J-05-297
VOIES D’EXECUTION – Saisie conservatoire – Mainlevée de la mesure – Compétence du juge des référés (oui).
VOIES D’EXECUTION – Saisie conservatoire – Impossibilité de se prévaloir d’un principe de créance et de se faire autoriser une saisie – Violation de l’article
54 AUPSRVE – Rétractation de l’ordonnance portant autorisation de saisie (Oui) – Mainlevée de la saisie (oui).
1/- Le juge des référés peut se déclarer compétent pour ordonner la mainlevée d’une saisie conservatoire dès lors qu’il ne préjudicie pas au principal en constatant que le principe de créance invoqué à l’appui de la mesure n’existe pas.
2/- Il y a lieu d’ordonner la rétractation de l’ordonnance portant autorisation de saisie conservatoire et la mainlevée de la saisie autorisée lorsque celui qui a obtenu la mesure est dans l’impossibilité de se prévaloir d’un principe de créance.
Article 62 AUPSRVE et SUIVANTS
Tribunal DE PREMIERE INSTANCE DE COTONOU, Ordonnance de référé du 20 février 2003, SOCIETE PIRATE SARL c/ SOBEMAR-SA
ORDONNANCE DE REFERE
L’an deux mil trois
Et le vingt février
Nous, Madame Eugénie AFFO née SEDOLO, Juge au Tribunal de Première Instance de Cotonou, tenant l’audience des référés civils; assisté de Maître Clément AHOUANDJINOU,Greffier, avons rendu l’ordonnance dont la teneur suit :
DEMANDEUR :
Société PIRATE –SARL dont le siège social est au carré n°124 zone résidentielle Cotonou agissant aux poursuites et diligences de ses représentants légaux, demeurant et domiciliés audit siège ;
Représentée à l’audience par Maître Simplice DATO, avocat à la Cour;
DEFENDEURS :
La société Béninoise Maritime SA (SOBEMAR ) dont le siège social est sis à Guinkomey, carré n°008 Cotonou;
Représenté à l’audience par Maître Léopold OLORY-TOGBE, avocat à la Cour;
LE TRIBUNAL
Par exploit en date du 27 décembre 2002, la société PIRATE-SARL a attrait devant le Tribunal de Cotonou statuant en matière de référé la Société Béninoise Maritime –SA (SOBEMAR ), pour au principal renvoyer les parties à se pouvoir ainsi qu’elles aviseront mais dès à présent vu l’urgence :
– Constater que la requérante n’est nullement débitrice envers la requise;
– Constater que la saisie pratiquée le 24 décembre 2002 sur la requérante par la requise suivant autorisation présidentielle N°1068 /2002 du 13 décembre 2002 entre les mains de ECO-BANK BENIN est sans fondement;
– Constater ainsi la violation des dispositions de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution;
– Ordonner en conséquence la mainlevée de ladite saisie conservatoire de créances sous astreinte comminatoire de FCFA 1000.000 par jour de résistance;
– Condamner la requise à des dommages intérêts pour saisie abusive;
– Ordonner l’exécution provisoire nonobstant toutes voies de recours sur minute et avant enregistrement;
– Condamner la requise aux entiers dépens;
A l’appui de sa requête, la requérante expose que par acte d’huissier de Maître KOTCHOFA-FAIHUN, huissier de justice que la requise a fait pratiquer saisie conservatoire sur le compte de la requérante, ouvert dans les livres de ECO-BANK Bénin pour avoir paiement de la somme de F CFA 6.100.000;
Que par acte d’huissier en date 26 décembre 2002, ladite saisie a été dénoncée à la requérante;
Que la requérante n’est nullement tenue envers la requise de la créance dont elle prend prétexte pour opérer saisie;
Que pour preuve, elle n’a commis la requise à quelque service que ce soit et qu’il appartient à cette dernière de s’en prendre à qui elle avisera;
Qu’il s’ensuit que la requise n’a ni qualité,ni intérêt pour agir en l’espèce;
Que la saisie pratiquée a déjà causé et cause toujours d’énormes préjudices à la société PIRATE –SARL étant donné que celle-ci ne peut plus faire face à ses engagements vis-à-vis de ses fournisseurs, lesquels engagements sont de nature commerciale;
Qu’il y a lieu d’ordonner la mainlevée de ladite saisie;
La SOBEMAR a soulevé in limine litis l’incompétence du juge des référés à ordonner la mesure de mainlevée pour contestation sérieuse, motifs pris de ce qu’il y a contestation sérieuse lorsque la solution soumise au juge des référés, juge de l’urgence mais également juge de l’évidence et du provisoire risque de porter préjudice sur le fond du litige;
