J-05-62
BAIL COMMERCIAL – NON RENOUVELLEMENT DU BAIL PAR LE BAILLEUR – CONTESTATION SUR LA NATURE DU BAIL – BAIL A CARACTERE COMMERCIAL – REFUS DU PRENEUR DE QUITTER LES LIEUX AVANT LE VERSEMENT DE L’INDEMNITE D4EVICTION – IMPOSSIBILITE POUR LE PRENEUR DE PROUVER SON CHIFFRE D’AFFAIRES ET L’EXISTENCE D’INVESTISSEMENTS – DESIGNATION D’EXPERT INUTILE POUR DEFAUT D’ELEMENTS D’EVALUATION DE L’INDEMNITE.
Le bailleur a signifié un congé pour occupation personnelle. Le preneur a sollicité le renouvellement du bail. Le bailleur a signifié son refus de renouvellement. Le preneur refuse de vider les lieux, au motif que le bailleur ne lui a pas versé d’indemnité d’éviction, alors que celle-ci est due, puisqu’il se fait expulser d’un local à usage commercial (article 94 AUDCG). Le bailleur rétorque qu’il n’a pas à payer une telle indemnité, puisqu’il expulse sur le fondement de l’article 96 AUDCG
Il s’agit pour le juge, de fixer la destination des locaux et de déterminer les locaux sur lesquels la demande d’expulsion porte. Qu’en l'espèce, le bailleur ne vise que la boutique occupée par le preneur, qu’il s'agit d’un local à usage commercial. En vertu de l’article 69 AUDCG, le bail a donc une nature commerciale. La reprise des locaux ne peut donc être fondée sur l’article 96 AUDCG, qui ne concerne que les locaux à usage d’habitation. En conséquence, l’indemnité d’éviction doit être versée au profit du preneur. Cette indemnité doit être fixée par le juge, du fait du défaut d’accord des parties. Pour ce faire, le preneur qui a demandé le versement de cette indemnité aurait dû fournir les éléments nécessaires à sa fixation. Ce dernier est dans l’impossibilité de prouver l’existence d’investissement ni de rapporter le montant de son chiffre d'affaires, à cause de manquements aux obligations comptables. Le preneur ne peut invoquer la désignation d’un expert, celle-ci étant inutile, car il serait dépourvu d’instruments de travail objectifs. Dès lors, le juge ne peut fixer le montant de l’indemnité d’éviction qu’en vertu de la situation géographique du local.
Article 69 AUDCG
Article 94 AUDCG
Article 96 AUDCG
(Tribunal RÉGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR (SENEGAL), Jugement n° 234 du 31 janvier 2001, Héritiers de feu Alia SALL c/ El Hadj Ndiame TALLA).
Tribunal RÉGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR (SENEGAL)
Audience publique ordinaire du 31 janvier 2001
Le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar (Sénégal), statuant en matière civile, a, en son audience publique ordinaire tenue en la Salle des Audiences, le 31 janvier deux mille un, à laquelle siégeaient Monsieur Mouhamadou Bachir SEYE, Président de Chambre, Messieurs Cheikh Tidiane LAM et Chérif CISSE, Juges au Siège, Membres, en présence de Monsieur Saliou MBAYE, Substitut de Monsieur le Procureur de la Répu­blique, et avec l’assistance de Madame Maïmouna Bâ CISSE, Greffier rendu le jugement dont la teneur suit :
Ont comparu :
– Maître Augustin SENGHOR, Avocat à la Cour, pour les héritiers de Feu Alia FALL, à savoir : Amanatou, Astou, Mariétou, Mariama, Fama, Seydina Issa, Samba, Massamba, Mame Abdou, Mame Marie, Gallo et Aïta FALL, dont le siège est à Dakar, 125 Rue Carnot; PROPRIETAIRE;
– Maître Mamadou SENE, Avocat à la Cour pour Monsieur El Hadj Ndiamé TALLA, demeurant à Dakar; LOCATAIRE;
Lesquels nous ont exposé qu’ils comparaissent pour voir statuer sur la demande de renouvellement de bail du local à usage commercial, à la rue Fleurus x Galandou Diouf, formulée par les héritiers de feu Alia FALL, propriétaires, et qui est occupé par Monsieur Elhadj Ndiamé TALLA;
Sur cette requête, l’affaire a été inscrite au rôle particulier de l’audience du 07 septembre 1999, date à laquelle elle a été utilement retenue;
Maître Augustin SENGHOR, Avocat à la Cour, pour les héritiers de Feu Alia FALL, demandeurs, a lu, développé et déposé sur le bureau du Tribunal, les conclusions dont les dispositifs suivent :
