J-06-93
SOCIETES COMMERCIALES – PROCEDURE D’ALERTE – NOMINATION D’UN ADMINISTRATEUR PROVISOIRE – SUBORDINATION DE LA NOMINATION D’UN ADMINISTRATEUR PROVISOIREaLA MISE EN OEUVRE DE LA PROCEDURE D’ALERTE (NON).
Un actionnaire, inquiet de la gestion de la société, demande la nomination d’un administrateur provisoire. Débouté par le premier juge qui estime que sa compétence en la matière est subordonnée à la mise en oeuvre préalable de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes, l’actionnaire défère la décision à la Cour d’appel.
Pour la Cour, la procédure d’alerte n’est nullement un préalable indispensable au prononcé d’une mesure d’urgence; le jugement contraire des premiers juges doit être annulé. Toutefois, la nomination d’un administrateur provisoire ne peut âtre le fait que de la juridiction statuant au fond, ce qui n’est pas le cas du juge des référés.
(COUR D’APPEL DE COTONOU, ARRET N 178/99 du 30 septembre 1999 AFFAIRE Dame Karamatou IBIKUNLE C/ Sté CODA-BENIN et quatre Autres.
LA COUR
FAITS ET PROCEDURE
Par exploit en date à Porto-Novo du 23 février 1999, Madame Karamatou IBIKUNLEa assigné devant le juge des référés.
1) La société CODA-BENIN SA, ayant son siège social à Agonvy prise en la personne de ses représentants légaux.
2) Monsieur Moucharaf GBADAMASSI, ès qualité de Président Directeur Général de la société CODA-BENIN SA.
3) Madame Amoudatou AHLONSOU, épouse GBADAMASSI, ès qualité de prétendue actionnaire de la société CODA-BENIN SA.
4) Monsieur le représentant du partenaire technique de la société CODA-BENIN SA, représenté par Monsieur.
Moucharaf GBADAMASSI, PDG de ladite société CODA-BENIN SA.
5) Le collectif des travailleurs d’Agonvy, pris en la personne de son représentant légal.
6) L’Union Régionale des Coopératives d’Aménagement Rural du Grand Agonvy prise en la personne de son représentant légal.
7) Monsieur Saka IDOHOU, ès qualité de prétendu actionnaire de la société CODA-Bénin SA.
8) Monsieur Mounirou OMICHESSAN, ès qualité de prétendu actionnaire de la société CODA-Bénin SA;
Pourvoir :
– Constater l’urgence et le péril en la demeure qui résultent pour la requérante de la part tant de la société CODA-Bénin que des 600 000 000 FCFA investis ainsi et le poids des graves charges financières qui pourraient résulter de la dissipation des actifs de la société;
– Constater qu’il s’agit d’une nécessité de survie tant pour la société CODA-Bénin que pour les biens personnels de Madame Karamatou IBIKUNLE;
– Constater l’urgence et le péril en la demeure;
– Nommer en conséquence un administrateur provisoire qui aura pour fonction, avec l’assistance du Commissaire aux Comptes de la maison et le personnel de direction, de dresser le bilan réel de la société CODA-BENIN, de déterminer la part de rendre compte dans un délai d’un mois de sa mission et de gérer la maison jusqu’à la fin de l’instance u fond.
Par son ordonnance n 05 du 8 avril 1999, le Président du Tribunal de Première Instance de Porto-Novo a rendu la décision dont le dispositif est ainsi libellé :
« Constatons le défaut d’urgence.
-Nous déclarons en conséquence incompétent.
-Renvoyons les parties à mieux se pourvoir.
-Condamnons IBIKUNLE Karamatou aux dépens dont distraction au profit de Maître Rafikou ALABI, Agnès Campbell et Edgar-Yves MONNOU, Avocats aux offres de droit ».
Par acte d’huissier en date du 14 avril 1999, Madame Karamatou IBIKUNLEarelevé appel de l’ordonnance sus¬citée.
Il MOTIFS DE LA DECISION
A / En la forme
Attendu que Madame Karamatou IBIKUNLEarelevé appel de l’ordonnance n 05 du 8 avril 1999 rendue par le juge des référés du Tribunal de Première Instance de Porto-Novo dans les forme et délai prescrits par la loi.
Qu’il y a lieu de le déclarer recevable.
