J-05-254
VOIES D’EXECUTION – SAISIE CONSERVATOIRE – RECONNAISSANCE DE DETTE – PAIEMENT PARTIEL – DEBITEUR NON SOUMIS A UNE PROCEDURE COLLECTIVE – ABSENCE DE PERIL DANS LE RECOUVREMENT DE LA CREANCE – MAINLEVEE DE LA SAISIE CONSERVATOIRE.
Lorsque le débiteur a payé une partie de la dette et qu’il n’est pas en état de cessation de paiement, l’absence de péril dans le recouvrement de la créance justifie la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par le créancier.
(Cour d’Appel d’Abidjan, chambre Civile et Commerciale, Arrêt n° 155 du 27 janvier 2004, Société VITR’AUTO c/TALLAL SAYEGH).
LA COUR,
Oui le Ministère Public;
Vu les pièces du dossier;
Ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant exploit en date du 29/12/2003, la Société AUTO GLASS CENTER devenue VITR'AUTO SARL aux poursuites et diligences de son représentant légal, Mr ALI BAZZl et ayant pour conseil A. FADIKA et associés a relevé appel de l'ordonnance N° 5763 rendue le 22/12/2003 par le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, qui en la cause a statué ainsi qu'il suit :
«Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en premier ressort;
Recevons AUTO GLASS CENTER devenue VITR'AUTO C.I. en son action;
L'y disons mal fondé, l'en déboutons;
Condamne la demanderesse aux dépens;»
Il résulte, des énonciations de l'ordonnance déférée que Suivant exploit en date du 11/12/2003 la Société AUTO GLASS CENTER SARL devenue VITR' AUTO ayant pour représentant légal Mr ALI BAZZI et pour conseil le Cabinet A. FADIKA et Associés a fait assigner Mr TALLAL SAYEGH, Mr CISSE YAO JULES Huissier pour entendre annuler la saisie conservatoire pratiquée le 31/10/2003 sur Ses biens meubles corporels sous astreinte de la Somme de 5.000.000 F par jour de retard à compter de la pré8ente décision;
Au soutien de son action VITR'AUTO expose que par exploit en date du 31 Octobre 2003 de Mr CISSE YAO Jules, Huissier de Justice, TALLAL SAYEGH a fait pratiquer saisie conservatoire sur ses biens meubles Corporels par l'effet d'une ordonnance N° 6687/2003 du 22 octobre 2003 du Président du Tribunal d'Abidjan, en se prévalant d'une reconnaissance de dette; cette saisie, selon VITR'AUTO est irrégulière pour les motifs suivants :
– Elle est caduque parce que, pratiquée le 31/10/2003, elle n'a pas été suivie des formalités tendant à obtenir un titre exécutoire à ce, jour, ou le délai d'un mois prévu par l'article 61 alinéa 1 de l'acte uniforme portant voies d'exécution;
– La créance dont se prévaut le saisissant ne satisfait pas aux exigences de l'article 54 de l'acte uniforme;
– Elle n'est pas fondée en son principe car elle l'a contestée par un exploit de protestation du 24/2/2003 au terme duquel elle a invité TALLAL SAYEGH à revoir le montant du taux d'intérêt de 80% qu'il a expliqué. Il n'y a selon VITR'AUTO aucun péril aucune circonstance de nature à menacer le recouvrement car elle existe et fonctionne bien;
– La créance fait l'objet de contestation devant le Juge du fond en vertu de son acte d'opposition du 28 Mars 2003;
– Elle conclut à la nullité et conséquemment à la mainlevée;
Le défendeur réplique que l'argumentation développée par le demandeur ne peut prospérer; en effet selon le défendeur, qu'il est réel qu'il a procédé a la saisie conservatoire sus spécifiée en vertu de l'ordonnance n° 6687 du 22 octobre 20003 et a respecté toutes les formalités Voulues par la loi;
– De la prétendue caducité, il dit que l'exigence de l’article 6 avait été déjà, par lui, satisfaite à travers l'ordonnance d'injonction de payer obtenue le 10 Mars 2003;
– Du caractère non fondé en son principe de la créance et de l'inexistence de circonstance de nature à menacer Son recouvrement, il répond pour le premier grief que celle-ci tire son origine d'une reconnaissance de dette librement signé, renforcé par une ordonnance d’injonction de payer; pour le second grief, il soutient que le comportement même du débiteur est caractéristique du péril encouru celui, a,d'une part commencer par contester sa propre reconnaissance de dette d'autre part, rayant changé de dénomination sociale, détourné les biens saisis puisqu'il a refusé que l'Huissier Instrumentaire procède à la vérification;
– quant à la contestation de sa créance devant le Juge du fond, il explique que la saisie conservatoire est une mesure de précaution contre l'insolvabilité éventuelle du débiteur et visant à l'amener à s'exécuter volontairement que pour y procéder il suffit au créancier de remplir l'une des conditions des articles 54 et 55 de l'acte uniforme comme c'est son cas, selon TALLAL SAYEGH, il résulte que l'opposition ne saurait en constituer un obstacle;
Dès lors il demande de débouter le demandeur;
Pour statuer comme il l'a fait, le Premier Juge a décidé d'une part que la reconnaissance de dette librement signée par le gérant et deux associés de la société demanderesse a connu un début d'exécution fonde dans le principe la créance à l'origine de la saisie conservatoire querellée;
Que les circonstances de nature à menacer le recouvrement de la créance de TALLAL résulte même de la protestation à honorer la dette reconnue dans les conditions sus précisées d'autre part.
