J-05-42
DROIT COMMERCIAL GENERAL CONTRAT DE VENTE – ARTICLE 1626 DU CODE CIVIL – SAISIE DU BIEN VENDU – EVICTION DE L'ACQUEREUR – OBLIGATION DU VENDEUR – GARANTIE D'EVICTION – CONNAISSANCE PAR L'ACQUEREUR DU RISQUE D'EVICTION (NON) – VENTE AUX RISQUES ET PERILS (NON) – CONNAISSANCE DU RISQUE D'EVICTION PAR LE VENDEUR – MAUVAISE FOI DU VENDEUR – RESOLUTION DE LA VENTE – DOMMAGES – INTERETS.
Article 230 AUDCG
Lorsque l’acheteur d’un bien mobilier est évincé de sa propriété par un tiers revendiquant, il est en droit de faire jouer la garantie d’éviction due par le vendeur en application de l’article 1640 du code civil.
(Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou 26 Mars 2003, NJM c/ RJF, Revue burkinabé de droit, n° 43-44, 1er et 2ème semestres 2003, p. 149, note (critique) Pierre Meyer.).
LE TRIBUNAL
FAITS - PRETENTIONS DES PARTIES - PROCEDURE
Suivant acte sous seing privé en date du 15 mars 2000, Monsieur R.J.F, vendait à N.J.M. pour le prix de quatorze millions (14 000 000) de francs CFA un ensemble routier composé d'un tracteur et d'une semi-remorque; cet ensemble routier faisait l'objet d'une saisie revendication d'un tiers en territoire togolais le 27 octobre 2000;
Par acte extrajudiciaire daté du16 mars 2001, N.J.M., pour lequel est élu domicile en l'étude de Maître René A.
OUEDRAOGO, Avocat à la Cour, assignait en résolution de contrat de vente J.F.R.et R. née T. P. pour :
voir déclarer son action recevable;
voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat conclu le 15 mars 2000;
condamner solidairement R.J.F.et son épouse à restituer, outre le prix de l'ensemble routier, les frais de toute nature
liés à l'acquisition de l'ensemble routier;
condamner les défendeurs à lui payer des dommages - intérêts d'un montant de 2.000.000 de francs;
ordonner l'exécution provisoire et enfin mettre les dépens à leur charge;
Au soutien de son action, N.J .M. expose qu'il a acheté un tracteur routier auprès de l'entreprise Sélect International représentée par les époux R., il explique que la vente étant conclue, les époux R. lui devaient une garantie contre l'éviction selon les articles 1603 et 162S du Code Civil; terminé son argumentation en relevant que le véhicule ayant fait l'objet d'une saisie revendication en territoire togolais, saisie revendication convertie en saisie - vente, les époux R. ont failli à leur obligation de garantie;
En réplique les époux R. relèvent que le tracteur routier avait fait l'objet d'une vente antérieure et que le précédent acheteur n'avait pas respecté les obligations lui incombant en tant qu'acheteur; que le tracteur routier a alors été vendu au demandeur;
Les époux R. expliquent que la vente du 15 mars 2000 est parfaite car ne comportant aucun vice, et qu'enfin concluent au rejet des prétentions de N.J .M. en ce qu'il a acheté le tracteur à ses risques et périls;
MOTIFS DE LA DECISION DE LA VENTE
Attendu que les époux R. (étaient) représentants de Sélect International et qu'à ce titre R.J.F. vendait à Monsieur A. de nationalité togolaise un tracteur routier; Que la vente qui portait sur un tracteur routier était la propriété de Sélect International par l'effet d'une clause résolutoire insérée dans une précédente vente; Que la chose et le prix étant déterminée, la vente faite le 15 mars 2000 est juridiquement valable;
DE LA GARANTIE
Attendu que l'article 1626 du Code Civil décide que, quoique lors de la vente, il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé, de droit, à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu;
Que l'hypothèse dans laquelle le vendeur ne serait pas tenu de restituer le prix est celle dans laquelle l'acquéreur aurait connu lors de la vente le danger de l'éviction ou qu'il ait acheté à ses risques et périls;
Attendu que N.J.M. a acheté un tracteur routier à Sélect Internationalle15 mars 2000; Que depuis le 27 octobre 2000, le tracteur routier faisait l'objet d'une saisie en territoire togolais; Que cet état de fait s'analyse en une éviction de l'acquéreur de la jouissance paisible de son bien en l'occurrence le tracteur routier;
