J-06-123
RECOUVREMENT DES CREANCES ET VOIES D’EXECUTION – SAISIE-VENTE – INDISPONIBILITE DES BIENS – ENLEVEMENT DES BIENS SAISIS – INTERDICTION DU DEPLACEMENT DES BIENS SAISISaL’INSU DU CREANCIER.
Une saisie est pratiquée dans les locaux d’une société débitrice sur des sacs de café dont une autre société se réclame propriétaire. Cette dernière procède au déplacement des biens saisis à l’insu du créancier et agit en distraction des objets saisis. Le créancier obtient une ordonnance de référé nommant un séquestre judiciaire à l’effet d’enlever les produits et objets saisis.
La Cour d’appel confirme ladite ordonnance en retenant qu’au regard des dispositions de l’article 97, les biens saisis sont indisponibles et ne peuvent être déplacés par le gardien et donc a fortiori par un tiers sans information préalable du créancier saisissant. Autant l’action en distraction d’objets saisis initiée par la société tierce avant la vente des biens a pour effet de bloquer, de suspendre la vente projetée jusqu’à la décision du juge du fond sur cette action en distraction et protège les intérêts du tiers, note la Cour, autant le déplacement des biens saisis est préjudiciable aux intérêts du créancier saisissant et constitue, à n’en point douter, une voie de fait et une menace pour les intérêts du créancier qu’il convient de protéger.
(COUR D’APPEL D’ABIDJAN, ARRET CIVIL CONTRADICTOIRE N 1111du 12 décembre 2000 AFFAIRE TROPICAL (Me AGNES OUANGUI) C/. OUEDRAOGO KARIM. PRNCI. SEGUI HIL AIRE (Me JULES AVLESSI).
LA COUR
AUDIENCE DU MARDI 12 DECEMBRE 2000.
La Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, séant au Palais de Justice de ladite ville, en son audience publique ordinaire du mardi douze décembre deux mille, à laquelle siégeaient :
Monsieur AGNINI YOUSSOUF, Président de Chambre-Président.
Mr DEMBELE TAHIROU et Mr KOUAME AUGUSTIN, CONSEILLERS à la cour, MEMBRES.
Avec l’assistance de Maître IRIE ALAIN, Greffier.
A rendu l’arrêt dont la teneur suit dans la cause; ENTRE :
La Société Ivoirienne de Produits Tropicaux et Alimentaires dite TROPICAL S.A. sise à Abidjan 01BP 3804 prise en la personne de son Directeur Général Monsieur JEAN FONTIER de nationalité Belge y demeurant.
APPELANTE.
Représentée et concluant par Maître AGNES OUANGUI, Avocat à la Cour, son conseil.
D’UNE PART.
Et.
Mr OUEDRAOGO KARIM, acheteur de produits de nationalité Burkinabé; Téléphone. : 07-81-60-35 demeurant à Treichville.
La Société Produits Ruraux de Negos-CI dite PRNCI sise à Abidjan Vridi prise en la personne de son représentant légal Monsieur THOMAS SEGUI demeurant à Abidjan.
Mr SEGUI HIL AIRE, Directeur Administratif et juridique de PRNCI, prise es qualité de gardien des biens saisis demeurant en ses bureaux.
INTIMES.
Représentés et concluant par Maître JULES AVLESSI, Avocat à la Cour, leur conseil.
D’AUTRE PART.
Sans que les présentes qualités puissent nuire, ni préjudicier en quoi que ce soit aux droits et intérêts respectifs des parties en cause, mais au contraire et sous les plus expresses réserves de faits et de droit.
FAITS : La juridiction présidentielle du tribunal d’Abidjan statuant en la cause, en matière civile a rendu le 20 avril 2000 une ordonnance N 1447 non enregistrée aux qualités de laquelle il convient de se reporter et dont le dispositif est ci-dessous résumé.
Par exploit en dates du 29 mai 2000 de maître NICOLAS DAGO, Huissier de justice à Abidjan, la société TROPIVALa déclaré interjeter appel de l’ordonnance sus-énoncée et a, par le même exploit assigné messieurs OUEDRAOGO KARIM, SEGUI HIL AIRE à comparaître par-devant la Cour de ce siège à l’audience du mardi 13 juin 2000 pour entendre, annuler ou infirmer ladite ordonnance.
Sur cette assignation, la cause a été inscrite au rôle général du Greffe de la Cour sous le N 613 de l’an 2000.
Appelée à l’audience sus-indiquée, la cause après des renvois a été utilement retenue le 28 novembre 2000 sur les pièces, conclusions écrites et orales des parties.
DROIT : En cet état, la cause présentait à juger les points de droit résultant des pièces, des conclusions écrites et orales des parties.
La Cour amis l’affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l’audience du 12 décembre 2000.
