J-05-61
Voir Ohadata J-05-60
BAIL COMMERCIAL – REFUS DU BAILLEUR DE PAYER L’INDEMNITE D’EVICTION POUR NON PAIEMENT DES LOYERS – ABSENCE DE MISE EN DEMEURE DU PRENEUR PAR LE BAILLEUR – MOTIF DU REFUS INOPERANT.
La nullité du congé ne peut être invoquée sur le fondement de l’absence de notification, au preneur, de l’acte de cession de l’immeuble, en vertu duquel le nouveau propriétaire l’a acquis, aucun texte ne prévoyant cette nullité, surtout si le preneur avait été informé du changement de propriétaire, avant que le congé ne soit servi.
Le bailleur ne peut se soustraire au paiement de l’indemnité d’éviction en invoquant un motif grave et légitime qui se trouverait dans le non paiement régulier des loyers par le preneur si le bailleur n’a pas mis en demeure le preneur de cesser ces agissements.
Il doit en être d’autant plus ainsi, que le preneur a mis à la disposition du bailleur, un chèque pour payer les loyers deux semaines après le commandement si bien que les faits reprochés ne se sont pas poursuivis ou renouvelés deux mois après la mise en demeure (article 95-1° alinéa 2).
Le fait que le preneur ait eu à accumuler plusieurs mois de loyers arriérés postérieurement au commandement du 23 mars 2000, ne dispense pas le bailleur du paiement de l’indemnité, compte tenu d’une part, qu’il ne prouve pas avoir effectué des diligences pour quérir le loyer, et, d’autre part, qu’il n’a pas servi un commandement mettant en demeure le preneur de devoir cesser le manquement aux obligations substantielles que le bail lui impose.
(Cour d’appel de Dakar, arrêt n° 400 du 16 août 2002, Ibra Guèye c/ SCI AMINE) Appel du jugement n° 1711 du 25 octobre 2000 (Ohadata J-05-60).
REPUBLIQUE DU SENEGAL
Cour D’APPEL DE DAKAR
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE 1
Arrêt N° 400 du 16 août 2000
ENTRE :
– Monsieur Ibra GUEYE, demeurant à Dakar Point E, élisant domicile en l’étude de Mes François SARR & Associés, Avocats à la Cour;
Appelant;
Comparant et concluant par l’organe desdits Avocats;
d’une part;
ET :
– La Société Civile Immobilière dite SCI AMINE, dont le siège social est à Dakar - Bd de l’Est Point E, élisant domicile en l’étude de Me Guédel NDIAYE & Associés, Avocats à la Cour;
Intimée;
Comparant et concluant par l’organe desdits Avocats;
d’autre part;
LES FAITS
Suivant exploit de Me Malick SEYE FALL, Huissier de justice à Dakar, en date du 09/11/2000, Monsieur Ibra GUEYE a interjeté appel du jugement rendu le 25/10/2000 par le Tribunal Régional de Dakar, présidé par Madame Abibatou Babou FAYE, avec l’assistance de Me Mame Mor BITEYE, Greffier, enregistré le 07/03/2001 sous le bordereau n° 273/7, vol. XXV F° 04, case 3 176, aux droits de seize mille francs;
Et par le même exploit, Monsieur Ibra GUEYE a fait servir assignation à la Société Civile Immobilière dite SCI AMINE, d’avoir à comparaître et se trouver par-devant la Cour d’Appel de Dakar, Chambre Civile et Commerciale, en son audience publique et ordinaire du 24/11/2000, pour y venir voir et entendre statuer sur les mérites de son recours;
Sur cette assignation, l’affaire inscrite au rôle de la Cour sous le numéro 988 de l’année 2000, a été appelée à la date pour laquelle ladite assignation avait été servie et mise au rôle général après renvoi;
Sortie du rôle général, l’affairé a été renvoyée jusqu’au 14/06/2002, date à laquelle elle a été utilement retenue;
Mes François SARR & Associés, pour le compte de Monsieur Ibra GUEYE, ont déposé des conclusions tendant à ce qu’il plaise à la Cour :
Conclusions en date du 13 février 2002
– Recevoir l’appel du sieur Ibra GUEYE;
– Y faire droit en infirmant le jugement entrepris;
Statuant à nouveau,
– Déclarer nul et de nul effet le congé à lui servi le 13 août 1999;
A défaut, condamner la SCI AMINE à payer au sieur Ibra GUEYE, la somme de 10.000.000 F, outre les intérêts de droit à compter de l’exploit introductif d’instance, au titre de l’indemnité prévue par les articles 91, 94 et 95 alinéa 4 et 91 de l’Acte Uniforme de l’OHADA sur le droit commercial général;
– Condamner la SCI AMINE aux entiers dépens d’instance et d’appel;
Conclusions en date du 13 mars 2002
– Adjuger au sieur Ibra GUEYE, l’entier bénéfice de ses demandes, fins et conclusions;
Conclusions en date du 21 mai 2002
– Rejeter comme non fondées les prétentions de la SCI AMINE;
– Adjuger de plus fort au concluant, l’entier bénéfice de ses écritures d’instance et d’appel;
