J-05-272
PROCEDURES COLLECTIVES – INFRACTION RELATIVE A LA GERANCE (OUI) – CESSATION DES PAIEMENTS (NON) – BANQUEROUTE FRAUDULEUSE POUR DETOURNEMENT D’ACTIF OU DISSIMULATION D’ACTIF (NON).
SOCIETES – DISSOLUTION – POURSUITE DELIBEREE DE L’EXPLOITATION (NON) – DIMINUTION DES CAPITAUX PROPRES DE LA SOCIETE (N0N) INFRACTION RELATIVE A LA DISSOULUTION DES SOCIETES (NON).
Le dirigeant d’une personne morale même condamnée par le juge civil, peut être poursuivi devant le juge correctionnel pour banqueroute frauduleuse.
Un dirigeant de société ou un commerçant qui poursuit ses activités, ne peut être condamné pour banqueroute frauduleuse, s’il n’est pas constaté qu’il est en état de cessation des paiements.
Egalement il a été jugé que l’infraction relative à la dissolution des sociétés commerciales n’est envisageable que lorsqu’il y a une poursuite délibérée d’exploitation de la société et une diminution manifeste des capitaux propres de ladite société par rapport à la moitié du capital social.
Article 233 AUPCAP
Article 891 AUSCGIE
Article 901 AUSCGIE
(Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement n° 4025 du 27 août 2002 - MP et Toutelectric c/ Papa Aly Guèye).
LE TRIBUNAL
VU les pièces du dossier,
OUI le prévenu en son interrogatoire,
OUI la partie civile en ses conclusions, le Ministère public en ses réquisitions, le prévenu en ses moyens de défense;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
ATTENDU que par acte en date du 12 février 2002, la société TOUTELECTRIC a cité directement Pape Aly Guèye devant le Tribunal Correctionnel de céans sous les préventions de « banqueroute frauduleuse et d’infractions relatives à la gérance, à l’administration et à la dissolution des sociétés, délits prévus et punis par les articles 1061 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, 233 de l’Acte Uniforme sur les procédures collectives, 376 et 377 di Code Pénal, 891 et 901 de l’Acte Uniforme sur les sociétés, 6 et 16 de la loi n° 98-22 du 26 mars 1998 ».
EN LA FORME
ATTENDU que la défense a soulevé deux exceptions tirées respectivement de la violation des articles 5 et 539 du Code de Procédure Pénale en faisant valoir d’une part que l’action est irrecevable puisque le juge civil a déjà été saisi et d’autre part, que la citation est nulle puisqu’elle n’articule pas les faits incriminés et ne vise pas les textes de loi qui les répriment, mettant ainsi le prévenu dans l’impossibilité de comprendre les faits qui lui sont reprochés;
ATTENDU que ces exceptions ont été présentés avant toute défense au fond; qu’il échet en application de l’article 373 du Code de Procédure Pénale de les recevoir;
ATTENDU que pour requérir le rejet de ces exceptions, le Ministère Public s souligné d’une part que l’article 5 du CPP ne fait pas obstacle à une citation pour dissipation de l’actif après un jugement civil de condamnation et d’autre part que le prévenu n’a souffert d’aucun grief;
ATTENDU que le Conseil de la partie civile a également soutenu d’une part que même s’il y a un jugement civil, sa cliente est fondée à citer le prévenu pour banqueroute dès lors que l’actif de la société qu’il dirige a été détourné et d’autre part, que contrairement aux affirmations de la défense, la citation a articulé, précisé et détaillé les faits reprochés au prévenu et visé les textes de loi applicables;
ATTENDU que relativement à la première exception il y a tout d’abord lieu de préciser qu’il résulte du jugement n° 1458 rendu le 28 juillet 1999 par le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar que l’action intentée par la société TOUTELECTRIC devant le juge civil était dirigée contre la Société Sénégalaise d’Approvisionnement die S.A.P et non contre le prévenu; qu’ensuite et comme l’ont justement fait remarquer le Ministère Public et le Conseil de la partie civile, celle-ci peut effectivement saisir le juge correctionnel lorsqu’elle estime que le dirigeant d’une personne morale condamnée par le juge civil a commis une infraction à la loi pénale pour empêcher l’exécution de la décision;
ATTENDU que s’agissant de la deuxième exception, il y a seulement lieu de constater que dans sa citation, la partie civile a précisé et qualifié les faits dont la commission est reprochée au prévenu et a visé des textes de lois réprimant ces faits;
ATTENDU qu’il échet en conséquence de rejeter les exceptions, comme non fondées et de déclarer la procédure régulière;
AU FOND
Sur les faits
ATTENDU que la société TOUTELECTRIC a soutenu dans sa citation qu’elle est créancière de la Société Sénégalaise d’Approvisionnement ayant son siège social au n° 10 rue de Thiong à Dakar et dont le prévenu est le Directeur Général de la somme de 146.229.750 F représentant des factures et des traites impayées; que cette société n’a plus d’activités ni d’actifs lui appartenant; que la saisie-arrêt pratiquée suivant ordonnance n° 1410 du 28 juillet 1998 a révélé qu’elle est en faillite, qu’en effet l’ensemble des établissements financiers interrogés par l’huissier ont déclaré que les comptes de la S.A.P étaient au rouge voire débiteurs; que cette situation révèle une banqueroute; que par ailleurs le sieur Pape Aly GUEYE n’a manifestement utilisé à des fins personnelles et à d’autres fins les biens et actifs de la société puisque ceux-ci ont disparu si bien que la S.A.P n’a plus d’activités, faute d’actifs disponibles; que dans pareil cas la loi qui fait obligation de convoquer l’assemblée générale extraordinaire dans les quatre mois de la constatation de ces pertes pour décider s’il y a lieu de la dissolution anticipée de la société, n’a pas été respectée par le prévenu dont le comportement a gravement mis en péril la créance de la société TOUTELECTRIC en lui enlevant toute possibilité de poursuivre l’exercice de son droit de gage général sur les actifs de la S.A.P .