Advenue de l’audience de ce jour, 12 décembre 2000, la Cour vidant son délibéré conformément à la loi a rendu l’arrêt suivant :
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après.
EXPOSE DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par acte d’huissier en date du 29 mai 2000, la société Ivoirienne de produits tropicaux et alimentaires dite Tropical agissant par Monsieur JEAN FONTIER, son Directeur Général et ayant pour conseil Maître AGNES OUANGUI, avocat à la Cour d’Appel d’Abidjan, a relevé appel de l’ordonnance N 1447 rendue le 20 avril 2000 rendue par le Juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau nommant un séquestre judiciaire à l’effet d’enlever les produits et objets saisis et entreposés dans les locaux de la société PRNCI ainsi que ceux saisis et transportés dans les locaux de la société TROPICAL.
La société TROPICAL conclut à l’infirmation de cette ordonnance.
A l’appui de son appel, elle expose qu’elle est en relation d’affaire avec la société GETMA, son transitaire qui loue des locaux de la société PRNCI pour y entreposer les produits de la société TROPICAL.
Que se prétendant créancier de la société PRNCI, monsieur OUEDRAOGO KARIM fait pratiquer une saisie-vente dans ces locaux ainsi loués sur un conditionnement de cacao et 8800 sacs de café s’y trouvant et faisait fixer la date de la vente au 23 mai 2000 sur les lieux où les biens ont été saisis.
Que par procès-verbal du 12 avril 2000, OUEDRAOGO KARIM faisait constater l’enlèvement des biens saisis et obtenait par la suite du juge des référés l’ordonnance critiquée.
L’appelante fait savoir que les biens saisis le 29 mars 2000 au préjudice de la société PRNCI lui appartiennent et que cette société n’est que propriétaire du local dans lequel la saisie a été pratiquée, local loué à la société GETMA qui a entreposé les 8800 sacs de café appartenant à Tropical.
Qu’à l’appui de ses affirmations elle produit d’une part une lettre de la société GETMA du 11mai 2000 attestant que les lots de café brousse entreposés dans les locaux de la PRNCI appartiennent à la société Tropical, d’autre part les bons d’entrée de sa marchandise dans lesdits locaux ainsi qu’une déclaration de la caisse de stabilisation établissant que la société PRNCI n’est plus agrée pour la commercialisation de produits.
Qu’elle demande en conséquence à la Cour de dire que la saisie a porté sur des biens lui appartenant alors qu’elle n’est point concernée par le procès opposant OUEDRAOGO KARIM à la société PRNCI que la mise sous séquestre non seulement ne se justifie pas mais en outre lui cause un préjudice.
En réplique OUEDRAOGO KARIM, intimé, par écritures de maître JULES AVLESSI sollicite plutôt la confirmation de l’ordonnance.
Il soutient d’une part qu’au cours de la saisie, la société PRNCI n’a point contesté la propriété des 8800 sacs de café ni émis aucune réserve.
Qu’en vertu de l’article 2279 du code civil, en fait de meuble possession vaut titre; d’autre part qu’au cours des débats devant le juge des référés, la société TROPICALa déclaré qu’elle ne sait pas si les produits lui appartiennent que le juge des référés a motivé sa décision en indiquant que la TROPICAL ne rapporte pas la preuve de sa propriété sur les produits; que la désignation d’un séquestre est une mesure provisoire en ce qu’elle est destinée à préserver les intérêts des parties sans porter préjudice au fond; qu’en l’espèce le Juge a statué conformément à la loi; que la saisie-vente rendant les objets saisis indisponibles leur déplacement du magasin de la saisie-vente au magasin de la TROPICAL est frauduleux car illégal.
Que c’est en vain que TROPICAL produit un ensemble de pièces pour tenter de procurer son droit de propriété sur les 8800 sacs de café; qu’en effet la question soumise au juge des référés n’était pas de savoir si Tropical était propriétaire des biens saisis.
Que la contestation de la propriété est de la compétence exclusive du juge du fond.
Qu’il demande la confirmation de l’ordonnance tout au moins jusqu’à ce le juge du fond saisi par Tropical en distraction d’objets saisis rende sa décision.
La société TROPICAL répond que justement non seulement il convient de bien faire la distinction entre la procédure de distraction d’objets saisis pendante devant le juge du fond et l’appel formé à l’encontre de l’ordonnance du.
20 avril 2000 mais également de constater l’existence de ces deux procédures et la nécessité que la décision du juge des référés ne préjudicie pas au principal et aux intérêts des parties.
