J-05-336
VOIES D’EXECUTION – SAISIE VENTE – COMPENSATION – IMPOSSIBILITE DE LA SAISIE VENTE.
Lorsqu’une compensation intervient par l’effet de la loi entre le débiteur et le créancier, celui-ci ne peut plus prétendre avoir contre celui-là une créance certaine, liquide et exigible pouvant justifier une saisie vente.
Article 91 AUPSRVE
Cour d’Appel d’Abidjan Chambre Civile et Commerciale, Arrêt N°473 du 06/04/2004 M. BATCHILY Cheick Oumar (Me WACOUBOUE Dominique) C/ La Sté AHOUSSOU, KONAN & Associes).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier, ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant acte d'huissier en date du 14 Juillet 2003 comportant ajournement au 29 Juillet 2003 Monsieur BATCHILY CHEK OUMAR a relevé appel de l'ordonnance de référé n°2887 rendue le 27 Juin 2003 par la juridiction Présidentielle du Tribunal de Première d'Abidjan qui en la Cause a statué ainsi qu'il suit :
"Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en premier ressort;
Déclarons la Société SAGECO recevable en son action :
L'y disons bien fondée;
Disons que l'exploit de saisie en date du 9 Mai 2003 est nul et de nul effet;
Ordonnons la mainlevée de ladite saisie";
Il ressort des énonciations de l'ordonnance querellée que par exploit daté du 6 Juin 2003 la société de Gérance et d'Exploitation Commerciale, dite SAGECO a fait délivrer assignation à Monsieur BATCHILY CHEICK OUMAR à l’effet d’avoir à comparaître par devant la juridiction Présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan pour s'entendre juger que l'exploit de saisie en date du 9 Mai 2003 est nul et de nul effet et en ordonner la mainlevée;
A l'appui, de son action la Société de Gérance et d'Exploitation Commerciale dite SAGECO a exposé que par procès-verbal en date du 9 Mai 2003, Monsieur BATCHILY CHEICK OUMAR a fait pratiquer saisie vente sur ses biens meubles corporel; que cette saisie devra être déclarée nulle pour avoir violé les dispositions de l'article 91 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution;
La demanderesse explique qu’à travers cette disposition, le législateur donne une condition fondamentale et nécessaire à la réalisation de cette mesure d'exécution, à savoir que la créance dont le recouvrement est poursuivie doit être liquide et exigible;
La SAGECO a précisé que la créance dont se prévaut M. BATCHILY ne remplit pas cette condition dans la mesure où ce dernier lui est redevable de la somme de deux millions deux cent quarante mille francs (2.240.000 f) aux terme d'une ordonnance d'injonction de payer n°5353/01 rendue le 14 Mai 2001 et devenue définitive;
Poursuivant la SAGECO explique que M. BATCHILY CHEICK OUMAR est son créancier en vertu de l'arrêt social n°814 rendu le 28 novembre 2002;
Qu'en vertu de ces deux (2) décisions elle et M. BATCHILY se trouvent débitrices d'une envers l'autre;
La SAGECO explique qu’aux termes de l'article 1290 du code civil "la compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi même à l'insu des débiteurs, les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la lois, jusqu’à concurrence de leurs quantités respectives ";
La SAGECO en conclut que par l'effet de cette compensation, elle ne reste devoir aucune somme à M. BATCHILY et que la juridiction des référés n'aura aucune difficulté à prononcer la nullité du procès-verbal de saisie vente datée du 9 mai 2003;
Poursuivant son argumentation, la SAGECO a expliqué que ledit procès verbal a méconnu les dispositions de l'article 100 de l'Acte Uniforme précité; qu'en effet aux termes de l'alinéa 4 de ce texte, l'acte de saisie contient la désignation détaillée des objets saisis;
La SAGECO a fait observer que le P.V. litigieux s'est tout simplement, contenté d'énumérer des objets sans aucune précision de couleur, ni de marque et qu'une telle désignation qui pourrait créer une confusion au moment de l'enlèvement, viole incontestablement les dispositions impératives suscitées; la SAGECO en conclut que le juge des référés au vu des développements prononcera la nullité de la saisie vente pratiquée le 9 mai 2003;
La SAGECO a expliqué enfin que les intérêts de droit ont été liquidés à des taux imaginaires de 9,75 % et de 10,75 % alors que depuis le mois de Juin le taux applicable est de 6,5%; qu'il en est de même du droit de recette qui a été liquidé à la convenance de M. BATCHILY à 10% alors que le droit de recette légal en vigueur ne correspond pas à ce pourcentage;
La SAGECO a expliqué que cette méconnaissance de la règle augmente encore sa créance à son préjudice et que c'est la raison pour laquelle le juge des référés annulera le procès-verbal de saisie vente;
