J-05-294
BAIL COMMRECIAL – CESSION DE L’IMMEUBLE DANS LE QUEL SE TROUVENT LES LOCAUX LOUES – OBLIGATION POUR LE CESSIONNAIRE DE POURSUIVRE LE BAIL JUSQU'A SON TERME.
En cas de cession d’installations commerciales, le cessionnaire qui est subrogé dans les droits et obligations du précédent titulaire des droits est tenu de poursuivre jusqu’à son terme le contrat de concession ayant pour objet lesdites installations.
Article 78 AUDCG
Tribunal DE PREMIERE INSTANCE DE COTONOU, PREMIERE CHAMBRE COMMERCIALE,, jugement n° 025/1ère C. COM DU 02 septembre 2002, Société Africaine de Distribution de vêtement (SADIV) c/ Société Fagbohoun et fils SARL
LE TRIBUNAL,
– Vu les pièces du dossier;
– Ouï les parties en leurs moyens, fins et conclusions;
– Le Ministère Public entendu;
– Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par opposition à sommation de déguerpir avec assignation au fond en date du 03 Février 2001 de Maître Claudine H. MOUGNI, Huissier de Justice à Cotonou, la Société Africaine de Distribution de Vêtements (SADIV-SARL), assistée de Maître Saïdou AGBANTOU, Avocat à la Cour, a attrait devant le Tribunal de céans statuant en matière commerciale, la Société FAGBOHOUN et Fils SARL et l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et Madagascar (ASECNA) ayant respectivement pour Conseils Maîtes Alfred POGNON et Sévérin HOUNNOU, Avocats à la Cour, pour :
– Constater que la SADIV-SARL a un contrat de concession avec ASECNA;
– Dire que ce contrat de concession est opposable à la Société FAGBOHOUN & FILS;
– Déclarer nulles et de nul effet les sommations de déguerpir servies à la SADIV-SARL les 1er Décembre 1999 et 28 Janvier 2000;
– Ordonner son maintien sur les lieux jusqu’à l’expiration du contrat de concession;
– Constater que la Société FAGBOHOUN & FILS est subrogée dans les droits et obligations de l’ASECNA;
– Lui donner acte de ce que les loyers seront versés à la Société FAGBOHOUN & FILS jusqu’à l’expiration du contrat de concession en date du 27 Mars 1998;
– Débouter la Société FAGBOHOUN & FILS de toutes ses prétentions;
Qu’à l’appui de sa demande, la SADIV-SARL expose que par contrat de concession enregistré en date du 27 Mars 1998,
l’ASECNA lui a concédé l’occupation des locaux dépendant de l’Aéroport de Cotonou;
Que ledit contrat qui a une durée de trois (03) ans prendra fin le 31 Décembre 2000;
Qu’elle a reçu de l’ASECNA notification d’une lettre en date du 02 Décembre 1999 lui demandant de suspendre ses activités au plus tard le Samedi 04 Décembre 1999;
Que suite à cette lettre de mise en demeure et de menace de fermeture de son magasin, elle a assigné l’ASECNA en référé;
Que par ordonnance N° 135 du 10 Décembre 1999, le Président du Tribunal de Première Instance de Cotonou statuant en matière de référé a rendu une décision ordonnant son maintien sur les lieux loués en attendant qu’elle engage la procédure d’arbitrage prévue par l’article 10 du contrat qui la lie à l’ASECNA;
Que par exploit du 27 Décembre 1999, l’ASECNA a relevé appel de cette ordonnance et l’affaire est pendante devant la Cour d’Appel;
Qu’elles en étaient là lorsque la Société FAGBOHOUN & FILS lui a fait délaisser une sommation de déguerpir au motif que l’unique fonds de commerce de l’unique espace commercial de l’Aéroport de Cotonou a été cédé en pleine propriété à la Société FAGBOHOUN et Fils;
Que FAGBOHOUN & Fils entend dès à présent exercer et bénéficier de tous ses droits attachés à sa propriété;
Que c’est pour statuer sur les mérites de cette opposition qu’elle a assigné la Société FAGBOHOUN & Fils et l’ASECNA devant le Tribunal de céans;
Attendu qu’en réplique la Société FAGBOHOUN & Fils soutient que l’Etat béninois est l’unique propriétaire du fonds de commerce de l’unique espace commercial de l’Aéroport International de Cotonou;
Que par appel d’offres, l’Etat béninois lui a cédé, le 08 Août 1994, le relais de l’Aéroport de Cotonou;
Qu’à compter de cette date, elle a acquis définitivement la propriété de l’unique fonds de Commerce dudit espace;
Que dès lors la SADIV SARL est irrecevable à lui opposer une convention signée entre l’ASECNA laquelle n’était pas propriétaire dudit fonds;
Que la SADIV- Sarl doit être déboutée de ce chef;
Qu’elle sollicite reconventionnellement l’expulsion de la SADIV-Sarl astreinte comminatoire de 5.000.000F CFA par jour de retard et l’exécution provisoire du présent jugement;
Attendu que l’ASECNA quant à elle plaide sa mise hors de cause au motif que l’Etat béninois propriétaire du fonds de commerce, usant de
ses prérogatives de propriétaire a décidé d’octroyer à la Société FAGBOHOUN & Fils l’entièreté de la zone sous douane à l’Aéroport de Cotonou;
Qu’une telle décision équivaut à une négation du contrat qui la lie à l’Etat béninois;
Qu’elle n’avait d’autres ressources que d’en prendre acte;
SUR L’OPPOSABILITE DU CONTRAT DE CONCESSION DU 28 MARS 1998 A LA SOCIETE FAGBOHOUN & FILS
Attendu que la Société FAGBOHOUN & Fils soutient que le contrat de concession liant la SADIV-SARL à l’ASECNA ne lui est pas opposable;
