J-05-302
1/ – DELAI DE GRACE – DEMANDE FORMULEE APR UN DEBITEUR DONT LA SITUATION EST OBEREE ET NE LUI PERMET PAS DE PAYER IMMEDIATEMENT – DELAI ACCORDE.
2/ – VOIES D’EXECUTION – SAISIE CONSERVATOIRE – DELAI DE GRACE ACCORDE AU DEBITEUR – MAINLEVEE DE LA SAISIE (oui).
1/- Il y a lieu d’accorder le délai de grâce au débiteur qui a saisi le juge compétent, qui est de bonne foi et qui est dans une situation obérée ne lui permettant pas de payer.
2/- Le délai de grâce ayant pour conséquence d’entraîner la suppression de toutes les poursuites contre le bénéficiaire, il y a lieu, lorsqu’il est accordé, d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée antérieurement.
Article 62 AUPSRVE ET SUIVANTS
Tribunal DE PREMIERE INSTANCE DE COTONOU 1ère Chambre civile, Ordonnance de référé du 20 février 2003, SAPA SARL c/ CDDA SARL
L’an deux mil trois
Et le vingt février
Nous, Madame Eugénie AFFO née SEDOLO, Juge au Tribunal de Première Instance de Cotonou, tenant l’audience des référés civils; assisté de Maître Clément AHOUANDJINOU,Greffier, avons rendu l’ordonnance dont la teneur suit :
DEMANDERESSE :
La Société d’Approvisionnement des Produits Alimentaires (SAPA)SARL ayant son siège social au carré n°968 Hindé Cotonou agissant aux poursuites et diligences de sa gérante dame Martine ZEKPA,demeurant et domiciliée audit siège
Représentée à l’audience par Maître Agnès CAMPBELL, avocat à la Cour;
DEFENDERESSE :
Le Centre de Distribution des Denrées Alimentaires (CDDA ) SARL ayant son siège social au carré n°186 Dantokpa Cotonou, prise en la personne de ses représentants légaux;
Représenté à l’audience par Maître Antoine Marie Claret BEDIE, avocat à la Cour;
LE TRIBUNAL
Par exploit en date du 07 janvier 2003, la Société d’Approvisionnement des Produits Alimentaires (SAPA)SARL a attrait devant le Tribunal de Cotonou statuant en matière de référé, le Centre de Distribution des Denrées Alimentaires (CDDA ) pour au principal renvoyer les parties à se pouvoir ainsi qu’elles aviseront mais dès à présent vu l’urgence :
– Constater que le camion frigorifique, le groupe électrogène et les chambres froides ne sont pas des biens meubles corporels au sens de la loi et ne doivent pas être saisis;
– Constater que la société SAPA est de bonne foi et ne s’oppose pas abusivement au paiement de sa dette;
– Constater que la requérante a libéré deux acomptes de cinq cent mille (500.000 ) francs CFA chacune entre les mains du conseil de la requise;
– Constater que la requérante est confrontée à des difficultés économiques et financières passagères;
– En conséquence, voir ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de biens meubles corporels pratiquée au siège de la requérante le 31 décembre 2002;
– Lui accorder un délai de grâce de douze (12) mois conformément aux articles 1244 du code civil et 39 de l’acte uniforme de l’OHADA portant procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution;
– Dire et juger que pendant ce délai, toutes les poursuites seront suspendues à l’égard de la requérante;
– Ordonner l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement de la décision à intervenir nonobstant toutes voies de recours;
– Condamner le Centre de Distribution des Denrées Alimentaires (CDDA ) aux entiers dépens;
A l’appui de sa requête, la requérante expose qu’elle est débitrice de la requise de la somme de F CFA 22.541.575 représentant le solde du prix des marchandises qu’elle lui a livrées en août 2002;
Que la requérante a offert de rembourser ce solde compte tenu des difficultés économiques financières qu’elle traverse par acompte de cinq cent mille (500.000 ) F CFA par mois jusqu’à extinction de sa dette;
Qu’elle en était à ce stade lorsqu’elle reçut le 07 novembre 2002 une lettre en date du 06 novembre 2002 de mise en demeure du conseil de la requise;
Qu’elle s’apprêtait à effectuer un premier versement quand une sommation de payer en date du 21 novembre 2002 du CDDA-SARL lui fut délaissée;
Que pour montrer sa bonne foi, la requérante a même libéré successivement deux acomptes de F CFA 500.000 chacun entre les mains du conseil de la requise;
Qu’en outre, suite à une baisse drastique de ses ventes,la requérante s’est retrouvée dans une situation financière obérée consécutive au déclin vertigineux de ses activités commerciales,toute chose qui empêche de solder d’un trait sa dette comme le souhaite la requise;
Que pour pallier les menaces que brandissait la requise, la requérante a dû former opposition à sommation avec assignation par exploit délaissé à la requise le 28 novembre 2002;
