J-05-373
RECOUVREMENT DE CREANCE – INJONCTION DE PAYER – TRIBUNAL COMPETENT PLURALITE DE DEBITEURS – DOMICILE OU DEMEURE EFFECTIVE DE L'UN DES DEBITEURS.
RECOUVREMENT DE CREANCE – DECOMPTE DES DIFFERENTS ELEMENTS (NON) – IRRECEVABILITE.
Le Tribunal de première instance d'Abidjan est compétent pour connaître de la demande d’injonction de payer dès lors qu'il y a pluralité de débiteurs et que l'un d'eux, notamment la caution solidaire a son siège dans le ressort dudit Tribunal.
La requête aux fins d'injonction de payer doit être déclarée irrecevable dès lors que le créancier poursuivant n'indique pas distinctement les différents éléments constitutifs de la créance dont il réclame le paiement, en l'occurrence le montant de la créance principale et celui des intérêts, fussent-ils conventionnels.
En décidant autrement, la Cour d'Appel a violé l'article 4 alinéa 2, de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution.
Par conséquent, il y a lieu d'annuler l'ordonnance d'injonction de payer.
CCJA, 1ère chambre, arrêt n° 21 du 31 mars 2005 Affaire : Bourdier Gilbert Denis c/ Banque internationale pour l’Afrique de l’Ouest en Côte d’Ivoire dite BIAO-CI, Le Juris Ohada, n° 3/2005, p. p. 15, note Brou Kouakou Mathurin. – Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 5, janvier-juin 2005, volume 2, p. 43.
LA COUR,
Sur le renvoi en application de l'article 15 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique devant la Cour de céans par Arrêt n° 691/03 de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire, chambre judiciaire, saisie d'un pourvoi initié le 17 décembre 2002 par la SCP KONATE, MOÏSE -BAZIE & KOYO, Avocats à la Cour, demeurant à Abidjan, 12, ancienne route de Bingerville, rue B 32 vieux Cocody, 01 BP 3926 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de Monsieur B.G.D dans la cause qui l'oppose à la BIAO-CI, Société Anonyme, au capital de 10 milliards FCFA, sise à Abidjan, 8-10, Avenue Joseph ANOMA, 01 BP 1274 Abidjan 01, pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans sous le no020/2004/PC du 16 février 2004, en cassation de l'Arrêt no928 rendu le 19 juillet 2002 par la Cour d'appel d'Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
«En la forme : statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et en dernier ressort
Reçoit la BIAO-CI en son appel relevé du Jugement no215 du 13/12/2001, rendu par le Tribunal de première instance d'Abidjan;
Au fond :
L'y déclare bien fondée Infirme ledit jugement;
Restitue à l'Ordonnance d'injonction de payer numéro 3494 du 02 mai 2001, son plein et. entier effet;
Condamne les intimés aux dépens..,
Le requérant invoque à l'appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu'ils figurent à l'exploit de pourvoi en cassation annexé au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Biquezil NAMBAK
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure qu'en septembre 1995, la BIAO- CI accordait à Monsieur B.G.D un prêt de 150.000.000 FCFA, garanti par le cautionnement solidaire de la société SIFCOM-COMAFRIQUE et remboursable sur soixante mensualités dont trente-cinq ont été acquittées, soit 125.751.322 FCFA; qu'estimant que Monsieur B.G.D lui restait redevable de vingt-cinq autres échéances d'un montant de 88.750.222 FCFA, la BIAO-CI avait sollicité et obtenu du Président du Tribunal de première instance d'Abidjan l'Ordonnance d'injonction de payer n° 3494 en date du 21 avril 2001 condamnant solidairement le susnommé et la société SIFCOM- COMAFRIQUE à lui payer la somme totale de 103.702.682 FCFÀ; que sur opposition du débiteur principal Monsieur B.G.D, le Tribunal de première instance d'Abidjan, par Jugement n° 215 du 13 décembre 2001, déboutait la BIAO-CI de sa demande en recouvrement; que sur appel de la BIAO- CI, la Cour d'appel d'Abidjan a, par Arrêt n° 928 rendu le 19 juillet 2002, infirmé le jugement entrepris et restitué à l'Ordonnance d'injonction de payer n° 3494 du 21 avril 2001 son plein et entier effet; que sur le pourvoi formé le 18 décembre 2002 par Monsieur B.G.D, la Cour Suprême de Côte d'Ivoire a relevé que l'affaire soulève des questions relatives à l'application de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution et s'est dessaisie du dossier de la procédure au profit de la Cour de céans;
