J-06-25
VOIES D’EXECUTION – CONTENTIEUX DE L’EXECUTION – JUGE DES REFERES (NON) – JRURIDICTION DE DROIT COMMUN (NON) – JURIDICTION SPECIALE (OUI).
Selon l’article 49 AUPSRVE, le juge compétent pour connaître des difficultés d’exécution n’est pas le juge des référés mais le président d’une juridiction spécialement créée à cet effet par ce texte.
Article 34 AUPSRVE
Article 49 AUPSRVE
Article 160 AUPSRVE
(TPI Douala-Bonanjo, Référé, Ordonnance n 392 du 26 février 2003, ACTIVA Assurances c/ Ndjebet Jean Marie et autres, note Alexis NDZUENKEU, Juris Périodique, n 57, p. 48).
Nous, juge des référés.
Attendu que par exploit daté du 11 mars 2002 du Ministère de Maître Guy EFON, Huissier de Justice à Douala, exploit non encore enregistré mais qui le sera en temps utile, la Compagnie ACTIVA ASSURANCES dont le siège social est à Douala, B.P. 12970 et ayant pour conseil Maître Constant KOUM, Avocat au Barreau du Cameroun, B.P. 4250 Douala, a cité à comparaître : NDJEBET Jean Marie, Administrateur de la succession de feu Mbenoun SANGO Joseph, Maître Simon Ruben Ngomb, Huissier de Justice à Edéa, la BICEC, la SGBC, la SCB. CLC, la Standard Chartered Bank Cameroon (SCBC), la CBC, Afril and First Bank, Amity Bank, prises en la personne de leur représentant légal, devant monsieur le Président du Tribunal de première instance de Douala statuant en matière de référé ordinaire et siégeant dans la salle de ses audiences sise au Palais de Justice dudit, pour :
S’entendre constater la violation des dispositions des articles 34 et 160 de l’Acte uniforme OHADA n 6 et 1er de la loi n 89/020 du 29 décembre 1989 fixant certaines dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice.
S’entendre constater le caractère non exécutoire du jugement n 1057/COR du 11mai 2001du Tribunal de première instance d’Edéa.
Voir donner mainlevée de la saisie-attribution querellée sous astreinte de 1000 000 FCFA par jour de retard.
S’entendre ordonner l’exécution provisoire de l’ordonnance à intervenir nonobstant toutes voies de recours.
S’entendre condamner aux dépens.
Attendu qu’au soutien de son action, la demanderesse expose que par jugement n 1057/COR rendu contradictoirement à tort à son égard le 11mai 2001, le Tribunal de première instance d’Edéa la condamnait à payer la somme de 9 276 619 PCA aux ayants droit de MBENOUN; que ce jugement a été prononcé contradictoirement à son encontre alors qu’elle n’a jamais été citée, ni comparu en la cause; que néanmoins, elle a relevé appel comme en fait foi le procès-verbal de déclaration d’appel n 324 du 17 septembre 2001après avoir été fortuitement informée de l’existence du jugement querellé.
Que le 08 janvier 2002, elle a reçu notification du procès-verbal de saisie-attribution de créances ainsi qu’un autre relatif à la dénonciation de la saisie-attribution de créances; que la voie d’exécution opérée a été pratiquée en violation des dispositions des articles 34 et 160 de l’Acte uniforme OHADA n 6 et 1er de la loi 89/020 du 29 décembre 1989 fixant certaines dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice; que ni la signification ni le commandement de payer en exécution du jugement allégué n’ont été faits; que le certificat de non appel excipé ne porte aucune mention de la date de signification de la décision querellée, ce qui démontre à suffire que cette décision juridictionnelle n’a jamais été signifiée à la partie condamnée.
Que l’article 160 ci-dessus mentionné dispose que l’acte de saisie contient à peine de nullité « en caractères très apparents, l’indication que les contestations peuvent être soulevées, à peine d’irrecevabilité dans un délai d’un mois qui suit la signification de l’acte et la date à laquelle expire ce délai ainsi que la désignation de la juridiction devant laquelle les contestations pourront être portées »; que si l’acte est délivré à personne ces indications doivent être également portées verbalement à la connaissance du débiteur; que la mention d’icelle ne figurant pas dans l’acte de dénonciation à elle signifié, il échet d’annuler le procès-verbal de saisie-attribution querellé et de donner mainlevée.