Que cette procédure est actuellement pendante devant la chambre civile moderne du tribunal de première instance de Cotonou;
Que contre toute attente, la requise par l’organe de son conseil introduit une requête afin de saisie conservatoire de biens meubles corporels et de créances en date du 05 décembre 2002 qui a abouti à l’ordonnance n°1066/2002 du président du tribunal de première instance de Cotonou en date du 10 décembre 2002 l’autorisant à pratiquer les saisies sollicitées;
Que sur la base de cette ordonnance, la requise a fait pratiquer saisie conservatoire de créances par procès-verbal en date des 23 et 24 décembre 2002 dans les diverses banques de la place;
Que cette saisie a révélé à l’exception du compte de la requérante dans les livres de la Bank Of Africa (BOA) Bénin qui était créditeur de la somme de F CFA 1.094.238, la SAPA dispose d’un compte débiteur dans les livres de la Continental Bank-Bénin de 102.844.913 et ne dispose pas de compte dans toutes les autres banques;
Que cet état de choses dénote de la situation économique et financière difficile que traverse la requérante et est caractéristique de sa bonne foi;
Que suite à la dénonciation de cette saisie conservatoire de créances à la requérante le 30 décembre 2002, la requise a, sans désemparer, fait pratiquer saisie conservatoire de meubles corporels ce même jour au siège de la requérante sur certains biens;
Que l’huissier instrumentaire de la requise s ‘étant rendu compte de certaines irrégularités commises au cours de la saisie a dû procéder le 31 décembre 2002 à l’établissement d’un procès-verbal de mainlevée volontaire avant de procéder à nouveau à une saisie conservatoire de biens meubles corporels par acte en date du 31 décembre 2002;
Qu’entre autres biens saisis, figurent notamment :
– un groupe électrogène de marque IVECO ALFA fixé au sol;
– un camion frigorifique de marque RENAULT, immatriculé Z 9248 RB;
– une (01) chambre froide de marque FRIGOR BOX remplie de marchandises à moitié fixée dans l’immeuble d’exploitation de la SAPA;
– deux (02) chambres froides de marque FRIGOR BOX fixées dans l’immeuble d’exploitation de la SAPA-SARL.
Que ces biens qui viennent d’être énumérés ne sont plus des biens meubles au sens des articles 28,64 et suivants de l’acte uniforme de l’OHADA sur les voies d’exécution;
Qu’il y a extrême urgence à s’adresser à justice pour obtenir mainlevée de cette saisie;
Qu’enfin si l’article 39 de l’acte uniforme de l’OHADA sur les voies d’exécution interdit au débiteur de forcer le créancier à recouvrer en partie le paiement d’une dette, il a quand même édité au profit du débiteur malheureux et de bonne foi l’octroi par le juge d’un délai de grâce d’un an et ce conformément à l’esprit des dispositions de l’article 1244 du code civil;
Qu’ainsi, il y a lieu d’obtenir non seulement la mainlevée de la saisie conservatoire de biens meubles corporels en date du 31 décembre 2002 mais aussi un délai de grâce d’un(01) an;
Le Centre de Distribution des Denrées Alimentaires (CDDA ) SARL a soutenu que la requérante a vendu entièrement la marchandise à lui délivrée et n’a pas payé le prix et sollicite du juge des référés de rejeter tous les moyens de la requérante et lui accorder de prendre les loyers de l’immeubles du débiteur en paiement de sa dette;
Sur la mesure sollicitée
Attendu que la Société d’Approvisionnement des Produits Alimentaires (SAPA)SARL est débitrice de la société CDDA SARL d’une dette qu’elle n’a pas fini de payer;
Que pour avoir paiement de sa créance, la société CDDA-SARL a sollicité et obtenu l’ordonnance aux fins de saisie conservatoire de biens meubles corporels et de créances;
Que l’ordonnance é a été exécutée les 30 et 31 décembre 2002 et dénoncée par la même occasion;
Que la société SAPA SARL a, après paiement d’une partie de sa dette, saisi le juge des référés aux fins d’obtenir un délai de grâce de 12 mois pour payer sa dette et la mainlevée des saisies dont elle a été victime;
Que pour bénéficier des dispositions bienveillantes des articles 1244 du code civil et 39 de l’acte OHADA sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution il faut être un débiteur malheureux mais de bonne foi et aussi permettre au juge de constater que la situation du créancier ne lui permet pas d’accepter le délai de grâce;
Qu’en l’espèce, plusieurs paiements ont été faits par la société SAPA-SARL pour lui permettre de prouver sa bonne foi et bénéficier du délai de grâce;
Attendu qu’il est constant que ladite société a procédé à plusieurs paiements et est disposée à éteindre sa dette;