Sur le premier moyen pris en sa seconde branche
Vu l'article 4, alinéa 2, 2) de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué la violation de la loi ou l'erreur dans son interprétation ou son application en ce que la Cour d'appel d'Abidjan a estimé que la BIAO-CI n'aurait pas violé le texte susvisé en raison de ce qu'elle avait réclamé 88.075.222 FCFA en. principal et intérêts au titre du remboursement du prêt, 15.409.522 FCF A au titre des agios, et 217.958 FCFA au titre des frais de tenue de compte» alors que, selon le moyen, la requête aux fins d'injonction de payer de la BIAO-CI ne distingue pas, en l'espèce, le montant du principal de celui des intérêts de droit; que le principal et les intérêts constituent des éléments différents de la créance qui doivent être décomptés séparément conformément aux dispositions du texte susvisé; qu'en déclarant recevable ladite requête, la Cour d'appel d'Abidjan a violé le texte susvisé et son arrêt doit de ce chef être cassé;
Attendu que l'article 4, alinéa 2,2 de l'Acte uniforme susvisé dispose que :
« elle [la requête aux fins d'injonction de payer] contient, à peine d'irrecevabilité : ( )
2) l'indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance ainsi que le fondement de celle-ci»;
Attendu, en l'espèce, que l'examen des pièces du dossier de la procédure révèle que la requête aux fins d'injonction de payer présentée par la BIAO-CI le 10 avril 2001, poursuivait notamment le recouvrement de «88.075.222 FCFA en principal et intérêts au titre du remboursement du prêt...»; que pour le recouvrement du montant des échéances impayées, la BIAO-CI a engagé la procédure d'injonction de payer; que dès lors, la requête introduite à cette fin par la BIAO-CI était soumise aux dispositions sus énoncées de l'article 4, alinéa 2 de l'Acte uniforme susvisé; qu'ainsi, la BIAO-CI était tenue d'indiquer distinctement les différents éléments constitutifs de la créance dont elle réclamait le paiement, en l'occurrence le montant de la créance principale et celui des intérêts, fussent-ils conventionnels; qu'il suit qu'en entérinant par l'arrêt attaqué la fusion faite par BIAO-CI du principal et des intérêts dans la somme réclamée de 88.075.222 F CFA alors même qu'il s'agit de deux éléments distincts de la créance, la Cour d'appel d'Abidjan a violé les dispositions sus énoncées de l'article 4, alinéa 2 de l'Acte uniforme précité et exposé sa décision à la cassation; qu'il échet en conséquence de casser l'arrêt attaqué sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi et d'évoquer;
Sur l'évocation
Attendu que la BIAO-CI a, par acte en date du 11 janvier 2002, interjeté appel du Jugement no215 du 13 décembre 2001 rendu par le Tribunal de première instance d'Abidjan l'ayant débouté de sa demande en recouvrement; qu'elle demande à la Cour d'annuler ou d'infirmer ledit jugement et de restituer à l'ordonnance de condamnation de Monsieur B.G.D son plein et entier effet;
Attendu que pour sa part, Monsieur B.G.D, intimé, a soulevé in limine litis, d'une part, l'incompétence du Président du tribunal de première instance d'Abidjan en application de l'article 3 du Traité OHADA ( ?), son domicile étant à San-Pedro et, d'autre part, l'irrecevabilité de la requête aux fins d'injonction de payer introduite par la BIAO-CI pour violation de l'article 4, alinéa 2 de l'Acte uniforme susvisé, la somme indiquée ne présentant aucun détail sur le principal et les intérêts; qu'en conséquence, il demande la confirmation du Jugement querellé;
Sur la compétence territoriale du Président du Tribunal de première instance d'Abidjan
Vu !'article 3 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu qu'aux termes de l'article 3 de l'Acte uniforme susvisé, «la demande est formée par requête auprès de la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur ou l'un d'entre eux en cas de pluralité des débiteurs»;
