J-05-326
BAIL COMMERCIAL – EXPULSION SANS CONGE – COMPETENCE DU JUGE DES REFERES – MAINTIEN DU LOCATAIRE (oui).
Le juge des référés est compétent pour ordonner le maintien sur les lieux d’un locataire disposant d’un bail commercial dont l’expulsion est poursuivie sans que congé lui ait été donné.
Article 70 AUDCG
Article 91 AUDCG
Article 101 AUDCG
Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, Arrêt n°774 du 09 juillet 2004 Sté SOTRANSYA (Me GEORGES Patrick) C/ Sté IBN TRANSPORTS (Me Francis KOUAME KOFFI).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Oui les parties en leurs conclusions;
Ensemble l’exposé des faits, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Considérant que par exploit d’huissier en date du 05 novembre 2003, la société SOTRANSYA a relevé appel de l’ordonnance n°4182 rendue le 03 octobre 2003 par le juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan et dont le dispositif est ainsi libellé;
"Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé d’heure à heure et en premier ressort;
Au principal renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront mais dès à présent vu l’urgence;
Nous nous déclarons incompétent au profit de la juridiction au fond;
Mettons les dépens à la charge de la demanderesse"
Considérant qu’à l’appui de son acte d’appel, la société SOTRANSYA par l’organe de son conseil Maître GEORGES PATRICK VIEIRA expose qu’elle est attributaire d’un espace commercial sis dans la commune d’Adjamé à usage de gare professionnel, ce, depuis 1982;
Qu’elle déclare qu’elle s’est acquittée régulièrement des redevances domaniales de 843.780 F CFA par an;
Qu’en dépit des difficultés traversées et de la perte de certains marchés, résultant de la guerre traversée par la Côte d’ivoire, elle a réglé à la Mairie d’Adjamé le premier semestre de l’an 2003;
Qu’elle précise qu’elle a érigé sur la parcelle concédée des bureaux et hangars aux fins d’exploitation commerciale;
Que contre toute attente, il lui a été adressé par arrêté n°29 du 07 juillet 2003, invitation d’une nouvelle attribution à une autre compagnie qui exercerait effectivement des activités de transport;
Or, soutient-elle, elle a été admise au règlement préventif par décision du Tribunal d’Abidjan;
Qu’elle souligne qu’il ne lui a été adressé aucun congé dans les termes de l’article 101 du traité OHADA droit commercial Général;
Que bien curieusement la requérante s’est heurtée à la présence d’une compagnie tierce, dénommée IBN TRANSPORTS représentée par monsieur TOURE MAHAMADOU sur le site de son installation, laquelle entreprend de nouvelles constructions;
Qu’elle affirme qu’il s’agit manifestement d’une voie de fait, qu’il convient de faire cesser immédiatement;
Qu’elle s’est adressée à Justice pour voir ordonner le déguerpissement du nouvel occupant de la parcelle litigieuse sous astreinte de 10.000.000 F/CFA par jour de retard;
Mais que le Tribunal s’est déclaré incompétent;
Qu’elle soutient qu’au terme de l’article 70 de l’acte uniforme de Droit Commercial Général, les dispositions du présent titre sont également applicables aux personnes morales de droit public à caractère industriel ou commercial et aux sociétés à capitaux publics, qu’elles agissent en qualité de bailleur ou de preneur;
Qu’elle allègue qu’il n’est contesté qu’elle bénéficiait d’un bail à caractère commercial dans les termes de l’article 91 du Traité OHADA du droit commercial Général;
Qu’en, elle exploite depuis 1982 le fonds de commerce portant sur son activité de transport sis à Adjamé;
Qu’il ne lui a été signifié aucun congé dans les termes de l’article 101 de l’acte uniforme;
Qu’elle fait valoir que dès lors, son éviction des lieux, sous quelque prétexte que ce soit, dans l’inobservation des textes, constitue une voie de fait;
Que comme tel, le premier juge aurait dû faire droit à sa demande tendant à la suspension de toute construction de la société IBN et son déguerpissement des lieux sous astreinte de 10.000.000 F/cfa par jour de retard;
Qu’elle estime qu’en statuant autrement, le Premier Juge a violé les textes d’ordre public de l’acte uniforme de Droit Commercial Général sus-visés;
Considérant que pour sa part, la Société IBN, par le truchement de son conseil Me François KOFFI expose que la Société IBN, est une entreprise de la place qui, entre autres activités, a pour objet, le transport de personnes de marchandises;
Que pour cette activité spécifique, elle avait évidemment besoin d’une gare routière;
Que pour satisfaire cette exigence, elle adressa à la Mairie d’Adjamé, une demande d’attribution d’une parcelle de terrain, dans ladite commune;
Que quelques mois après, par arrêté d’occupation provisoire n°32 en date du 10 juillet 2003, la mairie d’Adjamé autorisa IBN à occuper à titre temporaire, une parcelle de 690 m2, "située dans le domaine public conformément au plan de situation dressé par la Mairie d’Adjamé", précise l’arrêté (S/C pièce n°2), après qu’elle ait acquitté les frais dus à ce titre (S/C pièce n°3);
Qu’en vertu de l’article 2 de l’arrêté suscité, qui l’a autorisé, la société IBN entreprit des travaux d’aménagement et de construction destinés à son activité commerciale;