B / Au fond
1) Sur le défaut d’urgence tiré de la non mise en oeuvre de la procédure d’alerte.
attendu que pour se déclarer incompétent, le premier Juge a énoncé que « l’urgence, extrême limite de la compétence du juge des référés, se trouve en l’espèce consubstantielle à la procédure d’alerte.
Que du fait de la carence de cette procédure il y a lieu de constater le défaut d’urgence ».
Attendu que les articles 153, 154, 155 et 156 de l’Acte Uniforme relatif au droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’intérêt Économique, qui organisent la procédure d’alerte dont il s’agit, disposent :
Article 153 :. Le Commissaire aux Compte, dans une société anonyme, demande par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception des explications au Président du conseil d’Administration, au président-directeur général ou à l’administrateur général, selon le cas, lequel est tenu de répondre, dans les conditions et délais fixés à l’article suivant, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation qu’il a relevé lors de l’examen des documents qui lui sont communiqués ou dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission.
Article 154 :. Le président du conseil d’administration, le président-directeur général ou l’administrateur général, selon le cas, répond par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans le mois qui suit la réception de la demande d’explication. Dans sa réponse, il donne une analyse de la situation et précise, le cas échéant, les mesures envisagées.
Article 155 :.a défaut de réponse ou si celle-ci n’est pas satisfaisante, le Commissaire aux Comptes invite, selon le cas, le président du Conseil d’administrateur ou le président-directeur général, à faire délibérer le conseil d’administration ou l’administrateur général à se prononcer sur le faits relevés.
L’invitation prévue à l’alinéa précédent est formée par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans les quinze jours qui suivent la réception de la réponse du président du conseil d’administration, du président-directeur général ou de l’administrateur général, selon le cas, ou la constatation de l’absence de réponse dans les délais prévus à l’article précédent.
Dans les quinze jours qui suivent la réception de la lettre du Commissaire aux comptes, le président du conseil d’administration ou le président-directeur général, selon le cas, convoque le Conseil d’administration, en vue de le faire délibérer sur les faits relevés, dans le mois qui suit la réception de cette lettre. Le Commissaire aux Comptes est convoqué à la séance du conseil. Lorsque l’administration et la direction générale de la société sont assurées par un administrateur général, celui-ci, dans les mêmes délais, convoque le Commissaire aux Comptes à la séance au cours de laquelle se prononcera sur les faits relevés.
Un extrait du procès-verbal des délibérations du conseil d’administration ou de l’administrateur général, selon le cas, est adressé au Commissaire aux comptes dans le mois qui suit la délibération du conseil ou de l’administrateur général.
Article : 156. Encas d’inobservation des dispositions prévues aux articles précédents ou si, en dépit des décisions prises, le Commissaire aux Comptes constate que la continuité de l’exploitation demeure compromise, il établit un rapport spécial qui est présenté à la prochaine assemblée générale ou, encas d’urgence, à une assemblée générale des actionnaires qu’il convoque lui-même pour soumettre ses conclusions, après avoir vainement requis sa convocation du conseil d’administration ou de l’administrateur général, selon le cas, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Lorsque le Commissaire aux Comptes procède à cette convocation, il fixe l’ordre du jour et peut, pour des motifs déterminants, choisir un lieu de réunion autre que celui éventuellement prévu par les statuts. Il expose les motifs de la convocation dans un rapport lu à l’assemblée.
Attendu qu’il ne résulte nulle part des dispositions des articles précités que la procédure d’alerte est « la condition sine qua non à la prise de toute mesure urgente lorsque le.
Commissaire aux Comptes vient à relever les faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation », comme le premier juge l’a pourtant prétendu dans ses motivations.
Attendu au contraire que les articles 162 et 168 de l’acte uniforme précité disposent :
Article 162 : L’action individuelle est l’action en réparation de dommage subi par un tiers ou par un associé lorsque celui-ci subit un dommage distinct du dommage que pourrait subir la société, du fait de la faute commise individuellement ou collectivement par les dirigeants sociaux dans exercice de leur fonction.
Cette action est intentée par celui qui subit le dommage.
Est réputée non écrite toute clause des statuts subordonnant l’exercice de l’action sociale à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée, d’un organe de gestion, de direction ou d’administration ou qui comporterait par avance renonciation à l’exercice de cette action. Cette disposition ne s’oppose à ce que l’associé ou les associés y ont intenté une action puissent conclure une transaction avec la ou les personnes contre laquelle ou contre lesquelles l’action est intentée pour mettre fin au litige.
