J-05-204
SOCIETE COMMERCIALE – SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE – DIFFICULTES DE GESTION – EXPERTISE DE GESTION – DESACCORD ENTRE ASSOCIES – DESIGNATION D’UN SEQUESTRE.
La nomination d’un expert de gestion chargé de faire la lumière sur les opérations d’une société qui connaît des difficultés n’est pas incompatible avec la désignation concomitante d’un séquestre pour la même société dès lors qu’il existe par ailleurs un désaccord entre les associés de cette société
(Tribunal de première instance de Yaoundé -Ekounou, ordonnance n°224/C du 28 septembre 2004, affaire Olinga Mbida François, Ewodo Mbida Mathieu B., Akono Léon Joseph c/ Société Baseline SARL, Azeme Ondoua Emmanuel, Koung Emmanuel).
NOUS, PRESIDENT JUGE DES REFERES
– Vu la requête introductive d’instance ensemble les pièces du dossier de procédure;
– Vu les lois et règlements applicables;
– Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
– Attendu qu’agissant en vertu de l’ordonnance n°167/03-04 du juge des requêtes du Tribunal de première instance de Yaoundé-Ekounou et à la requête conjointe de sieurs OLINGA MBIDA François, EWODO MBIDA Mathieu Bertrand et AKONO Léon Joseph ayant pour conseil Maître
NGOUEN Emmanuel, avocat au barreau du Cameroun, Maître Thomas BIYIK, huissier de justice )à Yaoundé a fait donner assignation à : Société BASELINE Sarl, AZEME ONDOUA Emmanuel, gérant de la société;KOUNG Emmanuel, gérant, d’avoir à se trouver et comparaître en personne par devant Monsieur le Président du tribunal de première instance de Yaoundé-Ekounou statuant comme juge des référés et siégeant en son cabinet sis au palais de justice de ladite ville le 26 août 2004 à 12 heures pour est-il dit;
– Au principal renvoyer les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à présent, vu l’urgence;
– Vu les dispositions de l’article 1961 du code civil;
– Constater qu’une crise interne aux conséquences graves menacent la survie de la société BASELINE;
– Constater qu’en conséquence de cette situation, une ordonnance aux fins d’une expertise de gestion de la société a été prise par le juge des requêtes du tribunal de céans et que le rapport de ladite expertise n’a pas encore été produit;
– Constater qu’étant les seuls gestionnaires de la société dont la gestion est au demeurant hautement critiquée et face à l’opposition ouverte animée les requérants sieurs AZEME et KOUNG Emmanuel n’hésiteraient pas à vider systématiquement les fonds de la société, toute chose qui nuirait irrémédiablement aux intérêts des autres associés non gérants;
– Dire qu’il y a extrême urgence à ce que préparatoirement au rapport d’expertise à produire aux conséquences qui en seront tirées la société BASELINE SARL soit placée sous administration séquestre;
– Attendu qu’au soutien de leur action les demandeurs font valoir qu’en raison d’une crise interne inhérente à une gestion catastrophique de la société, ils ont sollicité et obtenu du juge de céans une ordonnance aux fins d’expertise de gestion de celle-ci;
– Qu’intervenu le 05 juillet 2004, pour une durée de deux mois ladite ordonnance a été notifiée à l’expert commis le 06 juillet 2004, toute chose faisant présumer que le rapport à établir serait déposé à la date théorique du 07 septembre 2004;
– Attendu qu’à peine la mission de l’expert commencé et les gérants de la société sentant celui-ci évoluer dangereusement vers la découverte de la grande dérive managériale, AZEME ONDOUA Emmanuel et KOUNG Emmanuel ne se cachent plus pour montrer leur intention de faire main basse sur le patrimoine de la société quitte à ce que celle-ci coule avec ses membres;
– Attendu que cette crainte est d’autant fondée qu’en deux années de fonctionnement seule le rapport d’expertise sollicité par les requérants, associés au demeurant pourraient permettre à ceux-ci de savoir exactement ce que la société a pu produire ou dépenser pendant cette période;
– Que face à cette situation de gravité exceptionnelle, seule l’intervention du jugez des urgences pourrait permettre non seulement de sauvegarder les intérêts des uns et des autres mais également les emplois de la vingtaine de personnes salariées animant cette structure;
– Que l’urgence d’une mesure de sauvegarde est d’autant plus grande que par le simple jeu d’écriture, les comptes de la société seraient vidés toutes choses justifiant la saisine du juge de référés;
– Attendu que pour faire échec à l’action des demandeurs, les défendeurs sous la plume de leur conseil ont conclu au débouter de l’action des demandeurs, allèguent que la mesure sollicitée n’est que l’expression d’une ignorance malheureuse des statuts de la société et de la réglementation en vigueur en matière de société;
– Qu’aux termes de l’article 357 de l’acte uniforme n°2 les décisions collectives sont qualifiées d’extraordinaires quand elles concernent tout objet pouvant entraîner directement ou indirectement une modification des statuts;
