J-06-64
DROIT COMMERCIAL GENERAL – VENTE COMMERCIALE – VENTEaEXECUTION INERNATIONALE – JURIDICTION COMPETENTE – PRESCRIPTION – DETERMINATION DE LA LOI APPLICABLE.
La société débitrice appelante poursuit l’annulation ou l’infirmation de l’ordonnance qui alloue à la compagnie créancière une provision sur le montant d’une dette dont l’appelante avait reconnu le principe sur procès verbal de sommation interpellative. Au soutien de son action devant la Cour, elle relève :
– l’incompétence territoriale du juge des référés en raison d’une clause conventionnelle d’attribution de compétence;
– la prescription de la créance en vertu de la loi des parties procédant de la clause conventionnelle d’attribution de compétence.
Or n’étant pas exclusive comme en matière sociale, pénale, administrative ou d’état des personnes, n’étant pas d’ordre public, l’exception d’incompétence doit être soulevée avant toutes autres exceptions ou défenses au fond. Dès lors, pour la Cour, la partie qui n’ignorait pas la clause attributive de compétence, mais n’a pas été diligente en première instance, doit être reconnue forclose et irrecevable en appel en son exception d’incompétence.
Pour statuer sur l’exception de prescription, la Cour d’appel a considéré que le litige, portant sur une convention à exécution internationale, est régi par la loi adoptée par les parties ou, à défaut, la loi nationale de la résidence habituelle de la partie qui doit fournir la prestation caractéristique du contrat. En l’occurrence la loi française est applicable, dès lors que réside en France le vendeur, partie tenue à la délivrance qui est la prestation caractéristique de la vente.
Article 274 AUDCG
Article 282 AUDCG
(COUR D’APPEL DE OUAGADOUGOU, ORDONNANCE DE REFERE n 89/2001(manque la date) EURASIE-AFRIQUE c/ Compagnie internationale d’affrètement et de transit (CIAT).
LA COUR
Nous, P. Mathias NIAMBEKOUDOUGOU, Premier Président à LA COURd’Appel de Ouagadougou.
Assisté de Maître Karidiatou TRAORE, Greffier en Chef de ladite cour.
Étant en notre cabinet.
Dans l’affaire :
EURASIE. AFRIQUE, ayant pour conseil Maître COULIBALY Mamadou, avocat à la Cour.
Contre :
La Compagnie Internationale d’Affrètement et de Transit (C.I.A.T.), représentée par Maître SOME B. Mathieu, avocat à la Cour.
Vu l’ordonnance n 132/CAB/PR du 21 novembre 2000 du Président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou.
Vu l’appel relevé le 29 novembre 2000 contre ladite ordonnance.
Attendu que par ordonnance n 132 du 21 novembre 2000 le Président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou allouait à la Compagnie Internationale d’Affrètement et de Transit (C.I.A.T.) une provision de dix millions (10 000 000) francs sur une créance de 16.987.248 francs dont le paiement est réclamé de la société Eurasie Afrique représentée par Marcel BIHOUE, motifs pris de ce que le principe de la créance est reconnue par le débiteur au procès-verbal de sommation interpellative du 6 octobre 2000 et que l’instance de fond permettra de statuer sur la créance globale.
Attendu que la société Eurasie Afrique poursuit l’annulation ou l’infirmation de l’ordonnance querellée, qui avait été rendue alors que le juge des référés du Burkina Faso serait territorialement incompétent pour connaître du litige en raison d’une clause conventionnelle d’attribution de compétence, au profit du Tribunal de Commerce de Paris (France), contenue dans les factures matérialisant les transactions commerciales entre les parties; que les factures, vainement réclamées de C.I.A.T. pour établir le montant de la créance devant le premier juge, n’ont été obtenues que postérieurement à la décision, à l’occasion d’une instance opposant les deux parties devant le Tribunal de Commerce de Paris, procédure d’ailleurs clôturée par un jugement de désistement d’instance du 28 septembre 2001que l’incompétence d’une juridiction est un moyen d’ordre public pouvant être relevée en tout état de cause par les parties et même d’office par le juge; qu’il soulève au fond la prescription de la créance par application des dispositions de l’article 108 du Code de Commerce Français, qui est la loi des parties en raison de la clause conventionnelle d’attribution de compétence.
