J-06-03
SOCIETES COMMERCIALES – DIRECTEUR GENERAL – REVOCATION – INDEMNITES – APPLICATION DU CODE DU TRAVAIL (NON) – CUMUL DE FRAIS ET D’INDEMNITES.
Le code du travail est inapplicable à la révocation du directeur général d’une société commerciale et à ses conséquences.
TRIBUNAL REGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR (SENEGAL), jugement du 23 JUILLET 2003, Société générale d’assurances dite AGS c/ Ibrahima CISSE, Revue internationale de droit africain EDJA, n 67, octobre- décembre 2005, p. 71.
ENTRE :
La Société Assurances Générales Sénégalaises dite « A.G.S. », SA ayant son siège social à Dakar, 43, Avenue Albert Sarraut, poursuites et diligences de son représentant légal, lequel fait élection de domicile en l’Étude de la Société Civile Professionnelle BOURGI & GUEYE, Avocats à la Cour, 197, 109, Rue Moussé DIOP angle Amadou Assane NDOYE. Dakar.
Demanderesse au principal.
Défenderesse reconventionnelle.
Comparant et concluant à l’audience par lesdits Avocats, d’une part.
ET.
Monsieur Ibrahima CISSE Défendeur au principal.
Demandeur reconventionnel.
Comparant et concluant à l’audience par Maîtres Doudou NDoye et Massokhna Kane, tous Avocats à la Cour à Dakar; d’autre part.
LE TRIBUNAL.
Vu les pièces du dossier.
Oui les Avocats des parties en leurs conclusions respectives.
Le Ministère public entendu et après en avoir délibéré conformément à la loi.
Attendu que par acte en date du 15 décembre 1999 de Maître Jacques C. d’ERNEVILLE, Huissier de Justice à Dakar, la Société Assurances Générales Sénégalaises dite « A. G. S » SA a donné assignation au sieur Ibrahima CISSE en paiement de ta somme de 54.331.325 F CFA au titre des montants indûment perçus outre celle de 30 millions à titre de dommages-intérêts, sous le bénéfice de l’exécution provisoire.
Attendu que par conclusions en date du 10 Avril 2001et 13 juin 2002 le sieur CISSE a reconventionnellement sollicité l’allocation de la somme de 1 000 000 de F CFA à titre de dommages-intérêts outre l’exécution provisoire.
Attendu que par écritures du 13 juin 2002, il a porté sa demande reconventionnelle à la somme de 500 000 000 de F CFA outre celle de 44 655 740 F CFA au titre de salaire, d’indemnité de logement, de l’assurance retraite, du congé annuel et du préavis de 3 mois.
EN LA FORME
Attendu que dans ses conclusions précitées, le sieur CISSEasoulevé in limine litis l’incompétence du Tribunal de Céans aux motifs que les AGS reconnaissent elles mêmes qu’il avait été nommé comme Directeur Général et recevait un salaire.
Que les sommes qui lui sont réclamées sont selon elle un supplément de salaire indûment perçu.
Que ce litige par conséquent relève de la compétence du Tribunal du Travail et du Code du Travail et les A.G.S. se sont bien gardées d’en demander le remboursement lorsqu’il les a attrait devant cette juridiction.
Attendu que sur ce point, les A.G.S. ne réclament pas une créance de nature salariale mais plutôt une restitution de sommes indûment perçues puisque faisant double emploi avec un élément déjà prévu par le salaire.
Qu’il s’y ajoute qu’au regard de l’article 1er du Code du Travail, il faut nécessairement pour se prévaloir de la qualité de salarié, qu’il y ait un lien de subordination entre l’employeur et son employé; or en l’espèce un tel lien n’existe pas puisque le sieur CISSE était Directeur Général de la Société.
Qu’il échet en conséquence de rejeter l’exception soulevée.
Attendu que les AG.S. ont soulevé l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles en faisant valoir que les mêmes demandes ont été formulées devant le Tribunal du Travail Hors Classe de Dakar qui s’est déjà prononcé et la cause est pendante actuellement devant la Cour d’Appel; qu’au demeurant ces demandes ne présentent aucun lien de connexité avec la demande principale.
Attendu qu’il résulte certes du jugement n 98 du 05 Février 2001du Tribunal du Travail que les mêmes demandes ont été déjà soumises au Juge Social; que cependant l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée dans la mesure par cette décision, le Juge social s’est déclaré incompétent.
