J-05-175
SURETES – NANTISSEMENT D’UN FONDS DE COMMERCE – SAISIE CONSERVATOIRE DES MEUBLES GARNISSANT LE FONDS DE COMMERCE – CESSATION D’ACTIVITE DU FONDS NANTI – DEMANDE DE DISTRACTION DES MEUBLES SAISIS PAR L’EXPLOITANT DU NOUVEAU FONDS.
DROIT COMMERCIAL GÉNÉRAL – FONDS DE COMMERCE – CESSION – PREUVE – SOMMATION INTERPELLATIVE (NON) – SAISIE CONSERVATOIRE DES MEUBLES GARNISSANT LE FONDS – RÉGULARITÉ (NON) – MAINLEVÉE.
En présence d’un nouvel exploitant de fonds de commerce et d’un nouveau fonds de commerce dans les lieux où se situait précédemment un fonds nanti, le créancier ne peut pratiquer une saisie conservatoire des meubles garnissant les lieux sauf à démontrer l’existence d’une cession de fonds entre le précédent et l’actuel exploitants dudit fonds.
La sommation interpellative n'étant pas une forme de cession, le créancier poursuivant ne présente aucun acte de cession conformément à l'article 117 de l'Acte uniforme relatif au Droit Commercial Général.
Dès lors, doit être déclarée nulle la saisie pratiquée sur les biens.
Article 117 AUDCG
Article 120 AUDCG
(Cour d'Appel d'Abidjan, Chambre Civile et Commerciale Arrêt N° 206 du 25 Février 2003, Q…c/ Société Montparnasse, Le Juris Ohada n° 4/2004, p. 38 ).- Note Joseph ISSA-SAYEGH.
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ensemble, l'exposé des faits, procédure prétentions des parties et motifs ci-après;
Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé, en dernier ressort sur l'appel relevé le 24 décembre 2002 avec ajournement au 07 janvier 2003 par Q… ayant pour conseil Maître AGNES OUANGUI, de l'ordonnance de référé n° 5600 rendue le 10 décembre 2002 par la Juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, non encore signifiée, dont le dispositif est libellé comme suit :
"Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé d'heure à heure et en premier ressort;
– Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, mais dès à présent, vu l'urgence et par provision;
– Recevons la Société MONTPARNASSE en son action;
– L'y disons bien fondée;
– Déclarons nulle la saisie conservatoire pratiquée le 22 novembre 2002 sur ses biens meubles;
– En ordonnons conséquemment la main-levée;
– Mettons les dépens à la charge du défendeur";
Considérant qu'aux termes de son appel, Q. expose que par acte notarié daté du 18 avril 1995 dressé par Maître CHEICIKNA SYLLA, il a consenti un prêt de 20.000.000 F/CFA à Dame M.;
Qu'aux termes du même acte et pour garantir le remboursement de cette dette, le sieur A. agissant en sa qualité de caution solidaire, a affecté à titre de nantissement de premier rang et sans concurrence un fonds de commerce du Bar Restaurent dénommé le "SAXO" à son profit;
Que par cet acte notarié, une personne (promesse ?) de vente du fonds de commerce et un droit au bail lui ont été consentis;
Que pour protéger ses intérêts, il a sollicité et obtenu du greffe du Tribunal, un certificat de nantissement n° 752 du 04 mai 1998;
Que suite au non paiement de l'intégralité de la créance due par dame M., le Tribunal, a, par jugement n° 198/CIV/7 du 28 mars 2001, ordonné la réalisation du nantissement du fonds de commerce qui avait été constitué en garantie au paiement de ladite créance;
Que sur la base de cette décision devenue définitive par l'obtention d'un certificat de non appel n° 997/02 du 26 avril 2002, il a fait pratiquer une saisie conservatoire sur les biens constituant le fonds de commerce, objet du nantissement constitué à son profit;
Qu'à sa grande surprise, la Société MONTPARNASSE se disant propriétaire du fonds de commerce querellé, a sollicité et obtenu juge des référés, la mainlevée de la saisie conservatoire du 22 novembre 2002 au motif que la société MONTPARNASSE n'étant pas créancière (débitrice ?) de l'appelant, c'est à tort que celui-ci a pratiqué une saisie conservatoire sur ses biens meubles;
Considérant qu'après ce rappel, Q. estime que c'est à tort que le juge des référés a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire de biens meubles par lui pratiquée le 22 novembre 2002;
Que ce droit de suite a pour conséquence de lui permettre d'exercer ses droits sur ledit fonds de commerce, même si celui-ci fait postérieurement, l'objet d'une aliénation;
Qu’il conclut, en conséquence, à !'infirmation de l'ordonnance attaquée;
Considérant que la société le MONTPARNASSE explique par ses conseils Maîtres KOUASSI ALLAH et BOUHOUSSOU que le 22 octobre 2002, le sieur Q… lui a signifié un jugement civil n° 198/civ/l/ rendu le 28 mars 2001 par le Tribunal de première instance d'Abidjan dans la cause qui l'oppose à ses débiteurs, dame M, épouse M. et le sieur à A., précédemment détenteur du fonds de commerce , le restaurant « SAXO » donné en nantissement à l'appelant;