Qu’en outre le certificat d’appel n 324 du 17 septembre 2001à elle délivré suspend l’exécution de la décision n 1057/COR rendu par le Tribunal de première instance d’Edéa conformément aux dispositions de l’article ter de la loi 89/020 du 29 décembre 1989 susvisée.
Qu’il échet de donner mainlevée de la saisie-attribution sous astreinte de 1000 000 FCFA par jour de retard avec exécution provisoire.
Attendu que pour faire échec à l’action de la demanderesse, le Crédit Lyonnais Cameroun sous la plume de Maître Virgile Ngassam N. Avocat au Barreau du ameroun, conclut au débouté de sa condamnation aux dépens comme non fondée; qu’en sa qualité de tiers saisi elle ne saurait être condamnée aux dépens parce que n’ayant aucun intérêt personnel au procès.
Attendu que les ayants droit de feu MBENOUN quant à eux sollicitent au principal du juge qu’il se déclare incompétent en vertu de l’article 49 de l’Acte uniforme de l’OHADA susvisé.
Que subsidiairement l’action de ACTIVA est irrecevable comme faite plus de deux mois après la dénonciation de la saisie-attribution de créances du 08 janvier 2002 en vertu de l’article 170 de l’Acte uniforme susvisé.
Qu’une première décision a déjà été rendue le 05 mars 2002 devant le juge des référés statuant en matière d’urgence entre les mêmes parties, la même cause et le même objet.
Très subsidiairement, que la prétention de ACTIVA fondée sur la signification de la décision correctionnelle du 11mai 2001; que l’article 34 invoqué est inapplicable en l’espèce et qu’aucun commandement n’est prescrit en matière de saisie-attribution de créances; que la mention de déclaration verbale de l’article 160 de l’Acte uniforme de l’OHADA susvisé n’est nécessaire que lorsque la dénonciation est adressée à une personne physique directement impliquée dans la saisie; que sieur KOUAMO Guillaume à qui la dénonciation a été servie le 08 janvier 2002 n’est pas ACTIVA ASSURANCES à qui la dénonciation était adressée.
Que l’article 1er de la loi n 89/020 du 29 décembre 1989 fixant certaines conditions relatives à l’exécution des décisions de justice n’à pas été violé, ce texte ne visant que l’appel en matière non répressive comme suspensif; que l’appel du 17 septembre 2001contre une décision correctionnelle du 11mai 2001est abusif et dilatoire, et que ACTIVA encourt déchéance.
Qu’en conséquence, il échet de débouter ACTIVA ASSURANCES de toutes ses prétentions comme non fondées.
Attendu cependant sans qu’il y ait lieu d’examiner les prétentions des parties au fond que les règles de compétence sont d’ordre public.
Qu’il ressort de l’analyse des pièces du dossier de la procédure que le litige dont est saisi le Juge porte sur une contestation d’une saisie-attribution de créances; qu’il est avéré que les différends de cette nature sont de la compétence exclusive du Juge de l’urgence chargé du contentieux de l’exécution conformément aux dispositions de l’article 49 de l’Acte uniforme OHADA portant procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution; que le juge des référés ne saurait sans violer le susdit texte connaître de la demande formulée par la société ACTIVA ASSURANCES S.A.
Qu’il échet en conséquence de se déclarer incompétent ratione materiae.
Attendu qu’il y a lieu de condamner la demanderesse aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’egard des partie, en matière de référé ordinaire, en premier ressort, et après en avoir délibéré conformément à la loi.
Constatons que nous sommes saisi pour une contestation d’une saisie-attribution de créances.
Constatons que le juge des référés n’est pas compétent pour examiner une telle demande.
En conséquence, nous déclarons incompétent ratione materiae.
Condamnons la demanderesse aux dépens.
OBSERVATIONS
1) La jurisprudence Camerounaise aurait-elle définitivement renoncé à consacrer le juge des référés comme juge du contentieux de l’exécution? Telle est la question qu’il est permis de se poser après les ordonnances n 5 392 du 26 février 2003, 09 du 16 janvier 2002 et 31du 07 novembre 2002 rendues respectivement par les présidents des tribunaux de première instance de Douala, Garoua et Yaoundé. Ces décisions se rattachent en effet à une tendance jurisprudentielle récente discrètement inaugurée par le président du tribunal de première instance (PTPI) de Douala, puis ouvertement reprise et confirmée depuis lors par nombre de ses homologues.