Par ailleurs, avant la saisie conservatoire les formalités en vue de l'obtention d'un titre exécutoire, ont été entamées et se poursuivent au moment de la saisie et n'ont pas encore abouti, aussi l'exigence de l'article 61 susvisé est entièrement satisfait et point n'est besoin d'une autre procédure, au demeurant surabondante. Et l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer ne peut, en l'espèce être un mayen de contestation de la saisie, celle-ci étant une mesure purement conservatoire;
Au soutien de son appel, la Société AUTO GLASS CENTER devenue VITR'AUTO explique qu'il y violation de l'article 61 alinéa l’acte uniforme de l'OHADA sur les procédures de recouvrement simplifié et voies de recoure en CI qui si le créancier a pratiqué, sa saisie en l'absence de tout titre exécutoire, il doit dans le mois qui suit la saisie à peine de caducité introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire or, selon l'appelant du 31/10/2003 date de la saisie conservatoire à la saisine de la juridiction des référés en première instance, il s'est écoulé plus de 30,jours soit plus d'un mois sans que Mr TALLAL n'eut introduit ou accompli les formalités susdites. Or les dispositions de l'article 61 étant d'ordre public il appartient à la cour de constater l'absence de l'accomplissement de cette formalité par Mr TALLAL après le 31/10/2003 et de conclure à la caducité de la saisie conservatoire querellée. En statuant comme il l'a fait, soutient l'appelant, le Premier Juge n'a tenu compte ni de l'esprit ni de la lettre des dispositions de l'article susvisé dès lors la Cour doit sanctionner cette violation par le prononcé de la caducité de la saisie querellée;
Poursuivant, l'appelant soutient que Mr TALLAL ne satisfait pas aux exigences des dispositions de l'article 54 du traité de l'OHADA desquelles il ressort que le recours à la saisie conservatoire n'est ouvert que si le créancier justifie de l’existence d'une créance fondée en son principe et de circonstances de nature à menacer le recouvrement de cette créance selon l'appelant, Mr TALLAL se prévaut d'une créance de 21.200.000 F résultant d'une reconnaissance de dette alors qu'en date du 24/2/2003 cette créance a été fortement contestée par elle, et au soutien de cette protestation elle a déclaré que sur un prêt de 21.750.000 F elle ne pouvait pas rembourser 40.700.000 F soit plus de 80% d'intérêts;
Dans son exploit de contestation AUTO GLASS CENTER conteste le montant des intérêts à payer; en effet soutient-elle, il a été appliqué dans la reconnaissance de dette un taux d'intérêt prohibé, contraire aux dispositions de la Loi 77-523 du 30/07/1977 pour lequel elle a invité Mr TALLAL à revoir le montant du taux d'intérêt et tant qu'il n’a pas été statué sur le montant de la Somme due par elle, (par la juridiction du fond saisie) Mr TALLAL ne pouvait raisonnablement se prévaloir d'une créance de 21.200.000 F et obtenir sur la base de celle-ci une autorisation pour pratiquer Une saisie conservatoire; en passant outre, poursuit l'appelant, le Premier Juge a préjudicié au principal toute initiative lui est interdite. Le Juge de référé aurait dû ordonner la main levée afin que Mr TALLAL attende que sa créance soit judiciairement cristallisée c'est à dire, arrêtée à un montant précis avant d'entreprendre des procédures de saisie, ne l'ayant pas fait la Cour doit sanctionner cela en annulant la saisie querellée et en ordonner la main levée;
De l'absence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance
Selon l'appelant, il n'y a aucun péril dans le recouvrement de la créance d'ailleurs allègue t-il, TALLAL ne rapporte pas la preuve que la Société AUTO GLASS CENTER est mise en dissolution, en liquidation, faillite ou en cessation de paiement, bien au contraire elle ne connaît aucun de ces cas car elle fonctionne normalement sans interruption. Elle conclut que les conditions de l’article 54 n'étaient pas réunies et que conformément à la jurisprudence constante de la CCJA, il y a lieu d'annuler la saisie conservatoire pratiquée par TALLAL SAYEGH à son encontre car en sollicitant une ordonnance d'injonction de payer et une autorisation pour pratiquer une saisie conservatoire TALLAL SAYEGH ne pouvait prendre en considération dans l'hypothèse où il n'entendait pas revoir le montant des intérêts que les sommes effectivement échues et impayées. Or tel n'est pas le cas Mr TALLAL a étendu sa créance jusqu'au 15/2/2004, ce qui, soutient l'appelant, n'est pas juste et conforme à l'esprit de la reconnaissance de dette surtout qu'à la date de l'ordonnance d'injonction de payer, seule une échéance était due et impayée;