Que n’étant nullement concerné par cette décision de justice, le gérant de la société le MONTPARNASSE à qui cet acte de signification était délivré précisait à l'huissier qu’il n’était pas concerné par le litige;
Que contre toute attente, près d'un an plus tard, par exploit du 22 novembre 2002, Q…pratiquait saisie conservatoire sur les biens garnissant le restaurant ,
Que c’est ainsi que le Juge des référés saisi a rendu la décision querellée;
Considérant que la Société intimée soutient que c'est à juste titre que le juge des référés s’est fondé sur le fait que la société le "MONTPARNASSE" qui exploite le restaurant le "MONTPARNASSE" n'est pas la débitrice du sieur Q. et que, de ce fait, ses biens ne peuvent faire l'objet d'une saisie pour couvrir le montant d’une créance pour laquelle elle n'est nullement concernée;
Qu’elle fait valoir que le fonds de commerce le restaurant le "MONTPARNASSE" e et est distinct totalement du fonds du sieur M. à savoir le "SAXO" qui a cessé toute activité en décembre 1996 alors que le MONTPARNASSE" a été créé en août 2002;
Que cela est d'autant plus vrai qu'il n'y a eu aucun acte de cession du fonds de commerce conformément à l'article 120 de l'acte uniforme sur les sûretés;
Qu’enfin elle indique qu'il ressort d'un procès-verbal de constat en date du 18 décembre 1996 conforté par une attestation du Greffe du Tribunal d'Abidjan que le fonds de commerce le "SAXO" du sieur M. n'est pas nanti vu que la sûreté ne figure pas dans le registre de nantissement détenu par ledit Greffe;
Que la formalité de l'enregistrement faisant défaut, le nantissement est nul et de nul effet si bien que le prétendu droit de suite ne peut s’exercer;
Qu’elle demande donc la confirmation de l'ordonnance entreprise;
Considérant que par des répliques en date du 10 janvier 2003, Q. soutient que, contrairement aux affirmations de la société MONTPARNASSE, l'existence du fonds " n'a pas pris fin juridiquement par la cessation des ses activités;
Qu'en effet, fait-il préciser que le sieur A. en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce le "SAXO", l'a cédé au sieur L. qui l'a rebaptisé" L'ELYSSEE";
Que ce dernier a été cédé au sieur P., actuel propriétaire du fonds e commerce le "MONTPARNASSE";
Qu'il estime que c'est le fonds de commerce initial le " SAXO " qui a été rebaptisé "MONTPARNASSE" ce, à la suite d'un changement de propriétaire;
Qu'il ajoute que le fonds de commerce le "MONTPARNASSE" a le même emplacement que celui du "SAXO" et mène des activités identiques;
Qu'il s'agit donc du même fonds de commerce;
Que par ailleurs, Q. fait valoir que le certificat de non nantissement produit ultérieurement par le Greffier en Chef du Tribunal pour affirmer que le "SAXO" est pas nanti, contient de nombreuses irrégularités;
Que notamment, le certificat litigieux ne possède aucun numéro et il n'a pas été établi sur papier à entête du Greffe comme c'est le cas généralement pour les divers actes délivrés par ce service;
Qu'un tel acte est nul;
Qu'en tout état de cause, estime, Q., le certificat de nantissent n° 752 du 04 mai 1998 produit en original et l'acte d'inscription du privilège de nantissement enregistré au greffe 17 mai 1995 établissent clairement que le fonds de commerce le "SAXO" a été bel bien nanti à son profit;
Que le changement de propriétaire ne saurait porter atteinte à son droit de suite sur ledit fonds de commerce;
Qu'il conclut que c'est à juste titre qu'il a fait pratiquer une saisie conservatoire sur les biens meubles de la société MONTPARNASSE "second acheteur du fonds de commerce qui a fait l'objet d'un nantissement à son profit;
Considérant que la société le MONTPARNASSE répond que le sieur P. n'est pas propriétaire du restaurant le MONTPARNASSE mais il est plutôt le gérant de la Société "MONTPARNASSE" , propriétaire dudit fonds;
Qu'elle précise que s'il est vrai que le restaurant le MONTPARNASSE le restaurant le "SAXO" ont la même activité et ont été implantés dans le même local, cela ne signifie pas qu'il s'agit d'une cession, surtout qu'il s'est écoulé plusieurs années entre la fin du premier et la création du second;
Qu'elle réaffirme qu'il ressort du procès-verbal de constat d'huissier que le numéro 39 n’existe pas aussi dans le registre du nantissement de fonds de commerce de l'année 1995 que les deux registres pour cette année se terminent par les numéros 35 et 36 pour le premier et le second;