Que cependant, à peine entama-t-elle les travaux, que Madame TOURE BARAKISSA, se disant Administrateur à SOTRANSYA, accompagnée de loubards et autres gros bras sortis d’on ne sait où, se livrant à des travaux réalisés, proférant au passage des menaces de mort à l’endroit du Président Directeur Général de la Société IBN;
Qu’une plainte a d’ailleurs été déposée contre Madame TOURE BARAKISSA et SOTRANSYA, pour destruction de biens et menace de mort, auprès du commissariat de police du 7ème arrondissement, d’Adjamé 220 logements;
Que les choses en étaient là, lorsque la société SOTRANSYA que rien n’arrête, assigna en référé d’heure à heure, pour obtenir que sous astreinte de 10.000.000 F CFA par jour de retard, il soit ordonné à la concluante de déguerpir des lieux;
Qu’en raison des contestations sérieuses élevées par la concluante, le juge des référés, faisant preuve d’une grande sagesse et d’une bonne connaissance du droit, se déclara incompétent à ordonner les mesures sollicitées;
Que c’est cette ordonnance, justifiée en droit, qui est à présent soumise à la censure de la Cour;
Mais qu’elle estime que la Cour confirmera cette ordonnance en toutes ses dispositions, tant l’action de SOTRANSYA est mal fondée;
Qu’elle rappelle qu’après un exposé des faits inexact et tendancieux, la société SOTRANSYA a prétendu que la concluante s’était rendue coupable de voie de fait, en occupant la parcelle de terrain dont elle est attributaire en vertu de l’arrêté sus-évoqué;
Mais qu’elle précise que selon le "vocabulaire juridique"la voie de fait résulte d’un comportement s’écartant si ouvertement des règles légales, qui justifie de la part de celui en est victime, le recours immédiat à une procédure d’urgence afin de faire cesser le trouble qui en résulte" Vocabulaire juridique "publié aux éditions puf sous la direction de Gérard Cornu);
Qu’elle souligne qu’en l’espèce, elle qui occupe le terrain en vertu d’un arrêté régulièrement délivré par la Mairie d’Adjamé n’a pu se rendre coupable d’un comportement s’écartant des règles légales" à l’égard de la société SOTRANSYA;
Qu’elle soutient qu’elle n’est pas une occupante sans droit, ni titre, pour avoir versé aux débats, aussi bien en 1ère Instance, qu’en cause d’appel, ses titres d’occupation;
Qu’elle s’est encore moins rendue coupables de violence ou d’acte de vandalisme à l’encontre de SOTRANSYA, et ne s’est pas introduite dans les lieux par la force;
Que c’est plutôt SOTRANSYA, comme nous l’avons indiqué dans l’es posé des faits, qui s’est rendue coupable de voies de fait, en détruisant les travaux effectués par la concluante;
Qu’elle déclare que la voie de fait dont se prévaut SOTRANSYA, n’est donc pas prouvée et justifiée;
Que SOTRANSYA ne dit d’ailleurs pas en quoi – ni sur son assignation en référé, ni sur l’acte d’appel – la concluante s’est rendue coupable de voies de fait;
Qu’elle soutient que dans ces conditions, c’est à juste titre qu’après que la concluante ait élevé des contestations visant à démontrer qu’il n’y avait pas voie de fait dans le cas d’espèce, le juge des référés s’est déclaré incompétent à faire droit aux demandes de SOTRANSYA;
Qu’elle estime que la Cour confirmera l’ordonnance querellée, et rejettera en tout cas comme non fondé, l’appel de SOTRANSYA;
Que les moyens d’appel de la Société SOTRANSYA s’articulent comme suit :
"Attendu qu’au terme de l’article 70 de l’acte uniforme Droit Commercial" Général, les dispositions du présent titre sont également applicables aux "personnes morales de droit public à caractère industriel ou commercial et aux "Sociétés à capitaux publics, qu’elles agissent en qualité de bailleur ou de preneur; "Attendu qu’il n’est pas contesté que la SOTRANSYA bénéficiait d’un bail à caractère "commercial général; " qu’en effet, elle exploite depuis 1982 le fonds de commerce sur son activité de transport à Adjamé; "qu’il ne lui a été signifié aucun congé dans les termes de l’article 101 de l’acte uniforme; " Dès lors, son éviction des lieux, sous quelque prétexte que ce soit, dans l’inobservation des textes, constitue une voie de fait; "Comme tel, le Premier Juge aurait dû faire droit à sa demande tendant à la suspension de toute construction de la Société IBN et son déguerpissement des lieux sous astreinte de 10.000.000 F CFA par jour de retard; " En statuant autrement, le Premier Juge a violé les textes d’ordre public de l’acte uniforme Droit commercial Général susvisés";
Qu’elle souligne que comme on le voit la lecture de ces moyens, aucun reproche précis ne peut lui être fait à elle société IBN;
Qu’elle fait remarquer que la société SOTRANSYA parle plutôt d’application des articles 70 et 91 du traité OHADA qui n’aurait pas été respectés; par qui, l’exposé de la société SOTRANSYA reste totalement muet sur la question, prouvant ainsi, son manque de sérieux;
Qu’elle soutient, la société IBN n’ayant jamais été liée à SOTRANSYA par un quelconque bail commercial, c’est difficilement que l’on régit les baux commerciaux;
Qu’encre moins, elle s’est rendue coupable d’éviction, au préjudice de SOTRANSYA;
Que SOTRANSYA se trompe royalement d’adversaire !!!