2) L’on sait qu’au lendemain de l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUVE), l’article 49 de ce texte a profondément divisé la communauté des juristes camerounais. Cette disposition énonce, plutôt banalement, que « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute autre demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui ». Tandis que certains théoriciens et praticiens du droit y voyaient un renvoi évident au juge des référés, d’autres faisaient valoir au contraire que la loi nouvelle avait institué un juge spécial des saisies, distinct du juge des référés. Et alors que la thèse de la compétence du juge des référés avait eu pendant longtemps les faveurs de la doctrine et surtout de la jurisprudence, les décisions annotées se rallient nettement à la seconde interprétation.
3) Dans une espèce comme dans l’autre, les faits étaient d’une clarté qui interdisait toute décision ésotérique. En effet, les défendeurs contestaient le titre du PTPI, mais uniquement en ce qu’il siégeait comme juge des référés, à connaître du contentieux de l’exécution forcée mobilière en général, et plus spécifiquement d’une demande tendant à l’invalidation d’une saisie-attribution (1ère et 3e espèces) ou d’une saisie conservatoire de créances (2e espèce). Le problème soumis au juge était donc identique dans les trois cas : l’article 49 AUPSRVE qui règle la compétence d’attribution en matière de saisies désigne-t-il le juge des référés ou un juge spécial?.
La réponse, tout aussi identique, s’est voulue non équivoque : les PTPI disent pour droit que le texte supranational renvoie non pas au juge des référés; mais à un juge spécial, plus précisément le juge de l’exécution.
4) Il convient de relever que l’application de l’article 49 AUPSRVE avait jusqu alors engendré une jurisprudence des plus enténébrées. Saisis d’un litige relatif à une saisie mobilière, les juges du fond ont, en règle générale, retenu leur compétence en méconnaissance du texte communautaire, même si on a progressivement vu poindre ça et là quelques jugements d’incompétence et arrêts de censures.
Les présidents des tribunaux de première instance siégeaient en la matière en qualité de juges des référés et, au second degré, les Cours d’appel statuaient en formation de référé. Ici, les solutions dégagées reflétaient bien souvent la logique du référé découlant des articles 182 et suivants du code de procédure civile et commerciale (C.P.C.C.) : on se déclarait incompétent en présence d’une contestation sérieuse ou d’un risque de préjudice au principal. C’est dire si la pratique judiciaire camerounaise assimilait de manière générale le juge de l’urgence de l’article 49 AUVE au juge des référés.
5) Cette assimilation pouvait se réclamer d’une profusion d’arguments, l’identité étant, prima facie, parfaite entre les articles 182 s. C.P.C.C. et 49 AUVE ces deux textes renvoient, sans nul doute, au même personnage, à savoir le président du tribunal de première instance; ils se réfèrent l’un et l’autre à une procédure rapide excluant l’opposition, et fixant un délai d’appel identique et, en principe, non suspensif de l’exécution. Probablement sensibles à ces similitudes, de nombreux auteurs ont vu dans l’article 49 AUVE un appel à la compétence du juge des référés dans le contentieux des saisies, lors même qu’ils divergeaient quant à l’étendue des pouvoirs dudit juge en la matière.
L’argument technique décisif en faveur de la compétence du juge des référés vient sans conteste du Professeur Issa-Sayegh, qui relève : que l’Ohada a certainement entendu éviter toute immixtion dans l’organisation judiciaire des Etats membres; que les spécificités nationales donnant lieu à une multiplicité de vocables pour désigner le même organe judiciaire, les rédacteurs des Actes uniformes ont été contraints de recourir à des termes génériques, de sorte que le juge des référés serait devenu le juge statuant en urgence; la Cour d’appel, juridiction statuant au second degré; Je tribunal de commerce, la juridiction compétente en matière commerciale..
6) Ces considérations d’une remarquable pertinence n’ont pourtant pas dissuadé le juge de se prononcer en sens contraire dans les espèces commentées, qui marquent comme un coup d’arrêt à la marche conquérante du référé dans les voies d’exécution. Sans doute la motivation de ces décisions a-t-elle, en elle-même, quelque chose d’aride puisque faisant mystère de son raisonnement, le PIPI se confine à déclamer, comme un dogme de métaphysique juridique, que l’article 49 qui traite du contentieux de l’exécution renvoie au « président du tribunal [.] statuant en matière d’urgence comme juge de l’exécution des décisions et non comme juge des référés » (7e espèce), ou que « le juge [.] des articles 182 et suivants du code de procédure civile et commerciale ne saurait être compétent en la matière » (3e espèce). Mais l’on imagine aisément que les PIPI se sont ralliés à l’opinion d’une partie de la doctrine, qui flétrissait l’intervention du juge des référés dans le contentieux de l’exécution.