Qu’elle est de bonne foi, mais la situation économique et financière de ladite société ne lui permet pas encore de respecter ses engagements;
Que son compte bancaire est débiteur de la somme de 102.844.913 F CFA et qu ‘elle a promis cependant de payer au fur et à mesure des rentrées financières, mais que la preuve est faite de ce que sa situation est obérée;
Que la société CDDA exige de la requérante d’obtenir les loyers sur les chambres froides qui, malheureusement n’appartiennent pas à la requérante mais à monsieur ZEKPA Aristide;
Qu’elle n’a cependant pas exposé que sa situation à elle était si obérée qu’elle ne pouvait pas supporter le délai de grâce;
Qu’il y a donc lieu de dire que la société SAPA-SARL a saisi le juge compétent, quelle est de bonne foi et tient à payer sa dette mais que sa situation économique et obérée et ne lui permet pas de payer immédiatement;
Que la condition que pose la société CDDA pour faire mainlevée de la saisie dont la requérante a fait l’objet ne peut pas prospérer et qu’elle n’est cependant pas en situation si difficile qu’elle ne peut pas accepter le délai de grâce et par conséquent accorder à la société SAPA-SARL un délai de grâce de douze(12) mois pour payer sa dette;
Sur la mainlevée de la saisie
Attendu que la requérante a estimé que le délai de grâce sollicitée est de nature à entraîner la mainlevée du la saisie;
Qu’en effet, le délai de grâce a pour conséquence d’entraîner les suspensions de toutes les poursuites contre le bénéficiaire de délai de grâce;
Que cette suspension ne peut être valable que si les parties sont mises dans des conditions antérieures à la saisie;
Que la mainlevée qui s ‘en suit est de nature à permettre au débitrice de continuer à exercer ses activités en vue du paiement de sa dette qui serait perçu impossible si la saisie était maintenue après le délai de grâce;
Qu’au surplus, l’article 50 alinéa 1er de l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dispose « Les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors qu’ils seraient détenus par des tiers sauf s’ils ont été déclarés insaisissables par la loi nationale de chaque Etat partie … »
Que par rapport à la législation en vigueur en République du Bénin, l’article 2092-2 in fine du code civil dispose « Les immeubles par destination ne peuvent être saisis indépendamment de l’immeuble que paiement de leur prix;
Que les immeubles par destination sont ainsi appelés parce qu’ils sont unis à un immeuble dont ils constituent l’accessoire;
Qu’en l’espèce, tant le groupe électrogène que les trois(03) chambres froides qui ont été saisis le 31 décembre 2002 par la société CDDA-SARL sont non seulement fixés au sol mais aussi rattachés à l’immeubles abritant le siège de la SAPA –SARL et ce en vue de leur exploitation;
Qu’ils sont ainsi des immeubles par destination et la saisie pratiquée le 31 décembre 2002, est irrégulière parce qu’elle n’a pas été pratiquée pour le paiement de leur prix;
Qu’enfin, la saisie pratiquée par procès-verbal des 23,30, et 31 décembre 2002 porte sur des biens n’appartenant pas à la société SAPA -SARL;
Que le titre de propriété de ces biens meubles sont au nom de Lucien Aristide ZEKPA;
Qu’elles sont donc nulles et non avenues;
Qu’il y a lieu d’ordonner la rétractation de l’ordonnance les ayant autorisées et la mainlevée des saisies;
Sur l’exécution provisoire sur minute
Attendu que l’exécution provisoire sur minute de la présente décision a été sollicitée;
Que la saisie opérée est nulle parce que portant sur les biens n’appartenant pas au débiteur;
Que cette saisie est abusive et vexatoire;
Qu’il y a lieu d’assortir la décision de l’exécution provisoire sur minute à cause de l’urgence et du péril;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé civil et en premier ressort :
Au principal renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à présent, vu l’urgence :
En la forme
Recevons les parties en leurs moyens;
Au fond
Accordons à la Société d’Approvisionnement des Produits Alimentaires (SAPA)SARL, un délai de grâce de douze(12 ) mois pour payer sa dette;
Ordonnons la suspension des poursuites de la société CDDA –SARL à l’encontre de Société d’Approvisionnement des Produits Alimentaires (SAPA)SARL pendant ledit délai;
Constatons la nullité des saisies des 30, et 31 décembre 2002;
Ordonnons la rétractation de l’ordonnance n°1066 / 2002 du 10 décembre 2002 et la mainlevée des saisies des 23, 24, 30, et 31 décembre 2002;
Assortissons la présente décision de l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement;
Condamnons la société CDDA –SARL aux entiers dépens.
