J-06-02
VOIES D’EXECUTION – EXECUTION FORCEE – REFUS DE L’ETAT DE PRETER SON CONCOURS OU OPPOSITION DE L’ETATaL’EXECUTION FORCEE – RESPONSABILITE DE L’ETAT DU SENEGAL.
RESPONSABILITE DE SUBSTITUTION AU DEBITEUR (NON)– REPARATION DU PREJUDICE LIMITE AU DOMMAGEcaUSE AU CREANCIER POURSUIVANT.
En vertu de l’article 29 AUPSRVE, la responsabilité de l’État est encourue lorsque, par le fait de ses agents ou de ses représentants, il a refusé de prêter son concours ou s’est opposé à l’exécution forcée poursuivie par le créancier en vertu d’un titre exécutoire. Il en est ainsi lorsque des gendarmes refusent à l’huissier poursuivant, qui désire en pratiquer saisie, l’accès à des lieux où se trouvent des biens du débiteur.
La responsabilité de l’État posée par l’article 29 AUPSRVE n’étant pas une responsabilité de substitution, la réparation due pour le préjudicie causé n’est pas automatiquement égale à la somme due par le débiteur au créancier poursuivant mais au dommage réel subi par ce dernier. Ainsi, lorsque les chances de recouvrement de la créance ne sont pas compromises par le comportement de l’Etat, il y lieu de mesurer la réparation au préjudice effectivement subi.
Article 29 AUPSRVE
(Tribunal régional hors classe de Dakar (Sénégal), jugement du 14 juillet 2004, TRANSAIR c/ Société EEXIMCOR AFRIQUE, Revue internationale de droit africain EDJA, n 65 juillet- septembre 2005, p. 79).
ENTRE :
La Compagnie TRANSAIR Société Anonyme de Nationalité et de Droit Français dont le siège social est en France Aéroport LE BOURGET Zone Affaires 93552, ayant pour conseil Me Doudou NDOYE, Avocat à la Cour à Dakar.
Demanderesse comparant à l’audience et concluant par ledit Avocat; D’une part :
ET :
L’Etat du Sénégal représenté par l’ Agent Judiciaire de l’Etat en ses bureaux Ministère des Finances à Dakar.
Défendeur, comparant à l’audience et concluant en personne.
La Société EEXIMCOR AFRIQUE dont le siège est à Dakar, 4, Rue Maunoury à Dakar-.
Appelée en cause, comparant à l’audience et concluant par le biais de son conseil Me Sadel NDIAYE, Avocat à la Cour à Dakar, d’autre part :
Sans que les présentes qualités puissent nuire ou préjudicier aux droits et intérêts respectifs des parties en cause sous les plus expresses réserves de droit et de fait.
LE TRIBUNAL.
Vu les pièces du dossier.
Oui les parties en leurs conclusions.
Oui le Ministère public en ses réquisitions.
Et après en voir délibéré conformément à la loi.
Attendu que suivant exploit du 19 août 2002 réitéré par avenir du 05 septembre 2002, servi par Me lbrahima DIAW, Huissier de Justice à Dakar, la Compagnie TRANSAIR a assigné l’Etat du Sénégal en paiement de la somme de 630.853.702 F.
Que par autre acte du 15 juillet 2003 servi par Bernard SAMBOU, Huissier de Justice à Dakar, l’Etat du Sénégal a appelé en cause la société EEXIMCOR Afrique.
EN LA FORME
Attendu que par écritures du 02 Janvier 2004, l’Etat du Sénégal, par l’intermédiaire de l’ Agent Judiciaire de l’Etat a soulevé l’exception d’irrecevabilité, en soutenant que les dispositions de l’article 729 du CPC n’ont pas été respectées.
Attendu que TRANSAIR et EEXIMCOR Afrique, n’ont pas conclu sur ce point.
Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 729 CPC que toute action en matière administrative doit être précédée d’une demande administrative préalable à l’autorité administrative :
Que l’assignation doit, à peine d’irrecevabilité être servie dans le délai de deux mois qui suit l’avis implicite ou explicite donné par l’administration et doit viser cet avis.