Attendu que les demandes reconventionnelles étant fondées sur le contrat qui liait les parties, par ce fait elles présentent un lien avec la demande principale tendant au remboursement des sommes perçues dans le cadre dudit contrat; qu’il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité n’est pas fondée.
Attendu que les demandes principales et incidentes sont recevables pour avoir été introduites dans les forme et délai légaux.
AU FOND
Attendu que dans son exploit introductif et ses écritures du 20 Janvier et 13 décembre 2000 et du 20 novembre 2002, la Société les A.G.S. expose que Ibrahima CISSEa été désigné comme son Directeur Général par délibération du Conseil d’Administration du 13 mars 1996; que suite à la décision de suspension de ses organes dirigeants prise par la Commission Régionale de Contrôle des Assurances de la CIMA du 31 décembre 1996, le Ministre de l’Économie et des Finances du Sénégal avait, par arrêté du 07 Janvier 1997, désigné le sieur CISSE en qualité d’Administrateur Provisoire; qu’en cette qualité, il a bénéficié du remboursement au réel de tous ses frais de voyages en même temps qu’il s’octroyait indûment une indemnité forfaitaire de frais de mission établie ainsi qu’il suit : mission hors zone franc CFA 250 000 F /jour, mission zone franc CFA 150 000 /jour; qu’unetelle pratique viole manifestement les dispositions de l’article 8-10 du Code Général des Impôts; qu’il en était conscient car par note de service n 08/98 du 26 février 1998, il a précisé l’impossibilité de cumul de ces deux types de remboursement dont le traitement fiscal l’expose à un risque réel de redressement; que pour éviter cela, tout en bénéficiant indûment du cumul, le sieur CISSEa fait retraiter les indemnités forfaitaires perçues comme un supplément de salaire; qu’ ainsi les montants cumulés des indemnités journalières forfaitaires s’établissent en valeur nette pour les années 1996 à 1999 à 30 300 000 F CFA; que pour y parvenir, le sieur CISSEa fait recalculer par le service comptable la rémunération brute permettant de disposer du revenu net suivant le barème des indemnités journalières précitées en lui faisant ainsi supporter 23 031 325F CFA d’impôt correspondant à 22 452 743 F d’impôt retenus à la source et 1 578 582 F CFA de contribution forfaitaire à la charge des employeurs; qu’aucune base légale ne permet à CISSE de s’octroyer ce supplément de salaire qui, en réalité, constitue une rémunération non autorisée; que de tels faits ont été constatés et relevés par le rapport d’Audit du cabinet d’Audit et d’Expertise ERA daté du 1l Octobre 1999.
Attendu que la Société A.G.S. ajoute que le principe de l’interdiction des indemnités forfaitaires et du remboursement au réel trouve la justification non seulement en droit fiscal, mais également endroit social; qu’en effet l’article 61de la convention collective relative aux modalités d’attribution et aux taux des indemnités de déplacement auquel renvoie l’article L.108 du Code du Travail, prévoit que pour les travailleurs cadres et assimilés, les frais de voyage et de séjour engagés pour les besoins du service sont remboursés par l’employeur, soit au réel, soit au forfait; qu’elle précise que les indemnités de déplacement qui ne sont nullement assimilables à une prime de dépaysement évitent au travailleur déplacé de supporter des frais supplémentaires dans l’exécution de sa prestation par le seul fait du déplacement.
Attendu qu’elle fait remarquer que même si un contrat a été conclu le 1er Avril 1996, il lui sera inopposable faute d’être autorisé au préalable par le Conseil d’Administration ou approuvé par celui-ci; que d’ailleurs la conclusion d’un contrat de travail entre une société et son Directeur Général serait inopportune, celui-ci ne pouvant juridiquement avoir le statut de travailleur.
Attendu que par écritures des 10 Avril 2001et 13 juillet 2002, Ibrahim CISSE fait observer que le rapport d’ Audit n’a aucune valeur juridique; qu’il n’est pas contradictoire et ne lui a jamais été soumis pour présenter ses observations; qu’il n’a jamais été entériné par un Conseil d’Administration ou une Assemblée Générale; qu’au demeurant ses conclusions ont été démenties par les rapports des commissaires aux comptes de 1996 à 1998 au vu de sa note du 02 mars 2001et du procès-verbal du 31Mai 1999 du Conseil de surveillance en sa créance du 07 Mai 1999.
