvais paiement qui entraîne nécessairement le remboursement des sommes prélevées auprès du Crédit lyonnais, contre- garant constitué par la société CORECA au profit de la SIB.
Des dommages-intérêts
Il ressort des productions que les mauvais agissements de la SIB ont privé la société CORECA de ses cent millions de francs, somme dont l’investissement dans ses activités de café-cacao lui aurait procuré des gains
Il convient donc de condamner la SIB à lui payer la somme de cinq millions de francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice souffert;
L’appelante succombe ainsi en la cause, il échet de mettre les dépens à sa charge;
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort;
Reçoit tant la SIB que la société CORECA en leurs appels principal et incident interjetés du jugement n04 du 28 février 2002 rendu par le tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau;
AU FOND
– Déboute la SIB de son appel principal mal fondé;
– Déclare la société CORECA, partiellement fondée en son appel entrepris;
– Reformant le jugement entrepris, condamne la SIB à payer à CORECA la somme de 5.000.000 FCFA, à titre de dommages-intérêts;
– Confirme le paiement entrepris en ses autre dispositions par substitution de motifs;
– Condamne la SIB aux dépens.
Président : M. SEKA ADON Jean Baptiste
Conseillers :Mme ZEBEYOUX A.
M.DIALLO Mahamadou
Greffier : Me LIN GBEDE Antoine
NOTE
En négligeant la question de procédure relative à l’application de l’article 106 du Code de procédure civile, commerciale et administrative, l’arrêt rapporté pose le problème de la régularité du paiement réalisé par la banque (SIB) en sa qualité de garant.
Pour résoudre cette question, la Cour d’appel commence, à juste titre, par analyser l’opération de garantie (I), avant de se prononcer sur la régularité du paiement réalisé par la banque (II).
L’analyse de l’opération
La juridiction du second degré a vu dans l’opération litigieuse une lettre de garantie à première demande (A). Ne pouvait-on la considérer comme un cautionnement (B) ?
La qualification de lettre de garantie à première demande
Selon l’arrêt rapporté, l’acte de garantie en cause dispose que « la SIB s’est portée caution solidaire en faveur de la société ZMB international pour le compte de la société CORECA ». Il est par ailleurs indiqué que la banque « s’est aussi engagée à régler à première demande écrite, toute somme jusqu’à concurrence de son cautionnement contre remise par le bénéficiaire d’une lettre spécifiant que CORECA n’a pas respecté ses engagements… ». Ces différentes clauses sont quelque peu contradictoires. On ne peut s’engager à la fois comme caution et « à première demande ». En tant que débiteur accessoire, la caution ne peut être poursuivie qu’en cas de défaillance du débiteur principal. Malgré la référence aux concepts de caution et de cautionnement, le règlement à première demande prévu par la convention, rappelle la formule de l’article 28 de l’Acte uniforme sur les sûretés (AUS). Ce texte est d’ailleurs cité par la juridiction d’appel. On comprend donc que cette dernière déclare que l’acte litigieux constituait une lettre de garantie à première demande. En effet, un principe d’interprétation bien établi veut que les juges ne soient pas tenus de retenir la qualification que les parties donnent à leur convention. Dès lors qu’il apparaît que la qualification adoptée ne reflète pas la volonté réelle des parties, il revient au juge de déterminer la nature exacte de l’acte. C’est l’attitude adoptée ici par la Cour d’appel. Elle n’était pas obligée de considérer que la convention de garantie était une « caution de paiement fournisseur ». En l’espèce, tout porte à considérer que les parties entendaient conclure une lettre de garantie à première demande; la meilleure preuve en est que le garant (la banque), s’était fait couvrir par un contregarant, le Crédit lyonnais suisse. Certes, une caution pourrait faire également garantir son engagement par une sous-caution. Mais telle n’était manifestement pas la physionomie de l’opération litigieuse.
Si les parties ont ainsi voulu conclure une lettre de garantie à première demande, leur accord était cependant atteint d’un vice de forme. La dénomination de « lettre de garantie à première demande », exigée par l’Acte uniforme (art. 30 AUS), était absente de cette convention. Cette circonstance exposait ladite convention à la nullité. C’est cette sanction que prononce très justement la Cour d’appel, se conformant en cela à l’article 30 de l’Acte uniforme (AUS).
Mais si le contrat de garantie en cause ne pouvait être considéré comme une lettre de garantie en raison du vice qui l’infecte, ne pouvait-on le regarder comme un cautionnement ?
L’analyse de l’opération en un cautionnement
A s’en tenir à la dénomination que les parties ont donnée à leur convention, on conclurait aisément que la banque s’est engagée en qualité de caution. Il résulte en effet des motifs de l’arrêt, que l’acte litigieux est baptisé « caution de paiement fournisseur ». Certes, comme on l’a déjà indiqué, le juge n’est pas lié par la qualification choisie par les parties. Mais il est une autre règle d’interprétation selon laquelle « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun » (art. 1157 C.civ.). A partir de ce principe, on pourrait faire le raisonnement suivant : en interprétant les clauses précédemment évoquées comme aménageant une lettre de garantie, elles ne produisent aucun effet, le contrat étant frappé de nullité. Au contraire, si on admettait que ces mêmes clauses font naître un cautionnement, elles produiraient effet, puisque ce contrat ne nécessite pas, pour sa validité, la même exigence de forme qu’en matière de lettre de garantie à première demande; sa régularité n’est pas subordonnée à l’indication de la dénomination « cautionnement ». Certes, ce contrat doit être exprès; mais entre commerçants, comme c’est le cas en l’espèce, il peut être prouvé par tous moyens.