Qu’en l’espèce, la demande de mainlevée faite par la demanderesse a pour conséquence de vider le litige de sa substance d’autant qu’elle pose un problème de fondement de créance, toute chose qui échappe à la compétence du juge des référés;
Que conformément à l’article 54 de l’acte uniforme OHADA sur les procédures simplifiées et les voies d’exécution exige du créancier que sa créance soit fondée en son principe;
Que ce principe constant est corroboré par la décharge du 10 décembre 2001;
Qu’au surplus, le juge des référés constatera qu’aux fins de validité de la saisie conservatoire, le juge du fond est déjà saisi;
Sur le moyen tiré de l’incompétence du juge des référés
Attendu que se prétendant créancier de la société PIRATE-SARL, la SOBEMAR a sollicité et obtenu l’ordonnance présidentielle N°1068/2002 du 13 décembre 20002, l’autorisant à pratiquer saisie conservatoire sur des créances de la société PIRATE-SARL ainsi que saisie conservatoire de biens meubles et objets mobiliers;
Que la SOBEMAR a versé au dossier, la décharge du 10 décembre 2001 délivrée par la société PIRATE –SARL et selon elle, cette décharge prouve l’existence de la créance et donc le juge du fond est déjà saisi pour valider la saisie, or il est constant après lecture des pièces versées au dossier et après la plaidoirie des avocats conseils, que la SOBEMAR et la société PIRATE-SARL sont en relations d’affaires, que les pièces telles que :
– la lettre d’annulation de commande en date du 09 avril 2001;
– le connaissement N°18 établi à Marseille le 14 octobre 2001;
– le rapport d’expertise maritime du 20 décembre 2001;
– la lettre de la société PIRATE N°053/ HBE/HOR/RAL /01 du 15 novembre 2001;
– la lettre de la société PIRATE N°079 /HBE/HOR/RAL/01 du 15 novembre 2001;
– lettre de la société PIRATE N°078/HBE/HORRAL/01 du 10 décembre 2001;
– l’ordonnance N°1068/02 du 13 décembre 2002;
– le procès-verbal de saisie conservatoire de créances du 24 décembre 2002 ainsi que les autres procès-verbaux de saisie conservatoire de meubles et effets mobiliers et la dénonciation de procès–verbal de saisie conservatoire de créances du 26 décembre 2002;
Attendu que le constat fait à travers la lecture de tous ces documents est que la SOBEMAR qui, depuis mi novembre 2000 n’a pas accompli avec célérité toutes ses obligations contractuelles vis-à-vis de la société PIRATE–SARL qui a constaté à maintes reprises que des palettes de champagne ont été enlevées en lieu et place de ses palettes d’onduleurs qu’il a maintes reprises protesté vigoureusement; la SOBEMAR a proposé de lui faire une réduction conséquente sur le prochain container à commander et qu ‘elle fera parvenir les deux palettes d’onduleurs laissées à Marseille sur le prochain bateau;
Que la règle suivant laquelle les ordonnances de référés ne peuvent faire préjudice au principal, ne signifie pas qu’il est interdit au juge des référés de prendre une mesure susceptible de causer un préjudice quelconque fut-il irréparable à l’une ou l’autre des parties, mais seulement que ce magistrat doit laisser absolument intact le droit à la juridiction du fond de statuer sur le fond;
Qu’en l’espèce, le juge des référés ne préjudicie nullement au fond en constatant qu’à l’étape actuelle de la procédure, le principe de créance prononcé par l’article 54 de l’acte uniforme OHADA sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’existe pas et que la facture dont se prévaut la SOBEMAR pour soutenir le principe de la créa,nce n’est pas une facture acceptée par la société PIRATE;
Que la lecture des bons de livraison et les factures versées au dossier ne permettent pas au juge de constater le principe de créance car seule, les factures acceptées peuvent être prises en compte que dans le cas d’espèce, cela n’est pas accepté;
Qu’au surplus, la mainlevée de la saisie qui a pour conséquence de vider le litige de sa substance ne peut être retenu que pas le cas où il existe une créance certaine, liquide et exigible et que le juge du fond doit valider la saisie;
Que dans le cas d’espèce, la créance n’existe pas;
Qu’il y a donc lieu de dire que la contestation qui existe entre les parties n’est pas sérieuse et lieu de se déclarer compétent pour accorder ladite mesure;
Sur la mesure sollicitée