Que Sélect International représenté par J.F.R. et soni épouse ont violé une obligation découlant du contrat de vente en ne garantissant pas la " possession paisible de la chose vendue; Que la violation par R.J.F. et son épouse de
l'obligation de garantie contre l'éviction entraîne la résolution du contrat de vente;
Attendu qu'il est de règle que lorsqu'un contrat est résolu, il y a lieu de procéder à des restitutions;
Attendu que pour se dérober à cette obligation de restitutions, les défendeurs invoquent l'article 1629 du Code Civil qui veut qu'il n'y ait point de restitution lorsque l'acquéreur avait connaissance lors de la vente du danger de l'éviction ou qu'il ait acheté à ses risques et périls;
Attendu cependant que le Tribunal ne dispose d'aucun élément d'appréciation sur le fait qu'il existait un danger ou ait acheté à ses risques et périls;
Que par contre, il apparaît que les défendeurs avaient connaissance des contestations qui pouvaient avoir lieu sur le tracteur routier; Que malgré cela, ils l'ont vendu exposant ainsi les éventuels acheteurs à la réaction du premier acquéreur;
Qu'en agissant ainsi, ils prouvent leur mauvaise foi et doivent être condamnés à des dommages - intérêts dont le montant fixé à un million (1 000 000) de francs CFA est raisonnable; -
Qu'en tout état de cause, il y a lieu d'ordonner le remboursement des sommes suivantes :
montant du tracteur routier…14000000
frais d'expertise…65 000
frais de douane…850 000
frais de mise en consommation…375 000
assurance…713694
coût d'une batterie…115 000
achat pneumatique…3 254034
Qu'il y a lieu enfin d'assortir la présente décision de l'exécution provisoire, l'éviction ayant eu lieu depuis octobre 2000, le demandeur n'ayant ni ses numéraires ni le tracteur routier;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort :
En la forme : déclare N.J.M. recevable en son action;
Au fond : prononce la résolution de la vente intervenue le 15 mars 2000 entre les parties; Condamne solidairement J.F.R. et madame R. née T.P. représentants de Sélect International à payer à N.J.M. la somme principale de quatorze millions (14 000 000) de francs et celle de un million (1 000000) de francs à titre de dommages et intérêts;
Les condamne au remboursement des frais suivants exposés par NIKIEMA Jean - Marie :
– frais d'expertise 65 000F
– la visite technique 56 000F
– frais de douane. 850 000F
– frais de mise en consommation 375 000F
– assurance 713 694F
– coût d'une batterie 115 000F
– achat des pneumatiques 3 254 034F;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement; Condamne J.F.R. ET R. aux dépens.
OBSERVATIONS
Ce jugement du tribunal de grande instance de Ouagadougou connaît d'une institution du droit de la vente, la garantie d'éviction du fait des tiers, dans un domaine où elle a très rarement l'occasion de s'appliquer, celui des ventes mobilières.
En l'espèce, l'acheteur d'un tracteur routier soutenait avoir été évincé dans la mesure où le bien acquis avait fait l'objet d'une saisie revendication, convertie, ensuite, en saisie-vente. En conséquence, il demandait le bénéfice de la garantie d'éviction due, selon lui, aux termes des articles 1603 et 1625 du Code civil. Plus précisément, les effets de la garantie d'éviction dont il demandait le bénéfice consistaient en la résolution de la vente, le remboursement du prix d'achat et de divers frais exposés lors de l'acquisition et enfin la condamnation des vendeurs au payement de dommages-intérêts. Les vendeurs se défendaient en arguant essentiellement de ce que le commerçant acquéreur du tracteur routier aurait acquis celui-ci à ses risques et périls. Le tribunal fait droit à la demande de l'acquéreur en prononçant la résolution de la vente, en accordant le remboursement du prix d'achat et de divers frais exposés par l'acheteur et en condamnant les vendeurs au payement d'une somme de un million à titre de dommages- intérêts.