Attendu que la CIAT conclut à l’irrecevabilité de l’exception d’incompétence du juge des référés national en ce que d’une part le moyen soulevé après des conclusions prises devant le juge de premier degré est tardif par application des dispositions de l’article 125 du Code de Procédure Civile et d’autre part il heurte le principe du double degré de juridiction qui interdit toute demande nouvelle en barre d’appel telle que le prévoit l’article 545 du Code de Procédure Civile; que la prescription de la créance ne saurait être recevable parce que non discutée devant le premier juge, le délai étant par ailleurs de cinq (5) ans à l’article 108 du Code de Commerce burkinabé; qu’il échet d’infirmer l’ordonnance en lui adJugeant l’entièreté de sa créance de 16.987.248 francs ou à défaut la confirmer en toutes ses dispositions.
EN LA FORME
Attendu que l’appel relevé par la société Eurasie Afrique, le 29 novembre 2000 contre une ordonnance de référé rendue le 21 novembre 2000, obéit aux conditions de forme et de délai de la loi et mérite d’être déclaré recevable.
AU FOND
SUR L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE
Attendu que l’exception d’incompétence du juge national des référés est soulevée à raison de la clause attributive de compétence faite au profit du Tribunal de Commerce de Paris dans les factures transactionnelles; que les parties ont verbalement conclu devant le juge des référés de premier degré et les énonciations de l’ordonnance n’établissent pas que l’exception d’incompétence ait été soulevée devant ledit juge.
Attendu qu’aux termes des articles 45 et 46 du Code de Procédure Civile, en matière contractuelle le tribunal compétent est celui du lieu où le contrat s’est formé ou celui du lieu où l’obligation doit être ou a été exécutée et en matière commerciale celui du domicile du défendeur, celui où la promesse a été faite ou la marchandise livrée ou celui où le paiement devait être exécuté; que les deux parties sont domiciliées en France, où le contrat a été conclu et où les paiements devaient être faits même si la marchandise doit être livrée au Burkina Faso; qu’au plan contractuel ou commercial, la CIAT pouvait saisir les juridictions des deux pays; que s’agissant de transactions commerciales entre deux sociétés commerciales, la compétence matérielle revient à la juridiction commerciale par application des dispositions des articles 631à 633 du Code de Commerce et 22 de la loi n 10-96/ADP du 17 mai 1993 portant organisation judiciaire au Burkina Faso; qu’en instance de référé, le Président du Tribunal de Grande Instance exerce au Burkina les compétences dévolues au Président du Tribunal de Commerce, en l’absence de composition distincte des chambres civiles et commerciales.
Attendu que les parties ont contractuellement retenu la compétence du Tribunal de Commerce de Paris; que cette clause qui résulte de la volonté de la société CIAT lui est opposable; que la société Eurasie Afrique déclare n’en avoir eu connaissance qu’à l’occasion du litige opposant devant le Tribunal de Commerce de Paris la CIAT à son représentant Monsieur Marcel BIHOUE, pièces communiquées par fax les 31mai et 28 septembre 2001; que cependant trois (3) factures n 03118/80301, 04029/80345 et 04030/80346 des 25 mars et 7 avril 1999 aux montants de 21 056, 17.483,66 et 31.816 francs français sont transmises par fax du 6 juillet 2000 à « Eurasie Afrique BP 2107, Burkina Faso » par la société C.I.A.T.; que la clause d’attribution de compétence y est écrite; que Eurasie Afrique est mal fondée à soutenir qu’elle en ignorait l’existence lors de l’instance de référé annoncée par la sommation interpellative du 6 octobre 2000 et débutée par l’assignation du 29 octobre 2000.