ATTENDU qu’interrogé à la barre, Mr. Papa Aly GUEYE a nié les faits qui lui sont reprochés et a expliqué qu’il dirige l’entreprise individuelle dénommée S.AP qui est liée à la société TOUTELECTRIC par un contrat de fourniture de matériels électriques dans le cadre de l’exécution duquel, sa structure a rencontré des difficultés pour payer certaines livraisons à cause notamment de problèmes d’installation du matériel en Casamance; que son fournisseur a perdu patience et a entamé des procédures de saisie contre la S.A.P qui, a-t-il précisé, fonctionne toujours, à son personnel et son siège social au n° 40 rue Jules Ferry à Dakar, et est en train de payer ses dettes;
SUR LA PREVENTION
ATTENDU que pour solliciter la déclaration de la culpabilité du prévenu, le Conseil de la partie civile a soutenu que la S.A.P qui a été présentée à sa cliente comme une société anonyme avec pour Directeur général M. Pape Aly GUEYE doit à cette dernière une somme de 146.229.750 F CFA qu’elle ne peut recouvrer à cause de la dissimulation ou du détournement de l’actif de la société dont, la poursuite actuelle des activités n’est pas prouvée par le dirigeant qui a par ailleurs omis de déposer le bilan malgré la perte de plus des trois quart du capital;
ATTENDU que le Ministère Public a requis l’application de la loi;
ATTENDU que pour solliciter la relaxe de leur client, les Conseils du prévenu ont soutenu d’abord qu’alors que sa créance est contestée, la société TOUTELECTRIC ne dispose d’aucun titre exécutoire non exécuté défectueusement mais simplement une ordonnance de saisie conservatoire; qu’ensuite aucun des textes dont la violation est alléguée ne concerne les personnes physiques alors que M. Pape Aly GUEYE gère une entreprise individuelle; qu’enfin la banqueroute n’est pas une infraction principale mais un délit de conséquence qui ne peut exister sans l’ouverture d’une procédure collective;
ATTENDU que le délit de banqueroute suppose la poursuite par un commerçant ou le dirigeant d’une personne morale commerçante de l’exploitation devenue frauduleuse de ses activités alors que l’intéressé ou la société est en état de cessation des paiements; que cet état qui se définit comme l’impossibilité de faire face au passif exigible par l’actif disponible, nécessite pour l’appréciation de son existence l’examen des documents comptables du débiteur; qu’il en est de même en ce qui concerne l’infraction relative à la dissolution des sociétés commerciales qui suppose que le dirigeant continue sciemment d’exploiter la société alors que les capitaux propres de celle-ci sont devenus inférieurs à la moitié du capital social du fait des pertes constatées dans les états financiers de synthèse;
ATTENDU qu’aucune des pièces versées par la société TOUTELECTRIC n’atteste que la S.A.P est en état de cessation des paiements ou a subi des pertes à hauteur de la moitié de son capital, que ces situations ne sauraient être traduites par le seul défaut de paiement d’une dette qui ne résulte d’ailleurs d’aucun titre exécutoire versé aux débats; que même l’ordonnance de saisie conservatoire du 28 juillet 1998 invoquée par la partie civile n’est pas produite;
ATTENDU qu’il échet en conséquence de relaxer le prévenu de débouter la société TOUTELECTRIC de sa constitution de partie civile et de la condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement,, en matière correctionnelle et en premier ressort;
EN LA FORME
Reçoit les exceptions soulevées par la défense;
Les rejette comme non fondées;
Déclare la procédure régulière;
AU FOND
– Relaxe le prévenu;
– Déboute la société TOUTELECTRIC de sa constitution de partie civile;
– La condamne aux dépens.