– Qu’il s’en suit que dans le cas d’espèce la demande de nomination d’un séquestre ne peut prospérer dès lors qu’elle a une motivation illégale c’est-à-dire la convocation éventuelle d’une assemblée extraordinaire non pour modifier les statuts, mais pour contester les résolutions prises par l’assemblée générale ordinaire tenue en mars 2004 sur la gestion de la société;
– Que cette assemblée générale est d’autant plus illégale que ceux qui l’évoquent ne représentent même pas la moitié du capital social alors qu’aux termes des dispositions de l’article 16 des statuts des décisions collectives extraordinaires ne sont valablement prises qu’autant qu’elles ont été adoptées par les associés représentant au moins les ¾ du capital;
– Attendu que sieur MIMPO Louis Claude et NGANDO Nicolas ont par le biais de Maître BIYIK Thomas fait donner assignation en intervention volontaire aux défendeurs pour dire leur action solidaire à celle de AZEME ONDOUA et KOUNG Emmanuel et de dire que la nomination d’un administrateur séquestre est injustifiée et déboutée par conséquent les demandeurs;
– Attendu qu’il est de jurisprudence constante et de doctrine établie qu’il est suffisant pour que le séquestre soit justifié que le litige concerne une part indivisible de la propriété ou de la possession ou une portion quelconque d’un ensemble indivisible;
– Que les tribunaux admettent que le litige existe, même avant tout procès, dès que le désaccord des parties se manifeste de façon certaine;
– Qu’il est tout aussi admis que les tribunaux peuvent encore régulièrement nommer un séquestre si le possesseur des biens séquestrés ne les détenait qu’en vertu d’un rapport de droit synallagmatique l’astreignant à certaines obligations;
– Attendu que dans le cas d’espèce, la société litigieuse est une société à responsabilité limitée;
– Que s’il est constant que le gérant de SARL n’est pas révocable ad nutum, tout associé même s’il ne possède qu’une part, peut demander en justice la révocation du gérant s’il justifie d’une cause légitime;
– Attendu que l’expertise de gestion visait à faire la lumière sur un certain nombre d’opérations de gestion;
– Que la demande de nomination d’un séquestre subséquente vise à prévenir un litige sinon né et actuel, tout au moins possible et sérieux;
– Attendu qu’il est établi que le désaccord entre associés se manifeste de façon certaine;
– Qu’au regard de ce qui précède, il y a lieu de faire droit à l’action des demandeurs;
– Attendu qu’aux termes de l’article 50 du code de procédure civile toute partie qui succombe sera condamnée aux dépens;
PAR CES MOTIFS
– Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties en matière de référé et en premier ressort;
– Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir, mais dès à présent et par provision;
– Vu l’urgence, recevons l’action des sieurs OLINGA MBIDA François, EWODO MBIDA Mathieu, AKONO Léon Joseph, recevons également l’action en intervention volontaire des sieurs MIMPO Louis Claude et NGANDO Nicolas;
– Disons l’action des demandeurs fondée, désignons par conséquent dame EOG Marie Grâce séquestre de la société BASELINE jusqu’au dépôt du rapport d’expertise ordonné le 05 juillet 2004;
– Disons le séquestre désigné gérera les affaires courantes de ladite société en bon père de famille, percevra toutes les créances y afférentes à charge pour lui rendre compte dès sa mission terminée;
Observation : KALIEU ELONGO Yvette Rachel, maître de conférences agrégée, Université de Dschang (Cameroun)
L’expertise de gestion et le séquestre sont tous deux des mécanismes du droit des sociétés qui ont pour but d’assurer la gestion des crises sociales qui sont parfois inévitables. Il existe toutefois une différente sinon de nature du moins de degré entre eux.
L’expertise de gestion prévue par les articles 159 et
160 AUSCGIE s présente davantage comme une mesure préventive en ce qu’elle permet aux associés dans certaines conditions d’obtenir la désignation d’un tiers chargé d’assurer le contrôle de la gestion de la société. Le séquestre par contre, institution prétorienne en droit des sociétés se rapproche davantage de l’administration provisoire et a pour but de faire désigner un tiers qui se chargera pour un temps et en lieu et place des organes sociaux, de la gestion des affaires sociales.
Dans un cas comme dans l’autre les conditions de désignation semblent avoir été réunies en l’espèce mais cette décision se particularise en ce que la désignation du séquestre faisait elle-même suite à celle de l’expert de gestion qui n’avait pourtant pas encore rendu compte de sa mission. Si sur le plan des principes, la solution est bonne, on peut toutefois s’interroger sur l’opportunité de la désignation d’un séquestre sans attendre au moins le rapport de l’expert de gestion ce qui aurait permis par exemple de mieux déterminer les pouvoirs du séquestre.