J-05-344
SOCIETE COMMERCIALE – DIRECTEUR GENERAL – REVOCATION AD NUTUM SANS MOTIF NI JUSTIFICATION – ETABLISSEMENT BANCAIRE – DECLARATIONS DU PRESIDENT DE LA SOCIETE POUR EXPLIQUER LA REVOCATION A LA CLIENTELE ET LA RASSURER – CARACTERE ABUSIF DE LA REVOCATION (non).
La révocation du directeur général d’une société anonyme peut intervenir ad mutum, sans motif ni justification à condition de ne pas être abusive.
N’est pas abusive ni précipitée la révocation du directeur général d’une banque intervenue à la suite d’un audit de la commission bancaire et un mois après la suspension de celui-ci et accompagnée de déclarations à la presse du Président du conseil d’administration de la banque sur les éléments du rapport d’audit faisant état du non respect des règles prudentielles de gestion bancaire.
Cour suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, arrêt n° 404/04 du 11 juillet 2004, KONE Kafongo c/ BHCI, Actualités juridiques, n° 47/2005, p. 87, note KASSIA Bi Oula.
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Vu les conclusions écrites du Ministère Public en date du 28 mai 2002
Sur le moyen unique de cassation pris du défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs;
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Abidjan, 04 mai 2001) qu’à la suite d’une mission d’audit commandée dans le but d’assurer une meilleure sécurisation des opérations de la banque (procédure d’octroi de crédit, recouvrement des créances, maîtrise des frais généraux, fonctionnement des organes de la banque etc….) le Conseil d’Administration de la S.A Banque de l’Habitat de Côte d’Ivoire dite BHCI décidait le 17 avril 1997 après sa suspension le 18 mars 1997 de la révocation de KONE Kafongo, Administrateur Directeur Général de ladite société; qu’estimant abusive cette décision de révocation en raison selon lui de son caractère précipité et des circonstances l’ayant entourée et dénotant une malveillance, une intention de nuire ainsi qu’une volonté de la "BHCI" de porter atteinte à son honorabilité, KONE Kafongo saisissait le Tribunal Civil d’Abidjan d’une demande en réparation; que cette juridiction ayant fait droit à cette action la Cour d’Appel d’Abidjan, sur appels principal de la banque et incident de KONE Kafongo décidait autrement en déclarant mal fondée la demande de dommages-intérêt, introduite par ce dernier;
Attendu que le pourvoi fait grief à la Cour, d’une part de s’être arrêtée sur ce qu’il s’agissait de la révocation d’un mandat ad-nutum sans rechercher, alors qu’il n’est pas exclusif d’abus, si ce droit n’a pas été exercé de façon abusive, d’autre part de s’être, pour écarter l’existence d’intention malveillante et d’acte attentatoire à l’honneur de KONE Kafongo de la part de la BHCI, bornée à affirmer que les déclarations à la presse du Président du Conseil d’Administration de la banque portaient sur des éléments de l’audit et de la commission bancaire et s’inscrivaient dans le cadre du devoir d’information de la banque indispensable pour rassurer la clientèle et ce sans procéder à une analyse propio mutu des rapports d’audit et de la commission bancaire et d’autre part encore d’avoir retenu que KONE Kafongo ne pouvait prétendre avoir contribué à la prospérité de la banque au motif que celle-ci a été mise sous surveillance rapprochée alors que nulle part les rapports auxquels elle se référait ne font état d’aucune mesure de cette nature; que selon le moyen, la Cour, en se déterminant comme elle l’a fait, a manqué de donner une base légale à sa décision qui pèche par insuffisance et absence de motifs;
Mais attendu que pour exclure tout abus de la part de la "BHCI" susceptible de justifier la demande en réparation, la Cour d’Appel, après avoir, à bon droit, énoncé que la révocation de l’Administrateur Directeur Général pouvait intervenir sans motif et sans justification comme s’agissant d’une révocation ad. Nutum, et appréciant souverainement les faits allégués par le demandeur au pourvoi comme preuve de l’abus invoqué, a relevé d’une part que la décision de révocation qui est intervenue un mois après la suspension de celui-ci n’était pas précipitée et d’autre part que les déclarations du Président du Conseil d’Administration de la banque dans la presse portaient sur les éléments du rapport d’audit faisant état entre autres