Qu’elle affirme que tant que l’arrêté d’occupation dont bénéficie IBN n’aura pas été modifiée ou annulé par les instances judiciaires compétentes, c’est en vain que l’on pourrait lui reprocher un quelconque manquement aux règles de droit;
Qu’elle déclare qu’elle Sté IBN n’est entrée dans les lieux, qu’après que la Mairie d’Adjamé ait fait place nette, après une mise en demeure servie à SOTRANSYA et demeurée infructueuse;
Qu’elle répète qu’elle société IBN ne s’est pas installée dans les lieux par la force, ou en violant les droits de qui que ce soit;
Qu’elle articule qu’il résulte par conséquent de tout ce qui précède, que les moyens de SOTRANSYA manquent de sérieux, et seront rejetés comme tels, par la cour;
Qu’elle estime que ce faisant, la cour déboutera celle-ci, de son appel, comme non fondé;
Considérant que le Ministère public a déposé des conclusions écrites aux termes desquels il sollicite la confirmation de l’ordonnance querellée au motif que du fait qu’il y a contestation sérieuses, le Juge des référés n’avait pas d’autre choix que de se déclarer incompétent;
DES MOTIFS
Sur la forme
Considérant qu’il résulte des éléments du dossier que l’appel de la société SOTRANSYA a été fait selon les forme et délai prescrits par la loi; qu’il y a donc lieu de le déclarer recevable;
Sur le fond
Considérant qu’il est un principe immuable que le juge des référés est le juge de l’évidence;
Considérant en l’espèce qu’il est constant donc évident que la Sté SOTRANSYA est attributaire d’un espace commercial dans la commune d’Adjamé à usage de gare professionnelle ce depuis 1982 et qu’elle s’est acquitté régulièrement de redevance domaniales de 743.780 frs par an;
Qu’il est constant donc que la Sté SOTRANSYA a toujours été liée à la Mairie d’Adjamé par un contrat de bail commercial;
Or considérant qu’il est constant que le bail commercial est régi par les dispositions des articles 70-71 et suivant du traité OHADA relatif au droit commercial qui prévoit un congé en son article 101;
Considérant qu’en l’espèce il est évident et ce sans préjudice au fond qu’avant d’adresse à la Sté SOTRANSYA l’arrêté n°29 du 07 juillet 2003 l’invitant à libérer les lieux litigieux avant le 31 juillet 2003 et notifier à la Sté IBN Transport une nouvelle attribution, la Mairie d’Adjamé n’a pas donné congé à la sté SOTRANSYA au sens et dans les termes des dispositions de l’articles 101 du traité OHADA portant droit commercial;
Qu’aussi il apparaît évident que la Mairie d’Adjamé ne s’est pas confirmée à l’article 101 susvisé de sorte qu’en raison de cette évidence le juge des référés aurait dû retenir sa compétence; Que ne l’ayant pas, l’ordonnance querellée mérite donc confirmation;
Qu’eu égard à la violation par la Mairie d’Adjamé de l’article 101 du traité OHADA portant droit commercial, il s’impose d’ordonner le maintien de la Sté SOTRANSYA sur les lieux litigieux d’une part et le déguerpissement de la Sté IBN Transport tant de sa personne de ses biens et de tous occupants de son chef desdits lieux et ce sous astreinte communautaire de 500.000 Frs par jours de retard à compter de la signification du présent arrêt;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
Vu les conclusions écrites du Ministère Public;
EN LA FORME
Déclarera la société SOTRANSYA recevable en son appel relevé de l’ordonnance de référé n04182 rendu le 03 octobre 2003 par la juridiction des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan;
AU FOND
L’y disant bien fondée, infirme l’ordonnance querellée;
Statuant à nouveau;
Dit que le Juge des référés est bien compétent;
Ordonne le maintien de la société SOTRANSYA sur les lieux litigieux;
En conséquence ordonne le déguerpissement de la Sté IBN de sa personne, de ses biens et de tous occupants de son chef sous astreinte communatoire de 500.000 frs par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt;
Condamne l’intimée aux dépens.