A leur tour, Mes Guédel NDIAYE & Associés, pour le compte de la Société Civile Immobilière dite SCI, ont déposé des conclusions tendant à ce qu’il plaise à la Cour :
Conclusions en date du 15 juin 2001
– Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l’appel formé par Monsieur Ibra GUEYE;
AU FOND
– Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, le 25 octobre 2000 en toutes ses dispositions;
– Condamner le sieur Ibra GUEYE aux entiers dépens d’instance et d’appel, dont distraction selon l’usage;
Conclusions en date du 12 mars 2002
Rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires :
– Adjuger de plus belle à la SCI AMINE, l’entier bénéfice de ses écritures antérieures et présentes;
– Débouter le sieur Ibra GUEYE de sa demande d’indemnité d’éviction, sur le fondement de l’article 95 de l’Acte Uniforme OHADA sur le Droit Commercial Général;
Subsidiairement,
– Fixer l’indemnité d’éviction au franc symbolique;
– Condamner Ibra GUEYE aux dépens d’instance et d’appel dont distraction selon l’usage;
Les débats ont été clos;
Sur quoi, Madame le Président a mis l’affaire en délibéré, pour l’arrêt à intervenir à la date du 26/07/2002;
DROIT
La cause en cet état, présentait à juger les différents points de droit résultant du dossier et des conclusions prises par les parties en cause;
QUID DES DEPENS ?
A la date du 26/07/2002, le délibéré fut prorogé au 16/08/2002;
Advenue l’audience publique et ordinaire de ce jour 16/08/2002, la Cour, mêmement composée, vidant son délibéré, a statué ainsi qu’il suit :
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en toutes leurs demandes, fins, moyens et conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi :
Considérant que par exploit en date du 09 novembre 2000, Ibra GUEYE a interjeté appel par jugement n° 1711 rendu le 25 octobre 2000 par le Tribunal Régional de Dakar, dans la cause l’ayant opposé à la Société Civile Immobilière AMINE; que le dispositif du jugement est ainsi rédigé :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en premier ressort;
– Reçoit l’action et la demande additionnelle de Ibra GUEYE et la demande reconventionnelle de la SCI AMINE;
– Déboute Ibra GUEYE de sa demande tendant à l’annulation du congé servi le 13 août 1999 par Me Yacine Ndiaye SENE, Huissier de Justice;
– Le déboute en l’état de sa demande d’indemnité d’éviction;
– Ordonne son expulsion des locaux, tant de sa personne, de ses biens que de tout occupant de son chef, dès le commencement des travaux de démolition et de reconstruction;
– Le condamne aux dépens »;
Considérant que l’appel a été relevé dans les conditions de forme et délai prescrites; qu’il convient de le recevoir;
AU FOND
Les FAITS
Considérant qu’il est constant que Ibra GUEYE exploitait un garage, sis sur le Titre Foncier n° 7788/DG au Point E - Rocade Fann Bel Air, en vertu d’un bail commercial conclu avec Mansour NIANG;
Que la SCI AMINE, nouveau propriétaire de l’immeuble, lui a servi un congé daté du 13 août 1999 pour le terme du 15 février 2000, pour démolition et reconstruction;
Que par exploit du 14 février 2000, Ibra GUEYE a fait notifier au nouveau propriétaire, un exploit tendant à contester le congé, avec assignation devant le Tribunal Régional de Dakar, qui a rendu le jugement présentement entrepris;
Considérant que pour obtenir l’infirmation du jugement, Ibra GUEYE, reprenant son argumentaire d’instance, sollicite l’annulation du congé, au motif que la SCI AMINE n’était pas recevable à lui notifier un congé, pour ne lui avoir pas notifié l’acte de cession de propriété dont elle se prévaut;
Qu’au cas où le congé devait être validé, il demande que la SCI AMINE soit condamnée à lui payer la somme de 10.000.000 FCFA à titre d’indemnité d’éviction, compte tenu de la situation géographique de l’immeuble et du chiffre d’affaire annuel de 80.000.000 FCFA réalisé par le garage; qu’il produit au dossier, diverses pièces tendant à prouver l’importance de son chiffre d’affaire;
Considérant que la SCI AMINE fait conclure, d’une part, qu’en dépit du fait qu’aucune disposition légale n’oblige le nouveau propriétaire à notifier son titre de propriété au preneur, elle a cependant notifié cette qualité à GUEYE, par lettre du 03 juin 1999 signifiée par voie d’huissier le 22 juin 1999, et que d’autre part, cette contestation de la qualité de propriétaire n’équivaut pas à une demande de renouvellement de nature à permettre au preneur de prétendre à une indemnité d’éviction;