Attendu qu’il ajoute que la règle de fautonori1Îe du droit fiscal rend inadéquat le fondement de l’action des A.G.S.
Attendu qu’il rappelle qu’il était à la tête d’une société florissante la SOSCAGER lorsque le Président du conseil d’administration des AGS fit appel à lui pour sortir cette société d’une période difficile et lui proposa le poste de Directeur Général à des conditions précises; que le contrat. conclu le 1er Avril 1996, prévoyant entre autres prestations en son article 8 que « les frais de mission et de représentation sont intégralement pris en charge par la société sur la base des frais réels dûment justifiées. En outre, il sera versé à l’employé en mission hors du Sénégal, un forfait journalier de 150 000 F Cfa en zone CFA et 250 000 F Cfa ailleurs »; que cet article intitulé « Mission » et non « frais de mission » réglemente tout ce que les missions impliquent et distingue les frais de mission. de l’indemnité personnelle de mission; que celle-ci est la traduction contractuelle /pour les durées limitées » de la notion d’indemnité de déplacement prévu par l’article L-l08 du Code du Travail issu de la loi du 13 juin 1961applicable à l’époque de la souscription du contrat; que cette indemnité est un salaire complémentaire spécifique soumis à l’inscription au bulletin de salaire et imposable comme tel à l’impôt sur le revenu des salariés ce qui a été fait pour lui; que le contrat vaut loi entre les parties; que la note de service n 08/98 du 26 Février 1998 à laquelle fait allusion la demanderesse vise d’abord le personnel autre que lui ne disposant pas d’un contrat de travail accordant les mêmes droits que les siens, ensuite le cumul de deux frais; or il disposait d’un contrat et ensuite ne cumulait pas deux frais mais recevait un complément spécifique de salaire d’expatriation à durée limitée pendant que les A.G.S supportaient les frais.
Attendu que Ibrahima CISSE signale qu’il a abandonné sa propre société qui marchait bien contre la promesse d’un travail bien rémunéré à la société A.G.S à la quelle il a eu à consacrer son expertise au point de lui éviter la liquidation en moins de trois ans; que mieux, il a réussi à la mettre dans une situation fortement bénéficiaire CO!llll1e cela a été constaté dans les procès-verbaux du Conseil d’Administration et des Assemblées; que dans ces circonstances, sans avoir donné un préavis, elle lui signifia le 19 juillet 1999 son licenciement alors qu’aucune faute, aucun motif ne lui a été précisé et même ses congés annuels ne lui ont pas été payés; que c’est la raison pour laquelle il réclame, sur la base du contrat du 1er Avril 1996 :
– Le salaire de juillet 6 642 640 Francs;
– L’indemnité de logement de juillet 500 000 Francs;
– L’assurance retraite 300 000 Francs;
– Le congé annuel 14 885 240 Francs;
– Le Préavis de3 mois 22 327 860 Francs.
Qu’il signale que ces sommes ont un caractère alimentaire pour demander l’exécution provisoire.
Attendu qu’il réclame en outre 500 000 000 F CFA de dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat.
Attendu que la Société les A.G.S.aproduit le rapport d’Audit du 11 octobre 1999 du cabinet ERA Audit et Expertise.
Attendu que, de son côté, Ibrahima CISSEaversé au dossier le contrat de travail conclu le 1er Avril 1996 avec la société les A.G.S. IART SA représentée par son Président ALTOUNIAN et juin 1999 trois bulletins de salaire des mois de septembre 1996 et décembre 1998, les statuts des A.G.S. le procès verbal de la réunion du Conseil d’Administration des A.G.S. en date du 15 juillet 1999, une lettre du 30 juin 1999 du G.I.E. SUUNA adressée au Président du Conseil de Surveillance des A.G.S. une lettre du 07 juillet 1999 adressée par certaines actionnaires au Ministre de l’Économie et des Finances, un exploit de signification-opposition du 09 septembre 1999, la feuille de présence de l’Assemblée Générale réunie extraordinairement le 13 mars 1996, un procès-verbal de constat du 21 juillet 1999, une sommation du 20 juillet 1999 des A.G.S. une signification lettre du 17 septembre 1999, et une assignation servie à sa requête aux A.G.S. en annulation d’Assemblée Générale; le jugement d’incompétence du Tribunal Travail de Dakar n 98.