Qu’en l’espèce, TRANSAIR a saisi l’Etat du Sénégal par l’organe de l’Agent Judiciaire de l’Etat d’une demande administrative préalable reçue le 15 avril 2002.
Qu’à la date du l5 août 2002, soit quatre mois après cette demande, le silence de l’administration équivalent à un rejet implicite de la demande, commence à courir le délais de 2 mois pour servir assignation.
Que l’assignation servie le 19 août 2002 l’a été dans lesdits délais.
Qu’il échet par conséquent de rejeter l’exception soulevée comme mal fondée.
Attendu qu’il y a lieu de recevoir l’action en la forme.
Au fond
Attendu que la Compagnie TRANSAIR a soutenu par l’organe de son conseil suivant écritures du 24 septembre 2002 et 02 février 2004 qu’elle avait donné en location à EEIMCOR un avion Barchjet 400.
Que EEXIMCORa accusé des arriérés de loyers pour un montant de 763 370,85 US dollars conformément au jugement n 178 du 18 Janvier 2000.rendu par le Tribunal Régional de Dakar :
Que poursuivant l’exécution dudit jugement, TRANSAIR aprocédé à un commandement précédant saisie en date du 20 septembre 2000.
Que ce commandement demeurant infructueux, TRANSAIR muni d’un certificat de non opposition ni appel du 04 juillet 2000, ainsi que d’un décompte des sommes dues a voulu procéder à une saisie exécution sur les biens de EEXIMCOR.
Que cette saisie n’a pu être effectuée du fait du gendarme chef de poste de Sabodala qui n’a pas laissé l’huissier y procéder.
Que l’huissier exécutant ayant constaté cette opposition de la gendarmerie à l’exercice de son ministère, a déclaré au commandant qu’une telle opposition à l’exécution des décisions de justice entre des personnes morales de droit privé constitue une violation par l’Etat de ses obligations de prêter main forte à l’exécution des décisions de justice, obligation résultant par ailleurs de l’article 29 de l’Acte Uniforme portant Procédures Simplifiées de Recouvrement et de Voies d’Exécution.
Que la même déclaration été faite au gouverneur de la Région de Tambacounda par acte du 1er février 2002 qui a refusé de déférer à la réquisition de l’huissier.
Que face à cette situation l’Etat du Sénégal a été saisi pour réparation du préjudice conformément à l’article 729 du CPC mais en vain.
Qu’en vertu de tout ceci, la responsabilité de l’Etat du Sénégal est entière.
Que par ailleurs, l’Agent Judiciaire de l’Etat prétend que les gendarmes n’étaient pas sur le site du fait de l’Etat, mais du gouverneur; comme si le gouverneur n’agissait pas au nom de l’Etat.
Que mieux, en soulignant que les gendarmes avaient saisi le matériel dans le cadre d’une procédure pénale contre EEXIMCOR, l’Agent Judiciaire de l’Etat n’a versé aux débats la décision autorisant cette saisie.
Qu’en réparation du préjudice, il réclame la condamnation de l’Etat du Sénégal à lui payer la somme de 630.853.742 Francs.
Attendu qu’en réponse, l’Etat du Sénégal a rétorqué par le biais de l’Agent Judiciaire de l’Etat suivant écritures du 02 janvier 2004 que pour qu’il y ait carence ou refus de la part de l’Etat de prêter son concours à l’exécution d’une décision de justice, encore faudrait-il d’une part que la nature de ce concours ait été spécifiée et que, d’autre part l’autorité administrative ait été dûment sollicitée à cet effet; or il n’a été nullement prouvé que le requérant a saisi l’autorité administrative habilitée par la loi pour prêter le concours de l’État à l’exécution et que cette autorité ait opposé une fin de non recevoir à cette demande.
Que les gendarmes se sont tout simplement opposés à la saisie du matériel trouvé sur le site dont il avait la garde depuis plus de quatre ans et dans le cadre de l’exécution d’un arrêté du gouverneur n 156/GR. TC du 23 novembre 1998.
Que cet arrêté avait été pris car EEXIMCOR Afrique continuait à occuper le site et à exploiter frauduleusement alors que le contrat qui le liait à la société Minière de Sabodala (SMS) titulaire du permis d’exploitation était arrivé à expiration depuis le 18 octobre 1997.