Attendu que l’exception d’incompétence soulevée ne touche pas à l’attribution exclusive de compétence en matière sociale, pénale ou administrative ou dans les litiges relatifs à l’état des personnes; que n’étant pas d’ordre public au sens de l’article 127 du Code de Procédure Civile, l’exception doit être soulevée avant toutes autres exceptions et défenses au fond; qu’ainsi, par application de l’article 125 du Code de Procédure Civile, Eurasie Afrique est forclose en son exception; qu’il échet la déclarer irrecevable.
SUR L’EXCEPTION DE PRESCRIPTION
Attendu que bien que le juge ne puisse pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription, ce moyen peut être opposé en tout état de cause, même pour la première fois en barre d’appel, à moins que la partie qui ne l’aurait pas opposé puisse être présumée y avoir renoncé (art. 2223 et 2224 du Code Civil et 282 Acte Uniforme sur le droit commercial général); qu’il ne peut en conséquence être reproché à Eurasie Afrique de l’avoir soulevé en cause d’appel et l’irrecevabilité de l’exception doit être écartée.
Attendu que la prescription est soutenue par application des dispositions de l’article 108 du Code de Commerce Français et combattue en vertu de celles de l’article 108 du Code de Commerce applicable au Burkina Faso; que le délai de prescription fixé à l’alinéa 2 dudit article est de cinq (5) ans au Burkina Faso (loi du 11avril 1888) et de un(1) an en France suite à la loi du 18 novembre 1942 uniformisant le délai de prescription, loi non rendue applicable aux colonies que la matière commerciale dans la réglementation du droit régional sur l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) ne contient pas de dispositions spécifiques au transport terrestre et maritime; qu’en matière de prescription la disposition générale est celle de l’article 274 de l’Acte Uniforme portant sur le droit commercial général du 17 avril 1997 prévoyant que « le délai de prescription en matière de vente commerciale est de deux ans »; que s’agissant d’une convention à exécution internationale, au delà de la désignation de la juridiction compétente est posée la problématique de la loi applicable.
Attendu qu’en droit international privé, la loi applicable aux contrats est celle que les parties ont adoptée ou à défaut la loi du contrat; que cette dernière est déterminée sur le critère de la loi nationale de la résidence habituelle de la partie qui doit fournir la prestation caractéristique contenue au contrat; qu’en matière de vente, la prestation caractéristique est l’obligation de délivrance du vendeur.
Qu’il en résulte que la loi française doit recevoir application qu’aux termes de l’article 108 du Code de Commerce, le délai de prescription, fixé à un (1) an, est compté « du jour où la marchandise aurait été remise ou offerte au destinataire ».
Attendu que les factures dont règlements sont poursuivis ont été établies en mars, avril et juillet 1999 et les marchandises chargées sur des bateaux aux mêmes dates; que ni le délai de voyage ni celui de débarquement au port ou de livraison à Ouagadougou ne sont indiqués; que la société C.I.A.T. en concluant pour un délai de prescription de cinq (5) ans, semble convenir avec Eurasie Afrique que le délai d’un (1) an est parvenu à expiration; qu’il échet de constater que l’exception de prescription de l’action de la société parait fondée; que dès lors l’existence de la créance, fondement de l’obligation de paiement est sérieusement contestable et le juge des référés ne peut faire droit à la requête en provision; que l’ordonnance querellée mérite infirmation.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort.
EN LA FORME
Déclare l’appel recevable.
AU FOND
Déclare la société Eurasie Afrique irrecevable en son exception d’incompétence du juge des référés de premier degré.
Déclare la société Eurasie Afrique recevable en son exception de prescription de l’action de la société C.I.A.T.
Déclare la société C.I.A.T. mal fondée en sa demande de provision et la rejette.
Infirme l’ordonnance querellée.
Condamne la société CIAT aux dépens; Et ont signé le Président et le Greffier.