Attendu qu’il résulte du contrat produit que Ibra11ima CISSEa été recruté en qualité de Directeur Général par les A.G.S. IART représenté par son Président ALTOUNIAN; qu’il est précisé dans ce contrat qui entre en vigueur à compter du 13 mars 1996 pour durée indéterminée; qu’il est prévu à son article 8, que les frais de mission et de représentation sont intégralement pris en charge par la Société sur la base des frais réellement justifiés et qu’en plus, encas de mission hors du Sénégal, il sera versé à Ibrahima CISSE un forfait journalier de 150 000 Francs en zone franc CFA et 250 000 Francs ailleurs.
Attendu que la Société les A.G.S. est malvenue à soutenir l’inopposabilité à son égard dudit contrat dans la mesure où elle a reconnu dans ses écritures que son Conseil d’Administration du 13 mars 1996 a entériné la désignation de CISSE comme Directeur Général; que d’ailleurs cette situation a été constatée par le Tribunal du Travail dans son jugement précité.
Attendu que ce contrat prévoit expressément le paiement cumulé à CISSE des frais réels et frais forfaitaires; que l’irrégularité de ce cumul que la Société A.G.S. prétend tirer de l’article 8-10 du Code Général des Impôts procède d’une erreur d’interprétation de ce texte; qu’en effet, celui -ci signifie bien que les frais forfaitaires et les frais réels soient déductibles, encas de cumul, lé bénéfice de la déduction ne sera accordé qu’à une seule catégorie de frais; que par conséquent encas de cumul de ces fiais, il faut opter entre la déduction des frais réels ou celle des fiais forfaitaires.
Attendu que l’interdiction du cumul ne peut non plus être tirée des articles L.l08 du Code du Travail et Gl (sic) de la C.C.N.I.; qu’en effet, ces dispositions indiquent seulement que l’employeur n’est tenu au paiement de l’indemnité de déplacement que soit sur la base d’une évaluation forfaitaire, soit sur présentation de pièces justificatives; qu’ainsi elles n’interdisent pas aux parties, comme c’est le cas en l’espèce, de convenir librement du cumul des deux.
Attendu que Ibrahima CISSE, en qualité de Directeur Général, donc le dirigeant de la société, n’a ni le même statut, ni le même contrat que ceux des travailleurs; qu’il est dès lors évident que l’interdiction de cumul des fiais qu’il a pu rappeler à ceux-ci dans sa note de service ne s’applique pas nécessairement à lui, alors surtout que son contrat lui confère expressément cet avantage.
Attendu qu’au vu de tout ce qui précède, il échet de débouter la Société les A.G.S. de sa demande en remboursement de frais et par voie de conséquence de celles en dommages-intérêts et en exécution provisoire.
Attendu que le contrat avec CISSE a été conclu pour une durée indéterminée; qu’en y mettant un terme sans avoir servi au préalable un préavis, la société les A.G.S.a commis un abus dans l’exercice de son droit de rupture unilatérale; lequel abus ne peut être justifié par la révocabilité ad nutum des dirigeants sociaux des sociétés anonymes; qu’il convient dont de réparer le préjudice certain qui en a découlé en allouant à CISSE la somme de 10 000 000 de F CFA, celle de 500 000 000 de F CFA réclamée étant manifestement exagérée.
Attendu qu’il y a lieu de rappeler que le contrat liant CISSE à la Société qu’il dirigeait n’est pas un contrat de travail au sens du Code du Travail, faute de correspondre à un emploi effectif et de comporter un lien de subordination; qu’il s’agit plutôt d’un mandat salarié que CISSE en tant que mandataire salarié ne peut invoquer les dispositions du Code du Travail pour prétendre au paiement du salaire de juillet 1999, l’indemnité de logement, de l’assurance retraite, congé annuel et du préavis de 3 mois; qu’au surplus les dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat couvrent les différents chefs de préjudice consécutifs à cette rupture; qu’il échet donc de le débouter sur ces points.
Attendu que compte tenu de l’ancienneté des frais et du caractère alimentaire en partie de la somme allouée, il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire à hauteur de 500 000 Francs.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort.
EN LA FORME
Rejette les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité des demandes reconventionnelles.
Reçoit les demandes principales et incidentes.
AU FOND
Déboute la Société les A.G.S. de toutes ses demandes.
La condamne à payer à Ibrahima CISSE la somme de 10 000 000 Francs à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat.
Ordonne l’exécution provisoire à hauteur de 500 000 F CFA; Déboute Ibrahima CISSEdu surplus de ses demandes.