J-05-129
PROCEDURES SIMPLIFIEES DE RECOUVRMENT – PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER – OPPOSITION A L’ORDONNANCE PORTANT INJONCTION DE PAYER – OPPOSITION TENDANT UNIQUEMENT A OBTENIR DES DELAIS – CARACTERE ABUSIF (OUI).
Le fait de former opposition à une ordonnance d’injonction de payer uniquement pour demander un délai est abusif lorsque la créance est reconnue ou incontestable et que la demande de délai n’est pas justifiée.
Article 9 AUPSRVE ET SUIVANTS
(Tribunal RÉGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR, JUGEMENT N° 2533 DU 24 NOVEMBRE 2004, SAGOR DIOP C/ LA SDV).
LE TRIBUNAL,
VU les pièces du dossier;
OUI les Avocats des parties en leurs conclusions respectives;
Le Ministère Public entendu et après en avoir délibéré conformément à la loi;
ATTENDU que suivant exploit du 30 septembre 2003, Sagar DIOP a assigné la SDV SENEGAL en opposition contre l’ordonnance d’injonction de payer n° 513/2003 du 29 août 2003;
ATTENDU que par conclusions du 23 février 2004, il sollicite le paiement de la créance en 12 mensualités;
ATTENDU que par écritures du 22 janvier 2004, la SDV soulève l’irrecevabilité de l’opposition, demande l’apposition de la formule exécutoire et la condamnation de Sagor DIOP à lui payer la somme de 1 000 000 F à titre de dommages intérêts et ce, sous le bénéfice de l’exécution provisoire;
EN LA FORME
ATTENDU qu’à l’appui de l’exception soulevée, la SDV fait valoir que l’opposition a été formulée un mois après la signification de l’ordonnance alors que l’article 10 de l’Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
AU/PSRVE prévoit un délai de 15 jours;
ATTENDU qu’il ressort de l’exploit de Me Mame GNAGNA SECK SEYE que l’ordonnance d’injonction de payer a été signifiée à Sagor DIOP le 17 septembre 2003; que l’opposition à ladite ordonnance ayant été initiée le 30 septembre 2003, soit dans un délai de 13 jours, il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité n’est pas fondée;
AU FOND
ATTENDU que par écritures du 22 janvier 2004, la SDV soutient qu’elle est créancière de Sagor DIOP de la somme de 2 999 912 F en principal correspondant à une traite tirée sur ce dernier et revenue impayée pour défaut de provision;
ATTENDU qu’elle signale par ailleurs que dans la sommation interpellative portant commandement de payer, Sagor DIOP rétorque que le rejet de la lettre de change pour défaut de provision est imputable à la SDV; Qu’en effet, en application de l’article 135 de la loi uniforme relative aux instruments de paiement n° 9613 du 28 août 1996, le porteur d’une lettre de change doit présenter celle-ci au paiement, soit le jour où elle est payable, soit l’un des deux jours ouvrables qui suivent : Que la SDV a présenté la lettre de change au paiement le 04 juillet 2003 à l’expiration de l’échéance fixée; Qu’en conséquence elle est déchue de ses recours pour défaut de paiement, qu’au demeurant sa bonne foi ne peut être remise en cause en l’espèce, qu’il a reconnu devoir la somme de 2 999 102 F CFA dans la sommation interpellative du 12 août 2003; Qu’il est confronté à des difficultés de trésorerie sérieuse; Que mieux sa procédure est régulière et dénuée de tout caractère dilatoire encore moins abusif, Qu’il sollicite de la juridiction de céans le paiement de la créance en 12 mensualités d’égal montant;
ATTENDU qu’indépendamment de la question de la déchéance des recours cambiaires pour défaut de présentation dans les délais, il reste que Sagor DIOP a reconnu devoir la créance réclamée, qu’il convient donc de le condamner au paiement;
ATTENDU que l’article 39 de l’Acte Uniforme sur les voies d’exécution exclut que le juge puisse accorder des délais en matière de créance cambiaire, Qu’au surplus, Sagor DIOP ne justifie même pas les difficultés de trésorerie qu’il allègue; Qu’il échet de le débouter de sa demande de délai de paiement;
ATTENDU que le fait de former opposition à une ordonnance d’injonction de payer uniquement pour demander un délai est abusif lorsque la créance est reconnue ou incontestable et que la demande de délai n’est pas justifiée;