On peut d'abord s'interroger sur le fondement légal invoqué par le demandeur en garantie. Il invoque en effet certaines dispositions du Code civil établissant les garanties dues par le vendeur (art.1603) et spécifiquement la garantie d'éviction (art. 1625). La vente, dans le cas d'espèce, avait un caractère commercial en ce qu'elle avait été conclue entre des commerçants. Par conséquent, il était inexact, pour l'acquéreur, d'invoquer, à l'appui de ses prétentions des dispositions du Code civil. De même, il était inexact pour le tribunal de fonder la garantie sur l'article 1626 du Code civil. Depuis la mise en vigueur de l'Acte uniforme sur le droit commercial général, le premier janvier 1998, la vente commerciale est régie par les articles 202 à 288 dudit acte, Plus précisément, la garantie d'éviction est spécifiquement visée par l'article 230 qui dispose que «Le vendeur doit livrer des marchandises libres de tout droit ou prétention d'un tiers, à moins que l'acheteur n'accepte de prendre les marchandises dans ces conditions »1. Le fondement légal de la prétention de l'acquéreur à la garantie d'éviction était donc cette disposition de l'acte sur le droit commercial général.
La garantie d'éviction du fait des tiers oblige le vendeur à empêcher des tiers d'évincer totalement ou partiellement l'acheteur. Il. faut noter que la garantie est due alors même que l'éviction n'est pas réalisée mais qu'il pèse sur .l'acheteur une menace d'éviction. Pour reprendre les termes employés par l'Acte uniforme sur le droit commercial général, il suffit qu'un tiers fasse valoir une prétention pour que la garantie soit due. A fortiori, la garantie est due lorsque l'acheteur se trouve évincé, c'est-à-dire lorsque le droit de l'acquéreur a disparu ou lorsque l'acquéreur a dû délaisser au tiers une partie de ses droits. Dans la première hypothèse, il y a éviction totale et, dans la seconde situation, éviction partielle.
En pratique, la garantie d'éviction du fait des tiers trouve très rarement à s'appliquer dans les ventes de biens mobiliers corporels 2 puisque l'acheteur est protégé par sa possession pour autant que celle-ci soit de bonne foi (article 2279 du Code civil). On est donc en droit de s'interroger sur les conditions de l'éviction dans l'affaire soumise à la juridiction de Ouagadougou. Le jugement fait état d'une «saisie-revendication» convertie en «saisie- vente ». La saisie-revendication, organisée par les articles 227 à 235 de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution, est une saisie conservatoire effectuée non pas aux fins de recouvrement d'une créance mais aux fins de remise ou de restitution d'un meuble corporel. Le champ d'application de cette saisie est en pratique très limité en raison de la règle aux termes de laquelle la possession vaut titre. Pour q'une telle saisie puisse être pratiquée, il faut que le possesseur soit de mauvaise foi ou qu'un bien ait été perdu ou volé et qu'il se trouve détenu par un tiers même de bonne foi3. On ne s'explique donc pas très bien comment, dans le cas d'espèce, la saisie-revendication a pu être pratiquée. On s'explique encore moins comment elle a pu être convertie en saisie-vente. En effet, l'issue d'une saisie-revendication n'est pas une saisie- vente mais une saisie-appréhension régie par les articles 219 à 226 de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution. La saisie-vente suppose, en effet, une créance qui n'existe pas dans la saisie - revendication. On ne s'explique donc pas, a priori, comment une saisie-revendication peut être transformée en saisie-vente.