L'appelant soutient par .ailleurs que la créance de Mr. TALLAL est contestée devant le Juge du fond; en effet, soutient-il, la reconnaissance de dette présentée par l'intimé au soutien de sa demande d'autorisation de saisie conservatoire a déjà été utilisée par ce dernier pour obtenir une ordonnance d'injonction de payer daté du 10/3/2003 cependant cette ordonnance est frappée d'opposition depuis le 28/3/03 devant la 3ème chambre du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, cette opposition pour fondement principal la contestation de la créance dont se prévaut Mr. TALLAL sur les principaux points, notamment sur le montant de l’intérêt prohibé et sur l'exigibilité de la créance elle-même. Mais Mr TALLAL sachant cela ne peut pas en faire fi et solliciter, sur la base du même document, une autorisation pour pratiquer une saisie conservatoire de biens meubles corporels. En le faisant, Mr TALLAL trompé la religion de la Juridiction Présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan et la saisie qu'il à pratiquée sur la base de cette tromperie mérite d'être annulée l'appelant sollicite que la cour annule cette saisie conservatoire et en ordonne la main levée, ce sous astreinte comminatoire de 5.000.000 F par jour de retard à compter du prononce de la décision à intervenir;
Quant à Mr. TALLAL SAYEGH, il a disposé, par l'entremise de son conseil des écritures datées du 5 Janvier 2004 dans lesquelles il entend répondre aux argumentations de l'appelant articulées autour des points suivants :
– La caducité de la saisie- conservatoire du 31/10/2003
– Le non respect des dispositions de l'article 54 de l'acte :uniforme portant voie d'exécution;
– La Contestation de la créance de Mr SAYEGH devant le Juge du fond;
S'agissant de la caducité de la saisie conservatoire du 31/10/2003, l'intimé soutient que cet argument doit être rejeté car il est incontestable que par ordonnance d'injonction de payer no 1528 du 10 Mars 2003, il a obtenu la condamnation de la Société AUTO GLASS CENTER devenue VITR'AUTO C.I à lui payer la somme principale de 22.700.000 F, ainsi contrairement à l'argumentation de l'appelante, l'exigence de l'article 61 du texte précité avait déjà été respectée par TALLAL au surplus, poursuit l'intimé VITRAUTO CI n’ignore Pas avoir formé opposition contre l’ordonnance d'injonction de payer obtenu à son encontre et que la recherche du titre d’exécutoire est en Cours de sorte qu'il n'a pas violé les dispositions de l'article 61 de l'acte uniforme portant : voies d'exécution il sollicite le rejet de cet argument;
Quant a la prétendue violation de l’article de l’acte uniforme portant voies d’exécution
Contrairement aux argumenter de l'appelant selon lesquels la créance de Mr SAYEGH n'est pas fondée en son principe et que, celui-ci ne justifie de circonstance de nature à menacer le recouvrement, SAYEGH soutient au contraire que se créance est parfaitement fondée en son principe en effet, soutient-il, Sa créance tire son origine d'une reconnaissance de dette signée librement et sans contrainte par Mr ALI BASSI pris en sa qualité de gérant de la société VITR'AUTO Cl et par Mr BACCHAR BAZZI et EL JAVADNIZAR tous deux associés de ladite société et que C'est le fondement de cette reconnaissance de dette que le Président du Tribunal a fait droit à sa demande visent à obtenir le condamnation de l'appelante ainsi, il ne peut être reproché à une telle créance de ne pas être fondée en son principe De même l'argument tiré de l'absence de circonstances de nature à menacer le recouvrement de la créance susdite ne