Que si le rôle du juge des référés est de statuer dans tous les cas d’urgence, celle-ci englobe cependant aussi la nécessité pour le juge des référés de rendre une décision ne préJugeant pas au fond mais également de veiller à ce que ne soit pas mis en péril les intérêts des parties; qu’en tenant compte de ce principe il est constant que l’ordonnance querellée viole la loi en ce qu’elle préjudicie nécessairement par ses effets tant à la décision que rendra le juge du fond qu’aux intérêts des parties :
Qu’en effet, d’une part, sur un plan purement formel que du fait de la saisine du juge du fond en distraction d’objets saisis, la mise sous séquestre ordonnée ne se justifie plus, les biens saisis étant nécessairement immobilisés en application de l’article 139 de l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution; que dès lors l’ordonnance du 20 avril 2000 peut être annulée sans la moindre difficulté, ce d’autant qu’il s’agit par nature d’une décision à caractère provisoire; qu’au surplus en l’état actuel, cette ordonnance fera forcément préjudice au principal alors que la distraction sera ordonnée, s’agissant des biens appartenant à la société TROPICAL.
Qu’à ce problème posé sera celui de l’état en lequel se trouveront les biens saisis et le préjudice qu’aura subi TROPICAL de ce fait, préjudice qui découle de l’intervention précipitée de l’ordonnance; que l’urgence ne signifie pas précipitation allant jusqu’à ne pas accepter un renvoi et ne point tenir compte de déclaration d’importance susceptibles de rendre une mesure provisoire au mieux des intérêts des parties et non de préjudicier à ceux-ci.
Qu’en n’entendant pas les parties avant de prendre sa décision, le juge des référés a rendu une décision de nature à causer à l’une des parties un préjudice irréparable, la société TROPICAL s’étant injustement trouvée privée de l’exercice des attributs liés à son droit et son préjudice étant d’autant plus grave que les biens saisis sont de nature périssables et destinés à l’exportation.
Qu’il est impératif d’infirmer purement et simplement l’ordonnance qui, au demeurant, ne se justifie plus.
DE LA MOTIVATION
EN LA FORME
Les parties ayant conclu pour faire valoir leurs moyens d’appel et de défense il importe de statuer par arrêt contradictoire à leur égard.
Conformément aux dispositions de l’article 228 alinéa 2 du code de procédure civile et commerciale. Le délai d’appel de l’ordonnance de référé est de 08 jours.
L’ordonnance querellée n’ayant pas été signifiée, le délai d’appel n’a pas couru.
L’appel est donc recevable.
AU FOND.
Il résulte tant des écritures des parties que des pièces du dossier qu’une saisie a été pratiquée le 29 mars 2000 dans les locaux de la société PRNCI sur des sacs de café dont la société TROPICAL se réclame propriétaire.
Au regard des dispositions de l’article 97 du traité OHADA relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, les biens saisis sont indisponibles et ne peuvent être déplacés par le gardien et donc a fortiori par un tiers sans avoir informé au préalable le créancier saisissant.
Or en l’espèce malgré cette saisie et en violation de l’article 97 précité, la société a procédé au déplacement des sacs de café saisis à l’insu de OUEGRAOGO KARIM, le créancier.
Autant l’action en distraction d’objets saisis initiée par la société Tropical avant la vente des biens a pour effet de bloquer de suspendre la vente projetée jusqu’à la décision du juge du fond sur cette action en distraction et protège les intérêts de Tropical autant le déplacement des biens saisis est préjudiciable aux intérêts du créancier saisissant et constitue à n’en point douter, une voie de fait et une menace pour les intérêts du créancier qu’il convient de protéger.
La désignation d’un séquestre judiciaire qui est une mesure provisoire est justement destinée à préserver les intérêts de OUEGRAOGO KARIM dont le recouvrement de la créance est en péril en raison du transfert des sacs de café du lieu de la saisie en un autre endroit par la société Tropical.
Une telle mesure, contrairement aux affirmations de la société Tropical, ne porte préjudice ni aux intérêts de Tropical, ni, par ses effets, à la décision du juge du fond sur l’action en distraction d’objets saisis.
Par ailleurs, il importe de relever qu’après avoir violé les dispositions de l’article 97 en déplaçant les biens saisis, la société Tropical ne peut plus se prévaloir de l’indisponibilité des objets saisis pour dire que la désignation d’un séquestre est à présent injustifiée du fait de la saisie.
Accepter un tel argument revient à cautionner la voie de fait commis par Tropical en déplaçant les biens saisis à l’insu du créancier.
La mesure de désignation d’un séquestre prise par le juge des référés est donc amplement justifiée.
L’ordonnance critiquée mérite en conséquence d’être confirmée.
L’appelant succombant à l’instance doit être condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort.
EN LA FORME.
Déclare l’appel de la société TROPICAL recevable.
AU FOND.
L’y dit mal fondée.
En l’en déboute.
Confirme l’ordonnance querellée.
Condamne la société TROPICAL aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour d’Appel d’Abidjan les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé le PRESIDENT et le GREFFIER.