Attendu que l’article 78 de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant droit commercial général dispose : « le bail ne prend pas fin par la vente des locaux donnés à bail; En cas de mutation du droit de propriété sur l’immeuble dans lequel se trouvent les locaux donnés à bail, l’acquéreur est de plein droit substitué dans les droits et obligations du bailleur, et doit poursuivre l’exécution du bail;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier notamment de l’article 10 du Contrat particulier signé le 10 Juillet 1968 entre la République du Bénin et l’ASECNA, que celle-ci assure l’exploitation et l’entretien de toutes les installations commerciales des Aéroports du Bénin;
Que l’ASECNA est habilité à concéder, sous son entière responsabilité, tout ou partie de ces installations;
Que c’est en vertu de ces prérogatives que l’ASECNA a signé le contrat de concession la liant à la SADIV-SARL;
Que par le contrat de cession des installations commerciales de l’Aéroport de Cotonou signé entre l’Etat béninois et la Société FAGBOHOUN & Fils, cette société est donc subrogée dans les droits et obligations de l’ASECNA;
Qu’il s’ensuit que la Société FAGBOHOUN & Fils doit
poursuivre l'exécution du contrat conclu entre l'A’ECNA et la SADIV-SARL conformément à l’article 78 de l’Acte Uniforme précité;
Qu’il échet donc de faire droit aux demandes de la SADIV-SARL et de rejeter par conséquent la Société FAGBOHOUN & Fils en ses moyens, fins et conclusions;
SUR LA MISE HORS DE CAUSE DE L’ASECNA
Attendu que l’ASECNA sollicite sa mise hors de cause au motif que la décision de l’Etat béninois équivaut à une négation du contrat particulier qui les lie;
Attendu que conformément aux institutions du Gouvernement béninois, l’ASECNA a transféré à la Société FAGBOHOUN & Fils l’ensemble des contrats de concession qu’elle avait conclu ;
Que cette prescription de la puissance publique constitue un fait de prince qui s’impose à l’ASECNA;
Qu’il a lieu en l’état de la mettre hors de cause;
SUR L’EXECUTION PROVISOIRE
Attendu que la SADIV-SARL sollicite l’exécution provisoire du présent jugement;
Attendu que cette mesure ne se justifie pas;
Qu’il y a lieu de la rejeter;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort;
EN LA FORME
– Reçoit la Société Africaine de Distribution de Vêtements (SADIV-SARL) en son action;
AU FOND
– Constate que le contrat signé par la SADIV-SARL et l’ASECNA demeure valable;
– Constate que la Société FAGBOHOUN & Fils est subrogée dans les droits et obligations de l’ASECNA;
– Dit que le contrat de concession liant la SADIV-SARL à l’ASECNA est opposable à la Société FAGBOHOUN & Fils;
– Ordonne le maintien de la SADIV-SARL dans les lieux jusqu’à l’expiration du contrat de concession;
– Donne acte à la SADIV-SARL de ce que les loyers seront versés à la Société FAGBOHOUN & Fils jusqu’à l’expiration du contrat de concession en date du 27 Mars 1998;
– Déboute la Société FAGBOHOUN & Fils de sa demande reconventionnelle;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire;
– Condamne la Société FAGBOHOUN et Fils aux entiers dépens.-
– Délai d’Appel : Deux mois.
Et ont signé, le Président et le Greffier,
LE PRESIDENT LE GREFFIER
OBSERVATIONS
Une lecture rapide du jugement ci-dessus reproduit peut laisser croire que le tribunal de première instance de Cotonou a fait une exacte application de l’article 78 AUDCG. Une analyse quelque peu approfondie conduit cependant à une conclusion différente.
Il convient, avant d’exposer la solution retenue par cette juridiction, de jeter un regard sur les faits qui sont relativement complexes. L’Agence pour la Navigation Aérienne en Afrique et Madagascar, se fondant sur le contrat qui la liait à l’Etat béninois, a concédé l’exploitation des installations de l’aéroport de Cotonou à la Société Africaine de Distribution de Vêtements. Postérieurement à la signature de cette convention de concession, l’Etat béninois a cédé lesdites installations à la Société Fagbohoun et Fils laquelle s’est empressée de servir une sommation à déguerpir à la SADIV société concédante. Cette dernière a fait opposition à sommation de déguerpir avec assignation au fond pour faire juger, entre autres questions, qu’elle doit être maintenue dans les locaux.
Pour trancher le litige, le tribunal a fait application de l’article 78 AU/DC alors que la SADIV ne visait pas expressément ce texte. Il en a le droit, car le juge est tenu, sous réserve de ne pas toucher au complexe de faits invoqué par les parties, d’appliquer la règle de droit appropriée, même si les parties n’ont pas expressément requis son application.
La question qui mérite cependant d’être posée est celle de savoir si l’article 78 AU/DC est la règle applicable en l’espèce. A notre avis une réponse négative s’impose et, pour cette raison, la décision du tribunal est contestable. En effet, l’article 78 prévoit qu’en cas de cession de l’immeuble dans lequel se trouvent les locaux loués, l’acquéreur est, de plein droit, substitué dans les droits et obligations du bailleur et doit poursuivre le bail. Ce texte s’applique donc s’il s’agit de cession de l’immeuble qui abrite les locaux où le fonds de commerce est exploité; or en l’espèce, la cession porte, non pas sur l’immeuble, mais sur le fonds de commerce lui-même, ce qui fait qu’elle échappe au champ d’application du texte.