Saurait non plus prospérer; En effet, poursuit l'intimé, il y a lieu de craindre pour le recouvrement de créance à l'encontre d'un débiteur qui aux termes d'une reconnaissance de dette à s'engager à payer sa dette et a désister quelque temps après en remettant en cause le document signe par lui et a, en toute Connaissance de cause détourné les biens saisis Comme l'attestent les exploits d'Huissier du 27 Novembre 2003 et 16/12/2003, un débiteur qui se Comporte de la sorte met en péril le recouvrement de la créance du créancier poursuivant. Au bénéfice de tout ce qui précède, conclut l'intimé, la juridiction de Céans constatera que c’est à juste titre que le Président du Tribunal a fait droit à sa demande de saisie conservatoire qu'elle lui a présentée en ce qu'elle respecte les conditions de l'article 54 de l'acte uniforme portant voies d'exécution;
A l'argument de la société VITR'AUTO CI qui soutient que la créance litigieuse fait l'Objet d'une procédure d'opposition devant le Juge du fond, TALLAL soutient qu'une saisie conservatoire est par essence une mesure de précaution contre l'insolvabilité éventuelle du créancier et de précaution, pour amener ce dernier à s'exécuter volontairement; aussi Précise-t-il, pour procéder, à une saisie conservatoire il suffit pour le créancier poursuivant de remplir l'une des conditions prévues par les dispositions des articles 54 et 55 de l'acte uniforme portant voie d'exécution comme c'est le Cas en l'espèce; dès lors une procédure d'opposition pendante devant le Juge, de fond ne saurait empêcher un créancier poursuivant de solliciter et d'obtenir au Président du Tribunal l'autorisation de pratiquer une mesure de saisie conservatoire, en application de l’article 54 du texte précité;
Au bénéfice de tout ce qui précède, l'intimé demande à la cour de rejeter la demande de main levée de la saisie conservatoire pratiquée sur VITR'AUTO CI et par voie de conséquence de confirmer la décision et de rejeter la demande d’astreinte de la société VITR'AUTO CI car la saisie conservatoire du 31 Octobre 2003 est parfaitement régulière;
DES MOTIFS
Les parties ayant été représentés par Avocats il échet de statuer contradictoirement à leur égard;
Sur l'appel
L'appel ayant été relevé conformément aux dispositions légales, il importe de le -déclarer recevable;
Sur la main levée de la saisie conservatoire
Il résulte des éléments du dossier de la procédure que VITR'AUTO a signé une reconnaissance de dette de 21.750.000 F en principal; sur le montant la société AUTO GLASS CENTER devenue VITR'AUTO a rembourse la somme d'argent de 18.000.000 F Pour avoir la garantie du paiement du reliquat de son argent, TALLAL SAYEGH a fait pratiquer une saisie conservatoire sur les biens meubles de la société VITR'AUTO. Au regard de ce qui précède, cette saisie conservatoire ne se justifie pas dans la mesure où le débiteur a payé une bonne partie de sa dette. Il n'y a donc pas de péril dans le recouvrement de la créance et ce, d'autant plue que le débiteur n'a fait l'objet de .mise en dissolution, en liquidation, en faillite ou en cessation de paiement et qu'elle fonctionne normalement. C'est donc à tort que le Premier Juge a ordonné la saisie conservatoire querellée. Il importe en conséquence d'infirmer Sa décision et d'ordonner la main levée de cette saisie conservatoire;
Sur l'astreinte
Cette demande n'est Pas justifiée, il importe de la rejeter, succombant TALLAL SAYEGH doit être condamne, aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare la Société AUTO GLASS CENTER devenue VITR'AUTO CI recevable en son appel relevé de l'ordonnance N° 5763 rendue le 22/12/2003 par le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan
AU FOND
L’y dit partiellement fondée;
Infirme l'ordonnance déférée;
Statuant à nouveau,
Dit qu'il n’y a pas de péril dans le recouvrement de la créance;
En conséquence, ordonne la main conservatoire pratiquée le 31/10/2003
Rejette la demande d'astreinte non la Société VITR'AUTO CI;
L'en déboute;
Condamne TALLAL SAYEGH aux dépens distraire au profit du Cabinet FADIKA et Associés, Avocat B aux offres de droit