Que c’est dans ce cadre légal que les gendarmes avaient pour mission de protéger ce matériel saisi par eux dans le cadre d’une procédure pénale.
Qu’au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de débouter TRANSAIR.
Attendu que EEXIMCOR Afrique a conclu suivant écritures du 10 Février 2004 de son conseil à sa mise hors de cause en soutenant qu’elle n’est nullement concernée par la présente procédure, elle n’a ni bloqué, ni cherché à bloquer l’exécution de la décision dont TRANSAIR fait état dans ses écritures.
Que ce n’est pas, EEXIMCOR qui a placé des gendarmes sur le site de Sabodala.
SUR CE
SUR LA RESPONSABILITE
Attendu qu’il y a lieu de relever au regard des dispositions de l’article 29 AUPSRVE, que l’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et autres titres exécutoires, le refus ou la carence entraîne sa responsabilité.
Qu’en l’espèce, il est établi que le jugement n 178 du 18janvier2000, revêtu de la formule exécutoire, constitue un titre exécutoire au sens de la loi.
Qu’en procédant à son exécution, l’huissier auteur de la réquisition s’est heurté au refus des forces de l’ordre, en l’occurrence les gendarmes qui ont soutenu que le Ministère des Mines peut donner une telle réquisition.
Que, mieux, le gouverneur, en affirmant qu’il doit saisir d’abord le autorités ministérielles avant de donner son accord alors que les gendarmes trouvés sur place ont été placés sur ce site en vertu d’un arrêté émanant de lui, démontre ainsi ce refus, en application du principe du parallélisme des formes.
Que la nature impérative du titre exécutoire justifie l’ouverture du site à l’huissier exécutant sans que les gendarmes trouvés sur place ou le gouverneur ne puissent y opposer un argument quelconque qui, du reste, doit être notifié à l’huissier qui en prend bonne note mais ne doit point servir d’opposition ou de refus de prêter main forte d’autant que la saisie ne portait que sur les biens de EEXIMCOR et non sur les biens du site.
Que, d’ailleurs, en invoquant une décision pénale, l’Etat par le biais de l’Agent Judiciaire n’a pas rapporté la preuve de ce jugement.
Qu’ainsi le refus de l’Etat est manifeste et engage sa responsabilité qui ouvre droit à réparation.
SUR LA REPARATION
Attendu que TRANSAIR asollicité le paiement de la somme de 630 853 742 F correspondant à la somme pour laquelle EEXIMCORa été condamnée.
Attendu qu’il y a lieu de relever que la responsabilité de l’Etat résultant de l’article 29 précité, ne constitue pas une responsabilité de substitution mais plutôt une responsabilité résultant de sa propre faute dans l’exercice de sa mission de service publique.
Que malgré le refus de l’Etat de prêter main forte, TRANSAIR ne se trouve pas dans une situation de péril totale pour recouvrer sa créance car pouvant toujours la mettre en exécution.
Qu’il échet par conséquent de cantonner la réparation à des proportions raisonnables en allouant à TRANSAIR la somme de 1 000 000 F à titre de réparation du préjudice subi et en condamnant l’Etat du Sénégal au paiement.
SUR L’APPEL EN CAUSE
Attendu que l’Etat du Sénégal a mis en cause EEXIMCOR qui a conclu, par ailleurs, à sa mise hors de cause.
Attendu qu’il n’est pas contesté que EEXIMCOR n’a, ni de près, ni de loin été à l’origine de ce refus de l’Etat de prêter main forte à l’exécution du titre exécutoire.
Que cette structure n’est pas aussi un démembrement de l’Etat qui avait pour mission de le substituer dans son rôle.
Qu’il échet par conséquent de mettre EEXIMCOR hors de cause.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort.
EN LA FORME
Rejette l’exception soulevée comme mal fondée.
Déclare l’action recevable.
Au fond
Déclare l’Etat du Sénégal responsable.
Le condamne à payer à TRANSAIR la somme de un million (1 000 000) de francs à titre de réparation du préjudice subi.
Condamne en outre l’Etat du Sénégal aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jours, mois et an que dessus.
Et ont signé le Président et le Greffier.