J-05-371
RECOUVREMENT DE CREANCE – INJONCTION DE PAYER – REQUETE – CONTENU – FORME SOCIALE DU CREANCIER POURSUIVANT – INDICATION (NON) – IRRECEVABILITE.
La requête aux fins d’injonction de payer doit être déclarée irrecevable, dès lors qu’elle n’indique pas la forme sociale de la personne morale.
En décidant autrement, la cour d’appel a violé l’article 4 AUPSRVE et sa décision encourt la cassation.
CCJA, 1ère chambre, arrêt n° 19 du 31 mars 2005, Banque islamique de Guinée dite B.I.G. c/ Centre commercial de Madina dite C.C.M , Le Juris Ohada, n° 3/2005, p. 8. – Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 5, janvier-juin 2005, volume 2, p. 38.
LA COUR,
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 25 août 2003 sous le n° 073/2003/PC et formé par Maître Mounir Houssein MOHAMED, Avocat à la Cour, demeurant à Conakry, 111, Commune de Kaloum, quartier Téminétaye, B.P. 4215, agissant au nom et pour le compte de la Banque. Islamique de Guinée dite B.I.G., dont le siège social est à Conakry, Commune de Kaloum, 6ème avenue, B. P. 1247, dans une cause l'opposant au Centre Commercial de Madina dit CCM, sis au quartier Madina Autoroute, Commune de MATAM à Conakry, représenté par sa gérante, Madame M, ayant pour conseil Maître Mamadou Souaré DIOP, Avocat à la Cour, demeurant à Conakry, Commune de Kaloum, B.P.1799,
en cassation de l'Arrêt N° 190'fendu le 17 juin 2003 par la Cour d'appel de Conakry et dont le dispositif est le suivant :
«Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et commerciale en dernier ressort et sur appel;
En la forme :
Reçoit les appels principal et incident;
Au fond :
Déclare l'appel principal bien fondé. Par contre déclare l'appel incident mal fondé
En conséquence, confirme le Jugement n° 25 du 27 mars 2003 du Tribunal de Première instance de Conakry-1 en toutes ses dispositions;
Y ajoutant,
Condamne la B.I.G au paiement au profit du centre commercial représenté par Madame M de la somme de 26.048.600 FG représentant .Jes loyers trimestriels déjà échus allant du 1er avril 2003 au 30 juin 2003;
Condamne en outre la B.I.G au paiement au profit du centre commercial représenté par Madame M des loyers à échoir à compter du 1er juillet 2003 à raison de 26.048.600 FG par trimestre et ce, jusqu'à parfaite exécution de cet arrêt;
Met les frais et dépens à la charge de l'appelante incidente;
Le tout en application des dispositions des articles 880 et 741 du CPCEA»;
La requérante invoque à l'appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu'ils figurent à la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAIDAGI;
Vu les articles 13 et 4 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure que par acte notarré passé par devant Maître Sanoussy CAMARA, Notaire à Conakry, Monsieur C.D avait consenti «un bail à construction» à Monsieur Z et Monsieur S sur son terrain sis à Madina (Conakry); qu'en vertu de «ce bail à construction», Messieurs Z et S s'étaient mis ensemble pour construire un complexe immobilier connu sous le nom de Centre Commercial de Madina (C.C.M.), et comprenant essentiellement des boutiques ainsi que quelques bureaux, à raison de 70 % pour Monsieur Z et 30 % pour Monsieur S; que la Banque'tS1amique de Guinée dite B.I.G. avait loué un local au sein du C.C.M pour ouvrir une agence; que Monsieur Z, actionnaire et administrateur de la Banque Islamique de Guinée, avait reçu de cette dernière divers concours financiers dans le cadre des activités du groupe AFRICOF ayant à sa tête Monsieur Z et composé des Sociétés AFRICOF, SA TRAG et de Monsieur Y.Z, fils de Z; q ue pour résorber 1 e débit d u groupe auprès dei a Banque islamique de Guinée, Monsieur Z avait délégué à ladite Banque 1es loyers dus par celle-ci, pour le local abritant son agence dans le C.C.M et cela par acte notarié en date du 11 décembre 1997; que la situation des comptes de Z ne s'améliorant pas, la Banque islamique de Guinée l'avait sommé de régulariser sa situation; que pour toute réponse, Madame M, épouse de
