J-05-233
PROCEDURES COLLECTIVES D'APUREMENT DU PASSIF – REGLEMENT PREVENTIF – REQUETE AUX FINS DE REGLEMENT PREVENTIF – DEPOT DES PIECES EXIGEES – OFFRE DE CONCORDAT PREVENTIF.
DECISION DE SUSPENSION PROVISOIRE DES POURSUITES INDIVIDUELLES – NATURE DE LA DECISION – ORDONNANCE (OUI) –.
ARTICLE 15 AUPC – CESSATION DE PAIEMENT DU DEBITEUR (NON) –.
CONDITIONS DE VALIDITE DU CONCORDAT – REJET DES CREANCIERS – RAPPORT D'EXPERTISE – ARTICLE 12 AUPC – MISSIONS DE L'EXPERT – CREANCIERS NON ENTENDUS – INSUFFISANCE DU RAPPORT – VALIDITE DU CONCORDAT (NON) – HOMOLOGATION DU CONCORDAT PREVENTIF (NON) – ANNULATION DE L'ORDONNANCE DE SUSPENSION DES POURSUITES.
La décision de suspension des poursuites individuelles qui est avant tout une phase préparatoire au règlement préventif, requiert en principe célérité, toute chose qui ne peut s'accommoder du formalisme préalable à un jugement. Si le législateur OHADA avait effectivement voulu que ce soit la juridiction compétente qui statue par voie de jugement et non son président par voie d'ordonnance, l'article 8 AUPCAP aurait été autrement libellé.
Lorsque l'ensemble des créanciers rejette le concordat préventif proposé et qu'en outre celui-ci n'est pas assez explicite sur les perspectives de redressement de l'entreprise et demeure dans l'ensemble assez laconique il y a lieu de dire qu'il ne remplit pas toutes les conditions de validité et annuler par conséquent l'ordonnance de suspension des poursuites individuelles
(Tribunal DE GRANDE INSTANCE DE OUAGADOUGOU (BURKINA FASO), Jugement n° 286 du 03 novembre 2004, Requête de la société Boulangerie 2000 aux fins de règlement préventif).
LE TRIBUNAL,
LES FAITS
Par requête du 09 juin 2004 adressée au Président du tribunal de grande instance de Ouagadougou la Société Boulangerie 2000, ayant son siège à Ouagadougou au 06 BP 8699 Ouagadougou 06, représentée par son gérant pour lequel domicile est élu en l'étude de Maître Moussa SOGODOGO, avocat à la Cour, a sollicité son admission à la procédure de règlement préventif telle que prévue par l'acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif. Conformément à l'article 6 de l'acte uniforme ci‑dessus cité, elle a joint à sa requête les pièces exigées.
Aussi dans le délai prévu par l'article 7 du même acte uniforme elle a déposé une offre de concordat préventif. Tous ces documents ont fait l'objet d'un acte de dépôt dressé par le greffier en chef du tribunal le 13 juillet 2004;
Que conformément à l'article 8 de l'acte uniforme précité, une ordonnance de suspension provisoire des poursuites individuelles a été prise le 12 août 2004. La même ordonnance avait désigné un expert comptable pour faire un rapport sur la situation de la société, surtout sur les perspectives de redressement. Le 13 octobre 2004, l'expert ayant déposé son rapport, elle souhaite que le tribunal homologue le concordat préventif proposé eu égard aux conclusions de l'expert et des éléments suivants;
Au succès de sa demande, la Société Boulangerie 2000 expose qu'elle existe depuis le 6 mai 2002 et inscrite au registre du commerce sous le numéro BF OUA2002 B 99. Elle compte sept (07) boulangeries modernes installées à Ouagadougou, elle emploie trois cent (300) travailleurs permanents;
Que depuis deux (02) ans maintenant la société connaît une situation économique difficile due à différents facteurs dont essentiellement la situation en côte d'Ivoire, la hausse du prix des hydrocarbures, la fermeture des Grands Moulins du Burkina, la forte demande du fret maritime vers l'Asie. Tous ces facteurs ont contribué au renchérissement du coût des matières premières. Etant donc dans une situation économique et financière difficile, mais non encore irrémédiablement compromise, elle sollicite qu'il plaise lui accorder le bénéfice du règlement préventif par une suspension des poursuites pour une période de deux (02) ans. Elle demande cette suspension pour les dettes suivantes :
– la Banque Commerciale du Burkina (BCB) = 479.219.178 Francs CFA
– la Société Générale de Banque (SGBB) = 130.600.000 Francs CFA
– la Banque of Africa (BOA) = 149.500.000 Francs CFA
– La Société Burkinabè de Financement (SOBFI) = 93.771.000 Francs CFA
– ECOBANK = 18.823.617 Francs CFA
– Bakery Ingredients Export Group (D.S.M) = 48.000.000 Francs CFA.