du non-respect des règles dites prudentielles de gestion de banque, de procédure d’octroi de crédit et des dépenses effectuées sans autorisation du Conseil d’Administration et qu’elles n’étaient pas malicieuses et ne comportaient aucune atteinte à l’honneur de l’ex-Directeur Général mais s’inséraient dans le devoir d’information de la Banque indispensable pour rassurer la clientèle; qu’en se déterminant par ces motifs qui sont justes et suffisants la Cour d’Appel qui n’était pas tenue de rechercher, l’argumentation étant en l’espèce totalement inopérante, si le demandeur au pourvoi a contribué ou non à la prospérité de la banque, a légalement justifié sa décision;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi formé par KONE KAFONGO contre l’arrêt n° 491 en date du 14 Mai 2001 de la Cour d’Appel d’Abidjan;
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public;
Président : M. YAO ASSOMA;
Conseillers : M. YAO ASSOMA;
M. BOGA TAGRO
M KOUAME AUGUSTIN (Rapporteur)
Greffier : Me N’GUESSAN GERMAIN
Note
Par son arrêt du 1er juillet 2004 ci-dessus rapporté, la Cour Suprême tranche une question classique, qui présente un intérêt pratique évident, celle de la révocation du directeur général d’une société anonyme.
Après sa révocation (le 17 avril 1997) par le conseil d’administration, le directeur général d’une société de banque agit en responsabilité contre celle-ci, invoquant le caractère abusif de cette mesure. Réformant la décision des premiers juges, la Cour d’appel d’Abidjan rejette cette demande, dans un arrêt du 14 mai 2001. Elle affirme que le directeur général peut être révoqué à tout moment, sans motif, et que la révocation intervenue n’était pas abusive.
Si la Cour Suprême approuve pleinement l’affirmation de la libre révocabilité du directeur général (I), elle admet implicitement que l’abus en limite l’exercice (II), puisqu’elle se retranche, sur ce dernier point, derrière le pouvoir souverain des juges du fond, pour rejeter le pourvoi.
I-LA LIBRE REVOCABILITE DU DIRECTEUR GENERAL
Dans les sociétés anonymes, il est de règle que le conseil d’administration peut, à tout moment, et sans avoir à donner de justification, mettre fin aux fonctions du directeur général1.
Il importe peu que ce dernier soit lui-même administrateur de la société. Telle était d’ailleurs la situation en l’espèce. De même, la circonstance que l’intéressé ait bien géré la société, est sans influence sur le droit de révocation du conseil d’administration. On comprend donc que le juge de cassation ait considéré comme inopérant, l’argument du demandeur, d’après lequel il aurait contribué à la prospérité de l’entreprise.
La solution, qui résultait autrefois de l’article 10 de la loi du 2 août 19832, est reprise par l’article 492 AUSCG3. En vertu de ce dernier texte, «Le directeur général peut être révoqué à tout moment par le conseil d’administration». La mesure est également valable pour le président du conseil d’administration, et s’explique par l’idée que ces dirigeants (directeur général et président du conseil d’administration), sont des mandataires sociaux4, révocables ad nutum comme tout mandataire5.
Il est à noter que la révocation du directeur général n’est subordonnée à aucun préavis et intervient sans indemnité.
Cette révocabilité ad nutum rend la situation du directeur général particulièrement précaire. Ce qui explique la réaction du législateur français, qui offre désormais la possibilité au juge, d’indemniser le directeur général, lorsque la révocation n’est pas fondée sur un juste motif6.
S’agissant du droit ivoirien, et plus généralement du droit de «l’espace OHADA», seul l’exercice abusif du droit de révocation, peut donner lieu à indemnisation du directeur général.
II – L’ABUS LIMITE A LA LIBRE REVOCABILITE
Si le conseil d’administration peut révoquer à tout moment ce mandataire social qu’est le directeur général, il ne doit pas le faire de manière abusive.
L’abus résulte bien souvent des circonstances de la rupture. Il en est ainsi lorsqu’elle intervient dans des conditions jetant le discrédit sur le directeur général, ou lorsqu’elle est accompagnée d’accusations ou de vexations gratuites7. Dans ces différents cas, il y a atteinte à son droit à l’honneur, susceptible de fonder une réparation sur la base de l’article 1382 du Code civil.