En principe, lorsque le bien qu'il a acquis est revendiqué par un tiers, l'acheteur, menacé d'éviction, dispose d'un choix : soit appeler son vendeur en garantie, soit se défendre contre la revendication du tiers et agir, ensuite, contre son vendeur. C'est la voie choisie par l'acheteur dans la présente affaire. Aucun élément du jugement ne permet de déceler que l'acquéreur ait appelé son vendeur en garantie incidente. Cette alternative est cependant périlleuse. En effet, le vendeur peut reprocher à son acquéreur de ne pas l'avoir appelé en garantie afin de faire valoir des moyens de défense contre l'éviction. Dans le cas d'espèce, on aurait pu imaginer que les vendeurs invoquent une telle situation pour au moins deux raisons. La première tient aux circonstances quelque peu mystérieuses de l'éviction auxquelles il est fait allusion ci-dessus. La deuxième raison s'explique par le fait que le système de référence, dans la présente affaire, a été celui du Code civil. Or, l'article 1640 de ce code prévoit que le vendeur n'est plus tenu à garantie «lorsque l'acquéreur s'est laissé condamner par un jugement en dernier ressort, ou dont l'appel n'est plus recevable, sans appeler son vendeur, si celui-ci prouve qu'il existait des moyens suffisants pour faire rejeter la demande ». Si le vendeur précise les moyens et arguments qui auraient permis de vaincre l'éviction ainsi que leur pertinence, il peut donc légalement refuser de continuer à garantir l'acheteur si celui-ci ne l'a pas appelé en garantie incidente.
Pourtant, dans la présente affaire, tel n'est pas le moyen de défense soulevé par les vendeurs attraits en garantie. Ils préfèrent invoquer l'acquisition aux risques et périls par l'acheteur. Il est exact que l'acheteur qui a acheté en connaissant le risque d'éviction a acheté à ses risques et périls et ne peut ensuite demander garantie à son vendeur. En achetant en connaissance du risque d'éviction, il a manifesté son accord de conclure un contrat aléatoire. L'acheteur est, cependant, présumé ignorer le risque d'éviction ce qui oblige le vendeur à prouver la connaissance du risque d'éviction par l'acquéreur. Or, dans la présente affaire, le vendeur n'apporte nullement la preuve que son acquéreur connaissait le risque d'éviction. Par contre, le tribunal relève que les vendeurs, eux, connaissaient le risque d'éviction et que « malgré cela, ils l'ont vendu [le tracteur] exposant ainsi les éventuels acheteurs à la réaction du premier acquéreur ». Le tribunal conclut, par conséquent, à la mauvaise foi des vendeurs. Il est exact que l'obligation d'information mise à la charge du vendeur l'oblige, en principe, à informer 4 son acheteur des litiges susceptibles d'affecter la chose vendue. La sanction du défaut d'information est précisément constituée de l'obligation de garantie 5. La sanction du défaut d'information cesse d'être due lorsque l'acheteur ne pouvait ignorer le vice juridique infectant la chose, ou plus généralement, lorsqu'il a fait preuve d'une imprudence manifeste et coupable. Dans le cas d'espèce, rien ne vient étayer l'une ou l'autre de ces situations. On peut donc approuver le jugement rendu en regrettant, toutefois, de n'être pas davantage informé sur les circonstances de l'éviction et des raisons qui ont pu inciter les vendeurs à ne pas se prévaloir du défaut d'appel en garantie incidente par leur acquéreur qui, a priori, semblait plus pertinente, pour leur défense, qu'une hypothétique connaissance du risque par l'acheteur.
Pierre Meyer

1 Il faut observer que 1'Acte uniforme sur le droit commercial général ne consacre que la garantie du fait des tiers et non la garantie du fait personnel. Il est difficile de justifier cette restriction.

2 La garantie d'éviction retrouve son importance pratique en présence de droits intellectuels sur la chose corporelle vendue qui en rendent impossible la commercialisation. Voy. J. HUET, Traité de droit civil. Les principaux contrats spéciaux, paris, L.G.D.J. 1996, p. 550 et s.
 

3 , A.M. ASSI-ESSO, N. DIOUF, Recouvrement des créances, Coll. Droit uniforme africain, Bruxelles, Bruylant, 2002, p.101.
 

4 Sur l'obligation d'information ou de renseignement, voy. J.Ghestin, Traité de droit civil. La formation du contrat, Paris, L.G.D.J. 1993, p. 646 et s.
 

5 En ce sens, à propos de la garantie des vices, voy. Cour Suprême, 17 déc.1996, Rev.burk.dr. 1997, p .32 et note P. Meyer.