Monsieur Z adressait le 26 mars 2002 un cQurrier à la Banque islamique de Guinée, courrier réitéré le 16 avril 2002 pour l'informer de ce que son mari lui avait fait donation de sa part de 70 % dans le C.C.M. par acte authentique en date du 1er octobre 1998 et que c'était désormais à elle que les loyers devaient être directement payés; que par courrier en date du 29 avril 2002, la Banque Islamique de Guinée rappelait à Madame M l'affectation du loyer dont elle bénéficiait et que six mois après le courrier sus indiqué, une Ordonnance d'injonction de payer no38 avait été rendue le 24 octobre 2002 par le Président du Tribuna1 de première instance de Conakry l, à la requête du C.C.M représenté par son gérant Madame M, condamnant la Banque Islamique de Guinée à payer 36.000 DUS en principal, 13.700.000 GNF d'intérêts à raison de 19 % l'an et 500..000 GNF de frais; que sur opposition en date du 15 novembre 2002 de la Banque Islamique de Guinée, le Tribunal de première instance de Conakry 1, par Jugement n° 25 en date du 27 mars 2003 a, déclaré la B.I.G recevable en son opposition, passé outre l'irrecevabilité de la requête d'injonction de payer tirée de la violation de l'article 4 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées et des voies d'exécution, constaté que par exploit en date du 27 mars 2002 il a été signifié à la B.I.G le transfert de propriété du Centre Commercial de Madina au profit de Madame M, constaté en outre que le montant des loyers dû à ce jour par la B.I.G pour le compte du Centre Commercial de Madina s'élève à 104.174.400 FG soit quatre trimestres à raison de 26.048.600 FG par trimestre, d'avril 2000 à mars 2003 et en conséquence, restitué à l'Ordonnance no038 du 24 octobre 2002 ses pleins et entiers effets en son principe de condamnation et fixé, quant au montant de la condamnation, à la somme de 104.174.400 FG représentant les loyers d'un an; que sur appels en dates des 31 mars 2003 et 02 avril 2003, respectivement du C.C.M et de la Banque Islamique de Guinée, la Cour d'appel de Conakry a, par Arrêt n° 190 du 17 juin 2003 dont pourvoi, confirmé purement et simplement le jugement attaqué et, y ajoutant, condamné la B.I.G au paiement, d'une part, de 26.048.600 FG représentant les loyers trimestriels déjà échus allant du 1er avril 2003 au 30 juin 2003 et, d'autre part, des loyers à échoir à compter du 1 er juillet 2003 à raison de 26.048.600 FG par trimestre et ce, jusqu'à parfaite exécution de l'arrêt;
Sur le premier moyen cris en sa deuxième branche
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué un défaut de réponse à conclusions en ce que la Cour d'appel n'a pas répondu au moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête aux fins d'injonction de payer soulevée par la requérante; que selon cette dernière, la requête d'injonction de payer présentée par le C.C.M, représenté par son gérant, Madame M, est faite en violation de l'article 4 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution en ce sens que le Centre Commercial de Madina n'est ni une personne physique, ni une personne morale et qu'en tout état de cause sa forme n'était pas indiquée dans la requête; que si le Tribunal a rejeté ce moyen au motif que les irrégularités affectant la requête ne pouvaient être soulevées que par le juge de l'injonction de payer et se trouvaient couvertes dès lors que l'ordonnance avait été rendue, ladite ordonnance ayant eu pour effet de purger la requête de toutes ses nullités., la Cour d'appel, par contre, n'a pas répondu à ce moyen et sa décision, de ce seul fait, mérite cassation;