De même si le limogeage survient de manière brusque, (par exemple renvoi sur le champ), il a un caractère abusif. Ainsi, a été jugé abusive, la révocation d’un P.D.G. le lendemain du jour où ce dernier a agi en nullité des décisions du conseil d’administration8. Concernant l’espèce examinée, le pourvoi arguait précisément du caractère précipité de la révocation litigieuse. Cet argument pouvait difficilement prospérer, étant donné que la mesure n’était intervenue qu’après une période d’un mois de suspension du directeur général. Il est vrai qu’on pourrait s’interroger sur la valeur de cette dernière mesure; ne s’agit-il pas là déjà d’une révocation de fait, si cette suspension aboutissait à priver l’intéressé, ne serait-ce qu’en partie, des avantages de sa fonction ? S’il en était ainsi, et que la suspension avait été décidée de façon brusque, on pourrait y voir une révocation abusive de fait.
Mais, l’arrêt ne fournit aucune indication à ce sujet, et on peut penser que le demandeur a accepté cette mesure de suspension, qui n’est pas ici en cause.
Le pourvoi invoquait également des déclarations de presse du président du conseil d’administration, qui auraient porté atteinte à l’honneur du directeur général. En effet,lorsque la société fait une publicité excessive ou malveillante sur la révocation, elle engage sa responsabilité, s’il en résulte un préjudice pour l’ex-directeur général. Sur cette question, la Cour Suprême s’en tient encore aux constatations des juges du fond, selon lesquelles les déclarations du président du conseil d’administration étaient destinées à informer la clientèle de la société de banque.
Au total, l’arrêt du 1er juillet 2004 mérite d’être entièrement approuvé, d’autant qu’il est soigneusement motivé et d’une belle sobriété9.
KASSIA Bi Oula
Chargé de cours à l’U.F.R. S.J.A.P. de l’Université d’Abidjan
20 C. Supr., 8 mai 2003, A.J. 41/2003, p. 39. V. dans le même sens, Abidjan, 11 févr. 2000, A.J. 30-31/2002, p. 23.
21 D’après ce texte, «Lorsque l’existence d’une société de fait est reconnue par le juge, les règles de la société en nom collectif sont applicables aux associés».
22 V. R. Roblot, op. cit., n° 725, p. 394.
1 En France, cette révocation, tout comme la nomination, intervenait naguère sur proposition du président du conseil d’administration (art. 116 loi du 24 juill. 1966 sur les sociétés commerciales). V. Ph. Merle, Droit commercial, Sociétés commerciales, Dalloz, 6e édit., n° 431, p. 460. Mais l’article L. 225-55 C.com. qui régit désormais la matière, décide que «Le directeur général est révocable à tout moment par le conseil d’administration». Le texte ajoute cependant : «Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts, sauf lorsque le directeur général assume les fonctions de président du conseil d’administration».
2 Loi n° 83-789 du 2 août 1983, relative à la direction et à l’administration des sociétés anonymes, J.O. 1983, p. 451.
3 Acte uniforme du 17 avril 1997 sur le droit des sociétés commerciales et du GIE.
4 Ils sont également considérés comme des organes de la S.A., pour exprimer l’idée qu’ils tiennent leurs pouvoirs de la loi. V. M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édit., n° 679, p. 281. Adde n°s 662 et 684, pour leur statut fiscal et social.
5 Il faut évidemment réserver le cas du mandat d’intérêt commun.
6 V. art. L. 225-55 C.com. rédact. Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001. V. supra, note 1.
7 V. l’exemple d’un directeur général qui est informé de sa prochaine révocation par note de service, et qui, révoqué, est prié sans ménagement d’abandonner son bureau et de restituer les papiers et les clés de la voiture de fonction. Paris, 21 nov. 1991, J.C.P. E. 1992, I, 145, n° 8, obs. A. Viandier et .J.-J. Caussain.
8 Paris, 28 oct. 1994, R.J.D.A. 1995, p. 37.
9 Il faut déplorer cependant, que ne soient pas mentionnés les textes qui fondent la solution ici rendue, celle de la libre révocabilité.