Attendu, en l'espèce, que la SIFCOM-COMAFRIQUE s'est constituée caution solidaire de Monsieur B.G.D; qu'ainsi il ya pluralité de débiteurs; que la SIFCOM-COMAFRIQUE ayant son siège au boulevard de Vridi à Abidjan, le Président du tribunal de Première instance d'Abidjan est compétent pour connaître de la requête de la BIAO-CI;
Sur les demandes réunies de recevabilité de la requête aux fins d'injonction de payer, d’annulation ou d’infirmation du jugement entrepris et de restitution à l’ordonnance d'injonction de payer N° 3494 du 21 avril 2001 son plein et entier effet
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux sur le fondement desquels l'Arrêt attaqué à été cassé, il y a lieu de déclarer irrecevable la requête aux fins d'injonction de payer introduite par la BIAO-CI, d'infirmer le Jugement n° 215 du 13 décembre 2001 en ce qu'il a déclaré ladite requête recevable et d'annuler par voie de conséquence l'Ordonnance d'injonction de payer no3494 rendue le 21 avril 2001 au pied de ladite requête par le Président du Tribunal de première instance d'Abidjan;
Attendu que la BIAO-CI ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré;
Casse l'Arrêt n° 928 rendu le 19 juillet 2002 parla Cour d'appel d'Abidjan; Evoquant et statuant sur le fond,
Déclare le Président du tribunal de première instance d'Abidjan compétent pour connaître de la requête de la BIAO-CI; Infirme le Jugement no215 rendu le 13 décembre 2001 par le Tribunal de première instance d'Abidjan en ce qu'il a déclaré recevable la requête aux fins d'injonction de payer introduite par la BIAO-CI;
Annule en conséquence l'Ordonnance d'injonction de payer no3494 rendue le 21 avril 2001 par le Président du Tribunal de première instance d'Abidjan;
Condamne la BIAO-C1 aux dépens.
PRESIDENT : M. JACQUES M'BOSSO
Note
Cet arrêt doit être rapproché du N°20 ci-dessus, la question se posant dans les deux espèces des décomptes des différents éléments de la sommes réclamée par la voie de l'injonction de payer.
SI, dans l'arrêt N°20 du 31 mars 2005, la Cour a rejeté la demande de décompte de la somme due par 1e créancier poursuivant, elle a, en revanche, accueilli 1a demande, en déclarant irrecevable la requête, le créancier poursuivant n'ayant pas indiqué les différents éléments composant sa créance.
Ce qui, a priori, peut paraître contradictoire et rendre discutable les solutions données par la haute cour.
En réalité, la confusion n'est pas permise, car dans l'arrêt N°20, la somme réclamée constitue elle même le principal de la créance réclamée. Il n'existait donc pas d'autres créances, en plus du principal qui résulteraient des intérêts, agios, commissions ou autres frais accessoires engendrés par les relations ayant donné lieu au litige.
Le décompte ne se justifiait donc pas car, sans objet. Ce qui explique le rejet du pourvoi. En revanche, dans l'arrêt N°21, les choses se présentent différemment, en ce sens que le montant de la somme réclamée est l'ensemble de la créance y compris le principal et des intérêts au titre du prêt.
Dès lors quel est le montant de la créance principale et quel est le montant des intérêts? D'où l'intérêt du décompte qui aurait permis de répondre à ces questions. L'obligation de décompte retrouve donc son sens dès lors que la somme réclamée comprend en plus de la créance principale d'autres créances, notamment les intérêts.
En n'indiquant pas ces éléments, le créancier poursuivant n'a pas respecté l'article 4 alinéa 2 de l'Acte uniforme portant recouvrement de créance.
En déclarant recevable la requête, qui a fusionné ces différentes créances, la Cour d'Appel a violé l'article sus cité et sa décision encourt la cassation.
Le mérite de cette décision est d'avoir précise quand il y a lieu à décompte de la somme réclamée, en matière d'injonction de payer, car l'obligation de décompter les différents éléments de la créance n'a de sens que si d'autres créances existent en plus de la créance principale.
BROU KOUAKOU MATHURIN
NDLR Voir observations de Joseph ISSA SAYEGH sous Ohadata J-05-356