Conclusions en date du 09 septembre 1999
– Déclarer l’action recevable;
AU FOND :
– Dire et juger que le sieur Elhadj Ndiamé TALLA ne peut prétendre à l’indemnité d’éviction;
SUBSIDIAIREMENT :
– En fixer le montant sur le fondement de l’article 94 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général;
– Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir;
Conclusions en date du 14 décembre 1999
– Adjuger aux concluants, l’entier bénéfice de leurs écritures;
Conclusions en date du 04 janvier 2001
– Dire n’y avoir lieu à ordonner une expertise et adjuger aux hoirs Alia FALL, l’entier bénéfice de leurs écritures principales, en ordonnant 1’expulsion du sieur Elhadj Ndiamé TALLA, des lieux loués;
– Ordonner l’exécution provisoire, nonobstant toutes voies de recours;
A son tour, Maître Mamadou SENE, Avocat à la Cour, pour Elhadj Ndiamé TALLA, défendeur, a lu, développé et déposé sur le bureau du Tribunal, les conclusions dont le dispositif suit :
Conclusions en date du 09 novembre 1999
PRINCIPALEMENT :
– Ordonner le sursis à statuer, jusqu’à ce que la contestation de congé soit tranchée;
SUBSIDIAIREMENT :
– Déclarer la demande des héritiers de Alia FALL irrecevable, pour défaut de qualité;
A titre infiniment subsidiaire :
– Dire que la demande de fixation d’indemnité d’éviction est sans objet, parce que fondée sur l’article 95 et non sur l’article 96 de l’Acte Uniforme sur le droit commercial général;
Conclusions en date du 07 décembre 1999
– Adjuger au concluant l’entier bénéfice de ses écritures;
Conclusions en date du 02 janvier 2001
PRINCIPALEMENT :
– Adjuger au concluant l’entier bénéfice de ses écritures;
SUBSIDIAIREMENT :
– Ordonner une expertise aux fins de déterminer l’indemnité d’éviction;
Conclusions en date du 11 janvier 2001
– Adjuger au concluant l’entier bénéfice de ses écritures;
SUR QUOI, NOUS JUGE DES LOYERS
Vu les pièces du dossier;
Ouï les Avocats des parties en leurs conclusions respectives;
Le Ministère Public entendu, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Attendu que par requête du 29 juin 1999, les héritiers de Feu Alia FALL ont saisi le Tribunal de céans, aux fins de procéder à la tentative de conci­liation sur la demande de renouvellement de bail formulée par le sieur Elhadj Ndiamé TALLA;
Que les parties convoquées à 1’audience du 07 septembre 1999, le Tribunal a constaté la non concilia­tion et renvoyé la cause en audience publique;
EN LA FORME :
Attendu que dans ses écritures du 09 novembre 1999, le défendeur soulève l’irrecevabilité de la demande, aux motifs que les demandeurs n’ont pas prouvé leur qualité d’héritier et de propriétaire;
Attendu que ces derniers ont répondu, dans leurs conclusions du 22 novembre 1999, que c’est en qualité d’héritiers propriétaires que le sieur TALLA leur avait adressé la demande de renouvellement, et c’est en vertu de cette double qualité qu’il leur a notifié une contestation de congé;
Attendu que pour régler définitivement cette question, le Tribunal avait rabattu son délibéré et ordonné la production du jugement d’hérédité;
Que les héritiers de Alia FALL ont produit un jugement d’hérédité N° 1263 du 20 juillet 2000 du Tribunal Départemental Hors Classe de Dakar, qui constate leur qualité d’héritiers;
Que l’exception doit donc être rejetée;
Attendu que le défendeur a également sollicité le sursis à statuer, aux motifs que le bien-fondé de l’indemnité d’éviction ne peut être appréciée qu’une fois réglé le différend portant sur la contestation du congé proprement dit;
Que les demandeurs ont répondu que la loi ne fait nullement obligation au bailleur, d’observer un délai entre la contestation du congé et la requête aux fins de fixation de l’indemnité;
Attendu que les différentes demandes délimitent le périmètre du litige; qu’en l’espèce, les demandes ne sont pas interdépendantes, de telle sorte que si l’on se prononce sur l’une, l’autre devient sans objet;