Elle indique enfin qu'une suspension des poursuites lui permettra non seulement d'apurer son passif, mais aussi de continuer son exploitation;
En réplique Maître Mathieu SOME, conseil de BCB, de la SGBB et de la BOA, déclare que l'ordonnance de suspension des poursuites n'a pas été notifiée à ses clientes, mais aussi que cette décision de suspension des poursuites devrait plutôt se faire par jugement et non par ordonnance. Pour l'ensemble des créanciers, le rapport de l'expert comporte de nombreuses insuffisances et ces insuffisances s'expliquent en partie selon eux par le fait qu'ils n'ont pas été associés à ce rapport. Ensuite le concordat proposé par la société Boulangerie 2000 n'est pas viable, du reste la société est en cessation de paiement et selon eux la seule solution possible c'est la liquidation judiciaire;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la décision de suspension des poursuites individuelles
Attendu que le conseil de la Banque Commerciale du Burkina (BCB), de la Bank Of Africa (BOA) et de la Société Générale de Banque du Burkina (SGBB), tous créanciers de la Société Boulangerie 2000 pour justifier le refus de ces clients d'accorder au débiteur le bénéfice du règlement préventif soutient que la décision de suspension des poursuites intervenue le 12 août 2004 sous la forme d'une ordonnance sur requête devrait plutôt se faire par jugement, « ce d'autant plus que dixit Maître Mathieu SOME la juridiction compétente est le tribunal de grande instance de Ouagadougou »;
Attendu que c'est l'article 8 de l'acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif qui règle la question;
En effet cet article dispose que « dès le dépôt de la proposition de concordat préventif, celle‑ci est transmise sans délai, au Président de la juridiction compétente qui rend une décision de suspension des poursuites individuelles et désigne un expert pour lui faire rapport sur la situation économique et financière de l'entreprise... »;
Attendu que cette disposition qui ne prête pourtant à aucune équivoque aussi bien dans sa lettre que dans son esprit ne devrait laisser place à aucune interprétation même bienveillante;
Attendu en effet qu'il suffit d'abord de se référer à l'article 5 c'est-à-dire au moment du dépôt de la requête où il est clairement entendu que la requête est adressée à la juridiction compétente à travers son président;
Ensuite à l'article 14 du même acte uniforme où il est clairement dit que « dans les huit (08) jours du dépôt du rapport, le président saisit la juridiction compétente... » pour conclure que si le législateur OHADA avait effectivement voulu que ce soit la juridiction compétente qui statue par voie de jugement et non son président par voie d'ordonnance, l'article 8 de l'acte uniforme aurait été autrement libellé;
Que du reste l'argument du conseil de la BCB, de la SGBB, et de Bank Of Africa semble battu en brèche par une partie de la doctrine. En effet dans l'ouvrage consacré au droit des entreprises en difficultés dans la collection Droit uniforme africain, le professeur Filiga M. SAWADOGO écrit à la page 63 : « le dépôt de l'offre de concordat produit une conséquence importante : le Président de la juridiction compétente va rendre un décision de suspension des poursuites individuelles »
Attendu enfin que la décision de suspension des poursuites individuelles qui est avant tout une phase préparatoire au règlement préventif requiert en principe célérité, toute chose qui ne peut s'accommoder du formalisme préalable à un jugement. Que cette décision est provisoire, en principe elle est prise pour deux mois (article 13 de l'acte uniforme); qu'elle n'est susceptible d'aucune voie de recours (article 22 AUPC)
Qu'en somme au regard de tout ce qui précède il n'est pas contraire à la loi que cette décision soit prise par le Président du tribunal ou celui qui le représente;
Attendu que sans être précis sur les documents mis en cause, il est dit que les pièces prévues à l'article 6 de l'AUPC pour être jointes à la requête ne sont ni datées, signées et certifiées conformes;