Attendu que l’article 54 de l’acte uniforme OHADA sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution dispose « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe, peut par requête, solliciter de la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure le débiteur, l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur tous les biens mobiliers corporels ou incorporels de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstance de nature à en menacer le recouvrement »
Qu’en l’espèce, la créance dont se prévaut la SOBEMAR n’est pas fondée en son principe parce que n’étant pas certaine en son existence, le bordereau de livraison N°001060 du 14 novembre 2001 versé au dossier en fait la preuve;
Que les mentions que portent ledit bordereau prouvent aussi que la SOBEMAR est débitrice de la société PIRATE SARL d’une obligation qu’elle n’a pas honorée jusqu’à ce jour;
Qu’ensuite l’article 54 in fine dispose « . . . . sans commandement préalable, si elle justifie de circonstance de nature à en menacer le recouvrement »;
Qu’il s’en suit que la SOBEMAR et la société PIRATE SARL sont en relations d’affaires et que la société PIRATE SARL a toujours honoré ses obligations contractuelles jusqu’au jour où la SOBEMAR a commencé par reconditionner les containers de la société PIRATE en mettant à la place de ses matériels informatiques des palettes de champagne et autres et en faisant des promesses qu’elle ne tenait pas;
Qu’avant ces incidents, la société PIRATE a toujours exécuté ses obligations et la SOBEMAR ne saurait soutenir qu’il est justifié des circonstances de nature à menacer le recouvrement des créances;
Que la SOBEMAR, sans avoir déterminé le préjudice subi par la société PIRATE et faire le point à la compensation nécessaire et dégager éventuellement un solde,ne peut se prévaloir d’un principe de créance et se faire autoriser une saisie qu’elle a pratiquée;
Que donc l’article 54 de l’acte uniforme sur les voies d’exécution a été violée dans le cas d’espèce;
Qu’il y a lieu d’ordonner purement et simplement la rétractation de l’ordonnance N°1068/2002 du 13 décembre 2002 et la main levée des saisies qu’elle a autorisées;
Sur les astreintes comminatoires
Attendu que la mainlevée a été sollicitée sous astreintes comminatoires de 1.000.000 F CFA par jour de retard et de résistance;
Que le fait pour la SOBEMAR d’avoir procédé à une saisie sans principe de la créance est très irrégulière;
Que malgré l’exploit délaissé par la société PIRATE SARL, la SOBEMAR résiste à la mainlevée;
Que cette résistance est abusive, frustratoire et vexatoire;
Qu’il y a lieu de la vaincre en assortissant la présente décision d’astreinte comminatoire de 50.000 F CFA par jour de résistance pour compter de la présente décision;
Sur l’exécution provisoire sur minute
Attendu que l’exécution provisoire sur minute de la présente décision a été sollicitée;
Que la société PIRATE a été à tord victime de saisie;
Qu’elle n’arrive plus à exercer ses activités professionnelles, faute de fonds se trouvant dans les livres de ECO-BANK;
Que les activités de la société PIRATE SARL sont en péril;
Que donc les conditions de l’article 811 du code de procédure civile sont remplies et permettent d’assortir la décision de l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé civil et en premier ressort :
Au principal renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à présent, vu l’urgence :
En la forme
Recevons les parties en leur exceptions et demandes ;
Au fond
Nous déclarons compétent;
Constatons l’inexistence de créance de la société SOBEMAR sur la société PIRATE SARL à l’étape actuelle de la procédure et par conséquent, l’inexistence de principe de créance;
Constatons que la saisie pratiquée le 24 décembre 2002 sur la requérante par la défenderesse suivant autorisation présidentielle N°1068/2002 du 13 décembre 202 entre les mains de ECO-BANK est sans fondement;
Constatons la violation des dispositions de l’article 54 de l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution;
Ordonnons par conséquent, la rétractation de l’ordonnance et la mainlevée de la saisie du 26 décembre 2002 sous astreintes comminatoires de 50.000F CFA par jour de résistance;
Assortissons notre ordonnance de l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement;
Condamnons la SOBEMAR aux entiers dépens.