Que l’audience de conciliation est prévue pour réparer le différend à l’amiable; s’il y a eu échec, seule la voie contentieuse permet de trancher le litige;
Que dans la mesure où le sieur TALLA ne formule pas précisément une demande, mais propose un moyen de défense, les demandes ne peuvent être jugées que simultanément; qu’il échet de rejeter cette demande;
Attendu que la demande a été introduite confor­mément à la loi, il échet de la recevoir;
AU FOND :
Attendu qu’il est constant comme résultant des débats et de la procédure, que les parties sont liées par un bail portant sur un local à usage commercial, conclu le 04 février 1984;
Que par exploit de Elisabeth TINE, les héritiers FALL ont signifié au locataire, un préavis de congé pour occupation personnelle devant expirer le 25 mai 1999;
Que par autre exploit du 17 mai 1999 de Adama DIA, Huissier, Ndiamé TALLA a sollicité le renouvelle­ment du bail;
Que suivant autre exploit du 02 juin 1999, les héritiers FALL ont signifié au preneur, leur opposition à la demande de renouvellement;
Que le sieur TALLA refuse de vider les lieux, arguant du non paiement de l’indemnité d’éviction;
Attendu que dans leurs conclusions du 09 septem­bre 1999, les héritiers FALL ont rappelé que le préavis en date du 25 novembre 1998 mentionne clairement qu’il s’agit d’un congé pour occupation personnelle; que l’opposition est fondée sur les articles 94 et 96 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général;
Qu’ils ont également soutenu que le locataire est mal fondé à solliciter le paiement d’une indemnité d’éviction; que si tel n’était pas le cas, que le Tribunal fixe l’indemnité sur le fondement de l’article 94 de AUDCG;
Attendu qu’en réponse, le défendeur a plaidé que la demande de fixation d’indemnité d’éviction est sans objet, parce que fondée sur l’article 96 et non sur l’article 95 du texte précité; qu’il estime que les héritiers limitent le refus de renou­vellement aux seuls locaux d’habitation accessoires censés occupés, en plus des locaux principaux;
Que les locaux principaux, qui sont à usage commercial, ne sont pas concernés par l’opposition;
Qu’il précise également qu’il n’occupe pas de locaux d’habitation accessoires;
Qu’en réplique, les héritiers FALL précisent que le congé qui a été servi le 25 novembre 1998 suivant exploit de Elisabeth TINE, ne fait aucune distinction entre des locaux principaux ou acces­soires;
Que cette distinction ne résulte non plus de l’opposition à la demande de renouvellement;
Attendu que dans sa note au cours du délibéré, Ndiamé TALLA a fait allusion à la désignation par le Tribunal, d’un expert, afin de déterminer son chiffre d’affaires sans pour autant formuler expressément la demande;
Qu’à sa suite, les héritiers FALL ont répondu que la désignation d’un expert ne constitue nullement un obstacle à l’expulsion du défendeur, qui a contesté le congé sans être en mesure de produire les justifi­catifs de son chiffre d'affaires;
Attendu qu’il échet de régler de prime abord, la nature des locaux sur lesquels porte le bail;
Que s’il est mentionné dans le contrat produit aux débats, le terme de local à usage d’habitation, les affirmations des parties dans leurs conclusions permettent de déterminer le local concerné avec exacti­tude;
Que le preneur soutient qu’il n'occupe pas des locaux accessoires à usage d’habitation, sans être démenti par le bailleur; qu’à sa suite, les bailleurs visent sans cesse un bail portant sur une boutique, sans faire allusion à des locaux d’habitation acces­soires au local principal, dans lequel il n’est pas discuté ni contredit que le preneur exploite une activité commerciale;
Que selon l’article 69 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général, c’est la destination des locaux qui détermine la nature commerciale du bail;