L’on a en effet pu soutenir que la célérité de la procédure, l’exclusion de l’opposition comme voie de recours et le délai d’appel identique prévus tant par les articles 182 s. C.P.C.C. que par l’article 49 AUVE n’étaient que des coïncidences trompeuses, n’autorisant guère la confusion entre la juridiction des référés et la nouvelle juridiction de l’exécution.
Affinant cette démarcation, l’on a souligné que le juge des référés n’était point l’unique juge des urgences; que l’AUVE investissait la juridiction par elle désignée, de pouvoirs spécifiques excédant ceux du juge des référés; que l’exécution provisoire des décisions rendues par ce nouveau juge obéissait à un régime spécial. Il a en outre été observé que la thèse en faveur de la compétence du juge des référés conduisait à une absurdité en ce qu’elle aboutissait à reconnaître à la juridiction dies référés, instance de juridiction contentieuse par essence, l’aptitude à rendre des ordonnances sur requête, puisque le libellé de l’article 49 confie à un seul et même juge le soin de connaître, en la même qualité, de toutes les demandes se rapportant à une saisie, y compris donc celles des demandes qui ne peuvent être instruites que selon une procédure non contradictoire.
7) adire vrai, certains PTPI avaient déjà franchi un premier pas lorsque, statuant en état de référé dans le contentieux de l’exécution, ils se reconnaissaient sur le fondement de l’article 49 AUVE les pouvoirs d’un véritable juge du fond. Approuvés en cela par les juges d’appel, ils opéraient ainsi une première distinction selon laquelle le juge des référés, tout en demeurant en règle générale le juge du provisoire, de l’incontestable et de l’évident, deviendrait juge du fond dans la matière spéciale des saisies, par la vertu de l’article 49 AUVE. Les ordonnances commentées marquent donc, dans le contentieux national de droit communautaire, une nouvelle étape dans l’interprétation de l’article 49 AUVE, puisqu’elles condamnent dans son principe même l’intervention du juge des référés dans la matière des saisies. De l’avis des juges des référés de Douala-Bonanjo, Garoua et Yaoundé-Ekounou, la loi uniforme donne certes compétence au PIPI; mais celui-ci statue alors comme juge de l’exécution, et non en qualité de juge des référés :
8) Mais alors surgit une interrogation : lors même qu’elle serait admise, cette différenciation saurait-elle justifier la solution radicale de l’incompétence du PIPI saisi comme juge des référés? Dès lors que le juge des référés et le juge de l’exécution sont incarnés par le même personnage qui est le PIPI, l’article 49 ne postule-t-il pas une simple réorganisation administrative de la juridiction présidentielle? La question revêt toute son importance, au regard tant de l’embarras des magistrats se traduisant par la multiplicité, voire l’ambiguïté des formules utilisées que de la sévérité avec laquelle certains juges sanctionnent les errements de langage qui viendraient à infester l’acte introductif d’instance.
8 bis) Réunis à Yaoundé les 11, 12 et 13 juillet 2001, les chefs des Cours d’appel ont adopté des recommandations conseillant aux PIPI de désormais introduire l’exorde des ordonnances rendues dans le contentieux de l’exécution par la formule nouvelle « Nous,. Juge de l’urgence statuant en vertu de l’article 49 AUVE » et non plus par celle traditionnelle « Nous,. Juge des référés » (et cela indépendamment, semble-t-il, de la qualité en laquelle ils auront été saisis). Seulement, il est permis de s’interroger sur le bien-fondé de cette approche conciliatrice, lorsqu’on examine la nature de la règle contenue dans le texte communautaire, car il semble bien que l’article 49 AUVE pose une véritable règle de compétence d’attribution et non une simple mesure d’administration judiciaire.