ATTENDU qu’en l’espèce Sagor DIOP bien qu’ayant reconnu la créance a formé opposition et n’a pas justifié les difficultés de trésorerie qu’il allègue à l’appui de sa demande en paiement; Que son opposition est ainsi formée à des fins dilatoires et est par conséquent abusive; Qu’il convient de le condamner à payer à la SDV la somme de 100 000 F CFA à titre de dommages et intérêts;
ATTENDU que la créance principale étant reconnue, il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire à hauteur de 2 999 102 FCFA;
PAR CES MOTIFS
STATUANT publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort;
RECOIT en la forme l’opposition et les demandes incidentes;
AU FOND
CONDAMNE Sagor DIOP à payer à la SDV SENEGAL la somme de 2 999 102 F (Deux millions neuf cent quatre vingt dix neuf mille cent deux francs), outre celle de 100 000 F (cent mille francs) à titre de dommage-intérêts;
DEBOUTE Sagor DIOP de sa demande de délai;
ORDONNE l’exécution provisoire à hauteur de 2 999 102 F (Deux millions neuf cent quatre vingt dix neuf mille cent deux francs).
CONDAMNE Sagor DIOP aux dépens.
AINSI fait jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
ET ont signé le Président et le Greffier./.
Observations de Ndiaw Diouf, Professeur agrégé, Directeur du CREDILA
La procédure d’injonction de payer est le résultat d’un compromis; il s’agit de concilier deux impératifs : d’un côté, l’impératif de protection de certains créanciers qui veulent un recouvrement rapide de leurs créances dont l’existence et le montant ne peuvent être sérieusement discutés; de l’autre, l’impératif de protection du débiteur qui a besoin de moyens propres à lui permettre de faire corriger les erreurs toujours possibles.
Ce compromis se traduit par la possibilité donnée au débiteur, lorsque l’ordonnance portant injonction de payer est rendue, de faire opposition et d’introduire la contradiction dans une procédure conduite, jusqu’à l’obtention de l’ordonnance, de manière unilatérale par le créancier. L’opposition est destinée à permettre au débiteur de discuter les moyens produits par le créancier; elle ne peut donc avoir pour seul objet une demande de délai.
Mais le tribunal peut – il condamner le débiteur pour procédure abusive simplement parce que son opposition n’a eu pour objet que la demande de délai ?
C’est ce que semble dire le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar dans le jugement rendu le 24 novembre 2004. Le porteur d’une lettre de change revenue impayée après présentation avait demandé et obtenu contre le tiré une ordonnance portant injonction de payer. Ce dernier a formé opposition contre l’ordonnance et, dans ses moyens, il a sollicité un délai de paiement après avoir soutenu que le porteur de la lettre de change est déchu de ses recours cambiaires pour n’avoir pas respecté les délais de présentation, qu’il est lui-même de bonne foi et que s’il n’a pas payé c’est parce qu’il a des difficultés de trésorerie. Le tribunal a rejeté l’opposition du tiré et a condamné celui – ci au paiement de dommages- intérêts au motif que l’opposition est formée à des fins dilatoires et est par conséquent abusive.
Cette décision nous paraît quelque peu sévère. L’action en justice étant en effet libre, son exercice ne peut constituer en soi, même en cas d’échec, une faute de nature à engager la responsabilité civile de celui qui en a pris l’initiative. Il ne suffit donc pas qu’il y ait échec pour que la responsabilité de celui qui a exercé l’action soit engagée Le juge ne peut, dans ces conditions, condamner à des dommages et intérêts celui qui exerce l’action que s’il relève, à sa charge, un abus c'est-à-dire une faute distincte du simple échec. C’est ce qui explique que de manière générale, les juridictions de cassation exigent des juges du fond qu’ils précisent en quoi l’exercice de l’action a dégénéré en abus. En l’espèce, cette démonstration ne semble pas avoir été faite, le tribunal n’ayant pas relevé de faute caractérisée imputable au demandeur à l’opposition.