Délai d’appel = 15 jours
Le Président Le Greffier
OBSERVATIONS
par Ndiaw DIOUF, Agrégé des Faculté de Droit, Directeur du Centre de Recherche, d’Etude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Contrairement à la saisie exécutoire, la saisie conservatoire ne débouche pas directement sur le paiement du créancier. Elle a pour seul objet de rendre indisponible un bien du débiteur pour faire pression sur lui ou pour préparer une saisie exécutoire.
Mais du fait de l’indisponibilité qu’elle provoque, elle gêne considérablement le débiteur. C’est pourquoi le législateur communautaire a prévu, dans l’article 62 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la possibilité, pour le débiteur, de faire cesser les effets de la saisie en demandant la mainlevée de la mesure obtenue par le créancier.
C’est ce texte qui a été appliqué par le Président du Tribunal de 1ère Instance de Cotonou dans l’ordonnance rendue le 20 février 2003.
L’affaire qui a donné lieu à cette décision était relativement simple. La Société Béninoise Maritime (SOBEMAR) qui se prétendait titulaire d’une créance sur la Société Pirate SARL avait pratiqué une saisie conservatoire sur la base d’une autorisation présidentielle. La société Pirate SARL, contre laquelle la mesure a été dirigée, a saisi le juge des référés d’une demande de mainlevée fondée sur ce qu’elle n’était nullement débitrice. Pour statuer sur la demande, le juge commence par constater que les conditions prévues pour le déclenchement d’une procédure de saisie conservatoire, notamment les conditions de l’article 54 AU/RVE, n’étaient pas réunies. En effet, selon lui, la créance dont se prévaut le saisissant n’est pas fondée en son principe « parce que n’étant pas certaine en son existence », de même que le saisissant ne peut justifier de circonstances de nature à menacer le recouvrement des créances, le saisi ayant toujours exécuté ses engagements.
Il a ensuite, fort de cette constatation, ordonné la mainlevée de la saisie après avoir rappelé au passage, pour écarter sur ce point les allégations du saisissant qui contestait sa compétence, que la règle suivant laquelle les ordonnances de référé ne peuvent pas faire préjudice au principal ne signifie pas qu’il est interdit au juge des référés de prendre une mesure susceptible de causer un préjudice quelconque fût-il irréparable à l’une des parties, mais seulement que ce magistrat doit laisser intact le droit à la juridiction du fond de statuer sur le fond.
Cette ordonnance doit être approuvée tout au moins en ce qu’elle ordonne la mainlevée de la mesure. En effet, les conditions ne sont pas réunies lorsque la créance n’apparaît pas fondée en son principe ou lorsqu’il n’existe aucune circonstance de nature à menacer le recouvrement de la créance. Or d’après l’article 62 AUPSRVE, le débiteur peut faire cesser la mesure qui le frappe en en demandant la mainlevée dès lors que le créancier saisissant, qui est nécessairement entendu ou appelé, ne rapport pas la preuve de la réunion des conditions exigées.