Les moyens du défendeur n'ont pas été mentionnés;
Pour faire droit à la demande de la SAGECO le premier juge a estimé que la créance de M. BATCHILY n'est ni liquide ni exigible;
Au soutien de son appel M. BATCHILY expose que suivant Ordonnance d'injonction de payer N°5353/01/ du 14 mai 2001 devenue définitive, il a été condamné à payer à son ex-employeur la SAGECO, la somme de deux millions deux cent quarante mille francs (2.240.000 f) alors que par arrêt n°814 rendue le 28 novembre 2002 la chambre sociale de la Cour d'Appel de ce siège condamnait la SAGECO à lui payer près d'un million cinq cent mille francs (1.5000.000 F);
Qu'en possession de cet arrêt, il a procédé à son exécution par exploit en date du 9 mai 2003, il a fait pratiquer saisie vente sur les biens meubles corporels de la Société SAGECO et que c'est à ce moment-là que la SAGECO a choisi d'initier une procédure en compensation des deux (2) créances devant le Juge des référés qui suivant ordonnance n°2794 rendue le 25 Juin 2003 déboutait le SAGECO de son action;
Mr. BATCHILY explique qu'alors que cette cause était encore pendante devant le premier juge des référés, la SAGECO l'assignait en référé ordinaire afin de voir ordonner la mainlevée de la saisie vente pratiquée sur les biens meubles corporels de la SAGECO et que contre toute attente le juge des référés faisait droit à la demande de la SAGECO suivant ordonnance n°2887 rendue le 23 Juin 2003;
L'appelant fait grief au premier juge de n'avoir pas motivé sa decision;
– Sur le moyen tiré de l'extinction de la créance de Mr. BATCHILY du fait de la compensation invoqué par la SAGECO, l'appelant explique que la compensation de dette prévue par l'article 1290 du code civil n'opère qu'entre deux (2) dettes de même nature; Or affirme-t-il, l'arrêt social qui a condamné la SAGECO à son profit a force exécutoire et est passé en force exécutoire et est passé en force de chose jugée M. BATCHILY explique qu’à la différence de cet arrêt, le jugement civil n°1008/ rendu le 28 novembre 2001 qui l’a déchu de son opposition, et fait produire tous ses effets, l'ordonnance d'injonction de payer suscité n'a pas force exécutoire dans la mesure où ledit jugement ne lui a pas été signifié;
Que faute pour ce jugement rendu sur opposition d'avoir force exécutoire, aucune compensation ne peut s'opérer;
L'appelant explique par ailleurs que sa créance a un caractère alimentaire et que de ce fait aucune compensation ne peut se faire avec la créance de son ex-employeur;
Qu'au total et contrairement au premier juge, la Cour constatera que la créance de Mr. BATCHILY ne peut nullement s'éteindre par compensation;
Que de ce fait la saisie vente pratiquée par Mr. BATCHILY CHEICK OUMAR par exploit d'huissier en date du 9 mai 2003 ne viole nullement l'article 91 de l'Acte Uniforme sur les voies d'exécution;
– Sur la nullité tirée de l'article 100 de l'Acte Uniforme sur les voies d'exécution;
M. BATCHILY explique que l'huissier instrumentaire a régulièrement désignés les objets saisis dans leur nature; les meubles en bois sont même précisés et la couleur des fauteuils est indiquée;
Qu'il n'y a aucun risque de confusion puisque ces biens appartiennent à la SAGECO qui en a été constituée, gardienne et que ledit argument ne peut prospérer car il n'y a pas eu violation de l'article 100 de l'Acte Uniforme sur les voies d'exécution;
– Sur le calcul erroné des intérêts de droit et des frais d'huissier;
M. BATCHILY CHEICK OUMAR articule que de tels arguments ne peuvent raisonnablement fonder une demande en mainlevée de saisie initiée sur la base de l'Acte Uniforme portant voies d'exécution qui a limitativement prévue les cas pouvant entraîner la nullités des saisies pratiquées;
Que les conditions relatives au calcul des droits et frais de procédure ne sont pas du tout concernées et que si erreur il y a celle-ci peut aisément se corriger;
Au regard de tout ce qui précède la Cour d'Appel infirmera l'ordonnance querellée;
Pour sa Part la SAGECO reprend pour l'essentiel son argumentaire de Première Instance et expose qu'elle a obtenu contre Mr BATCHILY une ordonnance d'injonction de payer N°5353 du 14 mai 2001 condamnant ce dernier à lui payer la somme de 240.000 Francs;
Que suite à l’opposition formée contre ladite ordonnance par M. BATCHILY le Tribunal suivant jugement rendu le 28 novembre 2001 a déchu ce dernier de son opposition et confirmé l’ordonnance d’injonction de payer susmentionnée;