Qu’elle estime enfin, qu’il lui est parfaitement loisible de refuser de payer l’indemnité d’éviction, comme l’y autorisent les dispositions de l’article 95 de l’Acte Uniforme OHADA sur le Droit Commercial Général, du fait de l’existence de motif grave et légitime tenant au paiement des loyers par le preneur qu’après réception du commandement daté du 23 mars 2000, pour payer ses loyers échus de juin 1999 au 31 mars 2000, et s’est abstenu depuis, de payer les loyers échus; que de plus, la modicité du loyer mensuel prouve que l’indemnité d’éviction de 10.000.000 F réclamée est injustifiée;
Considérant que par écritures du 21 mai 2002, Ibra GUEYE réplique que dans le cadre du bail à durée indéterminée, la demande de renouvellement est constituée par la contestation du congé qui est servi au preneur; que sur ce point, l’argumentation de la SCI AMINE doit être repoussée; qu’il paie régulièrement ses loyers, ainsi que cela est attesté par les lettres en date des 07 avril 2000 et 17 août 2002 prouvant le paiement des loyers échus de juin 1999 à mars 2002, et depuis, le bailleur refuse de recevoir les loyers pour pouvoir l’assigner en expulsion;
Considérant qu’il ressort d’un exploit de signification d’une lettre datée du 03 juin 1999, que la SCI AMINE a notifié à Ibra GUEYE sa qualité de nouveau propriétaire; que de plus, comme l’a relevé le premier juge, aucun texte de la loi n’impose cette notification pour la validité du congé;
Considérant qu’il est établi que la SCI AMINE, qui envisage de démolir pour reconstruire, n’a pas offert au preneur, un nouveau bail; qu’il est également constant que les locaux à reconstruire ont une destination différente de celle des locaux objet du bail;
Considérant qu’aux termes de l’article 95 in fine de l’Acte Uniforme, lorsque le bailleur n’offre pas un nouveau bail dans l’immeuble reconstruit, ou si les locaux ont une destination différente, l’indemnité d’éviction doit être payée au preneur;
Considérant que la SCI AMINE, qui s’oppose au paiement de cette indemnité, en prétendant pouvoir se prévaloir d’un motif grave et légitime à l’encontre du preneur, qui ne payait pas régulièrement ses loyers, ne prouve pas avoir servi une mise en demeure conforme aux dispositions de l’article visé; qu’en effet, s’il est établi que la SCI a fait servir commandement de payer à Ibra GUEYE, pour lui réclamer le paiement de dix mois de loyers, allant du 1er juin 1999 au 31 mars 2000, il est tout aussi avéré que dès le 07 avril 2000, le Conseil du preneur a fait tenir un chèque au Conseil du bailleur, en guise de paiement des loyers réclamés;
Que le fait que le preneur ait eu à accumuler plusieurs mois de loyers arriérés, postérieurement au commandement du 23 mars 2000, ne dispense pas le bailleur du paiement de l’indemnité, compte tenu d’une part, qu’il ne prouve pas avoir effectué des diligences pour quérir le loyer, et d’autre part, qu’il n’a pas servi un commandement mettant en demeure le preneur de devoir faire cesser le manquement aux obligations substantielles que le bail lui impose;
Considérant que Ibra GUEYE a produit au dossier divers documents non contestés, tendant à prouver qu’il réalisait un chiffre d’affaire annuel de quatre vingt millions (80.000.000) de francs; qu’il ne justifie pas cependant des investissements qu’il a réalisés; qu’il y a lieu, compte tenu du chiffre d’affaire sus indiqué, de fixer l’indemnité d’éviction à la somme de 3.000.000 FCFA et d’infirmer le jugement sur ce point;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Reçoit l’appel;
AU FOND
– Confirme le jugement, sauf en ce qu’il a débouté Ibra GUEYE de sa demande en paiement d’indemnité d’éviction;
Statuant à nouveau,
– Reçoit la demande, et y faisant droit, condamne la SCI AMINE à payer à GUEYE la somme de 3.000.000 FCFA au titre de l’indemnité d’éviction;
– Met les dépens à la charge de la SCI AMINE;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour d’Appel de Dakar, Chambre Civile et Commerciale en son audience publique et ordinaire du 16 août 2002, séant au Palais de Justice de ladite ville, Bloc des Madeleines, à laquelle siégeaient Madame Fatimatou KA, Président, Messieurs Papa Makayéré NDIAYE et Assane NDIAYE, Conseillers, et avec l’assistance de Me El Hadji Ayé Boun Malick DIOP, Greffier.
Et ont signé le Président et le Greffier.