Attendu qu'il est de principe que les décisions de justice doivent être motivées à peine de nullité; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs; qu'il suit que les arrêts qui ne contiennent p pas de motifs encourant l'annulation;
Attendu, en l'espèce, qu'il ressort tant des conclusions en appel en date du 12 mai 2003 de Maître Mounir Houssein MOHAMED, conseil de la Banque Islamique de la Guinée, des conclusions récapitulatives en date du 02 juin 2003 du même conseil que de l'arrêt attaqué, que la Banque Islamique de la Guinée a demandé à la Cour d'appel de déclarer irrecevable la requête aux fins d'injpnction de payer au motif que ladite requête a été introduite par le C.C.M en violation de l'article 4 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution en ce que l'action a été introduite par le C.C.M, représenté par son gérant, Madame M, alors que pour agir en justice, il faut avoir une personnalité juridique et que, par ailleurs, la qualité de gérant de Madame M ne peut s'apprécier qu'au regard de la forme juridique de, la société qu'elle prétend représenter; qu'à ce jour, la forme du C.C.M demeure inconnue et il est donc impossible de savoir si le C.C.M est doté d'une personnalité juridique, donc capable d'ester en justjce, ni si la personne qui la représente a qualité à cet effet;
Attendu que bien qu'ayant relevé cette exception d'irrecevabilité au rôle «6» de l'arrêt en ces termes, «la Banque Islamique de la Guinée, poursuivant l'exposé de ses moyens ajoute qu'elle a soulevé l'irrecevabilité de la requête du Centre Commercial de Madina pour violation de l'article 4 de l'Acte uniforme de l'OHADA en ce que la forme du Centre Commercial de Madina n'était pas indiquée notamment le défaut de personnalité juridique du Centre Commercial de Madina représenté par son prétendu gérant Madame M », la Cour d'appel n'a à aucun moment répondu à ce moyen et a immédiatement axé la motivation de sa décision sur le bien fondé de la confirmation du jugement querellé, sur le paiement des loyers échus et ceux à échoir et sur les dépens;
Attendu que la Cour d'appel, en ne répondant pas à des conclusions amplement développées par la Banque Islamique de Guinée et de surcroît reprises par elle-même lors de la présentation des prétentions des parties, a exposé sa décision à la cassation; qu'il échet de casser ladite décision sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, et d'évoquer;
Sur l’évocation.
Attendu que par lettre en date du 31 mars 2003, le Centre Commercial de Madina, par l'organe de son conseil Maître DIOP Mamadou Souaré, Avocat à la Cour, a relevé appel du Jugement no25 du 27 mars 2003 du Tribunal de première instance de Kaloum-Conakry-1 et a demandé à la Cour d'appel de confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions et de condamner la Banque Islamique de la Guinée au paiement à son profit de tous loyers échus et à échoir ainsi qu'aux dépens;
Attendu que par lettre n° 182/MUHJF :~03 en date du 02 avril 2003, la Banque Islamique de Guinée, par la voix de son conseil, Maître Mounir Houssein MOHAMED, a également relevé appel du même jugement et a demandé à la Cour d'appel ce qui suit :
- : infirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué;
- Déclarer irrecevable la requête d'injonction de payer et par voie de conséquence nu11e l'ordonnance d'injonction de payer;
- Au cas où la Cour passerait outre, déclarer nulle la donation consentie par Monsieur Z à sa femme M;
- Au cas où la Cour passerait outre, dire que Madame M a confirmé l'affectation des loyers consentie à la Banque Islamique de la Guinée;
- Au cas où la Cour passerait outre, dire que la Banque Islamique de Guinée ne peut être condamnée qu'à 70 % des loyers dus;
Sur la recevabilité de la requête aux fins d'injonction de payer du C.C.M.