La SAGECO explique que l'appelant n'a pas relevé appel dudit jugement de sorte que la décision (O.I.P) est devenue définitive, consolidant ainsi sa créance;
La SAGECO poursuivant explique que M. BATCHILY, à son tour, bénéficie d'un arrêt de la Chambre sociale de la Cour d'Appel la condamnant à payer à M. BATCHILY la somme principale de 1.434.045 francs;
L'intimée fait observer que les deux parties sont créancières et débitrices l'une envers l'autre; que le jugement consacrant définitivement la créance de la SAGECO n'étant pas encore disponible, il ne peut être signifié;
La SAGECO explique qu'en raison de cette réciprocité de dettes et de créances, il s'opère de plein droit entre les parties une compensation de laquelle, la SAGECO reste toujours créancière d'un reliquat de 805.955 Francs;
Que faisant fi de cette compensation M. BATCHILY a entrepris des saisies contre la SAGECO
Que c'est à juste titre qu'il a été ordonné la mainlevée de ladite saisie;
Poursuivant ses développements, la SAGECO explique que par le jeu de la compensation prévue, par l'article 1290 du code civil, la dette de la SAGECO envers M. BATCHILY est entièrement éteinte tandis que ce dernier reste débiteur envers la SOGECO de la somme reliquataire de 805.955 francs;
Elle en conclut que la SAGECO n'étant plus redevable de quelque somme que ce soit, c'est donc sens fondement que s'est opérée une saisie à son encontre;
– sur les nullités tirées de l'article 100 de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution, la SAGECO réaffirme que l'acte de saisie vente du 9 mai 2003 en ne désignant pas de façon précise les objets saisis a incontestablement violé ledit. article;
– Sur le calcul erroné des intérêts de droit et des frais, la SAGECO explique à nouveau que lesdits intérêts de droit et frais ont été calculés de façon erronée et contraire à la réglementation en vigueur
Qu’eu égard, à toutes ces irrégularités, c'est à juste titre que le juge des référés a ordonné la mainlevée de la saisie et qu'il plaira à la Cour de bien vouloir confirmer l'ordonnance entreprise;
DES MOTIFS
EN LA FORME
L’appel de M. BATCHILY CHEICK OUMAR a été relevé conformément aux prescriptions légales;
Il doit donc être déclaré recevable;
AU FOND
Pour rejeter le bénéfice de la compensation invoquée par la SAGECO, M. BATCHILY soutient que les conditions d'une telle obligation édictée par les articles 1290 et suivants du code civil ne sont pas réunies notamment en raison de ce que les deux dettes ne sont pas de la même nature et du fait que le jugement de déchéance rendu sur opposition n’est pas exécutoire parce que ne lui ayant pas été signifié;
Or d'une part, il ne ressort nulle part des dispositions des articles 1290 et suivants du code civil qu'une créance ayant un caractère alimentaire ne peut faire l'objet d'une compensation;
D'autre part aux termes de l’article 15 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution "la décision rendue sur opposition est susceptible d'appel dans les conditions du droit national de chaque Etat partie. Toutefois le délai d’appel est de trente (30) jours à compter de la date de la décision";
En l'espèce le jugement de déchéance rendu sur opposition date du 28 novembre 2001 tandis que la saisie vente litigieuse date du 9 mai 2003, de sorte que le délai d'appel de 30 jours est largement épuisé sans que M. BATCHILY apporte la preuve qu'il a usé de cette voie de recours;
Ainsi le jugement du 28 novembre 2001 a acquis force exécutoire;
Aussi la créance de la SAGECO qui en est résultée et celle de M. BATCHILY résultant de l'arrêt social du 28 novembre 2002 doivent par le seule force de la loi, s'éteindre réciproquement jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives;
Ainsi, la compensation s'opérant à l'avantage de la SAGECO dont la créance est plus importante, il s'ensuit que du fait de cette compensation, Mr. BATCHILY ne saurait valablement invoquer à son égard une créance liquide et exigible au sens des dispositions de l'article 91 de l'Acte Uniforme relatif aux voies d'exécution;
Il y a donc lieu en conséquence de rejeter l'appel non fondé de l'ordonnance entreprise;
L’appelant qui succombe doit être condamné aux dépens en application de l’article 149 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort;
Déclare recevable mais mal fondé et rejette comme tel l’appel de Monsieur BATCHILY CHEICK OUMAR relevé de l’ordonnance n°2887 rendue le 27 juin 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan;
Confirme ladite ordonnance en toutes ses dispositions;
Condamne l’appelant aux dépens;