Les règles d’administration judiciaire, on le sait, concourent seulement à l’organisation et au bon fonctionnement du service de la justice, ainsi qu’à la rationalisation du travail juridictionnel. Parce qu’elles ne résolvent pas de question de droit et ne préjudicient guère aux intérêts de l’une quelconque des parties, les ordonnances relevant de l’administration judiciaire ne sont en principe sujettes à aucun recours. C’est le cas par exemple d’une ordonnance de répartition des tâches entre magistrats d’une même juridiction, ou encore d’une ordonnance autorisant une partie à assigner à bref délai. Par contre, il ne fait aucun doute qu’une décision rendue en méconnaissance de l’article 49 AUVE par une juridiction incompétente serait exposée à une censure certaine, de sorte que la règle posée par ce texte s’apparente à une véritable règle de compétence d’attribution et ne constitue pas seulement une mesure d’administration judiciaire, destinée à assurer au sein d’une même juridiction la répartition des procédures pour le bon ordre du service.
Cette lecture se recommande par ailleurs de la lettre même de l’article 49 AUVE, qui érige le PIPI en une véritable juridiction en le désignant comme étant « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute autre demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire ». En matière de saisies, le PIPI, qui arborerait alors la casquette de juge de l’exécution, constituerait donc une véritable juridiction autonome qui resterait, en même temps, bien distincte de toutes les autres juridictions du premier degré. Dans le domaine spécifique des saisies, cette juridiction sui generis ne tolérerait la concurrence d’aucun autre juge, fût-il le juge des référés. Ce dernier, saisi d’un litige dévolu à la compétence exclusive du juge de l’exécution, doit se déclarer incompétent, surtout même que les règles attributives de compétence matérielle sont d’ordre public. Telle semble être la logique du juge dans les espèces commentées. En conséquence, il n’existerait pas seulement, au tribunal de première instance, une fonction de juge de l’exécution; celui-ci aurait une existence propre, organique, statutaire :
8 ter) On pourra certes objecter qu’en OHADA comme dans toute organisation d’intégration juridique le principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale commande que chaque Etat membre détermine les juridictions compétentes et leurs pouvoirs selon les règles régissant son organisation judiciaire propre, en sorte que l’organisation judiciaire camerounaise ne prévoyant pas un juge de l’exécution, la transposition au plan national de l’article 49 AUVE ne peut que conduire à la désignation dû juge des référés.
Une telle objection n’est toutefois pas sans réponse, puisque l’autonomie institutionnelle des Etats membres ne saurait ouvrir la voie à la ruine de l’effet direct du droit communautaire, et à la méconnaissance de la primauté de l’ordre juridique communautaire sur les ordres juridiques nationaux. Cette primauté implique, de la part des autorités nationales, l’obligation de prendre toutes mesures propres à garantir l’application et l’efficacité du droit communautaire. On aurait pu, dans cette optique, envisager une solution de compromis consistant à reconnaître au juge des référés la plénitude des pouvoirs dans le cadre spécifique de l’exercice de sa mission communautaire de régulation des procédures civiles d’exécution. Or, l’on a déjà démontré en quoi la nature et l’essence même de la juridiction des référés étaient incompatibles avec l’office du juge indiqué par l’article 49, de sorte que confier le contentieux de l’exécution au juge des référés constituerait une véritable malfaçon. Dès lors, en partant de cette double constatation d’une part que l’AUVEadirectement intégré l’ordre juridique camerounais, et d’autre part que le renvoi par l’article 49, dudit Acte au PTPI ne fait l’ombre d’aucun doute, il importe d’aménager au profit de ce magistrat un statut et des pouvoirs qui soient conformes aux objectifs de la loi communautaire, et qui le mettent à même d’exercer convenablement la mission à lui assignée par l’article 49 AUVE. De ce point de vue, les ordonnances annotées nous semblent dignes de créance.
9) Deux implications au moins sont attachées à la solution retenue par ces décisions.
La première, qui coule comme de source, est que, du fait de sa rencontre avec le droit communautaire, la juridiction présidentielle au niveau du TPIasubi une importante métamorphose et comporte désormais trois démembrements : le PIPI, qui était déjà juge des requêtes et juge des référés, est investi des fonctions nouvelles de juge de l’exécution, ce qui présente l’avantage d’éviter le système ténébreux d’un référé à plusieurs vitesses où le juge se proclamerait alternativement juge du principal et juge du provisoire, selon qu’il s’agit ou non d’une saisie.