Qu’en l’espèce, dans la mesure où les bailleurs visent précisément la boutique occupée par le preneur, et que ce dernier soutient qu’il occupe seulement le local à usage commercial, il va sans dire que le litige porte sur cet unique local à usage commercial et devra être réglé selon les dispositions qui régissent le bail commercial;
Qu’il y a lieu de préciser également que si le preneur reconnaît qu’il ne s’est pas conformé aux obligations comptables qui s’imposaient à elle, notamment le terme de livres et autres documents, la désignation d’un expert s’avère dès lors inutile, parce qu’il sera dépourvu d’instruments de travail objectifs;
Attendu qu’aux termes de l’article 94 de l’AUDCG, le bailleur qui s’oppose au renouvellement doit verser une indemnité d’éviction, qu’il appartient à la juridiction compétente de fixer, à défaut d’accord entre les parties;
Que cependant, l’article 95 du même texte ne pose une désignation aux termes de laquelle le bailleur n’a pas à verser d’indemnité, que dans deux cas précis : s’il justifie d’un motif grave et légitime à 1’encontre du preneur, d’une part, et s’il envisage de démolir 1’immeuble comprenant les lieux loués, d’autre part;
Attendu qu’en l’espèce, le bailleur fonde son refus de renouvellement sur le motif de l’occupation personnelle et prétend que dans ce cas, il n’a pas à régler l’indemnité, alors qu’il s’agit d’un bail commercial;
Que ce moyen est doublement inopérant, parce que l’Acte uniforme précité ne prévoit pas un tel motif de reprise, pour un local à usage commercial, comme c’est le cas en l’espèce, mais aussi, parce que c’est le bailleur qui a saisi le Tribunal pour la fixation de l’indemnité; qu’ainsi donc, il marque son accord sur le principe du paiement de l’indemnité, et qu’il ne demande au Tribunal que de fixer le quantum;
Que s’agissant de la fixation de cette indemnité, le Tribunal tient compte du montant du chiffre d’affaires, des investissements réalisés, et de la situation géographique du local, étant précisé que ces critères sont indicatifs;
Attendu qu’en l’espèce, le Tribunal avait rabattu son délibéré et demandé au preneur de produire les justificatifs de son chiffre d’affaires; que celui-ci n’a pas déféré à cette mesure; qu’il échet, à défaut pour celui-ci de prouver l’existence d’investissements réalisés sur le local, de se rabattre sur la situation géographique du local, pour déterminer l’indemnité d’éviction;
Que tenant compte de ce critère, il serait juste d’allouer au preneur, la somme de 800.000 F et condamner les bailleurs au paiement;
Attendu qu’aucun péril ou urgence n’ayant été démontré, il n’y a lieu à exécution provisoire;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort;
EN LA FORME :
– Rejette l’exception d’irrecevabilité;
– Reçoit l’action;
AU FOND :
– Fixe l’indemnité d’éviction à la somme de 800.000 F (Huit Cent Mille Francs);
– Condamne les héritiers de feu Alia FALL au paiement;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire;
– Condamne le défendeur aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé le Président et le Greffier.
Article 94 AUDCG :
« Le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, en réglant au locataire une indemnité d’éviction.
A défaut d’accord sur le montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente, en tenant compte notamment du montant du chiffres d’affaires, des investissements réalisés par le preneur, et de la situation géographique du local. »
Article 96 AUDCG :
« Le bailleur peut en outre, sans versement d’indemnité d’éviction, refuser le renouvellement du bail portant sur les locaux d’habitation accessoires des locaux principaux, pour les habiter lui-même ou les faire habiter par son conjoint ou ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint.
Cette reprise ne peut être exercée lorsque le preneur établit que la privation de jouissance des locaux d’habitation accessoires apporte un trouble grave à la jouissance du bail dans les locaux principaux, ou lorsque les locaux principaux et les locaux d’habitation forment un tout indivisible. »