Délai d’appel = 15 jours
Le Président Le Greffier
OBSERVATIONS
par Ndiaw DIOUF, Agrégé des Faculté de Droit, Directeur du Centre de Recherche, d’Etude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
S’inscrivant dans une perspective d’humanisation des saisies, le législateur communautaire a prévu la possibilité pour le débiteur qui rencontre des difficultés de paiement d’obtenir un délai de grâce. C’est ce qui résulte de l’article 39 AU/RVE aux termes duquel « …La juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d’aliments et les dettes cambiaires, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite d’une année… ».
Il faut observer cependant que le législateur s’est borné à poser le principe sans fixer les modalités de sa mise en œuvre. Il ne prévoit pas par exemple les conséquences d’une telle mesure sur les procédures en cours. Ce silence peut être source de difficulté pour les juridictions. L’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Cotonou le 20 février 2003 illustre parfaitement ces difficultés.
Un créancier avait pratiqué une saisie conservatoire après avoir sollicité et obtenu une ordonnance autorisant une telle mesure. Le débiteur contre qui la mesure était dirigée a, après paiement d’une partie de sa dette, saisi le juge des référés aux fins d’obtenir un délai de grâce de 12 mois pour payer sa dette et la mainlevée de la saisie.
Le juge a accédé à la demande de délai aux motifs que le débiteur est de bonne foi, que sa situation financière ne lui permet pas de respecter ses engagements et que celle du créancier n‘était pas difficile au point de l’empêcher d’accepter un délai.
Il a ensuite tiré les conséquences de sa décision d’accorder un délai en ordonnant la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée. En effet, selon lui, le délai de grâce a pour effet d’entraîner la suspension de toutes les poursuites et que « cette suspension ne peut être valable que si les parties sont mises dans les conditions antérieures à la saisie ».
A notre avis, une telle analyse procède d’une erreur. Il ne fait certes aucun doute que le délai de grâce doit avoir pour effet de suspendre les mesures d’exécution déjà engagées par le créancier. Mais une telle décision ne devrait exercer aucune influence sur les mesures conservatoires; de telles mesures, contrairement aux mesures d’exécution, n’ont pas pour objet de contraindre le débiteur à payer; elles tendent simplement à rendre indisponibles les biens du débiteur pour en assurer la conservation de telle sorte qu’elles ne peuvent nullement empêcher le délai de grâce d’atteindre son objet.
Ceci dit, le juge a cru devoir ajouter à son argumentation que les biens qui ont fait l’objet de la saisie conservatoire sont des immeubles par destination qui ne peuvent, selon l’article 2092 al. 2 in fine du Code civil, être saisis indépendamment de l’immeuble que pour paiement de leur prix. Le juge des référés invoque, pour justifier le recours à l’article 209 al. 2, l’article 50 al. 1er AU/RVE aux termes duquel « Les saisies peuvent porter sur tous les biens du débiteur sauf s’ils sont déclarés insaisissables par la loi nationale… ». Cette démarche n’est pas à l’abri de critique. L’article 2092 n’a pas pour objet de dresser une liste de biens insaisissables; il a plutôt pour objet de préciser les modalités de la saisine des immeubles par destination, ce qui fait d’ailleurs qu’il n’échappe pas à l’abrogation prévue par l’article
336 AUPSRVE. Le juge aurait pu de manière plus simple, montrer que les immeubles par destination échappent au domaine des saisies conservatoires qui ne concernent que les biens meubles.