Ce raisonnement ne peut être ici suivi, car malgré l’emploi d’une terminologie équivoque et défectueuse, il apparaît nettement que les parties ont entendu s’obliger dans les liens d’une lettre de garantie à première demande. Au demeurant, il n’est pas évident que l’analyse de l’accord litigieux en un cautionnement puisse le valider. Il n’est pas certain en particulier, que l’exigence de la mention manuscrite (art. 4 AUS) soit satisfaite en l’espèce. Il est vrai que sous l’empire des textes du Code civil (art. 1326 notamment), la Cour Suprême avait jugé que l’absence de cette mention, si elle rendait irrégulier un acte portant engagement de caution, « cet acte (pouvait) néanmoins constituer un commencement de preuve par écrit, susceptible d’être complété par d’autres éléments ». Mais cette jurisprudence doit être considérée comme désormais révolue. S’agissant en effet de cautionnements régis par l’Acte uniforme, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA a récemment décidé que des actes de cautionnement ne comportant pas la mention manuscrite prévue par l’article 4 AUS, étaient frappés de nullité.
C’est dire, en définitive, que même si le contrat en cause avait été considéré comme un cautionnement, il est fort probable qu’il aurait néanmoins encouru la nullité.
Si on doit approuver la Cour d’appel d’avoir invalidé le contrat de garantie, on peut, en revanche, émettre de sérieuses réserves sur les conséquences qu’elle en tire au regard du paiement réalisé par la banque.
Le paiement réalisé par la banque
En condamnant la banque à remboursement parce qu’elle aurait effectué un mauvais paiement (A), la Cour d’appel d’Abidjan méconnaît les conséquences liées à la nullité d’un contrat (B).
Un mauvais paiement?
Il faut rappeler que suite à sa dénonciation de la convention d’approvisionnement la liant à la société CORECA, la société ZMB a perçu de la banque (SIB) la somme de 100.000 000 de francs prévue dans la convention de garantie. Cette banque a reçu à son tour la même somme auprès du Crédit lyonnais suisse.
Il résulte de l’arrêt que cet organisme a récupéré par la suite ses fonds auprès de la société CORECA; d’où l’action de cette dernière contre la banque (SIB). Il lui est reproché d’avoir désintéressé le bénéficiaire de la garantie sans avoir averti la société CORECA. Il est intéressant de remarquer que l’appelant avait fondé son action sur des textes régissant le cautionnement, à savoir les articles 3, 4, 13 et 19 de l’AUS. Plus précisément, le dernier texte (art. 19) oblige la caution à aviser le débiteur principal ou à le mettre en cause avant tout paiement. Si la caution paie sans accomplir cette démarche, elle perd son recours contre le débiteur principal, si celui-ci avait le moyen de faire déclarer la dette éteinte, ou s’il a payé dans l’ignorance du paiement fait par la caution.
S’il est établi que la banque a réglé le montant de la garantie sans en informer la société CORECA, les faits ne révèlent pas, en revanche, si cette dernière avait un moyen à faire valoir contre son cocontractant, la société ZMB, bénéficiaire du paiement.
Quoiqu’il en soit, le contrat de garantie litigieux n’étant pas un cautionnement, la référence aux textes relatifs à cette sûreté ne pouvait faire triompher la cause de la société intimée (CORECA). C’est pourquoi la juridiction du second degré a cru pouvoir fonder la condamnation de la banque sur les textes relatifs à la lettre de garantie à première demande. Après avoir observé que l’article 35 alinéa 2 AUS exigeait l’information du donneur d’ordre avant tout paiement, la Cour d’appel se fonde sur l’inobservation de cette formalité par la banque, pour conclure que cette dernière a fait un mauvais paiement l’obligeant à remboursement.
Une telle conclusion ne tient aucun compte des effets attachés à la nullité.
La méconnaissance des conséquences de la nullité
On se rappelle que les juges du second degré ont, à juste titre, prononcé la nullité du contrat de garantie pour vice de forme, en raison du défaut d’indication de la dénomination « lettre de garantie à première demande ». Mais de façon fort surprenante, ces mêmes juges font produire effet à la convention annulée ! En invoquant l’article 35 AUS pour reprocher à la banque la transgression de l’Acte uniforme, la Cour d’appel se situe dans le contexte d’une lettre de garantie à première demande qui serait valable. Seule une convention régulière oblige en effet le garant à observer les diligences que prescrit l’article 35. Or il n’en est rien en l’espèce, les juges ayant eux-mêmes admis et déclaré la nullité du contrat. Or ce qui est nul ne peut produire aucun effet. La nullité anéantit rétroactivement l’acte. Si le contrat a déjà été exécuté comme c’est le cas ici, les choses doivent être remises en l’état. Le contrat a été exécuté, car la banque a versé au bénéficiaire (la société ZMB) la somme convenue. L’annulation de ce contrat par la Cour d’appel, a pour effet d’obliger le bénéficiaire à restituer à la banque (SIB), la somme perçue en exécution de la convention de garantie. Ainsi, plutôt que de condamner la banque à rembourser la société CORECA, la juridiction du second degré aurait dû imposer à la société ZMB la restitution des fonds qu’elle a reçus. Telle est la conséquence logique de la nullité qu’elle a prononcée.
Ces observations révèlent également que c’est à tort que la banque a été condamnée au paiement de dommages-intérêts. Il ne pouvait en être ainsi, que si la nullité lui était imputable. Or les faits rapportés ne permettent pas d’aboutir à pareille conclusion
KASSIA Bi Oula
Chargé de cours, UFR S.J.A.P.
Université d’Abidjan-Cocody