J-05-24
VOIES D’EXECUTION – SAISIE – SAISIE EXECUTION – CREANCE CERTAINE, LIQUIDE, EXIGIBLE (NON) – NULLITE.
Le créancier hypothécaire, pour réaliser son « gage » (sic), doit prouver que sa créance remplit les conditions d’exigibilité, de liquidité et de certitude posées à l’article 31 de l’AUPSRVE
(Cour d’Appel de l’Ouest, Arrêt n° 14/civ. du 23 octobre 2002, Affaire NJIKOUFON Emmanuel c/ FOGAPE).
La cour,
– Vu le jugement n° 11/civ. du 08 juin 2001 rendu par le Tribunal de Grande Instance du Noun à Foumban;
– Ensemble l’appel relevé de ladite décision par NJIKOUFON Emmanuel le 14 septembre 2001, requête reçue au siège de la Cour le 03 Octobre de la même année et y enregistrée sous le numéro II;
– Vu les articles 188 et suivants du Code de Procédure Civile du Cameroun;
– Vu les dispositions de l’Acte Uniforme OHADA portant organisations des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution;
– Vu l’ordonnance n° 03/CAJ/1999-2000 du 29 mars 2000 accordant l’assistance judiciaire à NJIKOUFON Emmanuel;
– Vu l’ordonnance n°95/005 du 13 décembre 1995 au Fonds d’Aide et des Garantie des Crédits aux Petites et Moyennes Entreprises (FOGAPE), une dispense de consignation près des greffes des tribunaux, cours d’appel et Cour suprême;
– Ouï en leurs conclusions, fins et observations orales;
– Ouï le Procureur Général en ses réquisitions écrites;
– Vu l’ordonnance n° 72/4 du 26 août 1972 portant organisation judiciaire de l’Etat et ses divers textes modificatifs subséquents;
– Vu les pièces du dossier de la procédure;
– Après en avoir délibéré conformément à la loi;
EN LA FORME
– Considérant que par requête datée du 14 Septembre 2001, NJIKOUFON Emmanuel a interjeté appel contre le jugement n° II/civ. du 08 juin 2001 rendu par le Tribunal de Grande Instance du Noun;
– Que ledit appel doit être déclaré recevable comme fait dans les forme et délai prescrits par la loi;
AU FOND
– Considérant qu’au soutien de son action, l’appelant expose que le premier juge ayant fait une très mauvaise appréciation de la cause et une inexacte application de la loi, sa décision se doit d’être infirmée;
– Qu’il allègue en outre que le FOGAPE, n’ayant jamais débloqué la totalité du prêt consenti à son client, ne saurait en exiger le remboursement, et ce, dans la mesure où seul ce prêt pouvait générer des revenus permettant de rembourser la totalité du prêt;
– Qu’en somme, en refusant d’exécuter les obligations librement consenties, le FOGAPE a mis son client dans l’impossibilité d’exécuter les siennes;
– Considérant que l’appelant fait encore valoir que cette rupture unilatérale du contrat par le FOGAPE va aux antipodes des termes prescrits par l’article 1134 du Code Civil;
– Qu’en agissant comme il l’a fait, l’intimé lui a causé sur la base des articles 1142 et 1382 du même code, un lourd préjudice dont il évalue la réparation à 50.000.000 F, soit 30.000.000 F pour le préjudice matériel et 20.000.000 F pour le préjudice moral;
– Considérant que l’appelant soutient encore que la saisie pratiquée par le FOGAPE est nulle car s’appuyant sur une créance incertaine et non exigible;
– Que pareilles allégations nous semblent sérieuses, il convient de les examiner;
Sur le déblocage du crédit
– (…);
Sur la liquidité et l’exigibilité de la créance
– Considérant qu’aux termes de l’article 31 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisations des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, l’exécution forcée n’est ouverte qu’au créancier justifiant d’une créance certaine, liquide et exigible;
– Qu’en matière de créance hypothécaire, un raisonnement a contrario de l’article 28 alinéa 2 de l’Acte Uniforme n° 6 nous permet d’affirmer que la saisie doit concerner d’abord l’hypothèque, c’est à dire la réalisation du gage;
– Que dans le cas d’espèce, la saisie exécution opérée sur les biens meubles et le compte bancaire de l’appelant ne justifie pas de l’insuffisance du gage après sa réalisation;
– Considérant que pour réaliser le gage, il faut que la créance hypothécaire remplisse les conditions fixées par la loi;
– Que celle réalisée ayant violé les dispositions du texte sus-visé, elle doit être annulée;
– Considérant qu’en ce qui concerne le caractère certain de la créance, il convient de dire que si le protocole d’accord permet d’affirmer qu’il y a eu convention de prêt entre les parties, il ne prouve pas qu’au moment de la saisie, la créance était certaine;
– Que, s’il ressort des pièces du dossier que les acomptes servis à l’appelant sont d’un montant total de 11.351.044 F, somme réclamée par le commandement de saisie, il résulte pourtant des écritures du FOGAPE versées à l’audience du 14 juillet 2000 que sur les déblocages effectués, le premier du 31décembre 1991, soit 4.351.044 F l’a été en faveur de la CCAR pour l’assurance-vie, le second de l’ordre de 6.754.496 Fa servi aux frais notariés. Les deux derniers ont été versés directement à l’appelant pour le démarrage des travaux;