Vu l'article 4 de !'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu que la Banque Islamique de Guinée demande à ta Cour de déclarer irrecevable la requête aux fins d'injonction de payer pour violation de l'article 4 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution au motif que l'action a été introduite par le C.C.M, représenté par son gérant Madame M, alors que pour agir en justice, le C.C.M doit avoir une personnalité juridique et que par ailleurs la qualité de Madame M , es-qualité de gérant ne peut s'apprécier qu'au regard de la forme juridique de la société qu'elle prétend représenter; qu'à ce jour la forme du C.C.M demeure inconnue et il est donc impossible de savoir si le C.C.M est doté d'une personnalité juridique, donc capable d'ester en justice, ni si la personne qui le représente a qualité à cet effet;
Attendu que le C.C.M soutient, pour sa part, que la Banque Islamique de Guinée ne peut contracter avec le même Centre Commercial depuis l 'installation de son agence 0 u succursale et tenter de nier le même Centre aujourd'hui parce qu'il s'agit de payer des loyers; qu'en matière de loyer, le bailleur n'a pas besoin d'avoir une «personnalité juridique» pour réclamer ses loyers avec qui il a conclu un bail; que l'immeuble qu'occupe l'agence de la Banque Islamique de Guinée à Madina s'appelle Centre Commercial de Madina comme le Centre Commercial Koumi ou le Centre Commercial Doubai par exemple; que c'est sous ce nom qu'il conclut tout bail ou contrat et que dès lors, nier l'existence d'une personne avec qui on a contracté n'est ni plus ni moins agir contre son propre honneur; que partant, en droit on ne peut pas se prévaloir de son propre honneur; qu'en d'autres termes, la Banque Islamique de Guinée ne saurait occuper les locaux du Centre Commercial de Madina et nier l'existence du même Centre Commercial de Madina; qu'ainsi, .la Cour ne tardera pas à passer outre de tels arguments du reste très mal fondés en droit;
Attendu qu'aux termes de l'article 4 de l'Acte uniforme susvisé, « la requête [aux fins d'injonction de payer] doit être déposée ou adressée par le demandeur ou par son mandataire autorisé par la loi de chaque Etat partie à le représenter en justice, au greffe de la juridiction compétente.
Elle contient, à peine d'irrecevabilité :
1) Les noms, prénoms, professions et domiciles des parties ou, pour les personnes morales, leurs forme, dénomination et siège social (...) »;
Attendu, eh l'espèce, que la requête adressée à Monsieur le Président du Tribunal de première instance de Conakry 1 - Kaloum contient la mention suivante : «le Centre Commercial de Madina sis au quartier dudit, représenté par son gérant Madame M ayant pour conseil Maître DIOP Mamadou Souaré, Avocat à la Cour, BP. 1799, Tél. : 011 26 97 13 Conakry»; que contrairement aux exigences de l'article 4 de l'Acte uniforme sus énoncé, il n'est nulle part indiqué dans la requête la forme sociale du Centre Commercial de Madina; que l'absence de l'indication de la forme sociale ne permet pas, d'une part, d'apprécier si ledit centre jouit d'une personnalité juridique lui permettant d'ester en justice et, d'autre part, d'apprécier si Madame M peut le représenter es-qualité de gérante au regard de la forme juridique du C.C.M; que de tout ce qui précède, il y a lieu de déclarer irrecevable la requête aux fins d'injonction de payer introduite par le C.C.M en violation des dispositions sus énoncées de l'article 4 de l'Acte uniforme susvisé, d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et d'annuler par voie de conséquence l'Ordonnance d'injonction de payer n° 38 en date du 24 octobre 2002 rendue par le Président du Tribunal de première instance de Conakry 1;
Attendu que le Centre Commercial de Madina ayant succombé, il ya lieu de le condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l'Arrêt n° 190 rendu le 17 juin 2003 par fa Cour d'appel de Conakry; Evoquant et statuant sur le fond,
Déclare irrecevable la requête aux fins d'injonction de payer introduite par le Centre Commercial de Madina;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Annule par voie de conséquence l'Ordonnance d'injonction de payer n° 38 en date du 24 octobre 2002 rendue par le Président du Tribunal de première instance de Conakry 1; Condamne le Centre Commercial de Madina aux dépens.
PRESIDENT : M. Jacques M'BOSSO