Que s’il résulte des dispositions de l’article 168 que l’exercice social ne peut être subordonné à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée d’un organe de gestion, de direction ou d’administration, le juge à fortiori, ne peut subordonner sa compétence à la mise en oeuvre préalable de la procédure d’alerte par le Commissaire aux Comptes qui n’est qu’un organe de gestion.
Qu’il résulte donc des dispositions des articles précités que le premier juge, en subordonnant l’existence de l’urgence nécessaire à sa compétence à la mise en oeuvre de la procédure d’alerte par le Commissaire aux Comptes, a fait une mauvaise interprétation des articles 153, 154, 155, 156 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et violé l’article 168 du même acte uniforme.
Qu’il échet en conséquence d’annuler son ordonnance pour évoquer et statuer à nouveau.
2) Sur la demande de nomination d’un administrateur provisoire.
Attendu que le 19 janvier 1999, Madame Karamatou IBIKUNLEa assigné tous les actionnaires de la société CODA BENIN SA, à l’exception de Messieurs SAKA IDOHOU et MOUNIROU OMICHESSAN devant le juge commercial du Tribunal de Première Instance de Porto-Novo pour avoir annulé les procès-verbaux de l’assemblée générale constitutive du 9 juillet 1997 et se voir déclarer seule actionnaire et par conséquent seule propriétaire de la société CODA BENIN SA.
Que dans l’attente de l’issue de cette procédure, Madame Karamatou IBIKUNLE assigna à nouveau par acte du 23 février 1999 tous les autres actionnaires en référé pour voir constater l’urgence et le péril en la demeure relativement à la perte éventuelle de la somme de FCFA 600 000 000 qu ‘elle a investis et en conséquence nommé un administrateur provisoire.
Que comme il a été plaidé par Maître Magloire Y ANSUNNOU et consigné dans ses côtes de plaidoirie à la page 8, la procédure de référé a été initiée pour éviter que Monsieur Moucharaf GBADAMASSI ne profite des longs délais que ne manquera de connaître la procédure au fond pour accentuer le péril auquel est soumise la société CODA BENIN SA.
Attendu cependant que le juge commercial du Tribunal de Première Instance de Porto-Novo saisi du fond du litige a rendu le 15 juillet 1999 le jugement N 26/99 assorti de l’exécution provisoire qui réorganise la structure du capital social de la Société CODA BENIN SA d’où il exclut l’appelante.
Qu’eu égard à cette décision, la nomination d’un administrateur ne peut intervenir sans que ne soit examinés au fond les problèmes de la société en cause.
Que le juge des référés ne décide qu’en tenant compte de l’état du problème dont il est saisi au jour où il rend sa décision.
Qu’il y a lieu de constater que la Cour de céans, statuant en matière de référés, est incompétente pou apprécier la demande de madame Karamatou IBIKUNLE.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé commercial, en appel et en dernier ressort; EN L FORME.
Déclare Madame Karamatou IBIKUNLE recevable en son appel.
AU FOND
Constate que le premier Juge a procédé par mauvaise interprétation des articles 153, 154, 155, 156 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et par violation de l’article 168 du même acte uniforme.
Annule par conséquent l’ordonnance n 5 du 8 avril 1999.
Evoquant et statuant à nouveau.
Constate que par jugement N 26 du 15 juillet 1999, le juge commercial du Tribunal de Première Instance de Porto-Novo a réglé le fond du litige en réorganisant la structure du capital social de la Société CODA BENIN SA.
Se déclare dès lors incompétente pour faire droit à la demande dont elle est saisie.
Mais les dépens d’appel pour moitié à la charge de l’appelante et des intimés.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour d’appel de Cotonou le jour, mois et an que dessus.
COMPOSITION DE LA COUR :
– PRESIDENT : Monsieur ArsènecaPO-CHICHI;
– CONSEILLERS : Madame Ginette AFANWOUBO épouse HOUNSA et;
– Messieurs Francis HODE, Mathieu NOUDEVIWA;
– MINISTERE PUBLIC : Madame Bernadette HOUNDEKANDJI épouse CODJOVI;
– GREFFIER : Madame Reine TSAWLASSOU.