Que c'est à la suite de constat d'huissier que le certificat de non nantissement a été établi par le Greffe du Tribunal;
Que cette irrégularité a pour effet de rendre immédiatement exigible la dette, le créancier pendant (perdant ?) le bénéficiaire (bénéfice ?) de la garantie, selon le traité OHADA;
Que la perte de la garantie qu'est le nantissement a pour effet de rendre impossible l'exercice du droit de suite attaché à ladite garantie;
Considérant que par d'autre répliques, Q. fait valoir que ses affirmations relatives à la cession du fonds de commerce initial le "SAXO" sont confirmées par une sommation interpellative faite par exploit du 17 janvier 2003, versé aux débats;
Considérant que la société le MONTPARNASSE répète que Q. ne produit pas à l'appui des ses prétentions un acte de cession mais plutôt une sommation interpellative qui fait ressortir que dans le même espace locatif plusieurs fonds de commerce s'y dont installés;
Considérant que l'intimée a conclu, il convient de statuer contradictoirement;
DES MOTIFS
EN LA FORME
Considérant que l'appel intervenu dans les formes légales avant la signification de l'ordonnance de référé querellée est recevable;
AU FOND
Considérant que par acte droit de suite (sic), il peut exercer ses droits de créancier sur ce fonds de commerce entre quelques mains où il se trouve;
Que cependant, il ne fait pas la preuve que le fonds de commerce le "MONTPARNASSE" constituée le 09 août 2001, était initialement le fonds de commerce le "SAXO".
Qu'en effet, il ne produit aucun acte de cession conformément à l'article 117 de l'Acte uniforme relatif au droit Commercial Général; la sommation interpellative du 17 janvier 2003, n'étant aucune forme de cession;
Que dès lors c'est à juste titre que le premier juge a déclaré nulle la saisie pratiquée sur les biens de la Société le "MONTPARNASSE";
Que cette décision à tort querellé mérite d'être confirmée;
Des dépens;
Considérant que l'appelant succombe, il doit supporter les dépens;
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME
Déclare Q. recevable en son appel relevé de l'ordonnance de référé n° 5600 rendue le 10 décembre 2002 par la juridiction Présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
AU FOND
L'y dit mal fondé;
L'en déboute;
Confirme ladite ordonnance;
Le condamne aux dépens distraits au profit de Maîtres KOUASSI ALLAH et BOHOUSSOU, Avocats aux offres de droit.
Présidente : Mme BLE SAKI IRENE
Note de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur
Cette décision est relative à des faits qui apparaissent bien confus si on en juge par la description qui en est donnée dans ce document. Il est dommage qu’à la confusion des faits rapportés par les plaideurs s’ajoute celle de la rédaction même de la décision.
Une caution donne en garantie de son engagement, un nantissement sur son fonds de commerce (il s’agit donc d’une caution réelle). Le débiteur principal et la caution n’ayant pas honoré leurs engagements, le créancier pratique une saisie conservatoire sur les meubles garnissant le local dans lequel se trouve le fonds. C’est alors que l’exploitant du fonds (personne distincte du débiteur principal) demande mainlevée de cette saisie en prétendant que le précédent fonds avait cessé d’exister par suite de cessation d’activité et que c’est une tout autre entreprise qui se trouve actuellement dans les lieux même si son activité est identique à celle de la précédente (restauration). Le juge adhère à ce raisonnement et ordonne la mainlevée de la saisie.
Cette décision est étonnante car elle fait fi de la réglementation de la publicité au registre du commerce et du crédit mobilier. Le nantissement avait bien été inscrit et mentionnait bien l’existence d’un fonds de commerce et l’immatriculation du débiteur. En conséquence, si le fonds avait disparu, cette disparition aurait dû être inscrite au registre et le propriétaire du fonds, radié. Or, une telle preuve n’est pas rapportée et le juge ne s’en est pas soucié, ce qui est regrettable car c’était là le nœud du problème qui pouvait résider aussi bien en : une fraude entre l’ancien et le nouvel exploitant du fonds : une cession dissimulée du fonds; une succession d’entreprise. La conséquence d’une telle carence de preuve eût été de considérer que c’était le même fonds et le même propriétaire qui étaient donc en place au moment de la saisie conservatoire pratiquée.
S’il existe un registre du commerce, c’est bien pour qu’il serve à éviter ce genre de situations confuses dans lesquelles se complaisent les commerçants peu scrupuleux. Il ne faut donc pas que les juges y prêtent la main, même involontairement.