Qu'il est cependant loisible de constater que l'ensemble des états financières sont signés, datés et accompagnés d'un document de certification lui même daté du 30 juin 2004;
Sur la cessation des paiements
Attendu que l’ensemble des créanciers de la sociétés Boulangerie 2000 estime que ladite société est en cessation de paiement sans pour autant être très précis sur la date de cette cessation des paiements ou en étant divergeant sur la date possible;
Que fort de ce constat ils demandent plutôt la liquidation de la société;
Attendu en effet que conformément à l'article 15 de l'acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif, si la juridiction compétente constate la cessation des paiements elle prononce la liquidation des biens;
Attendu que l'article 24 de l'AUPC définit la cessation des paiements comme étant la situation du débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible;
Attendu qu'au succès de leur demande les créanciers s'appuient sur les correspondances et démarches entreprises par le débiteur auprès des différents créanciers pour le règlement de ses dettes et sur des extraits du rapport d'expertise pour conclure que la société Boulangerie 2000 est en cessation de paiement d'où la nécessité de la liquider;
Attendu que si toutes les raisons avancées par les créanciers mettent en évidence les difficultés réelles que connaît la Société Boulangerie 2000, elles ne démontrent pas assez une situation irrémédiablement compromise; qu'en effet il a été versé au débat des pièces qui attestent que le débiteur en dépit de toutes ces difficultés continue à faire face à toutes ses charges de fonctionnement et mieux, déploie des efforts pour désintéresser certains des créanciers;
Attendu donc que de tout ce qui précède, il ne nous a pas été donné de constater conformément à l'article 15 suscité que le débiteur est en cessation de paiement pouvant ouvrir la voie à une liquidation judiciaire;
Sur l'homologation du concordat préventif
Attendu que de façon unanime les créanciers rejettent en bloc le concordat préventif proposé par la société Boulangerie 2000 pour les raisons suivantes :
– les préoccupations des créanciers n'ont pas été prises en compte parce que l'expert ne les a pas entendu;
– le débiteur n'a fait aucune proposition dans le sens d'un réaménagement de l'organe dirigeant de la société;
– aucune cession d'actif n'a été proposée quand bien même la société compte sept (07) boulangeries;
– le concordat proposé par le débiteur n'est pas viable;
Attendu d'une part que l'article 12 de l'AUPC relatif aux missions de l'expert précise en son troisièmement que « l'expert entend le débiteur et les créanciers et leur prête ses bons offices pour parvenir à la conclusion d'un accord sur les modalités de redressement de l'entreprise et l'apurement de son passif »;
Qu'en l'espèce, l'expert avoue n'avoir pu entrer en contact avec les créanciers en raison de nombreuses contraintes liées en partie au délai imparti pour déposer son rapport;
Attendu d'autre part que le concordat préventif proposé par la société les Boulangeries 2000 n'est pas assez explicite sur les perspectives de redressement de l'entreprise et demeure dans l'ensemble assez laconique;
Qu'en effet à la lecture du concordat et après audition du débiteur, les garanties et engagements pour en assurer l'exécution n'ont pas été clairement dégagés, on les a plutôt dilué dans de grands principes comme « cash flow prévisionnel », «compte d'exploitation prévisionnel »;
Attendu que de ce qui précède, il y a lieu de dire que le concordat proposé par la société les Boulangeries 2000, ne remplit pas toutes les conditions de validité car n'offrant pas de garanties suffisantes d'exécution;
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement en chambre de conseil, en matière commerciale et en premier ressort;
Déclare la société Boulangerie 2000 recevable en la forme en son action;
Au fond, rejette le concordat préventif proposé par ladite société;
En conséquence, annule l'ordonnance n° 2044 du 12 août 2004 de suspension des poursuites individuelles;
Met les dépens à la charge de la société Boulangerie 2000.