La seconde, moins évidente, est que le juge de l’exécution est compétent pour rendre des ordonnances sur requête en matière de saisies mobilières. II importe de souligner que, le C.P.C.C. n’ayant point fixé un régime général des ordonnances sur requête, c’est à la doctrine et à la jurisprudence que l’on doit la sécrétion d’un droit commun de l’ordonnance sur requête. Il est aujourd’hui admis que, lorsqu’il a été fait droit à la requête présentée, la voie de recours ouverte contre l’ordonnance rendue est le référé à fin de modification ou de rétractation. Lors donc que le juge des référés se déclare matériellement incompétent à rétracter l’ordonnance de saisie conservatoire dans la deuxième espèce commentée, il postule par là même que l’ordonnance querellée n’émanait point du juge des requêtes ordinaire. Il s’en infère que c’est en qualité de juge de l’exécution que le PTPI avait, ab initio, rendu sur requête l’ordonnance attaquée en rétractation Cette déduction, qui induit un éclatement de la compétence sur requête du PTPI; laissé quelque peu songeur.
10) De fait, les ordonnances commentées ouvrent la porte à toutes les spéculations, et on ne peut aller plus avant dans l’analyse sans courir au-devant de, nouvelles interrogations.
Il n’est certes plus discuté qu’en dépit de sa formulation plutôt généreuse, l’article 49 AUVE est sans application en matière de saisie immobilière; les incidents de toute procédure d’expropriation forcée de biens immobiliers continuent de relever de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. Mais dans la matière spéciale des saisies mobilières qui lui est réservée, quelle est l’étendue des pouvoirs dont dispose le juge désigné par l’article 49? La Cour d’appel du Centre a pu, il est vrai, indiquer que ledit juge avait une compétence exclusive lui faisant prohibition de se déclarer incompétent. Le juge d’appel de Douala a précisé qu’il en découlait, pour le juge désigné, une aptitude générale à statuer « tant sur.
Informe de l’acte d’exécution que sur le fond de la décision à exécuter » . Peut-on en déduire que le PIPI statuant dans le contentieux de l’exécution aura la liberté de dépasser les questions de pure exécution pour se prononcer sur les critiques élevées à l’encontre du titre exécutoire servant de fondement aux poursuites?.
Autre question, bien plus pressante : en admettant avec les juges des référés de Douala, Garoua et Yaoundé que le texte communautaire a engendré un juge de l’exécution distinct du juge des référés, quelle est alors la procédure applicable devant la nouvelle juridiction, puisque la loi uniforme est muette à ce sujet? Envisageant le problème, le PTPI de Douala-Bonanjo professe, non sans emphase, que le nouveau juge de l’exécution « peut statuer en référé d’heure à heure connue en référé ordinaire » . Mais ce n’est là que pétition de principe.
Par ailleurs, comment concilier l’existence de cette nouvelle juridiction du premier degré avec le principe du double degré de juridiction? Faut-il réaménager pour les adapter les formations de la Cour d’appel ou convient-il de décider, comme l’a fait hardiment la CCJA dans une espèce, que dans le silence de l’Acte uniforme la Cour d’appel ne saurait être saisie sur le fondement des textes nationaux qui organisent la procédure d’appel? On frémit à l’idée qu’un plaideur malheureux puisse se voir dénier le bénéfice du double degré de juridiction!.
Et ce n’est pas tout. Dès lors que le juge de l’exécution et le juge des référés sont incarnés par le même personnage. le PTPI, par ailleurs juge des requêtes. de quels repères disposent les justiciables pour identifier avec précision le juge auquel s’adresser? Comment conjurer les risques potentiels de télescopage entre juge des référés et juge de l’exécution? Et comment concilier la compétence sur requête de ce dernier avec l’existence au TPI d’un juge des requêtes de droit commun? Bref, que faire pour délimiter les frontières et rasséréner les plaideurs tout en garantissant un fonctionnement harmonieux de la trinité présidentielle?.
11) Au total, les ordonnances commentées marquent assurément une étape décisive dans l’interprétation jurisprudentielle de l’article 49 AUVE. Après cinq années d’application cacophonique du texte communautaire, les juges lancent, dans l’une et l’autre espèces, un message clair : le juge de l’exécution est en marche. Nul ne songe, cependant, à proclamer triomphalement que l’on est enfin parvenu au soir de cette longue pérégrination. On se prend simplement à espérer que, dans l’attente d’une intervention législative, la jurisprudence camerounaise, dont on a souvent décrié les flottements singulièrement rapides, saura se donner les moyens d’un affinement syncrétique de l’audacieuse construction ainsi amorcée.
Alexis NDZUENKEU.
Magistrat.