– Considérant en conséquence qu’il y a lieu de faire la différence entre les sommes décaissées pour le finalisation du protocole de prêt et celles versées directement à NJIKOUFON Emmanuel et pouvant lui être exigées;
– Que le FOGAPE estimant que la rupture des déblocages résulte du fait que l’appelant a utilisé les fonds reçus à des fins personnelles, tout en ignorant ceux versés à la CCAR et au notaire, se devait d’en rapporter la preuve;
– Que n’ayant pas souscrit à cette demande, l’intimé n’a pas rendu la créance, objet de la saisie, liquide;
– Considérant en outre et s’agissant du caractère exigible de la créance que le FOGAPE allègue que les acomptes effectués ont été rendus exigibles par la faute de l’appelant;
– Que cette faute découlerait d’abord du détournement du prêt et ensuite du non paiement des frais d’enregistrement de la convention, une telle exigibilité découlant des dispositions des articles 8 et 2 de la convention des prêts pris en ses alinéas 2 et 5;
– Considérant cependant que la convention de prêt objet de la saisie n’a jamais été soumise à la formalité de l’enregistrement, ce qui empêcherait le premier juge de statuer en s’appuyant sur cette convention conformément aux dispositions des articles 238 et suivants de code de l’enregistrement, du timbre et de la curatelle;
– Qu’ainsi, la saisie attribution faite par un créancier et résultant d’un acte non enregistré et sur papier non timbré est nulle et que, par voie de conséquence, la convention n’ayant pas été enregistrée, n’a pas une date certaine;
– Considérant enfin qu’il ressort de ce qui précède que la saisie dont s’agit a été faite avec légèreté et en violation des articles 31 de l’Acte Uniforme n° 6 et 238 et suivants du Code de l’enregistrement, du timbre et de la curatelle;
– Qu’il échet de déclarer l’appel de NJIKOUFON Emmanuel fondé, d’infirmer le jugement entrepris et, évoquant et statuant à nouveau, d’annuler la saisie exécution du 02 juillet 1999 réalisée au préjudice de l’appelant;
Sur la demande des dommages et intérêts
(…);;
Sur le préjudice matériel
(…);
Sur le préjudice moral
(…);
Par ces motifs :
– Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de l’appelant, par défaut contre l’intimé, en matière civile et commerciale, en appel et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Reçoit l’appel
AU FOND
– Le déclare fondé;
– Infirme en conséquence le jugement déféré;
– Evoquant et statuant à nouveau, annule la saisie exécution du 02 juillet 1999 réalisée au préjudice de l’appelant (…).
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur
L’arrêt de la cour d’appel nous laisse perplexe et nous pensons que cette juridiction a mal interprété les articles 28 et
31 AUPSRVE sur lesquels elle a fondé sa décision.
Un créancier hypothécaire, délaissant l’immeuble sur lequel il avait une sûreté, saisit les meubles de son débiteur. La cour repousse sa saisie exécution au motif que :
– en application de l’article 28, alinéa 2 AUPSRVE, il aurait dû commencer par réaliser son hypothèque;
– mais la réalisation de son hypothèque ne peut être entreprise que si, conformément à l’article
31 AUPSRVE, le créancier justifie d’une créance certaine, liquide et exigible, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, d’où son débouté.
Faisons remarquer que si le créancier ne justifie pas d’une créance certaine, liquide et exigible, il ne peut entreprendre aucune saisie conservatoire ou d’exécution; il suffisait de constater cette carence pour lui interdire une saisie exécution sur les biens meubles de son créancier sans passer par le détour de l’article 28 alinéa 2 AUPSRVE qui, au demeurant, a été mal interprété. Avant d’en venir à ce texte, ajoutons que l’article
31 AUPSRVE, bien qu’il ne le dise pas, suppose que le créancier ne puisse passer à l’exécution que s’il dispose d’un titre exécutoire; c’est ce qui doit se déduire comme principe général des articles
247 AUPSRVE (saisie immobilière) et 69 et 91 (saisie vente des biens meubles corporels), 82 (saisie attribution), 88 (saisie vente des droits d’associés) AUPSRVE qui n’en sont que ds applications particulières à toutes les catégories de meubles susceptibles d’être réalisés.
Pour ce qui est de l’article 28 alinéa 2 AUPSRVE, destiné à épargner les biens immeubles du débiteur s’il dispose de biens meubles suffisants pour désintéresser le créancier, il impose à celui-ci de procéder à l’exécution sur les meubles avant les immeubles sauf si le créancier dispose d’une hypothèque, auquel cas, il peut procéder à la réalisation de cette sûreté (et non de son « gage » comme cela est maladroitement écrit dans l’arrêt). C’est là toute la signification de l’article 28 alinéa 2 AUPSRVE